OQTF sans délai : la demande d'AJ interrompt le délai de recours en cas de mention erronée

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Décision de justice

TA Grenoble – N° 2108113 – 04 mars 2022 – C+

Requête jointe N° 2108114 - Jugement confirmé en appel : CAA Lyon, ordonnance du 27 février 2023, n°22LY02898

Juridiction : TA Grenoble

Numéro de la décision : 2108113

Date de la décision : 04 mars 2022

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

OQTF sans délai, AJ

Rubriques

Etrangers

Résumé

La demande d’aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai dont la notification mentionne par erreur un délai de recours de 30 jours.

Lorsque la notification d’une OQTF sans délai mentionne, par erreur, un délai de recours de 30 jours, au lieu du délai de 48 heures normalement applicable, la demande d’aide juridictionnelle formulée par l’étranger dans les 30 jours suivant la notification de la décision interrompt le délai de recours de 30 jours, seul opposable à l’intéressé, dès lors que, d’une part, l’absence de prorogation du délai de 48 heures prévue par l’article R. 776-5 du CESEDA est attachée non à la nature de la décision attaquée mais à la durée du délai de recours qui y est associée et que, d’autre part, l’OQTF en question ne fait pas partie des cas dans lesquels l’étranger a la faculté de solliciter auprès du président du tribunal la désignation d’office d’un avocat.

En application de l’article L. 614-6 du CESEDA et du II de l’article R. 776-2 du code de justice administrative (CJA), lorsqu’une obligation de quitter le territoire français n’est pas assortie d’un délai de départ volontaire, elle est attaquable dans un délai de recours de 48 heures à compter de sa notification. Le II de l’article R. 776-5 du CJA prévoit que ce délai n’est susceptible d’aucune prorogation. En application de ces dispositions, l’introduction d’une demande d’aide juridictionnelle, alors que l’étranger dispose de la faculté de demander au président du tribunal la désignation d’office d’un avocat, ne saurait avoir pour effet de proroger le délai de quarante-huit heures.

Toutefois, lorsque les mentions relatives aux délais de recours contre une décision administrative figurant dans la notification de cette décision sont erronées, elles doivent être regardées comme seules opposables au destinataire de la décision lorsqu’elles conduisent à indiquer un délai plus long que celui qui résulterait des dispositions normalement applicables. Par ailleurs, il ressort de la lettre de l’article R. 776-5 du CESEDA que l’absence de prorogation du délai de recours est attachée non à la nature de la décision attaquée, mais à la durée du délai de recours qui y est associée. En outre, il résulte de la combinaison des articles L. 614-6 et L. 614-4 du CESEDA que lorsque l’OQTF sans délai a été prise en application des 3°, 5° ou 6° de l’article L. 611-1 du même code, l’étranger ne dispose pas de la faculté de demander au président du tribunal la désignation d’office d’un avocat. Par suite, dès lors qu’une OQTF sans délai relevant du régime de l’article L. 614-4 du CESEDA mentionne par erreur un délai de recours de 30 jours, la demande d’aide juridictionnelle que l’étranger introduit dans ce délai proroge celui-ci jusqu’à la notification de la décision prise par le bureau d’aide juridictionnelle1.

335-03-01-01, Etrangers, OQTF sans délai de départ volontaire, Règles de procédure contentieuse spéciale, Recevabilité, Mention des voies et délais de recours erronée, Aide juridictionnelle, Interruption du délai de recours, Existence.

Notes

1 Rappr., s’agissant d’une décision d’interdiction de retour, CE, 2ème et 7ème chambres réunies, 12 juillet 2017, N° 410186, B. Voir aussi CE, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 7 décembre 2009, Ministre de l’éducation nationale, n° 315064, B. Retour au texte

Une mention erronée du délai de recours profite aux ressortissants étrangers ayant fait l’objet des OQTF

Amadou Diallo

doctorant au CMH, Université Clermont Auvergne

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DOI : 10.35562/alyoda.8734

Suite aux décisions du préfet de l’Isère du 1er juin 2021 portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français, M. et Mme F…, (les requérants) ont demandé une aide juridictionnelle en vue de contester la validité de leur éloignement. Leurs demandes d’aide juridictionnelle ont été acceptées le 27 octobre 2021 et le 9 novembre 2021. Par la suite, ils ont déposé un recours en annulation devant le tribunal administratif de Grenoble le 29 novembre 2021.

