Hors période de crise sanitaire, la Cour administrative d’appel de Lyon juge qu’au moment d’introduire la possibilité pour ses agents de recourir au télétravail, l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public local ne peut pas pointer dans sa délibération les postes concernés ou exclus sans empiéter sur les attributions de l’exécutif.
Madame X., fonctionnaire occupant un poste de responsable administrative et logistique du réseau de médiathèques d'une communauté de communes, a formulé deux demandes d’exercice de ses fonctions en télétravail pour raisons médicales. Suite au rejet de chacune de ses demandes par le président de la communauté de communes, et aussi après avoir refusé une proposition d’aménagement d’horaires dérogatoire faite par celui-ci, l’agent a sollicité par courrier le conseil communautaire afin qu’il adopte une délibération organisant le télétravail au sein de l’établissement public, conformément à l'article 7 du décret n° 2016-151 du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature. Toutefois, après avis du comité technique, la délibération qu’adopta alors le conseil communautaire écarte le recours au télétravail pour l’ensemble des services de l’EPCI. La fonctionnaire demanda donc l’annulation de cette délibération au tribunal administratif de Grenoble qui, par un jugement du 9 avril 2019, rejeta sa demande.
En conséquence, l’agent saisit la Cour administrative d’appel de Lyon qui annule ladite délibération et, à travers son raisonnement, offre une nouvelle perspective sur les conditions de recours au télétravail au sein des collectivités locales, hors période de crise sanitaire. Le premier intérêt de cet arrêt est ainsi d’exprimer, de manière discrète mais claire, que le télétravail ne constitue pas un droit de l’agent public territorial. Au-delà de cette affirmation, l’arrêt de la Cour permet également de faire un point sur la règlementation du télétravail dans les collectivités territoriales et leurs établissements publics (1) . Plus précisément, cet arrêt explique la répartition des compétences entre l’assemblée délibérante et l’exécutif d’une collectivité locale (2) .
Afin de débuter son raisonnement, la CAA rappelle la définition du télétravail, telle qu’elle figure dans le Code du travail, c’est-à-dire « toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication (…) » (article L. 1222-9) . Il s’agit d’ailleurs, à quelques mots près, de la définition que l’on retrouve à l’article 2 du décret n° 02016-151 du 11 février 2016 susvisé.
Cette définition permet alors à la CAA de préciser qu’en matière de fonction publique territoriale, le télétravail est autorisé par l’article 133 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, selon lequel : « Les fonctionnaires (…) peuvent exercer leurs fonctions dans le cadre du télétravail tel qu'il est défini au premier alinéa de l'article L. 1222-9 du code du travail. L'exercice des fonctions en télétravail est accordé à la demande du fonctionnaire et après accord du chef de service. Il peut y être mis fin à tout moment, sous réserve d'un délai de prévenance. (…) ».
Le juge administratif précise que cet article de loi est complété par des dispositions réglementaires tirées du décret n° 02016-151 du 11 février 2016 qui dispose qu’« une délibération de l'organe délibérant pour la fonction publique territoriale (…), fixe : 1° Les activités éligibles au télétravail ; (…) » (article 7) et que « Le chef de service, l'autorité territoriale ou l'autorité investie du pouvoir de nomination apprécie la compatibilité de la demande avec la nature des activités exercées, l'intérêt du service et, lorsque le télétravail est organisé au domicile de l'agent, la conformité des installations aux spécifications techniques précisées par l'employeur. (…) » (article 5) .
La combinaison de ces textes permet alors à la Cour d’affirmer que ces celles-ci « n'ont [donc] pas pour portée de poser un droit individuel au télétravail » à ces mêmes fonctionnaires. En effet, il s’agit là d’une simple « faculté » qui leur est ouverte par l’organe délibérant de la collectivité locale, corollaire du principe de « libre administration » des collectivités locales.
Le télétravail est donc bien un mode d’organisation du travail qui nécessite, hors situation exceptionnelle, une intervention préalable de l’assemblée délibérante pour en fixer le cadre général au sein de la collectivité locale.
Immédiatement après cette affirmation sur le télétravail, les dispositions réglementaires mobilisées par la CAA lui permettent d’expliquer la répartition des compétences entre les organes d’une collectivité locale souhaitant mettre en œuvre le télétravail en son sein.
Ainsi, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, l’assemblée délibérante peut alors organiser le télétravail « selon la nature et les conditions d’exercice des activités et missions » que la collectivité locale exerce. Cependant, cette même délibération ne peut pas prévoir « une introduction ou un refus du télétravail poste par poste au regard de l’intérêt du service, lequel au demeurant relève du pouvoir d'appréciation du chef de service qui l'exerce en statuant sur les demandes individuelles des agents ».
En revanche, le conseil communautaire de la communauté de communes en question ayant fondé son refus d'appliquer le télétravail sur une appréciation de l'intérêt du service, celui-ci a méconnu le champ d’examen qui lui est confié par le décret n° 02016-151 et « a ainsi excédé l'appréciation qu'il lui revenait de porter » en empiétant sur les pouvoirs propres du président.
En conclusion, si l’on se souvient que les collectivités territoriales et leurs établissements publics ont jusqu’au 31 décembre pour engager des négociations en vue de la conclusion d’un accord relatif au télétravail dans leurs services chaque organe délibérant qui ne l’a pas déjà fait devra donc être vigilant sur le contenu de sa délibération en instaurant le cadre général. Selon cette jurisprudence, chaque assemblée délibérante qui fera le choix d’ouvrir la possibilité à ses agents de télétravailler devra se limiter à fixer les activités et missions éligibles, ainsi que les critères qui permettront ensuite à l’exécutif d’apprécier, dans l’intérêt du service, chacune des demandes adressées par leurs agents.