Une requête devant le juge de l'impôt ne peut viser à alourdir son imposition

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Décision de justice

TA Lyon – N° 2004619 – M. S. – 09 novembre 2021 – C+

Jugement confirmé : CAA Lyon, ordonnance du 5 avril 2022 - N°22LY00045 - Pourvoi en cassation CE, 20 juillet 2022- n° 464737 non admis

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 2004619

Date de la décision : 09 novembre 2021

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Intérêt à agir, Contribuable national

Rubriques

Fiscalité

Résumé

Une requête devant le juge de l’impôt, ne peut tendre qu’à la réparation d’erreurs commises dans l’assiette ou le calcul des impositions qui conduisent à alourdir l’imposition du contribuable, ou au bénéfice d’un droit qui conduit à alléger cette imposition

Le tribunal administratif a été saisi d’une demande d’un particulier tendant à la contestation de l’application, au titre de ses revenus de l’année 2018, du crédit d’impôt de modernisation du recouvrement (CIMR), qui a par ailleurs, sollicité la modification de son avis d’imposition afin d’être imposé sur ses revenus de l’année 2018 sans application de ce dispositif.

Le tribunal administratif rejette la requête en estimant d’une part, qu’une requête devant le juge de l’impôt, ne peut tendre qu’à la réparation d’erreurs commises dans l’assiette ou le calcul des impositions qui conduisent à alourdir l’imposition du contribuable, ou au bénéfice d’un droit qui conduit à alléger cette imposition. Par suite, les conclusions du contribuable qui tendent à la mise à sa charge d’une imposition supérieure à celle à laquelle il a été assujetti sont, par leur objet, irrecevables. Il précise sur ce point que la qualité de contribuable national ne confère au requérant aucun intérêt à agir pour alourdir son imposition personnelle devant le juge de l’impôt, quand bien même l’application à son profit d’un avantage fiscal prévu par la loi conduirait l’Etat à se priver de recettes.

19-02-01-02, Introduction de l’instance, Requête, Intérêt à agir, Irrecevabilité, Recours plein contentieux, Recours pour excès de pouvoir, Contribuable national

Un contribuable peut-il demander au juge de l’impôt d’alourdir la charge fiscale à laquelle il a été assujetti ?

Sonia Boufeldja

Doctorante et chargée d’enseignement à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Elève-avocat à l’EFB

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DOI : 10.35562/alyoda.6730

La juridiction administrative lyonnaise a jugé irrecevable la requête, pour le moins originale, par laquelle un contribuable a demandé que ne lui soit pas appliqué le crédit d’impôt modernisation du recouvrement. Cette demande tendant à alourdir sa charge fiscale, le requérant se trouvait dépourvu d’intérêt à agir.

La question, originale, posée devant la juridiction administrative, rappellera peut-être au lecteur le refrain d’un chant de Gustave Nadaud, « Je n'aime pas qu'on plaisante des impôts, je le défends. D'enrichir notre patrie nous devons être contents, augmentez-les je vous prie, messieurs les représentants » (Gustave Nadaud, Les impôts, 1861) . Un contribuable peut-il demander au juge d’alourdir sa charge fiscale ?

En l’espèce, Monsieur X a bénéficié au titre de ses revenus de l’année 2018 du crédit d’impôt modernisation du recouvrement (CIMR) institué par l’article 60-II de la loi de finances pour 2017 (loi n° 02016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017), pour un montant de 28.735 euros. Dans le cadre de sa requête, ce dernier conteste l’application du CIMR et sollicite la modification de son avis d’imposition afin d’être imposé sur ses revenus sans en bénéficier. In fine, sa demande tend à payer plus d’impôt par l’effet du rétablissement de son montant sans l’application du CIMR.

À première vue, l’objet de la demande paraît incongru. Toutefois, à l’appui de celle-ci, le requérant a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité dans le cadre d’un mémoire distinct. En effet, M. X soutenait que les dispositions de l’article 60-II de la loi de finances pour 2017 portent atteinte, d’une part, aux droits et libertés garantis par les articles 13 et 14 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, dès lors qu’elles conduisent à priver l’État de recettes fiscales importantes et, d’autre part, au principe d’égalité des citoyens devant l’impôt, dès lors qu’elles ne bénéficient qu’aux contribuables redevables de l’impôt sur le revenu.

L’objectif sous-tendant la requête devient ainsi davantage perceptible. Avant d’envisager la question, pure en droit, de la possibilité pour un requérant de porter devant le juge de l’impôt une demande aboutissant à alourdir sa charge fiscale, il convient de revenir brièvement sur l’essence du prélèvement à la source.

Propos liminaire sur le prélèvement à la source et le prétendu « cadeau fiscal » de l’année blanche.

