La question qu’a tranché la Cour administrative d'appel de Lyon dans l’arrêt n° 20LY02858 du 2 juin 2021 pose une question de droit et interroge autant l’office du juge que la procédure par laquelle l’autorité administrative instruit une demande de titre étranger malade. Il s’agissait dans le cas d’espèce d’une situation où la demande de titre de séjour a été déposée antérieurement au 1er janvier 2017. L’instruction de la demande relevait donc des dispositions du 11° de l’article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans leur rédaction antérieure et non de celles découlant du 3° de l’article 13 de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 sous l’empire desquelles la décision a été délivré et qui prévoit qu’elle est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) . A l’époque de la demande l’avis était émis par un médecin de l'agence régionale de santé (MARS) et transmis sous couvert du directeur de l’agence régionale de santé. En revanche, la décision en cause dans le litige avait été prise avis du collège des médecins de l’OFII. Compte de la stabilité très relative da la réglementation sur l’entrée et le séjour des étrangers, la solution apportée au cas d’espèce a presque valeur historique. Mais justement ce type de contentieux est propre a susciter des problématique de connexion des différentes procédure entre elles et de la pérennité des garanties qui en découlent pour les demandeurs de titres de séjour.
Mme G., ressortissante arménienne avait déposé une demande de titre de séjour le 17 novembre 2016 en qualité d’étranger malade, bénéficiant d’un avis favorable du médecin de l’agence régionale de santé du 8 mars 2017. Après un avis émis près de 26 mois après la demande par le collège des médecins de l’OFII, le 12 décembre 2018, défavorable celui-là, le préfet du Rhône lui a refusé le titre de séjour demandé, le 19 avril 2019. La requérante demandait d’annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon qui avait rejeté, le 17 mars 2020 sa requête aux fins d’annulation.
Le médecin de l’Agence régionale de la Santé et le collège de l’OFII : une assimilation contestable.
Saisi du moyen tiré de l’irrégularité de la procédure le tribunal administratif de Lyon avait jugé d’une part que la procédure de consultation du collège de médecins de l’OFII, prévoyant en lieu et place de la consultation du seul médecin de l’agence régionale de santé, celle d’un collège de trois médecins éclairé par le rapport préalable d’un quatrième médecin, ne serait de nature à vicier la décision attaquée qu’à la condition que cette procédure de consultation renforcée ait elle-même été entachée d’une irrégularité ayant privé l’intéressée d’une garantie ou ayant influencé le sens de la décision et d’autre part que cette consultation supplémentaire d’un collège de médecins n’a pu que renforcer la qualité de l’analyse médicale du dossier et ainsi améliorer la qualité de l’information médicale du préfet. La requérante ne saurait dès lors être regardée comme ayant été privée d’une garantie.
Une interprétation extensive de ce qu’avait jugé les premiers juges était susceptible d’entrainer une difficulté pratique autant qu’inéquitable. L’assimilation des procédures attachées de la consultation d’un médecin pour éclairer l’administration ouvrait la voie à ce que cette consultation soit mise en œuvre très tardivement à la discrétion de l’administration devant l’OFII à charge pour le requérant, le cas échéant, de contester une décision implicite de rejet de sa demande à la suite d’un avis éventuel du MARS à supposer qu’il ait été consulté.
