Education : quotité de travail des AESH

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Décision de justice

TA Dijon – N° 2000927 – Syndicat SUD éducation Bourgogne – 16 septembre 2021 – C+

Jugement confirmé en appel : CAA Lyon, 9 novembre 2023, n° 21LY03707, C+

Juridiction : TA Dijon

Numéro de la décision : 2000927

Date de la décision : 16 septembre 2021

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Action en reconnaissance de droits, AESH, Temps de travail

Rubriques

Droits sociaux et travail, Actes administratifs

Résumé

Saisi par un syndicat d’une action en reconnaissance de droits relative à la quotité de temps de travail prise en compte pour le calcul de la rémunération des agents contractuels recrutés en qualité d’accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH), le tribunal administratif de Dijon s’est prononcé sur l’application de la circulaire n° 02019-090 du 5 juin 2019 relative au "cadre de gestion" des AESH, invoquée par ce syndicat.

Il a relevé, tout d’abord, qu'à supposer que les dispositions de cette circulaire puissent être regardées comme comportant une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives, elles n’ont pas été publiées dans des conditions de nature à les rendre opposables dans les conditions prévues par les dispositions combinées des articles R. 312-10, D. 312-11 et R. 312‑7 du code des relations entre le public et l'administration.

Le tribunal administratif a ensuite considéré qu'eu égard aux termes dans lesquels elles sont formulées, les dispositions invoquées imposent de retenir un minimum de 41 semaines pour le calcul de la durée de temps de travail figurant au contrat des AESH, sans prévoir de possibilité de modulation, et sont ainsi contraires aux dispositions de l’article 7 du décret du 27 juin 2014 qui fixent ce minimum à 39 semaines. Or, le ministre de l’éducation nationale ne tient d’aucun texte, ni du pouvoir général d’organisation de ses services, la possibilité d’édicter des règles contraires à celles fixées par décret.  L'action en reconnaissance de droit a, par suite, été rejetée.

36-08-01, Education, Pouvoir d'organisation des services, Action en reconnaissance de droits, R. 312-10 du code des relations entre le public et l'administration, D. 312-11 et R. 312‑7 du code des relations entre le public et l'administration, L. 917-1 du code de l’éducation, AESH, Temps de travail, Quotité de travail.

Conclusions du rapporteur public

Nelly Ach

rapporteure publique au tribunal administratif de Dijon

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DOI : 10.35562/alyoda.6729

Ces neuf requêtes présentent à juger la même question de fond et, pour huit d’entre elles, tendent à l’annulation de décisions par lesquelles les autorités académiques ont refusé de faire droit aux demandes de régularisation de leur contrat de travail formées par des agents d’accompagnement d’élèves en situation de handicap (AESH) . La requête enregistrée sous le n° 02000927 est plus originale : introduite par le syndicat solidaire, unitaire et démocratique (SUD) de l’éducation en Bourgogne, elle porte sur une action en reconnaissance de droits, telle que prévue par l’art. L.77-12-1 du code de justice administrative.

Avant d’aller plus loin et pour bien comprendre les enjeux, il convient de préciser que les accompagnants d’élèves en situation de handicap sont régis, entre autres, par l’article L. 917-1 du code de l’éducation ; selon ces dispositions, ils exercent des fonctions d’aide à l’inclusion scolaire de ces élèves et sont recrutés par contrat d’une durée de trois ans renouvelable. Après six années en contrat à durée déterminée, l’AESH bénéficie d’un contrat à durée indéterminée. Le décret n° 02014-724 du 27 juin 2014 relatif aux conditions de recrutement et d'emploi des AESH prévoit que leur travail se répartit, dans la limite de la durée annuelle de référence de travail effectif de 1 607 heures pour un temps complet, sur une période d'une durée de trente-neuf à quarante-cinq semaines. Une circulaire n° 02019-090 du 5 juin 2019, publiée au bulletin officiel de l’éducation nationale, est venue préciser le cadre de gestion des AESH. Cette circulaire prévoit, dans son point 3.4 que « le temps de service est calculé en multipliant la durée de service d'accompagnement hebdomadaire attendue de l'AESH par 41 semaines. Ce temps de service inclut l'ensemble des activités réalisées par l'AESH au titre du plein exercice de ses missions », à savoir non seulement l’accompagnement du ou des élèves, les activités préparatoires connexes mais également les réunions et formations suivies. Estimant que leurs contrats ne respectaient pas les dispositions précitées s’agissant de leur quotité de travail effectif, plusieurs AESH ont demandé à la directrice académique de les modifier, de leur payer les heures non rémunérées depuis la rentrée 2019 et de leur verser les intérêts moratoires correspondants. Ces accompagnants ont, en parallèle, alerté le syndicat SUD de l’éducation en Bourgogne, qui a lui-même sollicité l’application de la circulaire du 5 juin 2019, la rémunération de l’intégralité des heures de service des agents et la modification des contrats de travail concernés. Les requêtes individuelles formées par les AESH sont dirigées contre les refus, exprès ou implicites, opposés par la directrice académique à leurs demandes. L’action introduite par le syndicat SUD tend à la reconnaissance des droits des AESH dont les contrats ne respecteraient pas, selon le syndicat requérant, la circulaire du 5 juin 2019 et vise le refus opposé par la rectrice le 26 septembre 2019.

