L’éventuelle mesure d’éloignement à laquelle s’expose un ressortissant étranger dans le pays responsable de sa demande d’asile ne suffit pas à caractériser le risque de traitements inhumains et dégradants qu’il pourrait subir, par ricochet, si elle venait à se réaliser. Le transfert « Dublin » vers ledit pays est par conséquent possible.
« La mise en place d'un mode de gestion mutualisé des demandes d'asile […] n'a été rendue possible que par l'affirmation de la confiance réciproque des États membres dans leur gestion des demandes d'asile » (Marti (G.), « Le système “ Dublin ” à l'épreuve de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales », JCP-A 2011, n° 48, p. 2367). C’est bel et bien de la notion de confiance mutuelle européenne et de sa périlleuse conciliation avec la protection des demandeurs d’asile dont il est question dans le présent arrêt.
En l’occurrence, un ressortissant afghan entra sur le territoire européen en 2014 et déposa une demande d’asile en Autriche. En juillet 2020, sa demande fut rejetée et il fit l’objet d’une mesure d’éloignement. Il rejoignit alors la France où il tenta de nouveau de demander la protection internationale le 26 octobre 2020. Contraint par le délai posé par le règlement « Dublin III », et par les révélations du fichier Eurodac, le ressortissant se vit opposer une décision de transfert aux autorités autrichiennes, approuvée par elles le 5 novembre 2020, et une assignation à résidence. Après un rejet par le tribunal administratif lyonnais le 1er février 2021, il demanda à la cour administrative d’appel de Lyon d’annuler ledit jugement, les deux décisions du préfet et d’enjoindre à ce dernier d’enregistrer sa demande d’asile en France ou à défaut, de réexaminer sa situation.
C’est à la lumière d’une argumentation désormais classique en la matière que le requérant soutint ses demandes, estimant qu’il ne pouvait être réadmis en Autriche puisqu’il y faisait l’objet d’une mesure d’éloignement et qu’il avait été privé des garanties imposées lors de l’entretien individuel permettant d’identifier l’État responsable de la demande. Surtout, il mit en avant qu’il ne pouvait retourner en Autriche où, au regard des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et du possible éloignement en Afghanistan, il risquait de subir des traitements inhumains et dégradants, ce qui devait conduire la France à user de son pouvoir discrétionnaire afin d’apprécier cette demande d’asile dont elle n’était pas responsable. Partant, le juge d’appel écarta un à un les arguments et par la même le recours. Il considéra in fine, que le niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux présumé en Autriche ne saurait être contredit par la seule circonstance que le ressortissant était susceptible de faire l’objet d’une mesure d’éloignement vers cet État.
D’aspect traditionnel au regard de la jurisprudence locale, nationale et européenne, l’arrêt a le mérite de synthétiser une position prétorienne qui a été précisée dans la dernière décennie et qui continue d’être bercée d’ambigüités. Il apparaît comme le témoignage de la subtile et complexe conjugaison entre la nécessaire confiance entre États de l’Union européenne et la protection des droits fondamentaux des demandeurs d’asile qui s’y trouvent. Si l’arrêt est prolixe quant à l’application du présumé respect des droits fondamentaux dans l’Union (I), il est bien plus réservé quant à la possible méconnaissance de ces droits en dehors de celle-ci (II).
I. L’application du présumé respect des droits fondamentaux dans l’Union européenne
Conformément aux exigences dublinoises, la décision use de la présomption de protection des droits fondamentaux dans l’Union qu’elle refuse de renverser par le seul risque d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi l’illustration d’un système européen de confiance mutuelle (A) et d’un standard de renversement de la présomption exigeant (B)
A. La présomption de protection, fondement d’un système de confiance mutuelle
Le juge lyonnais estime que l’Autriche, pays membre de l’Union européenne, qui « a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs », est présumée assurer la protection du demandeur d’asile. Ce considérant n’est en réalité que la reprise d’une longue construction européenne fondée sur le respect, par l’ensemble des pays européens, d’un socle de valeurs communes. D’abord envisagé dans le protocole n° 24 au Traité sur l'Union européenne sur le droit d'asile pour les ressortissants de l'Union européenne au sein duquel il est précisé que « vu le niveau de protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans les États membres de l'Union européenne, ceux-ci sont considérés comme constituant des pays d'origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires d'asile », le juge européen a renforcé cette présomption de protection des droits fondamentaux du demandeur d’asile. C’est la Cour européenne des droits de l’Homme qui a amorcé le mouvement (CEDH, 21 janvier 2011, n° 30696/09, M. S. S. c/ Belgique et Grèce), avant d’être suivie par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 21 décembre 2011, C-411/10, N. S. et a.).
