Composition du jury CRFPA : garantie d’égalité entre candidats

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Décision de justice

TA Lyon – N° 2002605 – 08 juillet 2021 – C+

Jugement confirmé en appel : CAA lyon, 29 septembre 2023,n° 21LY02876 mais arrêt annulé en cassation voir CE, 23 décembre 2024, n°489761 et affaire renvoyée à la CAA de Lyon sous le n° 24LY03629

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 2002605

Date de la décision : 08 juillet 2021

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Enseignement et recherche, Examens et concours, Jury, Composition du jury, CRFPA, Prévention des conflits d’intérêt, Garantie de l’égalité entre les candidats

Rubriques

Institutions et collectivités publiques

Résumé

Il est impossible pour un membre du jury d’avoir pour activité, même accessoire, la préparation des candidats au concours.

Il résulte des dispositions des articles 3 et 4 de l’arrêté du 17 octobre 2016 qu’afin de prévenir les conflits d’intérêts et de garantir l’égalité de traitement entre tous les candidats quelle que soit leur formation, les personnes en charge de la conception des épreuves ou de l’évaluation des candidats ne peuvent avoir par ailleurs pour activité, même accessoire, la préparation spécifique de candidats à l’examen dans le cadre des organismes de formation, tant publics que privés, qui interviennent dans ce secteur concurrentiel.

30-01-04-02-01, Enseignement et recherche, Examens et concours, Jury, Composition

Conclusions du rapporteur public

Romain Reymond-Kellal

Rapporteur public au tribunal administratif de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6708

Mme B. demande l’annulation de la délibération du 29 novembre 2019 en tant que le jury l’a ajournée à l’examen d’accès au centre de formation professionnelle d'avocats organisé par l’Université Jean Moulin Lyon 3.

Le premier moyen soulevé, tiré de l’incompétence du signataire de la décision ayant rejeté explicitement son recours gracieux, ne vous retiendra pas longtemps puisqu’il est inopérant (cf. CE, 7 mars 2018, 404079, au Rec.) .

Les autres moyens sont plus délicats à examiner.

L’irrégularité de la composition du sous-jury ou groupe d’examinateurs 

Mme B. soutient, en premier lieu, que la composition du groupe d’examinateur ayant siégé lors de l’épreuve du grand oral a méconnu les dispositions de l’article 4 de l’arrêté du 17 octobre 2016 modifié par celui du 6 mars 2018 (NOR : MENS1629317A) dès lors que Mme C.-L., qui en faisant partie, est également enseignante dans le module de préparation à l’examen d’accès proposé par l’Institut d’études judiciaires et plus particulièrement pour la matière « aspect droit pénal » en « droits et libertés fondamentaux ».

Toutefois, les dispositions invoquées prévoient clairement une incompatibilité absolue lorsque l’examinateur spécialisé ou le membre du jury local exerce des activités d’enseignement « simultanément dans une formation publique et privée ». L’utilisation de la conjonction « et » au lieu de celle du « ou » qui est elle-même retenue par l’article 3 portant sur la commission nationale ne laisse place à aucun doute selon nous sur la clarté du texte aussi surprenant que puisse paraitre cette distinction.

Il faut ainsi, il nous semble, se reporter au droit commun pour fixer le cadre d’analyse de l’irrégularité liée à la partialité d’un membre du jury ou groupe d’examinateurs. Or, la seule présence dans ce type d’organisme collégial d’une personne ayant participé à la préparation de l’examen n’est pas en soi constitutive d’une méconnaissance du principe d’impartialité dès lors qu’il est aussi exigé que le comportement de l’intéressé ait réellement été de nature à jeter un doute sérieux sur sa capacité à avoir favoriser les uns ou défavoriser les autres (rapp. pour un examinateur qui avait tenté de masquer sa qualité d’enseignant dans la préparation et qui avait adopté un comportement lors de l’épreuve ayant révélé son manque d’impartialité, alors que le seul étudiant proposé à l’admission dans sa discipline était un de ceux ayant bénéficié de son enseignement : CE, 6 novembre 2000, 289398, aux tables ; sur les principes généraux en la matière : CE, 18 juillet 2008, 291997, au Rec) .

En l’espèce, la requérante, qui n’est pas dépourvue de moyen dès lors qu’elle aurait pu solliciter la communication de document administratif, ne démontre pas que Mme C.-L. a eu un comportement, pour les candidats examinés par son groupe lors de l’épreuve du grand oral, de nature à méconnaitre le principe d’impartialité en favorisant par exemple ceux ayant suivi son enseignement au détriment des autres.