A titre liminaire, il convient de faire le point sur la recevabilité de l’action en reconnaissance de droits, d’autant que le ministre de l’éducation soutient en défense que la procédure prévue par les statuts du syndicat n’aurait pas été respectée et que les conclusions à fin d’annulation de la décision de la rectrice n’entrent pas dans le champ d’une telle action.

Sur le premier point, l’article 18 des statuts du syndicat prévoit que celui-ci est doté de la personnalité juridique et peut ainsi agir en justice. Il est précisé que le secrétaire général ou son délégataire peut engager le syndicat en justice après avis de l’assemblée générale ou, à défaut, de l’équipe syndicale. Vous trouverez au dossier un relevé de décision produit par le syndicat SUD éducation Bourgogne qui établit que les membres de l’équipe syndicale, réunis le 10 février 2020, ont bien mandaté leur secrétaire générale aux fins d’engager une action en reconnaissance de droits devant votre juridiction. Par conséquent, vous pourrez rejeter cette première fin de non-recevoir.

Sur le second point, si les articles du code de justice administrative exigent que le contentieux soit préalablement lié, c’est-à-dire qu’une réclamation préalable ait été adressée à l’autorité compétente, l’action en reconnaissance de droits ne peut effectivement tendre qu’à la reconnaissance de droits individuels et éventuellement au bénéfice d’une somme d’argent légalement due. Mais, comme l’ont déjà jugé plusieurs tribunaux, elle ne peut comporter d’autres conclusions (v. par ex. TA Clermont-Ferrand, 27 mai 2021, n° 01901087) . Les conclusions à fin d’annulation du refus opposé par la rectrice le 26 septembre 2019 sont, dès lors, irrecevables.

Sur le fond, la première question consiste à se demander si la circulaire dont le syndicat SUD éducation et les AESH ont entendu se prévaloir devant vous est invocable et opposable à l’administration. Le cadre juridique du droit souple, qualifié dans le rapport du Conseil d'Etat de 2006 sur la sécurité juridique de « droit souterrain, clandestin, inaccessible, asymétrique » (Doc. française, p. 276), a été totalement remanié par la loi pour un Etat au service d’une société de confiance, dite loi ESSoc du 10 août 2018 (loi n° 02018-727) . Désormais, en application des articles L.312-2 et L.312-3 du code des relations entre le public et l'administration, cités par les requérants, toute personne peut se prévaloir des instructions et circulaires émanant des administrations centrales, qui comportent une interprétation du droit positif et sont publiées dans des bulletins officiels sur des sites dédiés, notamment www.education.gouv.fr (v. article D. 312-11 code des relations entre le public et l'administration) . Etant précisé que cette invocabilité vaut y compris si l’interprétation de la règle, opérée par la circulaire ou l’instruction concernée, est erronée.

