Une section de commune peut être propriétaire de biens situés sur le territoire d’une autre section de commune

Lire les commentaires de :

Décision de justice

TA Clermont-Ferrand – N° 1900746 – 20 janvier 2022 – C+

Juridiction : TA Clermont-Ferrand

Numéro de la décision : 1900746

Date de la décision : 20 janvier 2022

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Section de commune, Bien de section

Rubriques

Institutions et collectivités publiques

Résumé

Un échange de parcelles autorisé par le préfet n’est pas illégal au motif qu’il conduit une section de commune à devenir propriétaire d’un terrain situé à l’intérieur du périmètre d’une autre section. Est légale l’autorisation donnée par le préfet de procéder à l’échange d’une parcelle appartenant à une section contre une autre appartenant à des personnes privées et située sur le territoire d’une autre section, quand bien même elle a pour conséquence de rendre la première section propriétaire d’une parcelle sur le territoire de la seconde.

Aucune disposition législative ni réglementaire n’interdit en effet une telle situation, même si ses conséquences pratiques, notamment en terme de détermination de la liste des ayants-droit de la section, sont susceptibles de faire émerger de nouvelles questions, dans l’hypothèse par exemple où une habitation venait à être construite sur la parcelle en cause.

L’article L. 2411-14 du code général des collectivités territoriales, qui concerne notamment la situation des sections qui disposent de biens en indivision et qui souhaitent mettre fin à cette indivision, prévoit également, de façon certes implicite, la possibilité pour une section de devenir propriétaire d’un lot situé sur le territoire d’une autre section, dès lors que ce n’est que « par priorité » qu’elle reçoit un lot situé sur son propre territoire. Cette situation est également à mettre en regard de celle des communes, qui peuvent également être propriétaires de biens immobiliers ou de terrains sur le territoire d’autres communes, dans le cadre par exemple de centres de vacances, de points d’approvisionnement en eau, de forêts.

135-02-02-03-01, Collectivités territoriales, Commune, Bien de la commune, Section de commune, Biens sectionnaux

« Une section de commune peut-elle posséder des biens sur le territoire d’une autre section ? »

Bastien Lejeune

Doctorant en droit public - Université Clermont Auvergne (CMH – UPR 4232)

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.8546

Aucune disposition législative ou réglementaire n’interdit à une section de commune d’être propriétaire de biens situés hors de son territoire.

Un rapport de 2002 estimait l’existence de « près de 16 000 sections de commune » sur le territoire français, avec une « tendance à la diminution » (Lemoine (J-P.), Rapport du Groupe d’étude et de réflexion sur l’évolution souhaitable à court ou moyen terme du régime des biens sectionaux des communes, 2003, p. 7, en ligne). Toutefois, s’il est vrai qu’elles ne peuvent plus être constituées depuis le 28 mai 2013 (art. L. 2411-1 II. du CGCT), les sections de commune restent des personnes morales de droit public bien ancrées dans notre schéma institutionnel. Une fois encore, ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en est la parfaite illustration.

L’article L. 2411-1 du code général des collectivités territoriales définit la section de commune en ces termes : « (…) toute partie d’une commune possédant à titre permanent et exclusif des biens ou des droits distincts de ceux de la commune ». Selon la loi, la reconnaissance d’une section au sein d’une commune (de façon explicite par un arrêté du représentant de l’État dans le département, mais aussi de façon implicite pour certaines sections créées à la suite d’un don ou d’un leg, ou pour celles dont la création remonte à l’Ancien Régime) reposait sur trois conditions de fond :

  • d’abord, que des habitants d’une commune disposent d’intérêts propres et distincts des autres habitants de la commune ;

  • ensuite, que les intérêts collectifs de ce groupe d’habitants constituent des biens ou des droits ;

  • enfin, que la jouissance de ces biens et/ou droits leur soit affectée à titre exclusif.

