Refus d’accès à une centrale nucléaire par l’exploitant

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 20LY00048 – 24 mars 2022 – C+

Voir  CE, 17 octobre 2022 - n° 444826 - B annulant les articles 1er et 2 de l’arrêt n° 19LY02162, 19LY02163, 19LY02164 de la cour administrative d’appel de Lyon du 12 mars 2020 et le jugement du TA de Grenoble du 4 avril 2019 sont annulés.

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 20LY00048

Date de la décision : 24 mars 2022

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Refus d’accès, RAPO, Installations d’importance vitale, Obligation de motivation, L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration, Article L. 1332-2-01 du code de la défense, Contrôle du juge de l’excès de pouvoir, Contrôle normal

Rubriques

Procédure, Police administrative

Résumé

L’accès d’une personne à une installation d'importance vitale peut être refusé, en vertu des articles L. 1332-1, L. 1332-2-1, R. 1332-22-1, R. 1332-22-3 et R. 1332-33 du code de la défense, par l’exploitant de l’installation lorsque les caractéristiques de cette personne ne sont pas compatibles avec cet accès.

L’exploitant peut solliciter par écrit l'avis du préfet de département, lequel peut demander à ce que soit diligentée une enquête administrative destinée à vérifier que les caractéristiques de la personne physique ou morale intéressée ne sont pas incompatibles avec l'accès envisagé. Lorsqu’il est saisi, par le recours administratif prévu à l’article R. 1332-33 à titre de préalable obligatoire, d’une décision de refus d’accès à une telle installation, il appartient au ministre compétent d’apprécier, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les caractéristiques de la personne concernée sont effectivement incompatibles avec l'accès à l’installation en cause.

Par application du 8° de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), la décision rejetant le recours préalable obligatoire formé contre le refus d’accès à une centrale nucléaire opposé à un agent chargé de l’entretien, doit être motivée. Cette obligation de motivation peut cependant s’effacer dans le cas où la communication de ces motifs serait susceptible de porter atteinte aux intérêts de sûreté et de sécurité énumérés à l’article L. 311-5 du même code. Ce principe excède le champ de l’exception mentionnée au 7° de l’article L. 211-2, qui ne concerne expressément que le régime applicable à la motivation des refus d’autorisation1.

En l’espèce, la circonstance qu’un agent a été reconnu coupable de faits en lien avec sa toxicomanie n’est pas au nombre des motifs mentionnés à l’article L. 311-5 du CRPA que l’administration pourrait s’abstenir de lui indiquer dans sa décision lui refusant pour ce motif l’accès au site. Le rejet du RAPO qu’il a introduit contre ce refus d’accès doit donc être formellement motivé.

01-03-01-02-01-03, Procédure, Motivation, Obligation de motivation, Motivation obligatoire en vertu du code des relations entre le public et l’administration, Rejet RAPO, Absence d’obligation de motivation, Sûreté de l’État et sécurité publique,

49-05, Police, Polices spéciales, Restrictions d’ordre professionnel.

54-07-02-03, Procédure, Pouvoirs et devoirs du juge, Contrôle du juge de l’excès de pouvoir, Appréciation soumise à un contrôle normal.

Notes

1 comp.  CE 10 juin 2020, Ministre de l’intérieur c/ M. X. n° 425593 Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Bertrand Savouré

rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.8458

M. X. a été recruté le 16 janvier 2012 en qualité d’agent de maintenance par la société EDF et exerçait au centre nucléaire de production d’électricité de Cruasse/Meysse. Il s’est vu refuser l’accès au site de cette centrale nucléaire le 7 juin 2018, sur la base des résultats d’une enquête administrative.

Il a formé un recours contre ce refus d’accès par lettre du 18 août 2018. Par un courrier du 30 août 2018, le ministre de la transition écologique l’a informé que les motifs de la décision ne pouvaient lui être transmis compte tenu de la confidentialité des informations mais que son recours allait être étudié au vu des éléments du dossier. Par un courrier du 27 septembre 2018, le ministre a finalement rejeté son recours en faisant valoir que les éléments fournis par le service enquêteur étaient incompatibles avec sa présence sur un site nucléaire.

Il a alors saisi le tribunal administratif (TA) de Nîmes d’une demande d’annulation de cette décision en mettant en avant son absence de motivation. Cette demande a été transférée par ordonnance au TA de Lyon.