La méconnaissance des règles d’harmonisation 

Le deuxième moyen, tiré de la méconnaissance de l’article 10 de l’arrêté de 2016 modifié précité au motif que le jury n’a pas procédé à l’harmonisation des notes au regard des résultats des autres centres d’examen de Grenoble et Saint-Etienne rattachés à l’Ecole des avocats de la Région Auvergne Rhône-Alpes, n’est pas davantage fondé.

Les dispositions invoquées prévoient seulement que la liste des candidats admis est arrêtée par le jury local « après avoir comparé les moyennes obtenues par les candidats et les prévisions de réussite avec celles des autres centres d'examen organisant l'accès au même centre régional de formation professionnelle d'avocats ». Comme l’a estimé l’Université dans sa réponse au recours gracieux, il ne s’agit pas ici d’une procédure d’harmonisation qui doit avoir « pour seul objet de mieux assurer l'égalité entre les candidats » tout en laissant entier les pouvoirs des notateurs et du jury, lesquels ne peuvent que fonder leur appréciation sur la valeur des épreuves (rapp. CE, 4 mai 1983, 36325, aux tables) . En effet, les dispositions n’imposent pas à l’ensemble des jurys des centres d’examen d’harmoniser leur notation ensemble et sur des critères communs mais a pour seul objet comme effet de restreindre le risque de laisser des places vacantes à l’EDARA à l’issue des premiers résultats provisoires des trois centres qui lui sont rattachés. C’est tout l’ambiguïté de cet examen qui n’est pas loin d’être un concours.

En revanche, mais le moyen n’est pas soulevé sous cet angle, il est clair à nos yeux que le jury du centre d’examen de Lyon doit prévoir une harmonisation préalable des notes attribués par les différents groupes d’examinateurs du grand oral dès lors qu’il est constant que l’ensemble des candidats déclarés admissibles ne passe pas l’épreuve du grand oral devant l’ensemble du jury alors que la valeur de celle-ci procède d’une « appréciation globale et subjective » qui doit être compatible avec le respect du principe de l’unicité du jury (CE, 30 mars 1968, au Rec. p. 223 ; CE, 13 octobre 1982, aux tables p. 648) . Et le Conseil d’Etat exige toujours, lorsque le jury se divise pour procéder à la notation d’un grand nombre de candidat, qu’il délibère dans son ensemble pour procéder à l’harmonisation des notes dans le but, précisément, de garantir l’égalité de traitement (cf. CE, 26 janvier 2005, 259469, aux tables avec les très intéressantes conclusions de Mme Roul) .

La méconnaissance de l’égalité de traitement dans la procédure suivie 

Le troisième moyen est tiré de la méconnaissance de l’égalité de traitement au motif que le sous-jury n’a pas respecté la règle interne à laquelle il a entendu se soumettre et qui est celle d’au moins deux passages d’étudiants sur le même sujet et devant le même group d’examinateur.

Vous le savez, s’il ne vous appartient pas de contrôler l’appréciation portée par un jury d’examen ou de concours sur la valeur de l’étudiant lors d’une épreuve, encore faut-il que celle-ci se soit formée conformément aux normes qui s’imposent à lui. Corollaire indispensable de la souveraineté du jury, ces normes ont précisément pour objet de permettre une appréciation technique par les sachant dans le respect de l’égalité de traitement et des critères qui ont présidé à la préparation de l’épreuve par les candidats. Le jury ne peut ainsi, par exemple, « ni fonder son appréciation sur les résultats obtenus à des épreuves autres que celles que prévoit le règlement (…), ni (…) modifier les modalités de contrôle des connaissances fixées par ce règlement » (CE, 24 février 1995, 142624, Institut national polytechnique de Loraine, inédit) .

En l’espèce, il ressort des pièces produites par l’Université (cf. l’attestation du président du Jury), que le grand oral se déroule devant quatre sous-jury ou groupe d’examinateurs. En principe, le même sujet est proposé aux candidats lors de deux créneaux ce qui implique au moins deux passages de candidats devant le même sous-jury. Cette règle d’organisation décidée par le jury a pour but d’assurer l’égalité de traitement en permettant au sous-jury ou groupe d’examinateurs de comparer les mérites d’un étudiant avec d’autres sur le même sujet.

