Saisie par un étranger assigné à résidence, la cour administrative d’appel de Lyon retient que les dispositions de l’article R. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans leur version applicable au litige, n’imposent pas à l’autorité préfectorale de faire figurer dans son arrêté les modalités de présentation aux services de police ou de gendarmerie. Il revient à l’intéressé, s’il souhaite contester la proportionnalité de ces mesures, de demander l’annulation de la décision distincte fixant la fréquence de ces présentations.
Représentant 54, 2 % des affaires enregistrées aux greffes des cours administratives d’appel en 2020 (Conseil d’État, Activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2020, Rapport public, 2021, La doc. Fr., p. 35), le contentieux du droit des étrangers ne cesse de révéler ses complexités. Si l’affaire présentée devant la cour administrative d’appel de Lyon était ordinaire dans ce contentieux de masse, une question de droit se posait de façon plus novatrice.
Un étranger, débouté du droit d’asile, a sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Toutefois, par un premier arrêté du 28 septembre 2020, le préfet de l’Allier a refusé de le lui délivrer, l’a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé d’office et l’a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un second arrêté du 28 septembre 2020, cette même autorité l’a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Saisi de conclusions à fin d’annulation de ces deux arrêtés, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, après avoir renvoyé à une formation collégiale les conclusions dirigées contre le refus de délivrance d’un titre de séjour, a rejeté le surplus des conclusions par un jugement du 19 octobre 2020. Si par son arrêt du 2 septembre 2021 la cour administrative d’appel de Lyon confirme ce rejet, les motifs retenus sont distincts, plus précisément quant à la légalité de la mesure d’assignation à résidence.
Étrangement, le préfet de l’Allier a simplement indiqué dans son arrêté que l’intéressé devait se présenter à la brigade de gendarmerie de Montmarault sans fixer les jours et horaires de ces présentations. L’autorité préfectorale détermine d’ordinaire plus précisément ces modalités, et cela dès l’édiction de la mesure d’assignation. Sans surprise, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 561-2 du CESEDA, dans sa version applicable au litige, était soulevé. Ces dispositions prévoyaient, notamment, que l’autorité administrative désigne à l’étranger assigné à résidence « le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu’il fixe ». Le juge lyonnais a cependant retenu que le législateur n’a pas entendu imposer au préfet de faire figurer dans son arrêté portant assignation la fréquence des présentations de l’assigné à résidence aux services de police ou de gendarmerie. L’autorité préfectorale a la possibilité de fixer ces modalités dans une décision distincte, dont il reviendra à l’intéressé, s’il s’en croit fondé, de demander l’annulation.
Le droit des étrangers, déjà singularisé par ses règles spécifiques, ne cesse de se complexifier, tendance dans laquelle la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit par son arrêt. L’interprétation donnée des dispositions de l’ancien article R. 561-2 du CESEDA permet de légaliser un arrêté préfectoral pourtant boiteux (I.). La juridiction lyonnaise retient que la mesure d’assignation à résidence est divisible, laissant à l’administré la charge de contester lors d’un autre recours la décision fixant la fréquence de ses présentations aux services de police ou de gendarmerie (II.) . S’il n’est pas à contre-courant de l’actuelle jurisprudence en droit des étrangers, l’arrêt du 2 septembre 2021 illustre la nécessité de refondre cette matière tant un contrôle juridictionnel effectif de l’action administrative devient pressant (III.).
I. – Une interprétation conciliante de l’article R. 561-2 du CESEDA
Une réponse discutée.
La cour administrative d’appel de Lyon interprète de manière originale les exigences posées par les dispositions de l’ancien article R. 561-2 du CESEDA. Elle indique que la fréquence des présentations de l’assigné à résidence doit être fixée par le préfet et non par les services de police ou de gendarmerie. La lecture de la lettre de l’article, ainsi que l’a retenue le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, impliquait pourtant une autre réponse. Par une interprétation littérale, le juge clermontois avait indiqué que, « s’il appartient à l’autorité préfectorale de désigner le service auquel l’étranger doit se présenter, ces (…) dispositions ont laissé le soin au service concerné de fixer la fréquence de cette présentation ». Selon le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, il revenait à l’autorité administrative de prendre la décision d’assignation à résidence et aux services de police ou de gendarmerie d’en fixer les modalités.