Vous pourriez être tentés, comme vous y invitent les requérants, de vous en tenir là. Cependant, reprenons, sur le fond, l’articulation entre le décret du 27 juin 2014 et la circulaire invoquée par le syndicat SUD et les AESH requérants. Pour tenir compte des missions effectuées hors du temps de présence des élèves – qui se limite à 36 semaines. – l’article 7 du décret du 27 juin 2014 dispose que le travail des AESH se répartit sur une période de 39 à 45 semaines ; il y a donc là une marge de manœuvre laissée aux administrations déconcentrées afin, nous semble-t-il, de tenir compte de la quantité de travail et de la durée des formations accomplies et suivies hors présence des élèves. La circulaire du 5 juin 2019 va plus loin : en son paragraphe 3.4, elle dispose que pour tenir compte des activités préparatoires connexes, des réunions, des formations suivies, pendant ou hors la période scolaire, « le temps de service est calculé en multipliant la durée de service d'accompagnement hebdomadaire attendue de l'AESH par 41 semaines ». Elle précise : « dès lors que l'AESH est amené à suivre des formations longues en dehors de la période scolaire, il est préconisé que l'employeur prévoit dans le contrat, pour la période concernée, un nombre de semaines supérieur à 41, dans la limite de 45 semaines ». En d’autres termes, là où le décret prévoit un calcul du temps de service sur un minimum de 39 semaines, la circulaire relève ce minimum à 41 semaines ; elle diverge ici, sans conteste, des dispositions réglementaires qu’elle n’est censée qu’interpréter. Enfin, il est également précisé que « le temps d'accompagnement de ou des élèves ne peut être lissé sur la période de référence des 41 semaines » et qu’ainsi, c’est le temps de service hebdomadaire d’accompagnement du ou des élèves qui doit servir de référence pour la détermination du temps de service. La quotité de service est alors calculée selon la formule suivante : temps de service d’accompagnement hebdomadaire, multiplié par un nombre de semaines compris entre 41 et 45 semaines, le tout divisé par 1 607 heures correspondant à un temps plein. Bien que l’interprétation donnée par la circulaire nous paraisse dans une certaine mesure diverger de ce que prévoit le décret de 2014, si on s’en tient aux articles L.312-2 et L.312-3 du code des relations entre le public et l'administration, les requérants devraient pouvoir s’en prévaloir devant vous.

Sauf que le sort qu’il convient de réserver au droit souple est loin d’être aussi évident. En effet, la circulaire du 5 juin 2019 dont il est question ici émane du ministre de l’éducation nationale. Elle s’adresse principalement aux recteurs, aux inspecteurs et directeurs d’académie, soit à des services de l’Etat. Or, les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l’Etat obéissent à un régime spécifique prévu aux articles R.312-8 et R.312-9 du code des relations entre le public et l'administration. Selon ces dispositions, qui dérogent expressément aux règles de publication générales précédemment évoquées, de telles circulaires « sont publiées [non sur des sites internet désignés par décret comme le prévoit l’article L.312-3 du même code mais] sur un site relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation ». Or, sous l’onglet « circulaires et instructions » du site Légifrance, inutile de chercher la circulaire fixant le cadre de gestion des AESH ; elle ne s’y trouve pas. Et contrairement à ce qui se pratique en matière fiscale, une publication et une mise en ligne au Bulletin officiel de l’éducation nationale ne produit pas les mêmes effets que si la publication avait été réalisée sur le site relevant du Premier ministre, en l’occurrence Légifrance (CE, Section, 13 mars 2020, n° 0435634, Rec. et les explications de la rapporteure publique Karin Ciavaldini) . Par conséquent, en application du second alinéa de l’article R. 312-7 du code des relations entre le public et l'administration, à défaut de publication sur un tel support dans un délai de 4 mois à compter de sa signature, la circulaire du 5 juin 2019 devrait ainsi être tenue pour abrogée à compter du 5 octobre 2019, soit avant l’introduction des requêtes que vous avez à juger (cpr. CE, 12 mars 2021, n° 0442284) .

Mais, pour ce faire, encore faut-il que ladite circulaire se limite à une interprétation du droit positif – en l’occurrence du décret du 27 juin 2014 – ou à une description des procédures administratives au sens de l’article L.312-2 du code des relations entre le public et l'administration. Car, à l’instar de ce qu’a jugé le Conseil d'Etat dans son arrêt du 24 juillet 2019 (n° 0429621), l’abrogation automatique à l’expiration d’un délai de 4 mois ne parait s’appliquer qu’aux circulaires et instructions entrant dans le champ de l’article L. 312-2 du code des relations entre le public et l'administration (v. aussi les conclusions de M. Vialettes sur CE, 23 février 2011, n° 0334022, Rec. T).