Cependant, par exception, il peut n’y avoir qu’un passage sur le même sujet devant le même sous-jury en raison du nombre de candidats et des créneaux horaires. Ce fût le cas de Mme B. qui a été la seule à traiter le sujet de « l’état de nécessité » devant le groupe d’examinateur comprenant Mme C.-L. Là encore, il n’est pas aisé de déterminer l’illégalité commise.

Nous pensons que le principe d’une comparaison des mérites des étudiants sur le même sujet et devant le même groupe d’examinateur constitue en principe une garantie importante pour assurer l’égalité de traitement dans une épreuve globale et subjective telle que le grand oral, qui plus est lorsqu’elle se déroule devant un sous-jury. A tout le moins, l’absence de comparaison entre au moins deux candidats est susceptible d’exercer une influence sur la notation finale en fonction des circonstances de l’espèce. Il apparait en effet par expérience que la sévérité de la notation ou sa mansuétude peut substantiellement dépendre de la comparaison des prestations des candidats sur le même sujet, qu’il soit réputé facile ou difficile.

La circonstance qu’en l’espèce Mme B. a été la seule à être examinée sur un sujet relevant plutôt de la matière pénale même s’il comporte des volets civil et administratif alors que l’épreuve porte normalement sur le programme des libertés fondamentales et non ces matières qui sont prévues comme épreuves d’admissibilité, qui plus est par le groupe dont faisait partie Mme C.-L. qui est maitre de conférence en droit pénal, avocate intervenant dans ce domaine et directrice de l’IEJ délivrant des cours de formation en la matière, peut être regardé comme révélant un méconnaissance de l’égalité de traitement des candidats eu égard au déroulement de l’épreuve qui n’est pas sérieusement contesté. Ainsi, le moyen, à mi-chemin entre l’égalité de traitement et la jurisprudence dite Danthony selon laquelle un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable suivie à titre facultatif est de nature à entraîner l’annulation de la décision prise à son issue lorsqu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie (CE, 23 décembre 2011, 335477, au Rec), nous parait fondé.

La méconnaissance du programme et des modalités de l’examen

En revanche, le dernier moyen ne nous parait pas fondé. Il est tiré de la méconnaissance du programme et des modalités de l’examen au motif que Mme C.-L., seule intervenante du groupe d’examinateur à avoir posé des questions, s’est cantonnée aux aspects de droit pénal et de procédure pénale alors que l’épreuve a pour objet d’apprécier l’étendue de la culture juridique.

Les choses doivent être remises dans son contexte à notre sens : en vertu du 1° de l’article 7 de l’arrêté de 2016 modifié, l’épreuve dite du grand oral d’admission se scinde en deux parties. Le candidat dispose d’abord de 15 minutes pour effectuer son exposé sur le sujet qui lui a été assigné. C’est à cette occasion qu’il doit démontrer la maitrise du raisonnement juridique et l’étendue de sa culture en abordant le sujet sous l’angle de la « protection des libertés et des droits fondamentaux » qui constitue une matière transversale par excellence.

Lors de l’entretien de trente minute suivant, les membres du groupe d’examinateur peuvent alors s’entretenir avec lui en cherchant, par ses questions, à tester ses connaissances et son raisonnement sur les points qu’il n’a pas abordés dans son exposé. Ainsi, il n’apparait pas incongru, pour une candidate qui indique elle-même se spécialiser dans le droit fiscal et qui ne vous indique pas le contenu de son exposé dans les grandes lignes, qu’un des membres l’ait questionné sur le droit pénal et la procédure pénale qui sont, tout de même, un volant important de sujet tiré de l’état de nécessité qui ne peut être négligé dès lors qu’il se rattache à la dignité humaine.

Par ailleurs, il nous semble difficile d’obliger un membre à poser des questions en dehors de son champ de compétence d’une part, et, d’autre part, d’obliger les autres membres à eux-mêmes poser des questions dans d’autres domaines alors que rien ne garantit qu’il dispose, de par leur seule qualité de magistrat, enseignant ou avocat, d’une connaissance étendue dans d’autres matières.

C’est donc un subtil équilibre à maintenir et il appartient dans ce cadre au candidat de faire preuve de finesse dans ses réponses qui peuvent tout à fait témoigner de l’étendue de ses connaissances et de sa capacité à surmonter les difficultés quand bien même il n’est pas spécialiste de telle ou telle matière, mais s’enquiert de la manière de questionner la protection des libertés fondamentales.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation partielle de la délibération attaquée et à ce qu’il soit enjoint au centre d’examen de prendre une nouvelle délibération dans un délai de six mois.

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