La société Carrières de Saint-Laurent a déposé, le 25 janvier 2019, une demande d’autorisation environnementale pour l’exploitation d’une carrière alluvionnaire d’une superficie de 806 223 m², au sud-ouest du territoire de la commune de Sainte-Julie, dans le département de l’Ain.
Il s’agit en réalité d’une demande de renouvellement et d’extension de la carrière dite de La plaine exploitée depuis 1985 et dont la précédente autorisation expirait le 5 mai 2018.
Outre la carrière, la demande portait également sur l’exploitation d’une installation de lavage, criblage et concassage de matériaux provenant de la carrière et d’une station de transit de 127 000 m² pour l’accueil de produits minéraux et déchets non dangereux inertes pour les produits et traitement issues de l’extraction et pour l’aire de réception/contrôle des matériaux entrants.
Le préfet de l’Ain a délivré l’autorisation sollicitée, le 6 novembre 2019, pour une durée de 7 ans dont 5 en extraction.
Conformément à l’article L. 181-2 du code de l’environnement, cette autorisation tient lieu :
1°) d’autorisation au titre de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (pour la carrière et le traitement et transit de produits minéraux ou déchets non dangereux inertes) ;
2°) de non opposition à déclaration de travaux au titre de la loi sur l’eau (pour les forages) ;
3°) et de dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats en application du 4° du I de l'article L. 411-2 (pour l’Oedicnème criard).
Le comité de vigilance de la plaine de l’Ain (CVPA) et 18 personnes physiques, résidant à Sainte-Julie ou dans la commune limitrophe de Chazay-sur-Ain, vous demandent d’annuler cette autorisation.
Les requérants soutiennent tout d’abord que l’étude d’impact du projet est entachée de plusieurs irrégularités.
Ils visent plus particulièrement les informations relatives au puits de captage d’eau potable du Luizard, à l’inhalation des poussières PM10 et PM 2,5 (particules fines en suspension) et à l’impact acoustique de l’exploitation, en s’appuyant essentiellement sur les avis rendus par l’agence régionale de santé.
Rappelons qu’aux termes du I de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, « Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. (…) ».
S’agissant du puits du Luizard qui dessert en eau potable 4 communes dont celles de Chazay et de Sainte-Julie, les requérants font valoir que l’étude d’impact omet de mentionner les risques liés à un écoulement des eaux souterraines vers le puits en question situé à 2,6 km au sud-ouest de la carrière. Il est surtout fait grief à la carte de l’étude d’impact représentant l’incidence de la carrière sur les eaux d’écoulement et les captages d’eau potables, agricoles et industriels de ne pas mentionner de flèche signalant l’existence de l’écoulement en direction du captage du puits de Luizard.
Cependant, contrairement à ce que soutiennent les requérants, cet écoulement souterrain vers le captage d’eau potable n’est pas avéré. Comme ils l’indiquent eux-mêmes, l’exploitant conclut dans l’étude d’impact à l’absence d’incidence des activités de la carrière sur les écoulements souterrains en direction de l’ouvrage de captage d’eau potable du Luizard « compte tenu de sa position en latéral hydraulique vis-à-vis de la carrière. ». Il résulte en effet de l’instruction qu’une crête piézométrique, correspondant à la ligne de partage des eaux souterraines, sépare le puits de Luizard et le site de la carrière et des experts hydrogéologues ont exclu toute connexion entre ces deux sites en concluant sans ambiguïté que le projet n’entrainerait aucun impact sur les enjeux « eau potable ». Les requérants n’apportent aucun élément de nature à remettre en cause la méthodologie suivie en l’espèce.
S’agissant ensuite de l’évaluation des risques sanitaires dus aux particules fines, les requérants font grief à l’exploitant d’avoir refusé de mettre en parallèle les valeurs mesurées en PM10 et PM 2,5 aux valeurs guides de l’OMS en effectuant une interprétation selon laquelle les valeurs de 20 microgramme/m3 pour les PM10 et de 10 µg/m3 pour les PM2,5 sont des valeurs guides de l’OMS correspondant à des objectifs de qualité et que de fait, l’évaluation quantitative du risque sanitaire ne peut être faite sur la base de cette valeur.