En réalité, les biens sectionaux semblent avoir permis au législateur révolutionnaire (Article 2 du décret du 11 juin 1793 de la Convention nationale « Sur le mode de partage des biens communaux ») de valider l’existence de biens ou de droits ayant été reconnus à des « communautés d’habitants » antérieures à la création des premières communes « modernes » (à travers le décret du 14 décembre 1789 de l’Assemblée nationale, concernant la constitution des municipalités). Plus tard, la section de commune a également trouvé son origine dans des dispositions législatives liées à la modification du territoire des communes (comme lors d’opérations de rectification des limites communales ou de fusion de communes. Par exemple : CE, 3 avril 1968, n° 69674, Lebon p. 230) et parfois même dans des libéralités exclusivement destinées aux habitants d’un hameau ou d’un quartier communal (art. L. 312-2 du code des communes - abrogé). De fait, les sections de commune possèdent principalement des biens immobiliers tels que des forêts, des landes, « des pâturages, des carrières, des tourbières, des marais, des sources, des immeubles bâtis, des grottes, etc. » (Beyssac (R.) et Marillia (G-D.), La section de commune, 1983, Clermont-Ferrand, p. 16), et parfois des biens mobiliers (souvent du matériel agricole) ou même des droits collectifs (les droits d’affouage, de marronnage, de pâturage, de soutrage, de chasse, etc.).

Dans la présente affaire, les requérants demandaient l’annulation d’un arrêté par lequel le sous-préfet de Saint-Flour avait autorisé, suite à l’avis favorable du conseil municipal de la Commune de Tavanelle, un échange de parcelles entre la section de Latga Haut et des propriétaires privés dont le terrain est situé dans le périmètre d’une autre section communale, la section de Tavanelle (voir l’arrêté n° 2018-1597 du 4 décembre 2018 dans Préfecture du Cantal, Recueil des actes administratifs n° 15-2018-092, 21 décembre 2018, pp. 49-50, en ligne).

À l’appui de leur requête, les requérants soulevaient plusieurs moyens, dont deux ont rapidement été écartés par le juge administratif :

  • parmi ceux qui visent la légalité externe de l’acte attaqué, ils soulevaient un vice de forme tenant à l’insuffisance de motivation. Selon eux, l’expression des motifs ayant fondé l’arrêté préfectoral était erronée puisqu’elle oublie de mentionner l’un des deux copropriétaires de l’une des parcelles de l’échange. Le juge administratif a écarté ce moyen comme inopérant, ne voyant qu’« une simple erreur matérielle, sans aucune incidence sur le caractère suffisant de la motivation, dès lors que le numéro de la parcelle permet de l’identifier sans ambiguïté » (§. 3.) ;

  • parmi ceux touchant à la légalité interne de l’acte attaqué, les requérants estimaient que ce dernier entraînait une violation de la loi au sens strict du terme, en étant contraire au principe constitutionnel d’égalité des citoyens, lequel interdit aux personnes publiques, hors motif d’intérêt général et contreparties suffisantes, de céder à des fins d’intérêt privé un bien relevant de leur patrimoine pour un prix inférieur à sa valeur (CC, Décision n°86-207 DC du 26 juin 1986 et CE, Sect., 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, n° 169473, Lebon p. 391). En effet, ayant acquis en 2017 sur la commune de Tavanelle « une parcelle comparable au prix de 8 euros le mètre carré », les requérants contestaient qu’un an plus tard l’échange en cause soit effectué sur la base d’une évaluation du service des domaines fixant la valeur vénale des parcelles concernées à 0,70 euro le mètre carré. Le juge administratif a lapidairement écarté ce moyen dès lors qu’en plus d’avoir acheté une parcelle « située sur une autre section » de la commune, les requérants « n’apport[aient] aucun élément de nature à établir que les parcelles seraient exactement similaires » et « ne font valoir aucun élément de nature à remettre en cause l’estimation faite par le service des domaine » (Paragraphe 7.).