Le juge interne s’est à son tour aligné dans cette perspective puisque « dans un arrêt Cimade rendu en 2013, le Conseil d'État a estimé que les États membres de l'Union européenne sont présumés assurer une protection effective des personnes » (Brunessen (B.), « La systématique des présomptions », RFDA 2016, p. 331). Dès lors, dans l’affaire étudiée, rien n’est surprenant quant à l’usage de ce considérant désormais classique de présomption de « confiance mutuelle », qui renvoie à l’idée selon laquelle « les États membres de l'Union sont donc tenus de présumer que chacun d'eux respecte les droits fondamentaux, notamment ceux garantis par la charte des droits fondamentaux, la Conv. EDH et la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés » (Bréchot (F.-X.), « Transferts Dublin : non vers la Hongrie, oui sous réserve vers l’Italie », AJDA 2018, p. 2254). Cette confiance mutuelle revêt, à la lumière de la Cour de justice de l’Union européenne, « une importance fondamentale étant donné qu'[elle] permet la création et le maintien d'un espace sans frontières intérieures » (CJUE, avis n° 2/13 du 18 décembre 2014). Dès lors, la construction du régime de partage des responsabilités dans l’examen des demandes d’asile, aujourd’hui en vertu du règlement n° 604/2013 dit « Dublin III », se fonde expressément sur cette présomption, force motrice de la stabilité politique du système. C’est pourquoi, il est constant que le juge, dans des décisions comme la présente, rappelle cette confiance mutuelle, essence, pour le moins fragile, de la logique dublinoise (CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17 ; CE, 2ème et 7ème chambres, 28 mai 2021, n° 447956, Ministre de l’intérieur, au Lebon T ; CAA Paris, 6ème chambre, 14 mars 2019, n° 19PA00361 ; CAA Nantes, 6ème chambre, 20 juillet 2021, n° 20NT03034). Toutefois, si la présomption est celle de la protection et du respect des droits fondamentaux par les États-membres, celle-ci n’est pas irréfragable et fait l’objet d’hypothèses de renversement spécifiques et exigeantes.
B. L’insuffisance du risque d’éloignement, témoignage d’une présomption difficile à renverser
Concomitamment au renforcement de la présomption, les hypothèses de dérogation à celle-ci se sont multipliées. Ainsi, dans les arrêts qui ont reconnu la présomption, plusieurs moyens de la renverser sont apparus. Les deux arrêts rendus en 2011 par la CEDH et la CJUE viennent en ce sens fragiliser le système de gestion en commun des demandes d’asile « en exigeant des États membres de l'Union européenne qu'ils apprécient, in concreto , le respect des exigences conventionnelles par l'État responsable du traitement de la demande d'asile » (Marti (G.), « Le système “ Dublin ” à l'épreuve de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales », préc.). L’article 3.2 du règlement « Dublin III » reprend cette atténuation considérable à la confiance mutuelle en interdisant le transfert d’un demandeur d’asile lorsqu’« il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne [...] ». Élargissant la protection textuelle, la jurisprudence a par la suite admis que, même en l’absence de défaillances systémiques, la mesure de réadmission ne peut « être opérée que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants » (CEDH, 4 novembre 2014, n° 29217/12, Tarakhel c/ Suisse ; CJUE, 16 février 2017, C-578/16, Republika Slovenija). En définitive, et tel était l’enjeu dans l’arrêt étudié, la présomption évoquée peut être renversée dans deux cas, soit lorsqu’il y a des raisons sérieuses de croire qu’il existe des défaillances systémiques liées à l’asile dans l’État-membre responsable de la demande, soit en l’absence de celles-ci, lorsque « des circonstances particulières donnent des raisons sérieuses de penser que les conditions dans lesquelles le demandeur sera traité par les autorités de l'État membre responsable l'exposent à un risque réel et sérieux d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants » (Bréchot (F.-X.), « Transferts Dublin : non vers la Hongrie, oui sous réserve vers l’Italie », préc.). Il revient donc à l’administration d’examiner ces deux éventualités avant de décider d’une mesure de transfert.