Les requérants se prévalent de la note d’information n° DGS/EA1/DGPR/2014/307 du 31/10/14 relative aux modalités de sélection des substances chimiques et de choix des valeurs toxicologiques de référence pour mener les évaluations des risques sanitaires dans le cadre des études d’impact et de la gestion des sites et sols pollués précisant que lorsqu’aucune valeur toxicologique de référence n’existe pour mesurer l’impact sanitaire d’une poussière, l’exploitant doit, au sein de l’étude d’impact, effectuer une comparaison des mesures de poussières qu’il a faite avec à minima « des valeurs guides comme celles de l’OMS ». Vous noterez d’ores et déjà que les valeurs guides de l’OMS ne sont pas les seules recevables.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat dans une décision n°418949 du 13 mars 2019 a jugé que le défaut, dans l’étude d’impact, d’analyse spécifique relative aux particules PM 2,5 susceptibles d’être émises par l’installation projetée [dans le cas d’espèce un centre de méthanisation de déchets] n’est susceptible d’entacher d’irrégularité la procédure d’adoption de l’arrêté attaqué que si les incidences prévisibles de ces émissions justifiaient une telle analyse. Le Conseil d’Etat a censuré la cour administrative d’appel de Lyon qui avait tiré de l’existence d’une règlementation limitant l’exposition aux particules fines dans l’air une obligation pour toute étude d’impact relative à une installation entraînant des rejets dans l’air de contenir une analyse spécifique sur les particules PM 2,5.
Comme le rappelle le rapporteur public dans cette affaire, « la réalisation d’une analyse d’un facteur de pollution spécifique n’est exigible que si des données connues avant de réaliser l’étude, liées à l’environnement du projet et à ses caractéristiques techniques, permettent d’estimer que ce projet est susceptible de générer une telle pollution ». Puis, « une fois déterminé si la réalisation d’une étude est nécessaire, et les questions sur lesquelles elle doit porter, vous contrôlez la suffisance de l’étude au regard de l’importance de l’incidence prévisible. »
En l’espèce, l’étude d’impact rappelle les valeurs guides et précise que le site est à l’origine de 12 t/an de PM10 et 9,5 t/an de PM2,5, que le point de concentration maximal se trouve sur site et s’élève à 0,568 μg/m3 et que la concentration attribuable aux émissions de poussière du site sur la zone la plus exposée du domaine d’étude est très faible au sens des critères environnementaux de la qualité de l’air et ce dès les abords de la carrière.
L’effort d’analyse est ici bien proportionné aux enjeux.
S’agissant de l’étude de l’impact acoustique de l’exploitation, les requérants font valoir que les émergences sonores futures du projet sont sous-évaluées. Ils dénoncent le caractère non pertinent des points de mesure pris en bordure de route pour l’étude de l’impact acoustique du projet qui faussent par essence les résultats de l’étude et les incohérences des niveaux de bruits retenus entre l’étude acoustique de 2013 et celle de 2015. Ils notent enfin que l’étude de cet impact ne se concentre que sur les seules activités d’extraction du projet et omet l’activité de remblaiement, également génératrice de bruit.
Contrairement à ce qu’ils soutiennent l’étude d’impact précise bien en p.183 les emplacements des points de mesure utilisés pour analyser l’impact acoustique du projet. Le seul fait que les points de mesure sont implantés en bordure de route ne suffit pas à établir le caractère faussé des résultats et ce d’autant plus que le bruit résiduel, lequel comprend les nuisances résultant du trafic routier, doit être pris en compte afin de mesurer une émergence par rapport au bruit habituel. De même, si les niveaux ambiants et résiduels mesurés en 2013 et 2015 sont incohérents, il ne résulte pas de l’instruction que les circonstances locales et la méthodologie suivie seraient strictement identiques. Par ailleurs, contrairement à ce qu’il est également soutenu, l’étude d’impact fait état de ce que l’impact du remblaiement est moins impactant que l’extraction d’un point de vue acoustique tout en expliquant que la source de bruit la plus forte, masque totalement le bruit de la source la plus faible. Or, il est prévu que les opérations d’extraction et de remblaiement seront réalisées simultanément.