Les procédures devant le MARS ou devant l’OFII sont cependant différentes. A titre d’exemple bien que ce point n’ait quasiment jamais été exploré par la jurisprudence la circonstance que le directeur général de l’ARS ait pu sous l’emprise des anciens textes prendre position le cas échéant sur des circonstances humanitaires constituait un élément de procédure représentatif d’un examen supplémentaire utile à la décision de l’administration. Autre argument quant à l’hétérogénéité des procédures, les intentions du législateur. Les motifs de la loi du 7 mars 2016 ont marqués non pas une solution de continuité, mais une nette volonté de réforme. Ainsi l’étude d’impact de la loi s’est-elle appuyé sur un rapport conjoint IGA-IGAS qui avait « mis en lumière un manque d’homogénéité des avis rendus par les médecins des agences régionales de santé (ARS »). Les services du ministère de l’Intérieur selon la même étude avaient également pensé détecter à l’époque « une fraude dont on commence juste à saisir les contours et l’ampleur qui devrait conduire nécessairement à renforcer la vigilance des services à tous les niveaux afin de contribuer au démantèlement de filières (filière hépatite C à Paris et psychiatrique en Bourgogne) ». Le Gouvernement entendait ainsi privilégier « Les réformes de fond et de forme poursuivent le double objectif d’une meilleure maîtrise des procédures et d’une efficacité accrue dans la lutte contre les fraudes (pour lesquelles) la solution du transfert à l’OFII (présentait) l’avantage d’une homogénéisation des avis sur le territoire, l’hétérogénéité des pratiques et l'inégalité de traitement qui découlent de la procédure actuelle étant critiquées par les associations ».
Formellement parlant, privilégier la consultation du collège des médecins de l’OFII et non celle du MARS représentait donc effectivement une irrégularité. C’est ce que juge la Cour administrative d'appel de Marseille cf Cour administrative d'appel de Marseille n° 19MA01674 du 14 novembre 2019. La circonstance que la formalité soit devenue le cas échéant impossible, à supposer que les délégations accordées aux médecins de l’ARS aient été rapportées, ne faisait pas obstacle à ce que le vice soit relevé. En effet la jurisprudence n’admet de prendre en compte une formalité impossible que lorsque l’administration la subit et non pas lorsqu’elle qu’elle la crée fut-ce par négligence cf pour le cas la consultation d’une commission devenue incompétente faute de désignation des membres de la commission idoine CE n° 212040 du 10 janvier 200ILa Cour administrative d'appel de Lyon est d’ailleurs vigilante pour vérifier que le différemment d’un avis ne relève pas d’une manœuvre de l’administration cf Cour administrative d'appel de Lyon n° 20LY02135 du 11 févier 2021. .
L’irrégularité constatée relevait d’un vice de procédure attaché à la demande de titre de séjour étranger malade et non de la méconnaissance du champ d’application de la loi comme l’avait déjà jugé la Cour administrative d'appel de Lyon voyez Cour administrative d'appel de Lyon n° 20LY00622 du 25 août 2020 On pouvait donc appliquer à ce vice la jurisprudence dite « Danthony » suivant laquelle si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. Cette vérification s’opère non pas in abstracto mais à l’égard du cas d’espèce. Cette analyse impose donc que même sous l’angle des garanties il soit vérifié concrètement qu’elles n’aient pas été méconnues (cf une décision du Conseil d’Etat confirmant la position du tribunal administratif de Lyon à l’égard de la nécessité manifeste de la présence d’un spécialiste de la maladie considérée lors de la commission de réforme d’un fonctionnaire hospitalier CE n° 417902 du 24 juillet 2019) La question de l’effectivité de la garantie n’est pas très facile à distinguer de la possible influence du vice sur le sens de la décision dès lors que l’analyse ressortit dans les deux cas d’une appréciation concrète. Mais dans le premier cas l’analyse opère en amont afin de vérifier que la procédure ait été équivalente quant à l’accès à la garantie mise en œuvre dans sa substance, dans le second cas en aval dans les incidences de cette mise en œuvre. La Cour administrative d'appel de Lyon se situait donc dans le cadre de la jurisprudence « Danthony » dont elle a conduit une déclinaison rigoureuse dans le cas d’espèce.