L’étude des trois autres moyens soulevés à l’encontre de l’arrêté préfectoral est quant à elle bien plus intéressante en ce qu’ils permettent de spécifier toujours plus en droit la section de commune comme un établissement public infracommunal. Il faut bien comprendre qu’à l’époque où la section de commune fait son apparition, la théorie de l’établissement public n’avait pas encore connu sa première consécration en droit positif, qui remonte au code civil de 1804 (Conseil d’État, Rapport d’étude sur les établissements publics, 2009, p. 9, en ligne). Ensuite, les diverses réformes législatives de la section de commune au cours du XXème siècle ne lui ont pas non plus expressément accordé cette qualification (Beyssac (R.) et Marillia (G-D.), opt. cit., p. 13). Si bien qu’en 2011, pour le Conseil constitutionnel, « il ne s’agit ni d’une collectivité territoriale ni d’un établissement public mais d’une institution administrative au statut singulier » (Commentaire de la décision n° 2011-118 QPC du 8 avril 2011, p. 2, en ligne). Pourtant, dans le silence de la loi, le juge administratif semble bien reconnaitre à la section de commune la nature d’un « établissement public diminué » (Beyssac (R.) et Marillia (G-D.), op. cit., p. 10) : il s’agit d’une personne morale de droit public (art. L. 2411-1 du CGCT), qui dispose d’une faible autonomie administrative et financière sous contrôle communal (articles L.2411-2 et suivants du CGCT) et, surtout, qui exerce une activité d’intérêt général encadrée par le même principe de spécialité, tant sur le plan matériel (1.) que sur le plan territorial (2.).

1. La spécialité fonctionnelle : une section de commune peut échanger des biens

Le principe de spécialité est principalement défini comme « la capacité ou la compétence de certaines personnes morales limitées aux objets en vue desquels elles ont été créées » (Van Lang (A.), Gondouin (G.) et Inserguet-Brisset (V.), Dictionnaire de droit administratif, Armand Colin, 1997). En l’espèce, la compétence de la section de commune se limite « à la gestion des biens et droits de la section [qui] est assurée par le maire et le conseil municipal » (art. L. 2411-2 du CGCT).

Ainsi, les requérants estiment que l’article L. 2411-16 du CGCT attribue à une section de commune les seules fonctions de modifier l’usage de ses biens ou de les vendre.

Toutefois, le juge administratif énonce que si cette disposition « ne fait pas mention explicitement de la possibilité pour une section d’échanger ses biens », elle ne l’interdit pas non plus. En effet, selon une lecture classique, la compétence « globale » d’un établissement public (ici, il s’agit de la gestion des biens sectionaux) repose sur les attributions accordées à ses organes de représentation qui, « par les dispositions du 2° du I de l’article L.2411-6 » du CGCT, permettent à la commission syndicale ou au conseil municipal (art. L.2411-5 du CGCT) de procéder à la « vente, [l’]échange et [la] location pour neuf ans ou plus de biens de la section (…) ». De ce fait, « l’échange n’est [donc] pas exclu » des compétences de la section de commune (§. 5.).

2. La spécialité territoriale : une section de commune peut disposer d’un intérêt en dehors de ses limites géographiques

Les requérants estimaient également que l’échange de parcelles est impossible puisqu’il « aura pour conséquence de rendre la section de Latga Haut propriétaire d’un bien situé sur le territoire d’une autre section » (§. 5). Ce moyen en appelle au principe de spécialité territoriale d’une personne publique, principe selon lequel celle-ci ne peut pas exercer ses fonctions à l’extérieur de son périmètre géographique, c’est-à-dire dans la circonscription d’une autre autorité administrative.