Nous vous invitons donc à écarter le moyen tiré du caractère insuffisant de l’étude d’impact sous ses trois branches.
Les requérants soutiennent ensuite que l’enquête publique qui s’est déroulée du 11 mai au 15 juin 2019 est entachée d’irrégularité.
Ils invoquent tout d’abord l’insuffisance du dossier d’enquête publique du fait du contenu de l’étude d’impact, reprenant ici l’argumentation développée au soutien du précédent moyen concernant l’écoulement des eaux souterraines vers le puits de Luizard, les nuisances sonores et les émissions de poussières.
Eu regard de ce qui vient d’être dit sur la régularité de l’étude d’impact, vous ne pourrez qu’écarter cette branche du moyen. Pour les mêmes motifs, vous écarterez également la branche du moyen concernant l’étude des dangers jointe au dossier d’enquête publique qui selon les requérants est « affectée des mêmes insuffisances que l’étude d’impact » s’agissant de l’absence d’indication du sens d’écoulement des eaux souterrains en direction du puits de Luizard.
Les requérants font ensuite valoir que le dossier d’enquête publique était incomplet dès lors que l’avis du conseil national de protection de la nature n’était pas joint au dossier en méconnaissance de l’article R. 123-8 du code de l’environnement.
Contrairement à ce qui est indiqué dans le dossier d’enquête publique, il s’agissait bien en l’espèce d’un avis obligatoire dès lors que l’autorisation environnementale sollicitée tient lieu de dérogation aux interdictions édictées en application du 4° de l’article L. 411-2 pour l’oedicnème criard. L’avis du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) aurait donc bien dû être joint en l’espèce.
Pour autant la méconnaissance des dispositions de l’article R. 123-8 n'est de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise à l'issue de l'enquête publique que si elle n'a pas permis une bonne information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative. Voyez CE n°345174 du 3 juin 2013 et n°359756 du 25 septembre 2013 étendant la jurisprudence société Ocréal à la procédure d’enquête publique.
Il résulte de l’instruction que si l’avis du CNPN n’était pas joint, le dossier d’enquête publique contenait une pièce n°9 intitulée « demande de dérogation à la protection des espèces », comprenant un Addendum suite à l'avis du CNPN.
Nous aurons l’occasion de revenir plus longuement sur cet avis lors de l’examen du moyen propre à la dérogation aux espèces protégées mais les requérants font état de ce que l’absence de cet avis a nécessairement nui à l’information du public dès lors qu’il contenait plusieurs recommandations à propos du projet d’autorisation et critiquait l’absence de mesures de protection de l’hirondelle de rivage (Riparia Riparia) et l’absence-même de sa mention dans la demande de dérogation sollicitée.
Cependant l’intégralité des réserves formulées par le CNPN a été reprise dans l’addendum joint au dossier d’enquête publique. La réserve conclusive de l’avis notamment tendant à « Considérer l’hirondelle de rivage, Riparia riaria, comme une espèce prioritaire au même titre que l’oedicnème criard » figurait en particulier dans l’Addendum en question.
Pour notre part, les informations contenues dans ce document étaient suffisantes pour assurer la bonne information du public malgré l’absence d’avis du CNPN joint au dossier.
Le moyen suivant est tiré de la partialité et de l’absence d’indépendance ou d’objectivité de la commissaire enquêtrice.
Les requérants se prévalent d’une décision du Conseil d’Etat n°387908 du 11 mai 2016 rappelant qu’« au regard du devoir d’impartialité qui s’impose au commissaire enquêteur, ses conclusions ne sauraient être dictées par un intérêt personnel, ni par un parti pris initial ».