S’il est vrai que « pour favoriser les zones de convergence, les différents juges en Europe ont bâti des solutions et mobilisé des instruments contentieux permettant de dépasser l'impasse théorique résultant des postures respectives de chaque ordre juridique » (Brunessen (B.), « La systématique des présomptions », préc.), le juge français applique une vision plutôt stricte de cette dérogation, ce qui est toutefois logique face à la prégnance du système européen de confiance mutuelle. Ainsi, et c’est le cas en l’espèce, il revient au requérant d’apporter la preuve du défaut de protection. Or, cette exigence probatoire n’est pas facile à satisfaire. Pourtant, cette rigidité prétorienne, à l’œuvre dans la décision commentée, se retrouve dans le raisonnement du Conseil d’État (CE, 2ème et 7ème chambres, 28 mai 2021, n° 447956, Ministre de l’intérieur, au Lebon T) selon lequel « la seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par l'État membre responsable du traitement de sa demande, l'étranger serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet État de ses obligations ». Illustration des « limites du rôle du juge administratif amené à statuer sur la situation des ressortissants afghans désireux […] de ne pas retourner à Kaboul dans le cadre d'une remise dite « Dublin » » (Maupin (E.), « Le désarroi du droit des étrangers et les hirondelles de Kaboul », préc.). Le juge lyonnais ne fait pas ici figure d’exception et le requérant ne fournissant pas la preuve de la mesure d’éloignement qu’il risque, ni celles de défaillances systémiques en Autriche, la cour administrative d’appel considère que la décision de transfert est légale. À cet égard, le jugement est dans une continuité absolue (CAA Nantes, 6ème chambre, 20 juillet 2021, n° 20NT03034 ; CAA Paris, 8ème chambre, 20 mai 2021, n° 21PA00147 ; CAA Bordeaux, 2ème chambre, 23 mars 2021, n° 20BX01077). Cette homogénéité jurisprudentielle traduit, outre ce standard exigeant de renversement de la présomption, d’une forme de prudence à l’évocation de la méconnaissance des droits fondamentaux dans le pays d’origine du demandeur, en l’occurrence en Afghanistan.
II. L’inapplication de la méconnaissance des droits fondamentaux hors Union européenne
Les silences du juge sont éloquents. Ils révèlent en l’occurrence une prudence prétorienne quant à l’admission de risques de traitements inhumains par ricochet (A) et une prudence administrative en ce qui concerne l’utilisation de la clause dite « de souveraineté » (B).