En effet, si la section de commune reçoit implicitement la qualification d’établissement public, il s’agit alors d’un établissement public ”à vocation territoriale” (expression afin d’éviter toute confusion avec l’établissement public territorial de l’article L. 5219-2 du CGCT) puisque « son existence ne se conçoit (…) qu’en fonction d’un territoire précis » (Beyssac (R.) et Marillia (G-D.), op. cit., p. 20) visant les habitants d’une partie d’une commune (art. L. 2411-1 du CGCT). Toutefois, contrairement aux collectivités territoriales (articles L. 2112-1, L. 3112-1 et L.4122-1 du CGCT) et aux établissements publics conçus en en références aux limites de ces dernières, la loi est silencieuse quant à la délimitation administrative des sections de commune. Du coup, il ne lui est pas imposé de continuité territoriale.

D’ailleurs, sa délimitation « soulève des difficultés fréquentes » (Bernot (J.), La section de commune et son régime juridique : évolutions récentes, Rev. adm., 1981, vol. 34, n° 199, p. 24, en ligne) : hormis le cas des sections de commune créées à la suite des modifications de limites communales, leurs limites géographiques se déterminent principalement à travers le contenu des actes à l’origine de la section de commune (CE, 9 juillet 1931, Lebon p. 752, en ligne) ou par le juge administratif à l’aide de tous les éléments utiles (CE, 10 juillet 1885, Lebon p. 661, en ligne). De façon simplifiée, la délimitation du périmètre d’une section correspond donc à l’inventaire des biens collectifs des habitants d’une partie d’une commune. En fait et en droit, la section existe uniquement dans le but d’être le propriétaire de ces biens. Elle peut alors les utiliser, mais aussi les vendre, ou bien même les partager entre les ayants-droits (art. L.2411-6 du CGCT). Dans ce cas, au fil de l’existence d’une section de commune, ses limites territoriales peuvent subir des modifications en fonction des libéralités et des cessions qui l’intéressent :

  • une section de commune peut se séparer de la propriété d’un de ses biens localisé au milieu de ses autres biens ;

  • une section de commune peut se retrouver propriétaire d’un bien qui est situé en dehors de ses limites initiales par le biais d’une libéralité ou d’un échange.

Ainsi, dans notre cas, c’est cette réalité qui fait affirmer au juge administratif qu’une première section peut se retrouver propriétaire d’un bien situé sur le territoire d’une autre section. En effet, « s’il est exact, comme le soulèvent les requérants, que l’échange autorisé par l’arrêté litigieux aura pour conséquence de rendre la section de Latga Haut propriétaire d’un bien situé sur le territoire d’une autre section, il ne ressort d’aucune disposition législative ou réglementaire qu’une section, personne morale de droit public, ne pourrait être propriétaire de parcelles en dehors des limites du territoire de la section » (Paragraphe 5.). D’autant plus que, « si la parcelle en cause se trouve effectivement à l’intérieur des limites sectionales de Tanavelle, elle n’appartient pas au patrimoine de cette section, mais à des personnes privées, (…), qui en ont dès lors l’entière disposition ». Ce qui, en conséquence, rend donc nul le moyen lié au « défaut de consultation des habitants de la section de Tanavelle », en principe obligatoire au cours d’une procédure de vente des biens sectionaux (§. 6.).

Ce jugement permet de comprendre que les possibilités offertes aux sections de commune de vendre ou de partager leurs biens ont pu entrainer l’apparition de section discontinues ou ”à taches”, notamment dans les zones sujettes à un nombre important de sections de communes (les départements de la Haute-Loire, du Puy-de-Dôme, du Cantal, de la Creuse et de la Lozère). De la même façon qu’un intérêt public local peut justifier l’intervention d’une commune (CE, Sect., 6 mars 1981, Association de défense des habitants du quartier de Chèvre-morte, n° 00119, Lebon p. 125) ou d’un EPCI (CAA de Douai 29 juill. 2004, Communauté d’agglomération du Soissonnais c. Commune de Chaudun, n° 04DA00046) hors de leurs limites, une section de commune qui sert les intérêts communs de ses habitants peut, après une opération juridique, se retrouver propriétaire d’un bien en dehors de ses limites et peut-être même sur le “territoire” d’une autre section.

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0