Sur le fondement de l’article L. 614-6 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure (...). » De plus, l’article R. 776-5 du code de justice administrative, paragraphe II, dispose que « les délais de quarante-huit heures mentionnés aux articles R. 776-2 et R. 776-4 (...) ne sont susceptibles d’aucune prorogation. » Or, dans son jugement du 4 mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a soulevé deux éléments importants :

  • conformément à l’article R. 421-5 du CJA , le délai de recours juridictionnel de trente jours mentionné dans l’acte de notification est seul opposable aux requérants (M. et Mme F…,) ;

  • les décisions préfectorales portant obligation de quitter le territoire français en question relèvent les dispositions des 3°, 5° ou 6° de l’article L. 611-1 du CESEDA qui ne prévoient pas la possibilité de demander au président du tribunal la nomination d'office d’un avocat pour un étranger. En conséquence, la tardiveté ne pourra alors être opposée aux requérants étrangers (M. et Mme F…).

C’est dans ces conditions que les juges administratifs estiment donc que les requêtes de M. et Mme F…, recevables et annulent les décisions portant refus d’un départ volontaire ainsi que l’interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

La demande d’aide juridictionnelle pour contester une obligation de quitter le territoire français (OQTF) prononcée à l’égard d’un ressortissant étranger en situation administrative irrégulière peut-elle interrompre le délai de recours contentieux en cas de mention erronée dans l’acte de notification ?

Une obligation de quitter le territoire français est un acte administratif. L’étranger destinataire d’un tel acte bénéficie d’un certain nombre de règles, notamment en ce qui concerne le délai imparti dans lequel il peut introduire son recours auprès des autorités compétentes contre un arrêté préfectoral d’éloignement.

Par un jugement du 4 mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a admis le recours en annulation formé par les requérants (M. et Mme F) contre l’arrêté du 1er juin 2021 du préfet de l’Isère portant refus de délivrance des titres de séjour et une obligation de quitter le territoire sans délai ainsi qu'une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de deux ans pour les deux requérants.

La présente note vise à analyser principalement le positionnement du juge administratif concernant la mention relative aux délais de recours contentieux contre les décisions du préfet de l’Isère portant refus d’un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français prises à l’encontre de M. et Mme F, objet du recours en annulation accepté par le tribunal administratif de Grenoble.

C’est à la suite d’une demande de délivrance de titres de séjour sur le fondement du 5) de l’article 6 de l'accord franco-algérien, déposée le 24 juin 2020, que le préfet de l’Isère a délivré à M. et Mme F, d’une part, des décisions portant refus de titre de séjour ainsi qu’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai et d’autre part, a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de deux ans. S’agissant donc particulièrement de l’obligation de quitter le territoire français, les requérants (M et Mme F) ont estimé que les décisions préfectorales sont entachées d’erreur de droit,  car, selon eux, les dispositions de l’article L. 612-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne sont applicables qu’aux étrangers auxquels un délai de départ volontaire a été accordé. Ainsi, ils soulèvent la méconnaissance de l’article 6 de l'accord franco-algérien, l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le paragraphe 1 de l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Le tribunal administratif de Grenoble a eu l’occasion d’apporter des précisions claires sur les dispositions du code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives aux délais de recours contentieux contre une décision d’obligation de quitter le territoire français (I), mais également de rappeler les conséquences juridiques lorsque l’acte de notification d’une OQTF porte une mention erronée de son délai de recours (II).

I - Un rappel opportun des délais de recours contre une obligation de quitter le territoire français

Les juges du tribunal administratif de Grenoble ont ainsi été amenés à se prononcer sur le délai de recours contentieux applicable contre une décision d’éloignement. En effet, le préfet de l’Isère avait soulevé le moyen selon lequel les délais de recours juridictionnels de trente jours résultant des dispositions des articles R. 776 - 2 du code de justice administrative et L. 614-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile comme étant inapplicables.