En défense devant le tribunal administratif, le ministre a invoqué le 7° de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration, qui prévoit une exception à la règle de la motivation des décisions refusant une autorisation lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l’un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l’article L. 311 5, qui incluent les risques d’atteinte à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations.

Le ministre a néanmoins changé son fusil d’épaule et décidé de lui-même de lever le secret qu’il opposait devant le tribunal, sans même que les premiers juges aient à user des règles d’instruction de ce type d’affaire, énoncées par la jurisprudence du CE, Assemblée du 6 novembre 2002, n° 194295 A.

Le ministre a ainsi indiqué que le motif de son refus était fondé sur l’avis préfectoral rendu après enquête administrative, sollicité par EDF comme l’y autorise les articles L. 1332-2-1 et R. 1332-22-1 du code de la défense pour l’accès à un point d’importance vitale, notamment, d’une centrale nucléaire. Ces dispositions permettent à cet effet la consultation des traitements automatisés de données personnelles. En l’espèce, après consultation du Traitements des Antécédents judiciaires (TAJ), il a été constaté que l’intéressé avait été mis en cause pour plusieurs infractions commises entre 2014 et 2016, notamment d’acquisition, de détention, d’offre ou de cession et de transport de stupéfiants, notamment de cocaïne. A la suite d’un contrôle routier en août 216, qui s’est révélé positif au cannabis, il a fait l’objet d’une suspension de son permis de conduire. La fiche produite par le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire faisait état du caractère répété et récent des faits ainsi que de la vulnérabilité qu’ils induisent.

Le tribunal administratif a validé l’argumentation du ministre et rejeté la demande par un jugement du 19 novembre 2019 dont l’intéressé interjette appel.

Sur le fond, compte tenu du caractère particulièrement contraignant de la mesure, qui porte autorisation d’exercice d’une activité professionnelle, nous penchons pour un contrôle normal, même si la Cour de Nancy a opté pour le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation dans un arrêt qui a fait l’objet d’un pourvoi qui ne paraît pas avoir été admis (CAA Nancy 24 mars 2015, n° 14NC01754 C+). La situation nous parait notamment assez proche de celle des mesures d’éviction des fonctionnaires, sur lesquelles vous exercez un contrôle normal (CE, Assembléé, 13 novembre 2013, n° 347704) et il nous paraît difficile de l’assimiler à une mesure relevant d’un pouvoir discrétionnaire de la part de l’autorité administrative.

Mais quel que soit le degré de contrôle, la décision nous paraît devoir être validée sans hésitation. Bien que les faits ne soient pas par eux-mêmes d’une extrême gravité, ceux-ci se sont néanmoins déroulés alors qu’il était déjà employé d’EDF et ne peuvent donc être qualifiés d’erreur de jeunesse. Il est surtout relevé qu’il a stoppé sa consommation après une cure de désintoxication en 2015 et qu’il avait une dette de 2 000 euros vis-à-vis d’un des principaux revendeurs d’un réseau interpellé auprès duquel il s’approvisionnait pour lui et quelques personnes de son entourage. La combinaison de son addiction et de dettes auprès de représentants du banditisme présentent un profil particulièrement inquiétant pour un technicien ayant accès à des zones aussi sensibles. Il paraît aussi avoir une consommation plus qu’occasionnelle de cannabis, puisque le jour du contrôle, il a déclaré avoir fumé 5 à 6 joints et précisé s’adonner à l’usage de stupéfiants en choisissant les moments pour ne pas être confondu par un contrôle d’EDF.

Examinons maintenant le point le plus délicat du litige, qui concerne la légalité externe de la décision et plus précisément son insuffisance de motivation.

Sur ce point, la 6e chambre de votre Cour a jugé que la décision par laquelle le ministre compétent refuse, sur le fondement de l’article R. 1332‑33 du code de la défense, de faire droit au recours administratif préalable à la décision d’un opérateur d’importance vitale refusant d’autoriser l’accès d’une personne à un point d’importance vitale qu’il gère ou utilise, constitue un refus d’autorisation au sens du 7° de l’article L. 211‑2 du code des relations entre le public et l’administration. Par suite, sauf à ce que la communication de ses motifs soit de nature à porter atteinte à l’un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l’article L. 311‑5 du même code, une telle décision doit être motivée. (CAA Lyon, 6ème chambre, n°19LY01730, 19 novembre 2020, C).

Ce considérant de principe s’inspire très clairement de celui qui a été adopté par le CE en matière d’accès aux zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes (CE 10 juin 2020, Min de l’intérieur c/ M. C., n° 425593, B).

