Pouvoir de régularisation des étrangers : absence d’invocabilité des orientations générales contenues dans la circulaire du 28 novembre 2012

Décision de justice

CAA Lyon, 5ème chambre – N° 21LY03504 – 31 mars 2022 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 21LY03504

Numéro Légifrance : CETATEXT000045506727

Date de la décision : 31 mars 2022

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

L. 113-1 du CJA, Circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l’intérieur, L. 312-2 et L.312-3 du code des relations entre le public et l’administration, Circulaire Valls, Régularisation des étrangers, Invocabilité : absence, Lignes directrices

Rubriques

Etrangers, Procédure

Résumé

En dehors des cas où il satisfait aux conditions fixées par la loi, ou par un engagement international, pour la délivrance d'un titre de séjour, un étranger ne saurait se prévaloir d'un droit à l'obtention d'un tel titre. S'il peut, à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir formé contre une décision préfectorale refusant de régulariser sa situation par la délivrance d'un titre de séjour, soutenir que la décision du préfet, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, il ne peut utilement se prévaloir des orientations générales que le ministre de l'intérieur a pu adresser aux préfets pour les éclairer dans la mise en œuvre de leur pouvoir de régularisation. / Les énonciations de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne constituent donc pas des lignes directrices dont les intéressés peuvent utilement se prévaloir devant le juge1.

Toutefois, aux termes de l’article L. 312-3 du code des relations entre le public et l’administration, dans sa version issue de l’article 20 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance : « Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l'Etat et publiés sur des sites internet désignés par décret. / Toute personne peut se prévaloir de l’interprétation d’une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n’affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n’a pas été modifiée. / (…) ».

La circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l’intérieur relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a fait l’objet d’une mise en ligne sur le site Légifrance le 1er avril 2019, site relevant du 1er ministre. Elle ne figure pas parmi la liste des documents opposables publiée sur le site www.interieur.gouv.fr, site internet relevant du Premier ministre. Elle ne figure pas parmi la liste des documents opposables publiée sur le site www.interieur.gouv.fr, site internet relevant du ministre de l’intérieur.

Les dispositions précitées, issues de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, ont-elles pour effet de modifier la jurisprudence « Cortes-Ortiz » du 4 février 2015 et de rendre invocable une circulaire contenant des orientations générales ? 2

Dans l’affirmative, l’invocabilité de la circulaire est-elle seulement conditionnée par la publicité prévue par les dispositions des articles L. 312-2 et R. 312-8 du code des relations entre le public et l’administration, les dispositions de l’article R. 312-10 et D. 312-11 du même code étant alors regardées comme régissant seulement l’accès au droit ?3.

Est-elle également conditionnée par les mentions et l’inscription sur la liste des documents opposables prévues par les dispositions des R. 312-10 et D. 312-11 du code des relations entre le public et l’administration, ces dispositions étant alors regardées comme régissant également l’opposabilité ?4.

En cas de réponse affirmative à cette question, cette condition pouvait-elle être légalement instituée par décret ?5.

Si une des conditions susmentionnées ou les deux conditions sont remplies, le membre de phrase mentionné à l’article L. 312-3 du code des relations entre le public et l’administration « même erronée » signifie-t-il également « même illégale » ?6.

Dans l’hypothèse d’une invocabilité de la circulaire du 28 novembre 2012 susmentionnée, un ressortissant étranger qui n’a pas exécuté une ou plusieurs précédente (s) mesure (s) d’éloignement entre-t-il dans les prévisions de la circulaire ?7.

Dans l’hypothèse où au moins une des conditions prévues pour l’invocabilité d’une circulaire n’est pas réunie, le moyen tiré de la circulaire devient-il inopérant ou bien reste-t-il toujours opérant comme c’est le cas pour l’application de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales ?8.

Sur ces questions posées par la cour, le Conseil d’Etat a rendu son avis le 14 octobre 2022 - n° 462784 - A.

Sur la possibilité de se prévaloir de l'interprétation, même illégale, d’une règle contenue dans un document publié sur des sites internet désignés par décret (art. L. 312-3 du CRPA), Garantie instaurée au profit de l’usager : existence, Invocabilité d’orientations générales pour l’octroi d’une mesure de faveur alors même qu’elles ont été publiées sur un tel site : absence, Subordination de l’invocabilité de lignes directrices à une telle publication, absence, Invocabilité des orientations générales de la circulaire du 28 novembre 2012: absence.