A. Une réserve certaine quant à l’évocation des risques de traitements inhumains par ricochet
Là où le juge administratif examine avec attention le risque de violation des droits fondamentaux au sein de l’Union européenne, il est moins attentif à l’égard de risques par ricochet, position illustrée par la présente décision et pour le moins contestable. En effet, le renvoi d’un demandeur d’asile vers la Grèce a pu notamment être considéré comme impossible du fait des défaillances dans le système grec (CE, ord., 20 mai 2010, n° 339478 et n° 339479, au Lebon T). La même solution a été retenue, plus récemment, à l’égard de renvois en Hongrie (CAA Nantes, 2ème chambre, 19 octobre 2016, n° 16NT0017 ; CAA Nantes, 4ème chambre, 21 septembre 2018, n° 17NT02328). Outre les défaillances dans le système étatique, c’est parfois l’état de santé du demandeur qui conduit à le retenir sur le territoire français, faute de quoi, il risquerait des traitements inhumains et dégradants (CE, ord., 11 octobre 2011, n° 353006, au Lebon T). Il apparaît ainsi que le juge administratif apprécie avec minutie les violations des droits fondamentaux sur le territoire de l’Union. En sens inverse, il est plutôt circonspect à l’égard des risques de traitements inhumains par ricochet hors Union, autrement dit l’appréciation de risques qui pourraient avoir lieu si une mesure d’expulsion, prise sur le territoire de l’Union, conduisait le demandeur à se trouver dans un État extérieur violant ses droits fondamentaux. Typiquement, dans la présente décision, le requérant invoque un risque en cas d’expulsion en Afghanistan, eu égard au « niveau élevé de violences existant en Afghanistan et des persécutions subies par l'ethnie hazara et les personnes d'obédience religieuse chiite à laquelle il affirme appartenir ». Le juge, sans preuve suffisante à cet égard, ignore cet argument. Là aussi, le cas n’est pas isolé. Ainsi, dans l’arrêt CAA Nantes, 4ème chambre, 17 janvier 2022, n° 21NT02789, le requérant invoquait les risques de mauvais traitements qu’il encourait en cas de retour en Érythrée. Le juge, faisant application de la jurisprudence précitée du 28 mai 2021, a rejeté le recours. Le raisonnement prétorien conduit à estimer en réalité que le requérant peut toujours faire valoir des éléments nouveaux relatifs à l’évolution de sa situation personnelle dans l’État-membre responsable et que c’est ce dernier qui doit lui-même évaluer les risques de traitements inhumains et dégradants dans le pays d’origine du demandeur.
Dès lors, c’est la confiance mutuelle qui de nouveau s’érige en obstacle à l’examen par le juge des risques de traitements inhumains et dégradants que pourrait subir le demandeur si une mesure d’éloignement venait à s’appliquer. Il revient à l’État responsable de la demande de ne pas adopter ou faire exécuter une telle mesure qui risquerait d’exposer le demandeur à ces traitements. À cet égard, le règlement « Dublin III » demeure un texte de répartition des demandes d’asile. Face à ce raisonnement, le problème probatoire ressurgit. En effet, en l’occurrence, le ressortissant afghan n’a pu produire la mesure d’éloignement, donc le risque par ricochet ne peut exister. À l’inverse, dans un arrêt CAA Lyon, 2ème chambre, 3 avril 2018, n° 17LY02178, qui a été annulé pour non-lieu à statuer devant le Conseil d’État (CE, 2ème et 7ème chambres, 27 mai 2019, n° 421276, au Lebon T), le requérant a produit sa mesure d’éloignement adoptée par les autorités finlandaises et exigeant de quitter le territoire dans un délai de trente jours pour se rendre en Afghanistan. Le juge a de facto considéré que le risque de traitements inhumains et dégradants par ricochet était avéré et a enjoint au préfet d’enregistrer la demande d’asile en France. Toutefois, l’exigence probatoire fait de ce jugement une exception, ce qui est critiquable sur deux points. Tout d’abord, le principe de non-refoulement posé par l’article 33 de la Convention de Genève de 1951 constitue un « principe cardinal du droit international des réfugiés » (Alland (D.) et Teitgen-Colly (C.), Traité du droit de l'asile, Paris, PUF, 2002, n° 159 p. 226). Ainsi, un État doit être certain qu’un demandeur ne risque pas l’éloignement vers un État qui mettrait en péril ses droits les plus fondamentaux. En l’occurrence, et c’est la position française, le juge fait prévaloir la confiance mutuelle et l’idée selon laquelle, l’État responsable vérifiera lui-même cette exigence. Ensuite, la Cour européenne des droits de l’homme admet dans bien des domaines la protection par ricochet, notamment en matière de traitements inhumains et dégradants (CEDH, 7 juillet 1989, n° 14038/88 ; CEDH, 31 mai 2018, n° 33234/12). Il semblerait ainsi logique que le juge interne réalise lui-même cette protection du demandeur d’asile à l’égard du risque qu’il encourt du fait d’une possible mesure d’éloignement. En définitive, ce silence du juge administratif démontre sa prudence à admettre une protection par ricochet mais il démontre surtout sa volonté de préserver la confiance mutuelle entre pays européens, tout comme le démontre la prudence de l’administration à user de la clause dite « de souveraineté ».