Faisant application de cette règle qu’elle venait d’énoncer, votre cour a alors estimé qu’eu égard aux finalités des traitements automatisés et à la nature des mentions qu’ils comportent, la communication des motifs de la décision contestée, alors même qu’ils concerneraient l’intéressé lui-même, était de nature à porter atteinte aux intérêts liés à la sûreté de l’Etat et à la sécurité publique, protégés par les dispositions du d) du 2° de l’article L. 311‑5 du code des relations entre le public et l’administration.

Cette espèce comportait toutefois une légère différence avec la vôtre dans la mesure où les fichiers consultés étaient le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste ainsi que le fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique.

Dans notre espèce, le fichier consulté était le TAJ, fichier qui ne comporte en principe pas d’élément inconnu de la personne concernée.

S’agissant des personnes mises en cause, il s’agit des indices graves ou concordant rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, à la commission d’un crime, délit ou contraventions de cinquième classe, réunis, lors de l’enquête préliminaire, de l’enquête de flagrance ou sur commission rogatoire.

Depuis le décret n°2018-687 du 1er août 2018, l’article R. 40-33 II du code de procédure pénale prévoit d’ailleurs que les personnes disposent d’un droit d’accès et de rectification direct à ce fichier qu’elles doivent exercer auprès du ministère de l’intérieur.

D’après nous, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, ce n’est pas le fait que soit en jeu l’accès à un centre nucléaire, installation d’importance vitale, qui permet d’opposer le 7° de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration. En effet, divulguer à l’intéressé des informations sur les motifs de son refus d’accès n’implique en rien de divulguer des informations sur l’installation elle-même.

C’est uniquement le fait que les éléments sur lesquels l’autorité administrative s’est fondée soient couverts par un secret opposable à l’intéressé qui permet de se dispenser de motivation. C’était bien le cas dans l’espèce précitée jugée par la 6e chambre de votre Cour, dans laquelle il était justifié que les éléments opposés à l’intéressé ne pouvaient lui être communiqués en raison de l’atteinte qu’une telle communication aurait pu porter atteinte aux intérêts liés à la sûreté de l’Etat et à la sécurité publique.

Dans notre espèce, on voit mal quelle atteinte aurait pu être portée à de tels intérêts par la communication des motifs de la décision, qui repose sur la consultation du TAJ qui comprend des informations auquel l’intéressé a en principe accès.

Les éléments sur lesquels le ministre s’est fondé ne nous paraissent donc pas être de ceux qui auraient pu porter atteinte à un secret ou à un intérêt justifiant l’application du 7° de l’article L. 211‑2 du code des relations entre le public et l’administration.

Comme l’indiquait Mme Barrois de Sarigny dans ses conclusions sur l’arrêt CE, 21 février 1996 n° 149848, « il ne paraît pas satisfaisant de permettre aux autorités administratives de rester en toutes circonstances mystérieuses sur le motif qui peut les conduire à refuser une autorisation, alors même que celui-ci pourrait s’avérer tout à fait banal, et que sa divulgation serait de nature à éviter quelques malentendus. »

Précisons qu’une difficulté supplémentaire vient se greffer dans le cas des autorisations en matière d’accès à un point d’importance vitale tient à ce que le ministre statue sur un RAPO. Or, le 8° de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration prévoit que doivent être motivées les décisions qui rejettent un RAPO, sans plus de précision et, par conséquent, sans émettre explicitement la réserve prévue par le 7° de l’article.

Toutefois, vous ne vous arrêterez pas à la lettre du texte. Ce 8° peut être considéré comme un alinéa balai pour toutes les décisions prises sur RAPO mais il nous paraît inenvisageable de considérer que, sous prétexte que nous serions dans le cadre d’un RAPO, l’administration ne serait plus en droit d’opposer un secret susceptible de porter atteinte à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations. Le juge lui-même n’est pas en droit de communiquer de telles informations à l’intéressé si l’atteinte au secret est avérée (arrêt précité).

Mais la réponse à cette question n’est pas directement utile au traitement de l’affaire puisque, comme nous l’avons dit, le secret a de toute façon été opposé à tort à l’intéressé.

Il s’agira néanmoins très probablement d’une annulation purement platonique puisque, de notre point de vue, la décision était parfaitement justifiée au fond et on voit mal, a priori, comment l’intéressé pourrait faire changer d’avis son employeur.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation de la décision et du jugement attaqué et au rejet du surplus des conclusions.

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