Après des décennies de tergiversations quant à l’opportunité de mettre en place un mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu contemporain à celui de sa perception, comme le pratiquent la plupart des pays développés et comme le suggérait déjà Valéry Giscard d’Estaing en 1973, à l’époque ministre des finances (« Impôts : la réforme du prélèvement à la source », Les Échos, 2 janv. 2020), le prélèvement à la source a été institué par la loi de finances pour 2017 puis reporté par une ordonnance du 22 septembre 2017 pour entrer en vigueur le 1er janvier 2019. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, cette nouvelle modalité de recouvrement permettra d’améliorer la lisibilité quant à l’impôt pour les ménages, notamment en ce qui concerne la gestion de leur trésorerie, d’adapter le prélèvement aux variations de situation du ménage, de sa composition et de ses revenus. Les commentateurs voient également dans cette nouvelle modalité un avantage pour l’administration fiscale, laquelle pourra déployer et concentrer davantage son action aux fins de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. On évoque et invoque également l’exemple modèle de la contribution sociale généralisée, prétendument mieux acceptée, notamment en raison de « son mode relativement indolore de prélèvement à la source » (Rapp. Conseil des prélèvements obligatoire (CPO), févr. 2015 : « Impôt sur le revenu, CSG quelles réformes ? ») .

La question du sort des revenus perçus au titre de l’année antérieure à l’entrée en vigueur du prélèvement à la source s’est ensuite posée, en l’occurrence, des revenus de l’année 2018. Plusieurs propositions ont été formulées, notamment l’étalement de l’impôt y afférent sur un certain nombre d’années afin d’éviter la double contribution aux charges publiques en 2019, mais également l’abandon de la créance fiscale détenue par l’État, c’est-à-dire l’absence d’impôt au titre des revenus perçus en 2018 (ce que l’on a souvent appelé « l’année blanche ») . L'article 60, II de la loi de finances pour 2017 a opté pour une solution intermédiaire par la mise d’un dispositif transitoire, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement. En résumé, ce dispositif a effacé l'impôt sur le revenu afférent seulement aux revenus imposables non exceptionnels perçus au cours de l'année 2018.

En toile de fond, l’objet de la requête relève ainsi davantage d’une protestation de politique juridique relative à ce que certains ont pu qualifier de « cadeau fiscal », que d’une contestation tenant à la situation individuelle du requérant. L’administration fiscale n’a toutefois pas été entraînée par l’élan du contribuable dont l’intérêt général est chevillé au corps, puisqu’en réplique, pour soutenir le rejet de la requête, elle a notamment mis en avant le défaut d’intérêt à agir de M. X. Le tribunal administratif de Lyon devait donc déterminer si un contribuable peut demander au juge d’alourdir la charge fiscale à laquelle il a été assujetti.

Le contribuable dont le recours juridictionnel tend à alourdir son imposition dispose-t-il d’un intérêt à agir ?

L’intérêt à agir, condition de recevabilité de « tout premier rang » du recours juridictionnel selon le Professeur Chapus (R. Chapus, Droit du contentieux administratif : Montchrétien, 13e éd., 2008, n° 0563), est commun à tous les types de recours (M. Guyomar et B. Seiller, Contentieux administratif : Hypercours Dalloz, 6e éd., 2021, n° 0625 et 626) . Elle se définit comme « le titre en vertu duquel le requérant saisi la juridiction en cause » (JCl. Administratif, Fasc. 1082 : Intérêt à agir, par A. Béal) . On en retrouve notamment la traduction, en procédure civile, à l’article 31 du Code de procédure civile, aux termes duquel « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ». Devant le juge administratif, les difficultés relatives à l’appréciation de l’intérêt à agir sont principalement concentrées autour du recours pour excès de pouvoir. À cet égard, le Conseil d’État distingue la qualité de contribuable « local » et « national », reconnaissant ainsi l’intérêt à agir du contribuable local demandant l’annulation pour excès de pouvoir d’une délibération d'un conseil municipal emportant une perte de recettes ou des dépenses supplémentaires (CE, 29 mars 1901, n° 094580, Lebon p. 333 ; GAJA n° 08) « si les conséquences directes de cette délibération sur les finances communales sont d'une importance suffisante » (en ce sens, not. : CE, 1er juin 2016, n° 0391570, Cne Rivedoux-Plage : AJDA 2016, p. 1614), tandis qu’il s’y refuse concernant le contribuable national (en ce sens, not. : CE, 26 juill. 2011, n° 0347086, S. et a., Lebon T. p. 1066 : AJDA 2011, p. 1959, note P. Cassia) . En effet, selon Madame la rapporteure publique Karin Ciavaldini, « agrandir le cercle de personnes jusqu’à l’ensemble de la communauté nationale reviendrait à admettre une forme d’action populaire », ce à quoi s’est toujours refusé le Conseil d’État (concl. sur CE, 16 juin 2021, n° 0445150, 449419, M. D, M. C… et IREF, p. 3 ; disponibles sur ArianeWeb) .

