Après avoir écarté la perspective de régularisation de l'implantation de l’ouvrage public, puis dressé un bilan négatif quant à son maintien, la cour administrative d’appel de Lyon a ordonné, dans un délai de quatre mois, la démolition d’un ralentisseur, implanté irrégulièrement sur une voie routière fréquentée, ceci malgré les travaux de rénovation entrepris par la collectivité pour tenter de le mettre en conformité. L’arrêt illustre tout à la fois, sur le fond, le resserrement des critères de l’intangibilité de l’ouvrage public et, sur le plan processuel, le renouvellement de l’office du juge en la matière, depuis son basculement dans le plein contentieux.
Depuis la décision Commune de Clans (CE, Sect., 29 janv. 2003, n° 0245239, Lebon p. 21 : AJDA 2003, p. 784, note P. Sablière ; CJEG 2003, p. 243, concl. Ch. Maugüé ; JCP G , 2003, n° 010118, note G. Noël ; JCP A , 2003, n° 01342, note J. Dufau ; LPA, 21 mai 2003, note J. Bougrab ; LPA 6 juin 2003, p. 20, note J. Charret et S. Deliancourt ; RFDA 2003, p. 477, concl. et note Ch. Lavialle ; GDDAB, Dalloz, 3e éd., 2018, n° 092, p. 877, note F. Melleray), nul n’ignore que l’adage séculaire selon lequel un « ouvrage public mal planté jamais ne se détruit » (dont on fait généralement remonter l’origine à l’arrêt CE, 7 juill. 1853, Robin de la Grimaudière, Lebon p. 693 ; S. 1854, II, p. 213) a été fortement infléchi, l’arrêt de Section du Conseil d’État ayant acté le passage du principe d’intangibilité de l’ouvrage public à celui de « tangibilité mesurée » (Ch. Lavialle, note sur CE sect., 29 janv. 2003, préc.) . Aux termes de ce dernier, et lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens, le juge discute depuis lors de l’éventuelle destruction de l’ouvrage public irrégulièrement implanté (que ce soit à raison de la méconnaissance de formalités procédurales antérieures, de règles urbanistiques ou, encore, à raison de l’empiètement de l’ouvrage sur une propriété privée) au regard de deux éléments. D’une part et en premier lieu, il lui appartient de vérifier si une mesure de régularisation est envisageable ; d’autre part et en second lieu (c’est à dire seulement dans l’hypothèse où le – premier – filet de sauvetage aurait échoué), la destruction de l’ouvrage en cause ne sera accordée que si les inconvénients présentés par son maintien – pour les intérêts publics et privés en cause – l’emportent sur les conséquences qu’entraîneraient sa démolition pour l’intérêt général (eu égard à son affectation – plus ou moins marquée et déterminante – à l’utilité publique ; au regard des coûts de destruction / reconstruction…), celle-ci ne devant pas in fine générer « une attente excessive à l’intérêt général ».
Désormais bien… implantées dans les esprits, ces lignes directrices étaient au cœur de l’arrêt commenté, par lequel la cour administrative d’appel de Lyon avait à juger de la demande d’un requérant accidenté suite à sa collision avec un ralentisseur routier (« dos d’âne ») installé sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux (Ain) . Ce dernier entendait demander, d’une part, la réparation du préjudice – carrossé – subi suite à cet accident (chiffré à quelques 2 000 €) et, d’autre part, la suppression du ralentisseur en cause selon lui non conforme aux normes en vigueur. Saisi, le tribunal administratif de Lyon devait lui faire droit (TA Lyon, 17 déc. 2019, n° 01807611), enjoignant alternativement à la commune soit de détruire le ralentisseur en cause, soit d’entreprendre des travaux modificatifs pour lui substituer un autre dispositif conforme à la réglementation. C’est de ce jugement que la cour administrative d’appel lyonnaise avait à connaître. Mettant en œuvre le vade-mecum précité issu de la décision Commune de Clans, elle vient retenir qu’aucune régularisation appropriée n’était susceptible de poindre puis que la démolition de l’ouvrage n’entraîne, en l’espèce, aucune