Les juges administratifs ont donc rappelé, de manière assez claire, les articles du code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ainsi que le code de justice administrative en affirmant, d’abord, qu’aux termes de l’article R. 421-5 du code de justice administrative (§. 4) : « les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision », et qu’il « résulte de ces dispositions que, lorsque les mentions relatives aux délais de recours contre une décision administrative figurant dans la notification de cette décision sont erronées, elles doivent être regardées comme seules opposables au destinataire de la décision lorsqu’elles conduisent à indiquer un délai plus long que celui qui résulterait des dispositions normalement applicables. »

Les juges ont précisé ainsi que conformément aux dispositions de l’article R. 776-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (§ 6) : « que l’absence de prorogation du délai de recours, notamment par une demande d’aide juridictionnelle, est attachée non à la nature de la décision attaquée, mais à la durée du délai de recours qui y est associée. » Dans ce cadre, il est important de rappeler que les décisions portant l’obligation de quitter le territoire français à l’encontre des requérants (M. et Mme F) ont été pris en conséquence des décisions portant refus de titre de séjour le 1er juin 2021. Or, les dispositions du 3° de l’article R. 776-2 du code de justice administrative prévoient explicitement : « I. - conformément aux dispositions de l'article L. 614-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification d'une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire, prise en application de l'article L. 251-1 ou des 3°, 5° ou 6° de l'article L. 611-1 du même code, fait courir un délai de trente jours pour contester cette obligation ainsi que les décisions relatives au séjour, au délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément ». À cet effet, la demande des requérants sollicitant l’aide juridictionnelle proroge le délai de recours contentieux, c'est-à-dire le délai de 30 jours, bien qu’il soit issu d’une mention erronée dans les actes de notification des décisions d’OQTF prises par le préfet de l’Isère.

Ici, l’apport du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 4 mars 2022 réside donc avant tout dans le fait qu’il permet, malgré les arrêtés du préfet de l’Isère portant obligation de quitter le territoire français sans délai, de donner aux requérants (M. et Mme F) la possibilité d’introduire une demande d’aide juridictionnelle tout en conservant le délai de recours contentieux ouvert et la possibilité d’intenter une action en justice contre les mesures d’éloignement.

Cette exception, permise à l’article R. 421-5 du code de justice administrative lorsque les mentions relatives aux délais de recours contre une décision administrative sont absentes ou erronées, pourrait apparaître comme une garantie concrète en matière de droit au recours, notamment pour les étrangers confrontés à une mesure d’éloignement prise à leur encontre.

Dans ce contexte, l’intéressé peut demander une aide juridictionnelle avant l’expiration du délai de recours contentieux. En cas d’acceptation, un nouveau délai de même durée court à compter de la date à laquelle l’acceptation de la demande d’aide juridictionnelle est devenue définitive. En effet, les juges du tribunal administratif de Grenoble ont précisé dans leur jugement que les demandes d’aide juridictionnelle ont eu lieu pendant le délai de recours de 30 jours “seuls opposables” aux requérants (M. et Mme F) et que, dans le cas d’une décision d’éloignement relevant du 3° de l’article L. 611-1 du code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’étranger a la possibilité de formuler une demande d’aide juridictionnelle au plus tard lors de l'introduction de sa requête en annulation conformément aux dispositions détaillées à l’article L. 614-4 du même code.

II - Les conséquences juridiques d’une erreur dans la notification d’OQTF

Si, en l’espèce, dans le jugement commenté, les juges du tribunal administratif de Grenoble ont écarté les demandes des requérants tendant à l’annulation des décisions préfectorales du 1er juin 2021 portant obligation de quitter le territoire français, ils ont toutefois tiré les conséquences, d’une part, l’absence de motivations des décisions préfectorales portant refus d’un délai de départ volontaire et, d’autre part, l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de deux ans.