En plein contentieux, l’intérêt à agir est apprécié plus strictement en considération de la réclamation préalable obligatoire au service des impôts prévue à l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales (art. R. 190-1 du LPF et R. 772-2 du CJA ; CE, Études et publications, Dossier thématique, 23 janv. 2019, Le juge administratif et l'impôt) . En effet, cette réclamation peut tendre à obtenir « la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions », « le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire » (alinéa 1) ou « la réparation d'erreurs commises par l'administration dans la détermination d'un résultat déficitaire ou d'un excédent de taxe sur la valeur ajoutée déductible sur la taxe sur la valeur ajoutée collectée au titre d'une période donnée, même lorsque ces erreurs n'entraînent pas la mise en recouvrement d'une imposition supplémentaire » (alinéa 2) .

Dans l’affaire commentée, le requérant s’inscrivait dans la première alternative relative à la réparation d’erreurs commises dans l'assiette ou le calcul de son imposition. Par un jugement du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a jugé qu’une requête devant le juge de l’impôt ne peut tendre qu’à la réparation d’erreurs commises dans l’assiette ou le calcul des impositions qui conduisent à alourdir l’imposition du contribuable, ou au bénéfice d’un droit qui conduit à alléger cette imposition. Or, en l’espèce, la requête de M. X ne contenait aucune conclusion à fin de décharge ou de réduction d’une imposition, mais visait au contraire à l’alourdir.

Cette solution est à notre connaissance inédite. Il est tentant de la justifier par une lecture a contrario de l’alinéa 2 de l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales, laquelle peut suggérer qu’en dehors des cas visés par cet alinéa (l’erreur concernant un résultat déficitaire ou un crédit de taxe sur la valeur ajoutée), la réclamation n’est possible que si l’erreur commise entraîne la mise en recouvrement d’une imposition supplémentaire. L’introduction de ces deux cas particuliers au sein de l’article précité résulte respectivement de la loi de finances pour 2003 et de l’ordonnance n° 02004-281 du 25 mars 2004. Cette modification visait à contrecarrer une jurisprudence considérant que les redressements réduisant un déficit reportable ou un crédit de TVA sans l'annuler ne pouvaient faire l'objet d'un recours contentieux que lorsque le contribuable était redevenu bénéficiaire, à défaut d’imposition supplémentaire. L’idée n’était donc pas d’ouvrir une voie de réclamation pour obtenir l’alourdissement de l’imposition mais de permettre la réclamation sans devoir attendre, à défaut d’imposition supplémentaire, le premier exercice bénéficiaire sur lequel ce déficit serait reportable, pour être recevable à agir.

Propos conclusifs

Laferrière écrivait qu’ « on n'a pas d'action si l'on ne peut retirer aucun effet utile du jugement que l'on sollicite » (E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux : Paris, 2e éd., 1896, t. 2, p. 436) . C’est sur ce point que la solution retenue par le tribunal paraît justifiée, soit l’absence d’effet utile de la requête. On imagine aisément des situations pouvant légitimer, en plein contentieux, qu’un contribuable entende contester à la hausse son imposition dans le but d’obtenir un avantage par ricochet, à son bénéfice ou au bénéfice d’une personne tierce (par exemple, le retrait d’un jeune majeur du foyer fiscal de ses parents, entraînant la hausse de l’imposition du foyer fiscal de ses parents, mais également la possibilité pour le jeune adulte de bénéficier d’autres avantages, non exclusivement fiscaux) .

L’autre possibilité permettant d’envisager qu’un contribuable formule une demande susceptible d’entraîner la hausse de son imposition vise le recours pour excès de pouvoir fait à un acte. À cet égard, la juridiction lyonnaise poursuit dans le jugement commenté en indiquant que « si M. X justifie son intérêt à agir par sa qualité de contribuable national, dès lors que le mécanisme du CIMR conduit l’Etat à se priver de recettes conséquentes, cette qualité ne lui confère aucun intérêt à agir pour demander l’alourdissement de son imposition personnelle devant le juge de l’impôt ». Si le requérant se plaçait en l’espèce sur le terrain du plein contentieux, on peut voir par cette mention, une confirmation de la non-reconnaissance de la qualité à agir du contribuable national.

En tout état de cause, concernant la demande de transmission d’une QPC, on doute que la question de la recevabilité de la requête écartée aurait permis de donner satisfaction au requérant. Sur le premier argument de la perte de recettes fiscales importantes pour l’État, la performance budgétaire ne figure en effet pas parmi les « droits et libertés garantis par la Constitution » dont l’atteinte doit être démontrée (art. 23-1, ordonnance n° 058-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel) . Concernant ensuite l’argument selon lequel le dispositif du CIMR ne bénéficie qu’aux contribuables redevables de l’impôt sur le revenu, l’atteinte au principe d’égalité aurait pu être écartée au motif qu’un avantage fiscal bénéficie, par définition, aux personnes redevables de l’impôt, les citoyens contribuant par ailleurs en fonction de leurs facultés (art. 13 de la DDHC) .

Par l’originalité de cette requête, le jugement du tribunal administratif de Lyon, fiché en C+, figurera sans nul doute parmi les décisions marquantes de la jurisprudence administrative lyonnaise.

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