atteinte excessive à l’intérêt général. De facture classique sur cet aspect, l’arrêt commenté vient conforter les lignes-forces de la jurisprudence antérieure, l’exportation (d’un ersatz) de la théorie du « bilan coûts – avantages » (initialement découverte dans le contentieux de l’utilité publique en matière d’expropriation : CE, Ass., 28 mai 1971, « Ville Nouvelle-Est », n° 078825, Lebon p. 409, concl. G. Braibant ; GAJA, Dalloz, 22e éd., 2019, n° 079, p. 544) en la matière développant globalement les mêmes bienfaits et limites (Pour quelques bilans décennales, v. P. Wachsmann, « Un bilan du bilan en matière d'expropriation. La jurisprudence Ville Nouvelle Est, trente ans après », in Mélanges J. Waline : Dalloz, 2002, p. 733 ; Dr. voirie, 2011, dossier, n° 0157, p. 168 et s. ; Ch. Otero, « Du contrôle de l'utilité publique en matière d'expropriation : 50 ans de l'arrêt Ville Nouvelle Est » : Dr. voirie, 2021, n° 0220, p. 108 ; D. Labetoulle, « La jurisprudence Ville Nouvelle Est, cinquante ans après », RFDA , 2021, p. 299 ; Ch. Roux : « Théorie du bilan : 50 ans à l’est d’Éden », Dr. adm., 2021, focus, alerte 97) qu’ailleurs (I) . L’arrêt n’en mérite pas moins une attention particulière, en venant illustrer des avancées décisives entérinées par la jurisprudence récente, tout en marquant les liaisons – contestables – de plus en plus intenses entre l’exercice du pouvoir d’injonction, la responsabilité de la puissance publique et la réparation des victimes d’un dommage de travaux publics (entendu ici lato sensu comme englobant les dommages liés à la présence d’un ouvrage public), l’office du « juge de la démolition de l’ouvrage public » ayant profondément évolué (II) .
I- L’application classique de la méthodologie issue de l’arrêt Commune de Clans
Cet aspect-là de la décision ne retiendra que furtivement l’attention à première vue, tant il est vrai que la solution, autant que le fil d’Ariane déroulé pour y parvenir, s’ancrent dans un classicisme certain. Elle n’en est pas moins révélatrice de tendances plus contemporaines tenant, notamment, à l’appréhension renouvelée de la condition – primaire et première – de régularisation de l’ouvrage public (irrégulier) . Découverte initialement par le Tribunal des conflits (6 mai 2002, Binet c/ EDF, n° 03287, Lebon p. 544 ; AJDA, 2002, p. 1229, note P. Sablière ; CJEG, 2002, p. 646, note B. Genevois ; JCP G , 2002, II, 10170, concl. J. Duplat ; RFDA , 2002, p. 1009), cette condition devait en effet être reprise un an plus tard par le Conseil d’État dans son arrêt de principe, offrant dès lors un premier sursis à la tangibilité de l’ouvrage public.
En pratique, celle-ci est recherchée différemment selon les hypothèses. Si l’irrégularité de l’ouvrage réside dans le fait qu’il empiète sur une propriété privée, seule la survenance d’un accord amiable avec les propriétaires lésés, l’établissement d’une servitude conventionnelle ou, encore et surtout, la mise en œuvre d’une procédure d’expropriation, semblent en mesure d’y satisfaire. Le juge se montrait cependant parfois bien lâche dans son appréciation, s’autorisant à valider la (perspective de) régularisation dès lors que celle-ci apparaissait au moins théoriquement possible (V. par ex. CAA Marseille, 15 oct. 2018, n° 016MA04387 ; CAA Nancy, 19 juill. 2018, n° 017NC01858 ; CAA Nancy, 8 mars 2018, n° 016NC01629) . Depuis l’important arrêt Hamdi (CE, 28 févr. 2020, M.X. c/ ERDF, n° 0425743, Lebon T. p. 936 : Dr. adm. 2020, comm. 30, note G. Eveillard ; JCP N 2020, act. 281, note J.