Effectivité de la garantie : le fond et la procédure
La position de la Cour administrative d'appel de Lyon traditionnellement favorisait l’analyse de la procédure dans les cas où l’avis porte sur l’accès au traitement effectif cf n°19LY03071 du 25 août 2020 ou n° 20LY00339 du 20 octobre 2020. Cette approche est en phase avec la loi du 7 mars 2016 qui en même temps qu’elle a prévu que l’avis soit émis par le collège des médecins de l’OFII a rétabli la portée de ce contrôle sur l’accès effectif au traitement au lieu de l’idée abstraite qu’un traitement serait disponible dans le pays d’origine. C’est également la position de la Cour administrative d'appel de Douai voyez Cour administrative d'appel de Douai n° 19DA00604 du 4 décembre 2019..
Mais de manière plus complète il s’agissait ici de se prononcer sur l’effectivité non pas du traitement mais de la garantie.
La tendances de la jurisprudence des Cour administrative d'appel était plutôt sur la position de considérer que la garantie n’était pas méconnue dans une telle situation de changement de procédure en cours d’instruction. Ainsi en était-il jugé par Cour administrative d'appel de Nantes n° 19NT00501 du 6 février 2019, Cour administrative d'appel de Bordeaux n° 19BX04344 du 10 juin 2020 , Cour administrative d'appel de Nancy n° 19NC00663 du 16 juin 2020n° 19NC00663 du 16 juin 2020 ou encore. Cour administrative d'appel de Paris n° 20PA00856 du 11 mars 2021. La Cour administrative d'appel de Lyon semblait déjà abonder dans ce sens cf Cour administrative d'appel n° 20LY01594 du 30 mars 2021 et assurait même une connexion de la procédure antérieure avec la nouvelle procédure postérieure cf Cour administrative d'appel n° 18LY03816 du 7 février 2019. Dans cette optique et dans le cas d’espèce un nouvel avis sur la situation médicale, actualisé par un nouveau rapport d’un médecin instructeur pouvait apparaitre déterminant. On pouvait ainsi difficilement faire reproche à l’administration d’avoir assuré une meilleure analyse de l’état de santé de la requérante plus de 26 mois après sa demande le 17 novembre 2016 à la suite d’un nouveau rapport médical du 25 juillet 2018 établi par un médecin instructeur dans le cadre de la procédure qui était le plus proche de son état de santé réel, celui qui justifiait la délivrance, le cas échéant, d’un titre de séjour.
Cependant le choix de la Cour administrative d'appel s’est porté sur une analyse en terme d’exercice effectif des garanties réservées au ressortissant étranger malade non pas en référence à la délivrance d’un titre de séjour mais en référence à la demande de titre de séjour. La solution qui se démarque de plusieurs jurisprudences déjà citées, peut trouver des explications, à la lecture de l’arrêt, dans les particularités de l’espèce autant que par la volonté de prendre en compte la sécurisation de la procédure de traitement des demandes de titre de séjour étranger malade. S’il parait indispensable que la délivrance d’un titre de séjour soit la plus proche possible de l’avis médical qui confirme le droit au séjour et l’inverse est également vraie, la durée de la procédure est de nature à exercer une influence sur l’effectivité de l’exercice du droit. Il y a donc une marge d’appréciation entre l’examen du droit au séjour via l’avis médical et l’exercice de ce droit au séjour au moment où il est demandé. A ce titre, il convient de noter que s’agissant d’un titre de séjour étranger malade, la situation qui était soumise à la Cour administrative d'appel relevait de la délivrance d’un titre de séjour de plein droit dont la durée de validité était en théorie d’un an à l’époque alors que la requérant avait été maintenue sous récépissé pendant 26 mois. Soit un délai déraisonnable selon la Cour administrative d'appel. Par ailleurs alors que dans le cas d’espèce la situation de la requérante n’avait pas sensiblement évolué sur un plan médical, il pouvait paraître surprenant que l’administration attende pour se prononcer la mise en œuvre d’une nouvelle procédure avec les risques que le temps joue en la défaveur du demandeur de titre de séjour.
La Cour administrative d'appel de Lyon dans cet arrêt, semble donc affirmer avec logique que l’administration ne choisit pas plus son médecin qu’elle ne choisit son juge.