A ce stade, de deux choses l’une. Soit vous estimez que la circulaire du 5 juin 2019 se borne à interpréter le droit positif ; elle serait alors réputée abrogée avant même l’introduction des présentes requêtes et ni les AESH, ni le syndicat SUD ne pourraient utilement s’en prévaloir. Bien que ce ne soit pas l’option que nous envisageons de vous proposer, force est d’admettre que le Conseil d'Etat a souvent préconisé une vision large de la compétence interprétative, ne serait-ce que, sous l’empire de la jurisprudence Notre-Dame du Kreisker (CE, ass., 29 janv. 1954, n° 007134, Rec.), afin de faire échapper les circulaires ministérielles à une annulation quasi inéluctable (v. notamment concl. P. Fombeur sur la CE, sect. 18 déc. 2002, n° 0233618, Rec., à propos du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, dont les dispositions ont été reprises dans le code des relations entre le public et l'administration).

Si vous deviez suivre cette voie, la légalité des contrats des AESH, examinée uniquement au regard du décret du 27 juin 2014, ne parait pas contestable. En s’abstenant d’appliquer la formule prévue par la circulaire en vue de calculer la quotité de service des AESH et en modulant cette quotité selon que l’accompagnant se trouve devant ses élèves ou assure des activités annexes, la directrice académique n’a pas pour autant méconnu le décret de 2014, dont l’article 7 relatif à la répartition du travail est rédigé en termes très généraux. Le moyen de légalité externe tiré de l’insuffisance de motivation des décisions, soulevé par les AESH, ne nous paraissant pas fondé – soit parce que les dispositions applicables sont visées, soit parce que les intéressés se sont abstenus de solliciter les motifs des décisions implicites – vous pourriez alors rejeter l’ensemble des requêtes.

Soit vous estimez que la circulaire va au-delà de l’interprétation du décret de 2014, c’est- à- dire qu’elle revêt un caractère réglementaire, cette option n’ayant pas été abandonnée par les jurisprudences récentes rendues en matière de droit souple (on pense en particulier à l’arrêt du 12 juin 2020, n° 0418142 qui porte quant à lui sur la justiciabilité et non sur l’invocabilité des circulaires, v. d’ailleurs les questions formulées par Clément Malverti et Cyrille Beaufils à la fin de leur commentaire sur l’arrêt précité, « la littérature grise tirée au clair », AJDA 2020, p. 1407) . Se pose alors la question de savoir si le ministre de l’éducation, par délégation duquel le directeur général des ressources humaines a signé la circulaire, était compétent pour ce faire. Formulé autrement, cela consiste à s’interroger sur le point de savoir si la circulaire en cause est susceptible de se rattacher au pouvoir d’organisation des services dont le ministre dispose en vertu de la traditionnelle jurisprudence Jamart (CE, sect., 7 févr. 1936, n° 043321, Rec.) ou, au contraire, si le ministre de l’éducation nationale a pénétré imprudemment dans le champ de la compétence réglementaire, apanage du seul Premier ministre. Dans l’hypothèse où vous considéreriez la circulaire comme une mesure nécessaire à l’organisation et au fonctionnement des services placés sous l’autorité du ministre de l’éducation nationale, les requérants pourraient s’en prévaloir.

