La cour lyonnaise retient une solution favorable à l’étranger dont la demande d’asile a été rejetée et qui fait l’objet d’une décision l’obligeant à quitter le territoire français (OQTF), en admettant – ce qui est relativement rare – la méconnaissance de son droit d’être entendu.
L’arrêt concerne un ressortissant du Mali, entré irrégulièrement en France, le 24 décembre 2018. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le 31 août 2020. Ce refus a été confirmé par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), le 31 décembre 2020. Par deux décisions du 4 mars 2021, le préfet du Rhône, sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (devenu l’article L. 611-1), l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 90 jours et a fixé le pays de renvoi. Le requérant relève appel du jugement du 27 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions. Il soutient que la décision d’OQTF est intervenue en méconnaissance de son droit à une bonne administration consacré à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et du principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu.
La cour a donné raison au requérant, en tenant compte du fait que l’intéressé avait, préalablement à l'édiction des décisions litigieuses l’obligeant à quitter le territoire français (OQTF) et fixant le pays de renvoi, demandé un rendez-vous en préfecture afin de faire enregistrer une première demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade. L’intéressé se prévalait de ce que le 14 novembre 2019 – avant que sa demande d’asile ne soit rejetée par l’OFPRA, en août 2020 – il avait fait l'objet d'un très grave accident du travail sur un chantier, à la suite duquel il avait été hospitalisé jusqu'au 29 janvier 2020, et il avait déposé plainte le 18 juin 2020. Par un courrier du 9 mars 2021 rédigé par son conseil et réceptionné le 11 mars 2021, le requérant, dont la date de convocation n'avait été fixée qu'au 10 juin 2021, avait rappelé expressément ces faits au préfet, en émettant le souhait d'être entendu avant qu'une décision soit prise. Les pièces médicales versées au dossier attestaient par ailleurs du caractère sérieux de ces informations. En conséquence, la cour a estimé que l’intéressé, n'ayant été ni entendu, ni mis à même de présenter des observations, avait ainsi été privé de communiquer avec l'autorité préfectorale. Dans ces conditions, il ressortait des pièces du dossier qu'en cas d'audition de l'intéressé, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent. Ainsi l’intéressé est-il fondé à se prévaloir du principe de bonne administration et à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français était intervenue en méconnaissance du principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu. La cour a donc annulé les décisions l’obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, et enjoint au préfet de délivrer à l’intéressé une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification de l’arrêt et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la même date.
Tout en s’inscrivant dans le cadre jurisprudentiel fixé par le Conseil d’État et la Cour de justice de l’Union européenne (I), la cour administrative d’appel de Lyon retient une solution favorable au requérant étranger, se démarquant ainsi d’autres juridictions administratives d’appel (II).
I. OQTF et droit d’être entendu : un cadre jurisprudentiel désormais fixé
Le respect du droit d’être entendu préalablement à l’édiction d’une décision portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) a suscité une jurisprudence abondante.
La question s’est d’abord posée de savoir s’il fallait appliquer la procédure contradictoire préalable de droit commun, prévue à l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dont les dispositions ont été reprises dans le CRPA (art. L. 122-1 et s.) Dans deux avis contentieux de 2007 et 2008, le Conseil d’État a écarté leur application, au motif que les règles spéciales du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) excluent l’application de ces règles générales, qui imposent à l’administration, avant l’édiction de toute décision administrative défavorable, de mettre l’intéressé en mesure de présenter des observations écrites, et le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (CE, avis cont., 28 nov. 2007, n° 306901, Leb. p. 451 ; v. aussi CE, avis cont., 26 nov. 2008, n° 315441, Leb. p. 442, AJDA 2009, p. 270, concl. M. Guyomar).