Aux termes de l’article L. 123-5 du code de l’environnement : « Ne peuvent être désignées commissaire enquêteur ou membre de la commission d'enquête les personnes intéressées au projet à titre personnel ou en raison de leurs fonctions, notamment au sein de la collectivité, de l'organisme ou du service qui assure la maîtrise d'ouvrage, la maîtrise d'œuvre ou le contrôle de l'opération soumise à enquête (…) ».
Les requérants remettent en cause l’indépendance de Mme S. qui occupe un poste de « chargé d’affaires » au sein de l’association Auvergne Rhône Alpes Entreprises, organisme agissant dans le domaine économique afin d’aider les entreprises à faire aboutir leurs projets. Ils se fondent sur la circonstance que cette association a déclaré avoir travaillé avec le groupe Lafarge et intervient sur le projet de Tunnel Lyon-Turin. Or, la société Carrières de Saint Laurent appartient au groupe Lafarge Granulats et la carrière constitue un exutoire pour les déchets provenant du chantier du tunnel Lyon-Turin.
Pour autant, Mme S. ne peut être regardée comme une personne intéressée au sens de l’article L. 123-5 du seul fait de sa participation à l’association Auvergne Rhône Alpes Entreprises. Il ne résulte pas de l’instruction qu’elle aurait personnellement travaillé sur les dossiers suivis par l’association ou même été en contact, dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, avec les opérateurs en question.
Le moyen sera donc écarté.
Dans la continuité de ce moyen, les requérants invoquent les manquements du rapport d’enquête publique.
Ils soutiennent que le rapport ne prend pas en compte et n’analyse pas les observations du public sur la problématique du sens d’écoulement des eaux souterraines et de leurs conséquences sur la nappe alors qu’elle représente près de la moitié des observations recueillies lors de l’enquête.
Le rapport répond pourtant expressément aux observations relatives aux risques de pollution de la nappe phréatique. Nous vous rappelons que le commissaire enquêteur n’est pas tenu de répondre à chacune des observations faites au cours d’une enquête, sa seule obligation est de les examiner, comme le rappelle l’article R. 123-19 du code de l’environnement. Or tel est bien le cas en l’espèce.
Ils font également valoir que les développements de la commissaire-enquêtrice relatifs aux déchets inertes employés pour les remblais ne permettent pas de répondre aux critiques de l’ARS et aux observations du public dès lors qu’ils se contentent de se retrancher derrière la réglementation de l’arrêté du 12 décembre 2014 et la définition des déchets inertes, alors même que la seule définition d’un déchet inerte reste insuffisante pour garantir l’absence de danger ou de pollution de la nappe phréatique, dans le cas particulier des carrières implantées dans la zone d’une nappe phréatique.
Cependant, ce faisant, ils remettent en cause la pertinence de la réponse apportée par la commissaire enquêtrice. Cela ne caractérise pas pour autant une insuffisance de motivation.
Nous vous invitons donc là encore à écarter le moyen tiré du caractère irrégulier de l’enquête publique sous toutes ses branches.
Les requérants soutiennent par ailleurs que le projet méconnait les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement.
Il s’agit du moyen le plus délicat de la requête.
Comme nous l’avons déjà indiqué, l’autorisation en litige tient lieu de dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats en application du 4° de l'article L. 411-2.
La société pétitionnaire n’a cependant sollicité de dérogation que pour une seule espèce, l’Oedicnème criard, oiseau de taille moyenne dont les sites de reproduction et les aires de repos sont impactés par le projet. La dérogation accordée ne tient lieu en conséquence que pour cette seule espèce comme le démontre d’ailleurs le titre 9 de l’autorisation en litige.
Se prévalant de l’avis du CNPN que nous avons évoqué tout à l’heure, les requérants soutiennent que l’arrêt définitif de l’exploitation de la carrière de Saint Laurent occasionnera notamment « la destruction, l'altération ou la dégradation » de l’habitat de l’hirondelle de rivage, au sens du 3° de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, et qu’aucune dérogation au titre du 4° de l’article L. 411-2 n’a pourtant été sollicitée pour cette espèce.