-Fr. Giacuzzo ; RDI, 2020, p. 261, note P. Soler-Couteaux ; ibid. p. 296, note R. Hostiou ; RFDA , 2020, p. 1043, note N. Sudres), le Conseil d’État est venu mailler plus fermement ce premier filet de sauvetage : il juge que le maître d’ouvrage ne saurait s’abriter derrière la simple possibilité – hypothétique, et au fond toujours envisageable ou presque – de recourir à une expropriation future ; encore faudra-t-il que cette faculté soit suffisamment plausible, ce qui exigera d’une part, formellement, qu’un commencement d’exécution ait eu lieu et, sur le fond, que l’utilité publique de l’expropriation envisagée laisse apparaître un (vrai… mais sommaire) bilan positif ; la jurisprudence récente donne déjà des gages de cette approche plus restrictive (V. récemment, CAA Nancy, 16 mars 2021, n° 020NC00531, Mme C. c/ Sté ERDF ; CAA Douai, 2 mars 2021, n° 019DA01861, Synd. des copropriétaires de la résidence Carré Cézanne ; CAA Versailles, 12 nov. 2020, n° 017VE03741, M. E. c/ Sté ERDF ; CAA Marseille, 3 nov. 2020, n° 020MA01852, Mme. D. c/ Cne Montpezat) . Quoi qu’il en soit, une telle voie de contournement apparaissait impossible dans la présente hypothèse, le ralentisseur irrégulier étant établi sur la voie publique, laquelle fait partie du domaine public (CGPP, art. L. 2111-14 ; C. voir. Routière, art. L. 111-1), rendant l’expropriation par essence impossible : CE, 21 nov. 1884, Conseil de fabrique de l'église Saint Nicolas des Champs, Lebon p. 803) . Si l’irrégularité de l’ouvrage réside dans une autre cause, tout dépendra de la nature externe ou interne du vice : dans la première hypothèse (généralement, une méconnaissance procédurale), la délivrance d’un permis modificatif développera souvent ses bons offices (Par ex. v. CAA Lyon, 6 juill. 2006, SCI Plein sud, n° 003LY01742, Lebon T. p. 1030 ; AJDA, 2006, p. 2139 ; Constr.-Urb., 2007, comm. 22, note Rousseau ; Dr. adm. 2006, comm. 178) ; dans la seconde (illégalité « de fond » tenant à la méconnaissance de règles urbanistiques, environnementales ou sécuritaires), et quoiqu’elle ne soit pas totalement exclue en théorie (V. J. Petit et G. Eveillard, Ouvrage public – Régime, J.-Cl. Propriétés publiques, fasc. 9, 2019, § 94 et s.), la régularisation paraît beaucoup plus délicate, conduisant généralement le juge à l’écarter (V. par ex. CE, 20 mai 2011, Cté d’agglomération du lac du Bourget, n° 0325552, Lebon p. 248 ; AJDA, 2011, p. 1891, note G. Eveillard ; BJCL, 2011, p. 484, concl. M. Guyomar ; Dr. adm., 2011, comm. 80, note Ch. Roux ; JCP A , 2011, 2297, note F. Dunyach et M. Izembard) . Tel fut le cas en l’espèce où le ralentisseur installé, de type trapézoïdal, méconnaissait l’article 3 de l’annexe du décret 27 mai 1994 relatif aux caractéristiques et aux conditions de réalisation des ralentisseurs (D. n° 094-447, 27 mai 1994, JO, 4 juin 1994, n° 0128) . De ce dernier, il ressort en effet que ces dispositifs de sécurité – dont la taille maximale est également précisée – ne peuvent être installés sur des voies dont le trafic est supérieur à 3 000 véhicules en moyenne journalière annuelle ; or, dans cette affaire, il apparaissait d’abord que le ralentisseur excédait les mesures (hauteurs, longueurs…) autorisées par les textes ; en outre et surtout, il ressortait de l’expertise que la voie accueillant le ralentisseur litigieux excédait globalement le double de la moyenne tolérée. Partant, et conformément à l’appréciation des juges de première instance, la cour vient écarter la perspective de régularisation. Le tribunal administratif n’en avait pas moins (imprudemment ?) ouvert une alternative dans son injonction, estimant que la régularisation pouvait potentiellement (in abstracto ?) être recherchée par la transformation de l’ouvrage en un autre dispositif de sécurité (régulier) ; peut-être incitée en ce sens, la commune avait alors entrepris quelques travaux de manière à ce que le ralentisseur soit conforme aux seuils (de hauteur) prévus. La cour n’en a pas moins logiquement annihilé l’effort : si l’ouvrage répondait effectivement désormais aux mensurations en vigueur, il n’en restait pas moins irrégulier per se, lors même qu’il demeurait implanté sur une voie qui ne peut pas en accueillir à raison de la densité du trafic automobile.