La question du respect du contradictoire a été de nouveau posée à partir du moment où les décisions portant OQTF prises par les autorités administratives françaises sont devenues des décisions mettant en œuvre le droit de l’Union européenne, après la transposition de la directive « Retour » (Dir. 2008/115/CE du 16 déc. 2008), à laquelle a procédé la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. Les dispositions du CESEDA, qui ne prévoient pas que l’administration doit mettre l’intéressé en mesure de présenter ses observations écrites ou orales préalablement à l’édiction d’une décision portant OQTF, étaient-elles contraires au droit à une bonne administration ? Ce droit, consacré à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union comporte « le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre » (art. 41, point 2). Il s’agit aussi d’un principe général du droit de l’Union (CJUE, 22 nov. 2012, M. M. c/ Minister for Justice, Equality and Law Reform, aff. C-277/11)
La conformité de la procédure française d’éloignement par rapport au droit d’être entendu consacré par le droit de l’Union européenne, divisait les juridictions administratives. Le tribunal administratif de Montreuil avait jugé le moyen inopérant, au motif qu’une décision d’OQTF « ne peut être regardée comme un acte pris dans une situation juridique intégralement régie par le droit communautaire » (TA Montreuil, 13 mars 2013, M. et Mme R., n° 1210341, Leb. p. 649). Le tribunal administratif de Melun avait jugé nécessaire d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur cette question (TA Melun, 8 mars 2013, n° 1301686/12, AJDA 2013. 663). Quant à la cour administrative d’appel de Lyon, elle avait conclu à la conformité du droit français au droit de l’Union européenne, dans un arrêt M.H. du 14 mars 2013 (n° 12LY02704), commenté dans la revue ALYODA 2013, n° 2 et figurant parmi les Grandes décisions de la jurisprudence administrative lyonnaise (LexisNexis, 2021, n° 3, p. 11, note É. Untermaier-Kerléo). Elle avait alors affirmé – ce qui n’est pas sans rappeler la décision présentement commentée – qu’une atteinte au droit d’être entendu « n’est susceptible d’affecter la régularité de la procédure à l’issue de laquelle la décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu’il lui revient, le cas échéant, d’établir devant la juridiction saisie ».
Avant que l’affaire ne soit définitivement tranchée par le Conseil d’État, la CJUE a rendu un important arrêt le 10 septembre 2013 (M. G et N.R c/ Staatssecretaris van Veligheid en Justicie, aff. C-383/13), en réponse à une question préjudicielle posée par une juridiction néerlandaise à propos de décisions de prolongation de rétention. Par cet arrêt, rendu sur les conclusions contraires de l’avocat général M. Wathelet, la CJUE s’éloigne de sa jurisprudence initiale (CJUE, 22 nov. 2012, aff. C-277/11, préc). Selon une formulation proche de celle de la cour lyonnaise, la Cour affirme qu’une « violation des droits de la défense, en particulier le droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent ».
Finalement, par un arrêt du 4 juin 2014, statuant à l’aune de cet arrêt M. G. et N. R., le Conseil d’État a confirmé l’arrêt n°12LY02704, M.H., rendu par la cour administrative d’appel de Lyon en 2013, en jugeant que « dans le cas (…) où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise concomitamment au refus de délivrance d’un titre de séjour, l’obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du refus de titre de séjour (…) le droit d’être entendu n’implique alors pas que l’administration ait l’obligation de mettre l’intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l’obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu’il a pu être entendu avant que n’intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour » (CE, 4 juin 2014, n° 370515, Leb. p. 152, AJDA 2014. 1183, et 1501, concl. X. Domino). Cette solution, qui traduit pour certains (O. Boskovic e. a, D. 2015, chron. p. 450) une « interprétation étriquée des droits de la défense », a également été retenue par la CJUE, dans l’arrêt par lequel elle a répondu à la question préjudicielle posée par le tribunal administratif de Melun (CJUE, 5 nov. 2014, M. c/ Préfet de police et Préfet de la Seine-Saint-Denis, aff. C-166/13).
Dans un second arrêt du 11 décembre 2014, la CJUE a précisé les modalités du droit d'être entendu, considérant que l'autorité compétente n'avait pas l'obligation d'aviser l'intéressé, avant même qu'il ne soit entendu, qu'elle envisageait de prendre une décision de retour ou de lui présenter les éléments sur lesquels elle entendait fonder sa décision (K. B. c/ Préfet des Pyrénées-Atlantiques, aff. C-249/13). Le Conseil d'État, dans un arrêt du 5 juin 2015 (n° 375423), en déduisit que le droit d'être entendu « n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement ».
II. Une solution d’espèce favorable à l’étranger
Pour la cour administrative d’appel de Lyon, conformément aux arrêts de la CJUE C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014 auxquels elle se réfère expressément, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations « de façon spécifique » sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement. Cependant, la cour lyonnaise estime que « le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne » (§ 4). Elle ajoute enfin que la méconnaissance du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent (§ 5).
Or, dans le cadre de sa demande d’asile, le requérant n’a pas été informé, à un quelconque moment de la procédure, de ce qu'il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ou mis à même de présenter des observations, « la procédure de demande d'asile n'ayant pas une telle finalité ». Par conséquent, alors même que l’accident dont le requérant a été victime est survenu en novembre 2019, donc bien avant le rejet de sa demande d’asile par l’OFPRA le 31 août 2020, puis par la CNDA, le 31 décembre 2020, il a été privé de son droit d’être entendu, faute d’avoir pu communiquer avec l'autorité préfectorale, notamment sur la possibilité de pouvoir bénéficier des dispositions du 9° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile aujourd'hui reprises au 8° de l'article L. 611-3 du même code.
Cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’un arrêt précédemment rendu par la 5e chambre de la cour lyonnaise du 29 avril 2021, M. S., n° 20LY02885, relative à un ressortissant géorgien, qui, comme en l’espèce, avait, postérieurement au rejet de sa demande d’asile mais avant qu’une décision d’OQTF ne soit prise à son encontre, sollicité un rendez-vous en préfecture afin de faire enregistrer une première demande de titre de séjour, en précisant explicitement qu'il entendait se prévaloir de sa qualité de parent d'un enfant étranger malade. Plusieurs décisions de la 5e chambre en 2021 puis de la 7e chambre en 2022, font application de cette solution, accueillant le moyen tiré de la violation du droit d’être entendu (v. notamment : CAA Lyon, 5e chambre, 15 juil. 2021, n° 20LY01527 ; CAA Lyon, 7e chambre, 13 juil. 2022, n° 21LY03132 ; CAA Lyon, 7e chambre, 13 juil. 2022, n° 21LY01610 ; CAA Lyon, 7e chambre, 4 août 2022, n° 21LY04171). Ce moyen est cependant écarté si les requérants ne précisent pas quels éléments susceptibles d'influer sur le principe de leur éloignement ils auraient été privés de porter à la connaissance de l'autorité préfectorale (CAA Lyon, 5e chambre, 15 juil. 2021, n° 20LY03652) ou si les éléments fournis par les requérants ne sont pas susceptibles d’avoir une incidence sur le sens des décisions attaquées (CAA Lyon, 5e chambre, 2 déc. 2021, n° 21LY01550, relevant qu’il ne ressort pas des certificats médicaux produits par les requérants qu’ils ne pourraient pas bénéficier effectivement dans le pays de renvoi d'un traitement approprié à leur état de santé ; v. encore : CAA Lyon, 5e chambre, 12 nov. 2020, n° 19LY04766 ; CAA Lyon, 5e chambre, 13 janv. 2022, n° 21LY03170).
D’autres cours ont retenu une solution plus sévère, considérant au contraire que le droit de l'intéressé d'être entendu est, en principe, « satisfait avant que n'intervienne le refus de la reconnaissance de la qualité de réfugié », dans la mesure où l’intéressé doit, lors du dépôt de sa demande d’asile, apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles et faire valoir auprès de l'administration, toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. L’autorité administrative n’a donc pas l’obligation de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise en conséquence du refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié. Ainsi, la cour administrative d’appel de Nancy a-t-elle écarté le moyen tiré de la méconnaissance du droit d’être entendu, après avoir cependant pris soin de relever que l'intéressé, auquel il appartenait de fournir spontanément à l'administration, notamment à la suite du rejet de sa demande d'asile, tout élément utile relatif à sa situation, n'établit pas avoir présenté de tels éléments, y compris en cause d'appel (CAA Nancy, 9 mai 2019, n° 18NC02645). La cour de Nancy laisse donc entendre qu’elle aurait pu retenir le moyen tiré de la méconnaissance du droit d’être entendu si l’intéressé avait fait valoir spontanément de nouveaux éléments à la suite du rejet de sa demande d'asile. Dans le même sens, la cour administrative d’appel de Versailles, dans un arrêt du 17 juin 2022, n° 21VE01070, affirme qu’à la suite du rejet de la demande d’asile par la CNDA, le préfet n’a pas l’obligation de mettre l’intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise en conséquence du refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié. La cour ménage cependant une issue de secours en relevant qu’ « au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier et des écritures de la requérante qu'un changement particulier de circonstances aurait affecté sa situation personnelle et familiale depuis l'enregistrement de sa demande d'asile » et qu’ « il n’est pas non plus allégué que [l’intéressé] aurait postérieurement sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux ».
Les juridictions administratives pourraient donc se rejoindre sur le fait qu’un étranger qui, d’une part, à la suite du rejet de sa demande d’asile, sollicite un rendez-vous en préfecture afin de faire enregistrer une demande de titre de séjour, en se prévalant de sa qualité d’étranger malade ou de parent d'un enfant étranger malade et qui d’autre part, fournit, dans le cadre du recours contre la décision d’OQTF, des pièces attestant du caractère sérieux des informations susceptibles d'avoir une incidence sur l'intervention d'un éloignement, pourrait obtenir l’annulation de cette décision d’OQTF sur le fondement de la méconnaissance de son droit d’être entendu.