La situation n’est pas banale : ce n’est pas le fonctionnement de l’installation qui est susceptible d’avoir un impact négatif sur l’hirondelle de rivage mais la remise en l’état du site après exploitation.
Il est constant que l’hirondelle de rivage est présente sur le terrain d’assiette d’exploitation de la carrière et que cette espèce figure sur la liste des oiseaux protégées sur l’ensemble du territoire, fixée par l’arrêté ministériel du 29 octobre 2009 qui précise également les modalités de leur protection.
Mais en l’espèce, c’est l’activité humaine qui créé les conditions favorables à la présence de l’espèce sur le site.
La première question à laquelle vous allez devoir répondre est donc celle du champ d’application de l’article L. 411-1 du code de l’environnement.
Selon la LPO, l’hirondelle de rivage est une espèce migratrice, revenant de ses sites d’hivernage, au mois de mars dans notre région. Les sites de nidification sur le département de l’Ain et du Rhône se situent sur des parois abruptes comprenant des veines de sables suffisamment denses pour permettre la création des chambres d’incubation.
Le pétitionnaire fait valoir en défense que les fronts sableux susceptibles d’être occupés par l’hirondelle en question constituent un milieu artificiel, dit anthropisé, et ne sont donc pas au nombre des aires de reproduction ou de repos protégés par les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement.
Il se prévaut de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, plus connue sous le nom de « directive Habitats ». L’habitat d’une espèce est défini dans son article 1er de la manière suivante : « milieu défini par des facteurs abiotiques et biotiques spécifiques où vit l’espèce à l’un des stades de son cycle biologique ». Cette définition n’exclut donc pas les milieux artificiels. D’ailleurs la Cour de justice de l’union européenne a jugé, dans sa décision C‑192/11 du 26 janvier 2012, Commission/Pologne, que l’exclusion du régime de protection prévu par l’article 6 de la directive Habitats pour les populations de hérons cendrés et de cormorans présentes dans les zones des étangs piscicoles concédés à des fins d’élevage était contraire aux exigences posées par les dispositions de l’article 9 imposant notamment l’octroi d’une dérogation pour la destruction de ces espèces.
Les Etats membres sont invités par la directive à prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales devant être protégées. Ce qu’a fait la France : l’article L. 411-1 du code de l’environnement dispose ainsi que : « lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (…) d'espèces animales non domestiques (…) et de leurs habitats, sont interdits : / (…) 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ; (…) ».
La notion d’« habitat d’espèces » fait nécessairement ici référence à un habitat autre que naturel. Il nous semble qu’au regard de cette rédaction, l’habitat constitué par les fronts sableux d’une carrière entre bien dans le champ d’application de l’article L. 411-1 du code de l’environnement.
Pour autant, et c’est la seconde question à laquelle vous devez répondre, une dérogation à la destruction d’espèces protégées était-elle nécessaire en l’espèce ?
Si on s’en tient au document établi par la ligue de protection des oiseaux, produit par la société pétitionnaire et dont les deux parties se prévalent, la réponse est non. Dans son dernier paragraphe, ce document indique que : « Sur la base de nos derniers inventaires réalisés en 2019 sur le site de la carrière de Sainte Julie, les zones d’extraction visées dans l’arrêté préfectoral du 6 novembre 2019 autorisant la société CSL à renouveler et étendre sa carrière ne présentaient pas de fronts accueillant l’hirondelle de rivage ». Si l’espèce n’est pas présente sur les fronts en litige, il ne peut pas y avoir de destruction ou d’atteinte à son habitat…
Si d’aventure sa présence sur ces fronts était constatée par la suite, cela pourrait justifier, en raison du changement de circonstances de fait, une demande de dérogation en cours d’exploitation ou alors une modification de la prescription de l’autorisation litigieuse relative à la remise en l’état telle qu’elle est prévue au titre 10 – puisque c’est elle qui pose difficulté en l’espèce - pour permettre la préservation de cet habitat qui ne sera en tout état de cause que temporaire dès lors de la dégradation naturelle de ces fronts conduira à terme à leur disparition, dès lors qu’il n’est pas possible d’exiger de l’exploitant de les entretenir après la cessation de l’activité.