B. Une prudence de l’administration dans l’utilisation de la clause « de souveraineté »
Dans une vision stricte de l’asile, l’article 53-1 de la Constitution illustre d’ores-et-déjà l’existence d’un pouvoir discrétionnaire de l’administration en disposant que « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ». Dans ce cheminement, l’article 17 du règlement « Dublin III » précise qu’il existe une clause discrétionnaire, qualifiée de « clause de souveraineté » selon laquelle « chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas […] ». En l’espèce, tel était le souhait du requérant qui invoque explicitement l’article 17 du règlement. Néanmoins, s’il est loisible à l’État de refuser le transfert d’un demandeur d’asile dans l’État responsable pour les raisons évoquées précédemment, rien ne précise, en l’état du droit « dans quelle mesure exacte l'État est dans ce cas tenu d'actionner la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement » (Malverti (C.) et Beaufils (C.), « En passant par Dublin », AJDA 2019, p. 22). Si la CJUE en a précisé les contours, indiquant que celle-ci doit être actionnée au gré « de considérations politiques, humanitaires ou pratiques » (CJUE, 4 octobre 2018, C-56/17, Fahti), elle met un point d’honneur à en maintenir le caractère purement discrétionnaire offrant à l’autorité une marge d’appréciation étendue (CE, ord., 3 juin 2005, n° 281001, au Lebon T ; CE, ord., 12 juilllet 2019, n° 432320, inédit ; CJUE, 6 novembre 2012, C-245/11). Ainsi le préfet est-il extrêmement libre dans le maniement de cette clause mais privilégie, comme c’est le cas en l’espèce, de ne pas l’actionner. A cet égard, le juge administratif se limite aujourd’hui au contrôle de la seule erreur manifeste d’appréciation (CE, 2ème chambre, 4 juillet 2018, n° 409167, inédit ; CAA Lyon, 12 févier 2019, n° 18LY02505 ; CAA Nantes, 21 septembre 2018, n° 18NT01285, Préfète de la Loire-Atlantique).
Toutefois, le débat sur la clause de souveraineté ne semble pas éteint et si la confiance mutuelle prévaut aujourd’hui, l’article 17 « pourrait être regardé non comme permettant une simple mesure de faveur mais comme une véritable clause de sauvegarde devant être activée dès lors que des risques de traitements inhumains ou dégradants justifient de ne pas transférer l'intéressé ». En ce sens, « plus qu'un signal de défiance à l'égard du récit prétorien d'un espace de valeurs partagées qu'exprime le principe de confiance mutuelle, le plein contrôle du juge national sur l'utilisation de la clause de l'article 17 se justifierait alors en faisant de celle-ci un mécanisme essentiel d'articulation entre ce système et les exigences que la France s'est fixées en adhérant aux principes de la convention européenne des droits de l'homme » (Malverti (C.) et Beaufils (C.), « En passant par Dublin », préc.). Ainsi, la clause aurait effectivement vocation à s’activer dès que l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne seraient violés, ces interdictions ayant un caractère absolu (CJUE, 16 février 2017, C‑578/16), et le contrôle du juge administratif devrait dès lors être entier. Aussi, tout comme pour le silence du juge sur l’usage de la protection par ricochet, la conciliation entre confiance mutuelle et droits fondamentaux des demandeurs d’asile serait bouleversée, à l’aune cette fois-ci d’une protection plus grande de ces derniers mais d’un ébrèchement de l’importante confiance entre les États-membres, vectrice de stabilité du système. L’éternel débat entre deux principes conciliateurs reste entier et pour l’heure, la confiance mutuelle européenne continue d’outrepasser le risque de traitements inhumains ou dégradants.