A cet égard, la seule circonstance que cette mesure puisse avoir une incidence sur les tiers – en l’occurrence ici les AESH eux-mêmes, qui ne sont pas sous l’autorité directe du ministre – n’est pas rédhibitoire (v. sur ce point les exemples cités par Alexandre Lallet dans ses conclusions sur CE, 24 juillet 2019, n° 0429621, préc.) . Et il est vrai que le paragraphe consacré au temps et à la quotité de service s’adresse directement aux recteurs d’académie avec lesquels sont conclus les contrats des AESH. Etant précisé que la divisibilité des circulaires est assez largement admise en jurisprudence (pour un ex. v. CE, 13 janvier 1975, n° 090193) . Les dispositions d’une circulaire entrant dans le champ de la jurisprudence Jamart, réglementaires par définition, seraient nécessairement invocables (v. a contrario, s’agissant de circulaires non réglementaires, CE, 31 juill. 1992, n° 0132778, Rec. T. ; CE, 26 oct. 1992, n° 091745, Rec. T. ; ou plus récemment CE, 19 février 2003, n° 0233694) . Sauf que la compétence réglementaire accordée au chef de service dans ce cadre n’est que subsidiaire et n’est susceptible de jouer qu’en l’absence d’autre disposition législative ou réglementaire applicable (v. concl. Laurent Cytermann sur CE, 9 juin 2020, n° 0438418, qui rappelle CE, 3 mars 2010, n° 0306702, Rec. T. ; CE 3 mars 2010, n° 0325714, Rec. T.) . Or, en l’espèce, l’article 7 du décret du 27 juin 2014, dispose bien que le travail des AESH se répartit, dans le respect de la durée annuelle de référence qui est de 1 607 heures, « sur une période d'une durée de trente-neuf à quarante-cinq semaines ». Et bien que rédigée en termes généraux, cette disposition existe et ne permettait pas au ministre de porter le seuil de la période de référence à 41 semaines. Par conséquent, le paragraphe 3.4 de la circulaire dont entendent se prévaloir les requérants s’intègre difficilement, selon nous, dans le champ de la jurisprudence Jamart.

Il n’en demeure pas moins qu’ainsi qu’il a été dit, elle ajoute au texte et ne se borne pas à proposer une interprétation, même impérative, du cadre issu du décret de 2014. Elle revêt donc bien selon nous un caractère réglementaire et, en cela, est entachée d’incompétence, dès lors que, d’une part, aucun pouvoir réglementaire ne semble avoir été délégué au ministre de l’éducation nationale en la matière et, d’autre part, que les ministres se sont toujours vu refuser un pouvoir réglementaire propre, « même pour répondre aux besoins de l’administration et garantir l’application uniforme des textes » (v. conclusions Guillaume Odinet sur CE, GISTI, 12 juillet 2020, préc. qui rappelle la jurisprudence traditionnelle issue de CE, Section, 23 mai 1969, Rec. p. 264) . Et malgré nos efforts, compte tenu des termes de la circulaire, nous n’arrivons pas à la faire entrer dans le champ des directives issues de la jurisprudence CE, sect., 11 déc. 1970, n° 078880) ou, plus récemment, dans le champ de la jurisprudence CE, sect., 4 février 2015, n° 0383267, récemment précisée par CE, 21 septembre 2020, n° 0428683, A), selon laquelle « dans le cas où un texte prévoit l'attribution d'un avantage sans avoir défini l'ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l'attribuer parmi ceux qui sont en droit d'y prétendre ou de fixer le montant à leur attribuer individuellement, l'autorité compétente peut, qu'elle dispose ou non en la matière du pouvoir réglementaire, encadrer l'action de l'administration, dans le but d'en assurer la cohérence, en déterminant, par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en œuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d'intérêt général conduisant à y déroger et de l'appréciation particulière de chaque situation ». La circulaire qui, en rehaussant le seuil fixé par décret, va au-delà de lignes directrices, lesquelles se seraient contentées de guider les recteurs d’académie pour déterminer comment placer le curseur entre 39 et 45 semaines, nous parait bien affectée d’un vice d’incompétence. A titre de comparaison, le Conseil d'Etat a jugé qu’est incompétent le ministre prenant une circulaire relative au paiement des indemnités de travail de nuit dans la police nationale qui ajoute un minimum de trois heures consécutives de travail de nuit requis pour le bénéfice d'une majoration spéciale (CE, 12 mai 2003, n° 0239928, B, Rec. p. 618) .