Nous vous invitons donc à écarter le moyen.
Les moyens suivants ont trait à la prévention des risques pour l’environnement.
Les requérants soutiennent que l’autorisation en litige est entachée d’erreur d’appréciation compte tenu de l’absence de mesures suffisantes pour prévenir ou compenser les dangers et inconvénients, au sens des articles L. 511-1, L. 181-3 et L. 181-12 du code de l’environnement.
Ils visent tout d’abord les émissions de poussières et en particulier les points de mesure définis à l’annexe 5 de l’autorisation attaquée auquel renvoie l’article 3.1.3.1. de cette même autorisation relatif à la mise en place d’un plan de surveillance en la matière. Ils font grief au plan de ne prévoir aucun point de mesures des poussières émises dans les limites de la carrière nord et à l’entrée ou à proximité des hameaux d’habitation du Mas Dupuis et de La Plaine Robert.
Cependant, le plan de mesure des retombées de poussières prévoit 7 plans de mesure bien répartis sur l’ensemble du site et notamment en limites de carrière, au nord et au nord-ouest, et au niveau des zones habitées « Sainte Julie bourg » et « hameaux de l’hôpital ». Les deux hameaux invoqués par les requérants ne sont pas placés sous les vents dominants contrairement à ceux de l’hôpital et de St Julie bourg. L’étude d’impact révèle d’ailleurs que globalement les zones riveraines correspondent à des zones faiblement empoussiérées sur lesquelles le site n’a pas d’impact significatif.
Ils font ensuite état des insuffisances de l’arrêté attaqué en matière d’émissions acoustiques. Ils critiquent à nouveau les points de mesures du bruit en bordure de route et soutiennent que ces mêmes points figurent à l’annexe 7 de l’autorisation auquel renvoie l’article 6.2.2. relatif à la prévention des nuisances sonores, des vibrations et des émissions lumineuses. Mais comme pour l’étude d’impact, les insuffisances résultant de la méthodologie suivie ne sont pas établies. L’ambiance acoustique est nécessairement influencée par le trafic routier.
Les requérants reviennent pareillement sur le risque de pollution des eaux. Ils soutiennent que les prescriptions prévues en la matière ne garantissent ni la préservation de la qualité des eaux souterraines des Carrières Saint Laurent, ni l’absence d’incidence de l’activité sur la population desservie par le Puits de Luizard. Mais au regard de ce qui a été dit précédemment sur cette question, l’insuffisance des prescriptions n’est là encore pas établie.
Dans la continuité de ce moyen, les requérants font valoir que les mesures en matière de contrôle de la qualité des eaux souterraines sont insuffisantes. L’arrêté attaqué prévoit la création d’un réseau de surveillance piézométrique du site et des installations reposant sur 7 piézomètres existants et 3 à créer afin « d’identifier toute possibilité de pollution vers le puits du Luizard ». En se bornant à indiquer que l’autorisation n’impose aucune contrainte pour l’emplacement précis des piézomètres à créer – ce qui au demeurant n’est pas exact - et aucune mesure de suivi adaptée, les requérants ne démontrent pas que la prescription en litige ne permettrait pas de prévenir les dangers et les inconvénients pour l’environnement.