L’article L. 312-3 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) institue une garantie au profit de l’usager en vertu de laquelle toute personne qui l’invoque est fondée à se prévaloir, à condition d’en respecter les termes, de l’interprétation, même illégale, d’une règle contenue dans un document que son auteur a souhaité rendre opposable, en le publiant dans les conditions prévues aux articles R. 312-10 et D. 312-11 du CRPA, tant qu’elle n'a pas été modifiée.

En outre, l’usager ne peut bénéficier de cette garantie qu’à la condition que l’application d’une telle interprétation de la règle n’affecte pas la situation de tiers et qu’elle ne fasse pas obstacle à la mise en œuvre des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement. Les mentions accompagnant la publication de ce document ont pour objet de permettre de s’assurer du caractère opposable de l’interprétation qu’il contient.

En instituant le mécanisme de garantie de l’article L. 312-3 du CRPA, le législateur n’a pas permis de se prévaloir d’orientations générales dès lors que celles-ci sont définies pour l’octroi d’une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l’intéressé ne peut faire valoir aucun droit, alors même qu’elles ont été publiées sur l’un des sites mentionnés à l’article D. 312-11 du même code.

S’agissant des lignes directrices, le législateur n’a pas subordonné à leur publication sur l’un de ces sites la possibilité pour toute personne de s’en prévaloir, à l’appui d’un recours formé devant le juge administratif.

Dès lors qu’un étranger ne détient aucun droit à l’exercice par le préfet de son pouvoir de régularisation, il ne peut utilement se prévaloir, sur le fondement de ces dispositions, des orientations générales contenues dans la circulaire du ministre de l’intérieur du 28 novembre 2012 pour l’exercice de ce pouvoir.

335-01-02-03, Étrangers, Séjour des étrangers, Autorisation de séjour, Régularisation. Délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui n'y a pas droit (régularisation), Mesure de faveur, Conséquences, Non-invocabilité des orientations générales édictées par le ministre dans le régime des circulaires antérieur à la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, Non-invocabilité des orientations générales édictées par le ministre dans le régime des circulaires postérieur à cette loi

Notes

1 Cf. CE, Section, 4 février 2015, Ministre de l'intérieur c/ M.X, n° 383267 et 383268, p. 17 Retour au texte

2 Cf. s’agissant du maintien de la réponse « N° 383267 et 383268 du 4 février 2015 », en dernier lieu CAA Lyon, 10 mars 2022, n° 21LY01320 ; CAA Marseille, 3 février 2022, n° 21MA00120 ; CAA Bordeaux, 10 mars 2022,, n° 21BX03837, 21BX03838 ; CAA Nantes, 11 mars 2022, n° 21NT01615 ; CAA Douai, 19 octobre 2021, n° 21DA00482 ; CAA Nancy, 8 mars 2022, n° 21NC01855 ; CAA Versailles, 8 juillet 2021, n° 20VE00145. Retour au texte

3 Cf. en ce sens TA Strasbourg, 23 septembre 2021, n° 2104379, 2104380 avec les conclusions Bauer, « Un subterfuge d’affichage peut-il faire obstacle à l’invocabilité des circulaires ? », AJDA 2022 page 406. Retour au texte

4 Cf. en ce sens CAA Marseille, 20 juillet 2021, n° 20MA02624 ; CAA Douai, 22 février 2022, n° 21DA01249 ; CAA Nancy, 19 octobre 2021, n° 20NC03781 ; CAA Nancy, 10 mars 2022, n° 21NC01813 ; CAA Paris, 8 février 2022, n° 21PA00897 ; CAA Bordeaux, 5 octobre 2021, n° 21BX00956 ; CAA Versailles, 19 novembre 2020, n° 19VE02374. Retour au texte

5 Inédit Retour au texte

6 Inédit Retour au texte

7 Inédit Retour au texte

8 Rappr. CE 30 juin 2010, n° 310294, aux Tables ; CE 28 décembre 2005, n° 263982, aux Tables ; CE 28 mai 2001, Société BP France, n° 202976, aux Tables. Retour au texte

Droits d'auteur

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