L’ultime planche de salut pour la collectivité résidait alors dans la pesée des avantages et inconvénients tenant à la destruction éventuelle de l’ouvrage irrégulier. C’est ici sans ménagement – et aux termes d’une motivation (trop) succincte – que le juge d’appel va là encore confirmer le jugement de première instance, considérant que si l’ouvrage litigieux poursuit une finalité d’intérêt public (la sécurité routière), « cette circonstance n'est pas de nature à faire regarder sa démolition comme entraînant une atteinte excessive à l'intérêt général dès lors que ce ralentisseur ne respecte pas les règles d'implantation fixées par le décret du 27 mai 1994 et édictées en vue précisément d'assurer la sécurité des usagers de la voie publique ». En clair, l’ouvrage doit être détruit car il manque précisément à la finalité qu’il entendait poursuivre, faute de conformité à la réglementation en cause. Quoique l’on pourra trouver le lien de cause à effets, autant que la formule, un peu trop implacables pour être pleinement convaincants, la solution n’étonnera guère, sauf à regretter que l’attention portée à cet enjeu sociétal (la sécurité routière) vacille un peu. Juge de paix dans bon nombre de cas, l’intérêt financier de l’Administration conduit en effet fréquemment le juge à ordonner la démolition de l’ouvrage lorsque le coût de l’opération (de destruction mais aussi de reconstruction le cas échéant) est de faible ampleur (V. par ex., récemment CAA Nancy, 16 mars 2021, n° 020NC00531 ; CAA Douai, 2 mars 2021, n° 019DA01861 ; CAA Versailles, 12 nov. 2020, n° 017VE03741) ; la jurisprudence se montre beaucoup plus compréhensive dans le cas contraire, ceci rejoignant des constats déjà dressés dans le contentieux de l’utilité publique (où il est rare que le coût excessif de l’opération mène à la censure, sauf cas particuliers : CE, Sect., 28 mars 1997, Assoc. contre le projet autoroute transchablaisienne et a., n° 0170856, Lebon p. 121 ; AJDA, 1997, p. 545, note Ph. Chrestia ; RDP, 1997, p. 1433, note J. Waline ; RFDA , 1997, p. 739, concl. M. Denis-Linton) . Passé sous silence ici, l’on s’autorisera à penser que l’élément a également contribué à la solution, le coût lié à la destruction du ralentisseur (et l’éventuelle reconstruction d’un autre) n’apparaissant pas dirimant.
II- L’illustration du renouvellement de l’office du juge de la démolition de l’ouvrage public
Si le lecteur pourra – légitimement – penser à première vue que la légère surélévation d’un ralentisseur routier témoigne d’une hauteur de vue (juridiquement) toute relative, il ne faudrait pas en conclure au défaut de relief du présent arrêt : celui-ci donne à voir en réalité la plénitude du renouvellement de l’office du juge, lorsque ce dernier est saisi d’une demande tendant à la démolition d’un ouvrage public.
Il témoigne, en premier lieu, du passage de ce type de litiges dans le plein contentieux : depuis l’arrêt Pinault du 29 novembre 2019 (CE, 29 nov. 2019, n° 0410689, Lebon T. p. 906 ; AJDA 2020, p. 313 et BJDU 2020-2, p. 136, concl. G. Odinet ; AJDA, 2019, p. 2463, note E. Maupin ; Dr. adm., 2020, comm. 14, note G. Eveillard ; JCP A , 2020, n° 02086, note R. Reneau ; RDI, 2020, p. 183, note N. Foulquier), il est en effet estimé que l’ensemble du contentieux afférent en relève là où, autrefois, celui-ci demeurait écartelé entre le juge de l’excès de pouvoir (lorsqu’étaient contestés soit la légalité des actes autorisant l’installation de l’ouvrage, soit, comme en l’espèce, le refus du maître d’ouvrage de porter atteinte à son intégrité) et le juge de plein contentieux (lorsque le refus était assorti d’injonctions en vue de démolir l’ouvrage et/ou d’une demande de dommages et intérêts du fait du préjudice subi) . Désormais, s’il faudra toujours obtenir une décision préalable pour saisir le juge (D. n° 02016-1480, 2 nov. 2016, portant modification du code de justice administrative, JO, 4 nov. 2016, n° 0257), la demande de démolition de l’ouvrage devient l’objet du litige, l’accessoire supplantant le principal. L’évolution n’a rien de cosmétique. Elle offre d’abord une issue de secours au requérant distrait, si ce dernier avait oublié d’assortir sa contestation d’une demande d’injonction visant à la destruction de l’ouvrage. Elle offre, surtout, les coudées franches au juge du plein contentieux, dont l’office semble bien mieux se prêter au contentieux en cause, la méthodologie issue de la jurisprudence Commune de Clans s’accommodant plus favorablement (pour apprécier la condition de régularisation mais aussi la pesée des avantages et inconvénients liés à la destruction éventuelle de l’ouvrage) d’un juge se plaçant à la date à laquelle il statue.