Sont ensuite critiquées les prescriptions en matière de déchets retenus pour le remblaiement. Mais là encore, les requérants se contentent de dire sans véritable démonstration que l’arrêté attaqué ne fait que reprendre les exigences en matière de matériaux inertes proposées dans l’étude d’impact, lesquelles ont été considérées comme insuffisantes par de nombreuses instances scientifiques. Ils font également grief à l’autorisation de ne pas retenir de seuils moins permissifs des différents taux de composants nocifs des matériaux utilisés pour les remblais. Cependant il résulte de l’annexe 8 de l’arrêté attaqué que les seuils retenus sont identiques à ceux de l’arrêté ministériel du 12 décembre 2014 relatif aux conditions d'admission des déchets inertes et il n’est pas démontré que le remblaiement par des déchets inertes ne suffirait pas à éviter la pollution des eaux souterraines situées sous la carrière.
Dans le même sens, si les requérants soutiennent qu’il n’existe aucune garantie s’agissant de la provenance des déchets inertes et de la quantité de déchets inertes disponible, il reste que l’arrêté attaqué précise que seuls les déchets issus du chantier du Tunnel Lyon-Turin pourront servir pour le remblaiement des Carrières de Saint Laurent. En cas de non-respect de cette condition, là encore, l’autorité administrative pourra sanctionner l’exploitant. Il en est de même en cas d’utilisation de déchets non inertes et si le chantier du tunnel n’est pas en mesure de livrer des quantités suffisantes de déchets inertes, le remblaiement ne sera pas possible, un point c’est tout. Pour pouvoir passer outre, il faudra modifier la prescription.
Les requérants remettent également en cause les modalités de contrôle de ces déchets qui, en application de l’article 8.2.1.5 de l’arrêté attaqué, consistent pour l’essentiel en un « contrôle visuel des déchets » et le fait qu’un « échantillon représentatif des admissions hebdomadaires sera constitué et analysé ». Ils font valoir que le préfet n’a apporté aucune précision sur les modalités de constitution de cet échantillon. Cependant, en tant que telle, l’absence de méthodologie pour le contrôle des matériaux entrants utilisés pour les remblais ne constitue pas une méconnaissance de l’article L. 181-3 du code de l’environnement et ne suffit pas à établir que la prescription en l’état ne permettrait pas d’assurer la préservation des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement.
Il convient de rappeler que l’autorisation environnementale est délivrée au regard du contenu du dossier de demande déposé par le pétitionnaire. Ainsi si la méthodologie suivie est précisée dans le dossier, il n’est pas nécessaire de la retrouver dans une prescription dès lors que l’autorité administrative pourra sanctionner le non-respect d’un des éléments du dossier. Or, ici l’étude d’impact fait référence sur ces questions au suivi du protocole du « pack inertes » de l’arrêté du 12 décembre 2014 dont les modalités sont détaillées sur plus de deux pages.
Les requérants pointent également du doigt le traitement des boues de décantation. L’exploitant utilisera d’après l’étude d’impact, pour le traitement des eaux de lavage des matériaux, un floculant Flopam AN 934 de type « polyacrylamide anionique ». Suite à l’avis de l’ARS, il s’est engagé à stocker hors nappe phréatique les boues de décantation contenant des polyacrylamides en évitant tout mélange avec d’autres matériaux et en mémorisant la localisation de ces zones de stockage. Là encore les requérants déplorent l’absence de prescription pour s’assurer du respect de la séparation de ces boues mais comme il vient d’être dit précédemment, dès lors que l’exploitant s’est engagé dans le dossier à prendre ces mesures de prévention, le non-respect de cet engagement peut être sanctionné par l’autorité administrative sans qu’il soit besoin de le préciser dans une prescription.
Les requérants soutiennent enfin que l’arrêté attaqué ne prévoit aucune mesure afin de protéger l’hirondelle de rivage une fois l’exploitation des carrières terminée. Cependant eu égard à ce qui a été dit précédemment sur l’absence d’obligation de solliciter une dérogation aux espèces protégées, aucune mesure particulière n’était nécessaire à ce titre. Vous noterez que l’autorisation en litige n’est pas complètement muette sur le sort de l’hirondelle de rivage. Dans son titre 9, il est prévu une prescription à l’article 9.3.5 pour le maintien de fronts sableux favorables à cette hirondelle, comprenant notamment la localisation de sites de nidification et sa soustraction à l’exploitation en avril et la possibilité d’exploitation de la zone balisée entre septembre et février. Il est également prévu à l’article 9.6.1 la mise en œuvre de mesures de suivi qui ont notamment pour objet de suivre l’évolution des espèces patrimoniales parmi lesquelles l’Hirondelle de rivage est expressément citée.