En retenant une motivation différente, le juge lyonnais se révèle pragmatique. La reprise de la solution clermontoise aurait impliqué l’annulation de tout arrêté d’assignation à résidence fixant le nombre de jour et l’heure auxquels l’étranger doit se présenter au service de police ou de gendarmerie, hypothèse la plus fréquente. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 561-2 du CESEDA serait devenu habituel, assurant l’annulation pour le requérant qui le soulèverait. Ainsi, en l’espèce, le rejet de la requête est identique, mais par sa motivation la cour administrative d’appel de Lyon ferme la porte à une potentielle série. Finalement, en se détachant d’une stricte lecture de la lettre de l’article, une intéressante approche du juge administratif se dessine : il fait prévaloir la légitimité de la décision attaquée sur une légalité stricto sensu. En tout état de cause, l’intérêt de retenir l’interprétation proposée par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand s’est directement estompé au regard de la modification du droit applicable.
Une solution avant-gardiste.
Le juge lyonnais a indirectement pu tenir compte des modifications apportées par le décret n° 02020-1734 du 16 décembre 2020 portant partie réglementaire du CESEDA entré en vigueur le 1er mai 2021. L’ancien article R. 561-2 du CESEDA, applicable lors de l’édiction de l’arrêté contesté, disposait que l’autorité administrative désigne à l’étranger assigné à résidence « le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu’il fixe ». Toutefois, ces dispositions sont nouvellement codifiées à l’article R. 733-1 du même code. Il dispose dorénavant que l’autorité administrative désigne à l’étranger « le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu’elle fixe ». Le service de police ou de gendarmerie est devenu l’autorité préfectorale, « il » étant devenu « elle ». Pourtant, l’article 52 de la loi n° 02018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie prévoit que la nouvelle codification est effectuée à droit constant. Si ces dispositions ne font référence qu’à la nouvelle rédaction de la partie législative du CESEDA, la volonté du législateur de ne pas faire évoluer le droit applicable est similaire pour la partie réglementaire de ce code. La lettre de l’article R. 561-2 du CESEDA a cependant été modifiée.
La cour administrative d’appel de Lyon se révèle encore une fois réaliste, en proposant une application anticipée de l’évolution textuelle. L’utilité de retenir la solution clermontoise aurait suscité une interrogation, dès lors que le législateur est intervenu entre les deux décisions judiciaires pour modifier les dispositions du CESEDA. Si la juridiction lyonnaise ne souhaite pas voir s’éteindre dans quelques mois son interprétation – dès lors que la contestation d’arrêtés préfectoraux édictés avant le 1er mai 2021 est presque déjà tarie – elle se devait d’adopter une vision plus large, au-delà du droit qui était encore applicable au présent litige. La cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit alors dans une jurisprudence déjà riche quant au régime des assignations à résidence.
II. – Une légalisation d’une assignation à résidence morcelée
Une légère compensation.
La juridiction lyonnaise considère qu’il n’est pas fait obligation au préfet de faire figurer dans son arrêté d’assignation à résidence la fréquence des présentations de l’intéressé aux services de police ou de gendarmerie. Une des branches du moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’ancien article R. 561-2 du CESEDA était pourtant la privation pour le juge administratif du contrôle de la proportionnalité des modalités de l’assignation à résidence. La cour écarte cet argument par une proposition de stratégie juridictionnelle au requérant. Il lui appartient de demander l’annulation de la décision distincte qui fixera la fréquence de ses présentations.
Pourtant, dans un arrêt du 13 juillet 2017, la cour administrative d’appel de Lyon avait retenu une solution différente. Elle indiquait qu’il résultait des dispositions de l’ancien article R. 561-2 du CESEDA que la fréquence de la présentation de l’assigné à résidence est « indivisible du principe même de l’assignation à résidence, compte tenu notamment de la finalité d’une telle mesure » (CAA Lyon, 13 juill. 2017, n° 017LY00835) . Cette décision, qui avait certes était rendue « dans les circonstances de l’espèce », ne semble plus applicable au regard de la jurisprudence du Conseil d’État en la matière.
Un acte administratif divisible.
Dans une décision du 11 décembre 2020, le Conseil d’État a explicitement indiqué qu’une « décision d’assignation à résidence (…) doit comporter les modalités de contrôle permettant de s’assurer du respect de cette obligation et notamment préciser le service auquel l’étranger doit se présenter et la fréquence de ces présentations » (CE, 11 déc. 2020, n° 0438833, Ministre de l’intérieur c/ M. et Mme B. Lebon T. p. 782) . L’absence de fixation de la fréquence de présentation entraîne l’illégalité de la décision administrative. Le Conseil d’État poursuit toutefois en indiquant que ces modalités de contrôle sont divisibles de la mesure d’assignation elle-même. La viabilité de l’arrêté, une fois amputé de sa partie illégale, n’est plus viciée. En effet, le juge administratif a la possibilité d’annuler un arrêté d’assignation à résidence seulement en tant qu’il prononce des modalités de présentation disproportionnées.