En deuxième lieu, cette unification du contentieux a offert la possibilité de tresser un pont autant qu’un nouvel équilibre entre, d’une part, les prétentions liées à la destruction de l’ouvrage public irrégulier et, d’autre part, les prétentions indemnitaires liées au (x) dommage (s) généré (s) par la présence de cet ouvrage, l’ensemble relevant désormais du plein contentieux comme l’a entériné l’arrêt Syndicat des copropriétaires du Monte Carlo Hill (CE, Sect., 6 déc. 2019, n° 0417167, Lebon p. 445 : Dr adm. 2020, comm. 16, note G. Eveillard ; RFDA 2020, p. 121, concl. G. Pellissier ; Dr. voir. 2020, n° 0212, note Ch. Mondou ; Gaz. Pal. 4 févr. 2020, n° 0369, p. 25, note Th. Leleu ; RFDA , 2020, p. 333, étude J. Petit) . Tel était, rappelons-le, le cas en l’espèce, le requérant demandant au surplus réparation du préjudice subi suite à sa collision avec le ralentisseur. Cet équilibre est aujourd’hui tout entier soutenu par l’exercice du pouvoir d’injonction (V. P. Parinet-Hodimont, « Injonction et réparation », RFDA , 2020, p. 107 ; J. Petit, « La réparation en nature du préjudice dans le droit administratif de la responsabilité non contractuelle. À propos de Conseil d'État, section, 6 décembre 2019, Syndicat des copropriétaires du Monte-Carlo Hill », RFDA , 2020, p. 333. V. aussi, de façon prémonitoire, H. Belrhali, « Responsabilité administrative et protection des droits fondamentaux », AJDA, 2009, p. 1337) que le Conseil d’État fait reposer sur l’office « naturel » du juge de la réparation (CE, Sect., 6 déc. 2019, n° 0417167, préc) . Il en résulte, entre autres, que celui-ci peut désormais, alternativement – mais aussi, sans doute, cumulativement – accorder cette réparation « en nature » ou « en espèce » : elle se traduira dans le premier cas, classiquement, par le versement de dommages et intérêts ; dans le second, elle pourra résider dans la réalisation de mesures visant à mettre fin au préjudice (destruction des travaux et ouvrage réalisés ou, au contraire, injonction visant à réaliser de travaux supplémentaires pour faire cesser le préjudice…) . Manifestant le souci (juridictionnel) renforcé visant à assurer l’effectivité des droits et libertés mis en cause (l’idée étant de mettre fin au plus vite au préjudice), l’alternative n’en a pas moins été critiquée : si elle met fin au préjudice futur, il n’est nullement certain qu’elle vienne (effectivement ?) combler le celui antérieurement subi. De la lecture du présent arrêt, il ne faudrait certes nullement conclure au fait que la cour administrative d’appel de Lyon ait privilégié par principe la réparation « en nature », en enjoignant « seulement » la collectivité publique à démolir l’ouvrage litigieux ; ici, le requérant d’espèce n’avait tout simplement pas relevé appel dans les délais impartis du jugement attaqué, en tant que ce dernier rejetait ses conclusions à fin d’indemnisation (le lien de causalité n’étant pas établi : faute de preuve, il avait été, semble-t-il, présumé que l’accident – ce qui n’est pas improbable – était dû à la vitesse excessive du conducteur… La circonstance ne manque pas d’ironie compte tenu de la suppression demandée – et obtenue – du ralentisseur) . Partant, elle vient logiquement écarter ces conclusions indemnitaires. Malgré tout, et dans ce paradoxe, la solution laisse à voir combien un litige initialement cristallisé dans le cadre de la responsabilité semble se mouvoir désormais dans celui – c’est autre chose – de la réparation.
Utilisant son pouvoir d’injonction, la cour vient in fine prescrire les mêmes mesures que celles ordonnées précédemment par le tribunal administratif de Lyon, la collectivité devant soit détruire l’ouvrage, soit lui substituer un autre dispositif de sécurité conforme, le juge laissant donc aux pouvoirs locaux le choix des moyens. Le tout dans un nouveau délai de 4 mois sans astreinte. Autant dire une manifestation de plus que la théorie du bilan, qu’elle soit actionnée dans le cadre de l’excès de pouvoir ou du plein contentieux, continue d’être instrumentalisée et finalisée « avec tact et mesure » (G. Braibant, concl. sur CE, Ass., 28 mai 1971, préc.) comme l’appelait de ses vœux son premier promoteur.