Pour l’ensemble de ces motifs, nous vous invitons à écarter les moyens tirés de la méconnaissance de l’article L. 181-3 du code de l’environnement et de l’absence de protection de la nature et de l'environnement au sens de l’article L. 511-1.
Le dernier moyen invoqué par les requérants concerne le schéma départemental des carrières de l’Ain.
L’article L. 515-3 du code de l’environnement, dans sa version applicable au litige, à savoir celle antérieure au 24 mars 2014 dès lors que le schéma régional des carrières est toujours en cours d’élaboration, prévoit un rapport de compatibilité entre le schéma départemental et les autorisations et enregistrement d’exploitation de carrières.
En l’absence de schéma régional opposable à ce jour, vous écarterez comme inopérante la première branche du moyen tiré de ce que le projet en litige en autorisant notamment une extension de la carrière est contraire à la prescription du projet de schéma régional des carrières de la région Auvergne-Rhône-Alpes imposant de « réduire l’exploitation des Carrières en eaux.
Les requérants soutiennent également que le schéma départemental des carrières de l’Ain en vigueur impose que, dans le secteur d’assiette du projet litigieux, les seules autorisations qui pourront être accordées sont celles qui garantissent « la préservation des gisements d’eau souterraine en qualité et en quantité ».
Il résulte de l’instruction qu’une nappe alluviale à valeur patrimoniale est bien identifiée par le SDAGE à l’endroit de la carrière en litige. Pour autant, il n’est pas établi que l’autorisation attaquée ne garantirait pas la préservation des eaux souterraines en qualité et en quantité. Aucune incompatibilité n’est ici démontrée.
Pour finir, les requérants indiquent que le schéma départemental pose le principe de l’interdiction du remblaiement des carrières alluvionnaires en eau, sauf en cas de justification exceptionnelle, et impose, en cas d’un remblaiement exceptionnellement justifié, le choix de matériaux inertes qui « devront être relativement perméables et à granulométrie adaptée pour permettre une relative restauration des conditions d’écoulement de la nappe, éviter les phénomènes de colmatage et ne pas modifier l’effet « tampon » hydraulique des sols. ».
Ils soutiennent qu’en l’espèce, ni le dossier de demande d’autorisation, ni l’autorisation préfectorale ne comportent un quelconque motif justifiant de déroger à l’interdiction de remblaiement et que l’arrêté attaqué ne reprend pas la contrainte d’une perméabilité et granulométrie adaptées aux conditions d’écoulement de la nappe, se limitant à renvoyer au respect de l’arrêté du 12 décembre 2014 silencieux sur ces aspects.
Il ressort des termes mêmes du schéma départemental que les carrières en eau seront remblayées exceptionnellement si l’intérêt du remblayage est établi et qu’il pourra y être procédé sous réserve de la garantie de l’innocuité qualitative des remblais et d’un faible impact sur les écoulements souterrains.
En l’espèce, l’étude d’impact justifie le remblaiement par la volonté de procéder à une remise en état des lieux en lien avec les paysages et les activités environnants sous la forme d’une zone agricole et la préoccupation de contribuer à la recherche de solution de valorisation pour les déchets inertes des marchés du BTP, le département de l’Ain étant en pénurie de sites réservés aux déchets inertes. Pour nous, l’intérêt du remblaiement est ici justifié.
S’agissant du choix des matériaux, rien au dossier ne vous permet d’établir qu’il ne serait pas compatible avec le schéma départemental.
Nous vous invitons dans ces conditions à écarter cette dernière branche de cet ultime moyen.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.