Par son arrêt du 2 septembre 2021, la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil d’État. Elle considère que rien n’impose au préfet de faire figurer la fréquence des présentations aux services concernés directement dans l’arrêté ordonnant l’assignation à résidence. Il propose ainsi aux assignés de demander l’annulation de la seconde décision qui interviendra pour fixer ces modalités. Au-delà de la multiplication des recours contentieux comme des actes attaquables, le juge complexifie lui-même – inutilement – le contentieux du droit des étrangers.
III. – Un contrôle nécessaire de l’action administrative
Des services préfectoraux submergés.
Comme le mentionne la cour administrative d’appel de Lyon, le préfet de l’Allier ne peut sérieusement soutenir que l’arrêté attaqué oblige le requérant à se présenter deux fois par semaine à la brigade de gendarmerie de Montmarault. La défense inconvenante de l’autorité préfectorale ne peut qu’étonner au regard de la simplicité que supposait la vérification de cet élément purement factuel. Les failles des services préfectoraux en droit des étrangers sont nombreuses, qu’il s’agisse du traitement des demandes des administrés comme de l’analyse contentieuse des différends. Cette défaillance est certes à tempérer, tant elle est accentuée par la complexité du droit des étrangers. Si la nouvelle numérotation du CESEDA avait pour objectif sa refonte, il aurait été plus opportun que cette révision ne se limite pas uniquement aux aspects formels du code. Les difficultés d’application de ce droit, si elles pèsent sur l’activité de l’administration, se répercutent directement sur le travail juridictionnel.
Des répercussions sur la charge juridictionnelle.
Le parcours administratif et juridictionnel du requérant est tristement volumineux. Il a vu sa demande d’asile rejetée définitivement par la Cour nationale du droit d’asile le 6 octobre 2014 et a fait l’objet d’une mesure d’éloignement, non exécutée, le 9 mars 2015 dont la légalité a été confirmée par une ordonnance du président de la cour administrative d’appel de Lyon le 3 novembre 2015. À la suite de sa demande d’admission exceptionnelle au séjour le 22 juillet 2020, le préfet de l’Allier a pris les deux arrêtés du 28 septembre 2020, contestés devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand puis devant la cour administrative d’appel de Lyon. Le juge administratif – au même titre que les administrés – ne peut que s’enfoncer dans les méandres du droit des étrangers (v. sur ce point EDCE, 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous, sept. 2020, 89 p.) .
Si les recours sont nombreux, les annulations sont infimes en la matière, concernant principalement les requêtes dirigées contre les décisions implicites de rejet dont la demande de communication des motifs, quand elle a été faite, est restée sans réponse. En cas d’annulation, les injonctions prononcées par le juge administratif sont rarement exécutées par l’autorité préfectorale, impliquant une montée en puissance du référé prévu par les dispositions de l’article L. 521-4 du code de justice administrative tendant notamment à la fixation d’une astreinte. Ces exemples ne sont qu’une part infime de la multiplicité de la charge juridictionnelle due à l’inaction préfectorale. Pour parer aux incessants échanges entre l’autorité administrative et l’autorité juridictionnelle, au milieu desquels se retrouvent des administrés peu aguerris, représentés cependant par un important ministère d’avocat, une solution peut être avancée : le passage du contentieux du droit des étrangers en recours de pleine juridiction (v. sur ce point A. Dulmet, « L’office du juge en contentieux des étrangers : évolution, révolution ? », AJDA, 2016, p. 894) .
Si l’office du juge de l’excès de pouvoir subit de profondes mutations (v. notamment J. Salenne-Bellet, « Le contentieux des étrangers à l’épreuve de l’appréciation dynamique de la légalité », AJDA, 2021, p. 1991 ; concl. contraires sur TA Melun, 6 avril 2021, n° 01907429), il ne peut pas encore pleinement substituer son appréciation de la situation de l’administré à celle de l’administration. Au-delà de l’intérêt de traiter définitivement la situation de l’étranger, ce dernier bénéficierait d’une double analyse non négligeable de son dossier. Toutefois, cette solution impliquerait de franchir un Rubicon décisif : accepter que le juge de l’administration soit un juge-administrateur.