En principe, l’article L. 613-1 du code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que : « la décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. Toutefois, les motifs des décisions relatives au délai de départ volontaire et à l'interdiction de retour édictées le cas échéant sont indiqués. »

S’agissant donc particulièrement des arrêtés portant refus d’un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français, le tribunal administratif de Grenoble a explicité l’ensemble des exigences applicables, en retenant dans un court considérant (§ 17) que : « les décisions relatives au refus et à la fin du délai de départ volontaire prévues aux articles L. 612-2 et L. 612-5 et les décisions d’interdiction de retour et de prolongation d’interdiction de retour prévues aux articles L. 612-6, L. 612-7, L. 612-8 et L. 612-11 sont distinctes de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elles sont motivées ».

Tout d’abord, les juges administratifs ne manquent pas de relever dans cette affaire que les arrêtés du préfet de l’Isère du 1er juin 2021 sont irréguliers dans la mesure où ils ne font pas l’objet d’une motivation en droit, comme l’imposent les dispositions précitées de l’article L. 613-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et qu’ils « ne font état d’aucun motif de fait de nature à justifier le refus d’octroi d’un délai de départ volontaire ». Le juge accueille en conséquence les demandes des requérants sur ce point.

En l’occurrence, si les dispositions de l’article L. 612-2 du même code énumèrent les circonstances dans lesquelles l’autorité administrative a la possibilité de refuser d’accorder aux étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement un délai de départ volontaire, les juges du tribunal administratif de Grenoble constatent toutefois dans leur jugement que les arrêtés du préfet de l’Isère du 1er juin 2021 ne mentionnent même pas les cas dans lesquels un délai de départ volontaire peut être refusé aux destinataires d’une décision d’OQTF tels que prévus à l’article L. 612-2 précité.

S’agissant ensuite des décisions du préfet de l’Isère portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, les requérants font valoir qu’elles sont illégales compte tenu de l’illégalité des décisions d’éloignement. En effet, l’article L. 612-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit « lorsque l’étranger s’est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l’autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l’autorité administrative n’édicte pas d’interdiction de retour (…) ». Cependant, les juges du tribunal administratif de Grenoble ont précisé que les requérants (M. et Mme F) n’ont pas bénéficié d’un délai de départ volontaire et que, par conséquent, ils n’étaient pas dans la situation de l’étranger s’étant maintenu irrégulièrement sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire.

La juridiction grenobloise conclut finalement que, c’est à tort que le préfet de l’Isère fonde ses décisions portant l’interdiction de retour sur le territoire français à l’encontre des requérants sur les dispositions de l’article L. 612-7 du CESEDA au motif d’absence d’un délai de départ volontaire. Le tribunal administratif de Grenoble annule de ce fait ces deux mesures accompagnant les décisions préfectorales d’éloignement, à savoir le refus d’un délai de départ volontaire et l’interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Ainsi, il enjoint au préfet de l’Isère de réexaminer la situation de M. et Mme F afin de leur accorder un délai de départ volontaire.

Enfin, il est important de souligner que dans le cadre de l’article R. 421-5 du code de justice administrative, le préfet est obligatoirement tenu d’indiquer les délais et voies de recours sous peine d’entacher d’irrégularité la décision à prendre. Ainsi, le Conseil d’État, dans une décision du 8 janvier 1992, a jugé qu’une mention erronée dans l’acte de notification concernant le délai de recours, susceptible d’être émis par l’autorité administrative, n’est pas opposable aux tiers destinataires de la décision (CE, 8 janvier 1992, M. E. X., n° 113114 aux tables du recueil Lebon).

En conclusion, les mentions relatives aux délais de recours et les modalités de notification, telles que prévues par les articles R. 421-5 du code de justice administrative et L. 614-4 du code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, donnent des garanties permettant à l’intéressé de contester une décision administrative, notamment une obligation de quitter le territoire français, susceptible d’être prise à l'égard d’un ressortissant étranger. Toutefois, certaines difficultés subsistent : la durée du délai de recours parfois très courte et l’incompréhension du sens des arrêtés d’éloignement en l’absence de traduction écrite, notamment, restent des phénomènes persistants.

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