Reste à déterminer si les requérants peuvent malgré tout s’en prévaloir. Contrairement à l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales qui prévoit, en matière fiscale exclusivement, qu’une circulaire est invocable quel que soit le niveau d’autorité de son auteur (sur ce point, v. Guillaume de la Taille, « Comment diable faut-il prier la doctrine administrative ? », RJF 2020 sous CE, 9 sept. 2020, n° 0434364, contrairement également aux circulaires adoptées dans le domaine social  (v. l’article L.243-6-2 du code de la sécurité sociale), dans le contentieux général, il nous parait difficile de permettre à un administré de se prévaloir d’une circulaire réglementaire illégale. S’agissant de l’invocabilité, le juge administratif ne semble pas tenir compte du caractère impératif ou non de la circulaire, mais de son caractère réglementaire ou interprétatif (V. CE, 27 mai 1987, n° 076213, Rec. et pour un ex. v. CE, 3 déc. 2008, n° 0295700) . Ainsi, les circulaires réglementaires, qui ajoutent au droit en vigueur deviennent en principe invocables par l’administré. Cependant, une telle invocabilité demeure soumise à leur légalité ; c’est ce qu’a clairement jugé le Conseil d'Etat dans un arrêt de 1996, certes un peu ancien, mais qui ne parait pas avoir été remis en cause depuis ; selon la haute juridiction, les mesures prévues par des circulaires du ministre de l’intérieur de 1962 du conseil national de l'Ordre des médecins « relatives à l'attribution du caducée à certains médecins, qui présentent un caractère réglementaire, ne trouvent leur fondement dans aucune disposition législative ou réglementaire. Dans ces conditions, elles n'ont pu conférer aux intéressés aucun droit au bénéfice des mesures qu'elles prévoient, ni donner au conseil national de l'ordre des médecins le droit de délivrer le caducée » (CE, 25 oct. 1996, n° 0110511, B) . En d’autres termes, nul ne peut se prévaloir d’une circulaire réglementaire entachée d’incompétence. Par conséquent, les requérants ne peuvent davantage se prévaloir de la circulaire de juin 2019, entachée selon nous d’un vice d’incompétence, que si elle devait être regardée comme abrogée en raison d’une absence de publication sur le site idoine.

Ainsi, la rectrice et les directeurs académiques de Bourgogne-Franche-Comté ont, une fois n’est pas coutume, porté un coup de boutoir à la formule de Jacques Boucher de Perthes, directeur des douanes à Abbeville en 1825, citée par Guillaume Odinet dans ses conclusions sur la récente affaire GISTI, selon laquelle « en administration (…) on obéit d’abord à la circulaire, puis à la décision ministérielle, puis au règlement, puis à l’arrêté ou décret et enfin à la loi. (…) En cas de doute, la circulaire doit avoir raison, parce que c’est la nation qui fait la loi et que c’est le chef de bureau qui fait la circulaire ». Et s’il peut paraître anachronique, après la large consécration de l'invocabilité des circulaires par la loi ESSoC de 2018, de refuser l’invocabilité aux requérants de celle du 5 juin 2019, cette appréhension doit être relativisée, le Conseil d'Etat ayant récemment réaffirmé que les orientations générales présidant à l’octroi de mesures gracieuses ne sont pas davantage invocables par les administrés (v. CE, 21 septembre 2020, n° 0428683, préc. et la chronique de Gweltaz Eveillard, Semaine juridique n° 014, 6 avril 2021, doctr. 392) .

Si vous nous suivez, vous jugerez que le syndicat SUD éducation Bourgogne n’est pas fondé à ce que soit reconnu aux AESH le droit de se voir appliquer la formule de calcul prévue par la circulaire du 5 juin 2019. De même, les 7 AESH à l’origine des requêtes individuelles ne sont pas fondées à demander l’annulation des décisions par lesquelles les autorités académiques ont refusé de faire droit à leurs demandes de régularisation de leurs contrats de travail et de règlement des heures qu’elles estiment avoir réalisées en plus de leurs contrats, d’autant qu’elles ne démontrent pas, selon nous, par les documents qu’elles produisent, que le principe d’égalité de traitement entre agents aurait été méconnu (à cet égard, elles n’établissent pas, comme l’exige l’arrêt du CE du 10 juillet 1995, n° 0147212, Rec. p. 293, que deux situations juridiques identiques auraient entraîné des prises de position différentes ; v. également CE, 18 novembre 2011, n° 0344563, Rec. p. 373) . Les autres conclusions, qu’elles tendent à ce qu’il soit enjoint à l’administration de régulariser les contrats, de verser le solde des traitements dus, de même que les conclusions indemnitaires tendant à la réparation du préjudice subi par la modification du nombre d’heures travaillées seront, par voie de conséquence, également rejetées.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de l’ensemble des requêtes.

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