Comportement gravement fautif justifiant une sanction disciplinaire

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Décision de justice

TA Clermont-Ferrand – N° 1900041 – communauté d'agglomération de Clermont-Ferrand – 15 octobre 2020 – C

Requête jointe N° 1900042

Juridiction : TA Clermont-Ferrand

Numéro de la décision : 1900041

Date de la décision : 15 octobre 2020

Code de publication : C

Index

Mots-clés

Agent contractuel, Sanction disciplinaire, Licenciement, Véhicule de service

Rubriques

Fonction publique

Résumé

L’utilisation, à des fins personnelles pendant ses congés, par un directeur de cabinet, d’un véhicule de service, équipé d’une plaque police, constitue une faute grave justifiant une sanction disciplinaire de licenciement pour ce motif.

49-04-01-04, Police générale, Circulation et stationnement.

36-10-06, Fonction publique, Cessation de fonctions, Licenciement, Agent contractuel, Sanction disciplinaire, Utilisation du véhicule de service, Article 25 de la loi du 13 juillet 1983, Article 36 du décret n° 88-145 du 15 février 1988.

54-06-055, Procédure, Jugements, Amende pour recours abusif.

Conclusions du rapporteur public

Philippe Chacot

Rapporteur public au tribunal administratif de Clermont-Ferrand

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DOI : 10.35562/alyoda.8330

Les deux affaires qui viennent d’être appelées concernent les sanctions de licenciement disciplinaire prononcées par le président de la communauté d’agglomération de Montluçon et le maire de Montluçon à l’encontre de leur directeur de cabinet commun : M.H., à la suite de faits commis par ce dernier en août 2018 à Arcachon et dont la presse s’était fait très largement écho à l’époque. Nous rappelons que nous sommes alors dans le contexte de l’éclatement de l’affaire B., ce chargé de mission de l’Elysée soupçonné (entre autres) d’usurpation de la fonction de policier.

De quoi s’agit-il ? M.H. a été recruté par la commune de Montluçon à compter du 17 mars 2001 en qualité de directeur du cabinet du maire. Puis à partir du 1er août 2016, il devient également directeur de cabinet du président de la communauté d’agglomération de Montluçon.

Le lundi 6 août 2018, M.H. était en déplacement professionnel à Bordeaux avec un adjoint au maire, au volant d’une voiture de service. L’objet du déplacement était de rencontrer des personnalités susceptibles d’animer le marché de Noël 2018 de Montluçon.

Le mardi 7 août 2018, alors que M.H. était en congés, le véhicule de service a été contrôlé par la police sur le parking de la dune du Pilat, en stationnement illégal, sur un emplacement réservé aux autocars, avec une plaque « police » apparente sur le pare-soleil et des feux de pénétration bleus sur le tableau de bord (c’est à dire une sorte de gyrophare)

Ce contrôle de police a eu un grand retentissement dans les médias à la fois locaux (La Montagne par exemple) et nationaux (Le canard enchaîné entre autres), compte tenu du contexte de l’époque.

Suite à la révélation de cette affaire, les deux élus ont décidé de suspendre sans traitement M.H. le 16 août 2018 et ont décidé d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre de leur directeur de cabinet.
Après l’avoir reçu en entretien le 28 septembre 2018, le maire de Montluçon et le président de la communauté d’agglomération de Montluçon ont décidé de licencier M.H. ,pour faute grave, à compter du 19 novembre 2018, sans indemnité de préavis, ni indemnité compensatrice de congés payés, ni indemnité de licenciement, par deux lettres du 7 novembre 2018, rédigées dans les mêmes termes.

Par ces deux requêtes, M.H. vous demande d’annuler ces deux décisions prononçant son licenciement pour faute.

Au soutien de ces recours il invoque un vice de procédure et trois moyens de légalité interne, relatifs à l’erreur de fait, l’erreur de droit et la disproportion de la sanction.

Nous précisons enfin, pour la complète information du tribunal, que M. H… vous indique dans son dernier mémoire qu’il a été reconnu coupable le 13 septembre 2019 par le tribunal correctionnel de Bordeaux d’utilisation irrégulière de la plaque « police », sans peine ni amende. (le jugement n’est cependant pas produit).

Dès lors que les deux requêtes concernent les mêmes sanctions, fondées sur des faits identiques et que l’argumentation juridique développée dans les deux affaires est strictement identique elle aussi, nous prononçons des conclusions communes.

Nous allons vous proposer de rejeter ces deux requêtes ce qui nous conduit à analyser les quatre moyens invoqués.

Vice de procédure

Au titre de la légalité externe, M.H. soutient que la décision de licenciement est entachée d’un vice de procédure. Il fait valoir que les décisions attaquées n’ont pas été précédées d’un entretien préalable, car selon lui, les courriers du 17 septembre 2018 le convoquant ne l’informaient pas que l’entretien auquel il était convoqué constituait le préalable à un licenciement.

Très clairement il s’agit là d’un moyen destiné seulement à ouvrir la cause juridique de la légalité externe, mais qui ne vous retiendra guère car il ne résiste pas à l’examen des pièces.

Les dispositions applicables en matière de sanctions disciplinaires des agents contractuels sont celles de l’article 36-1 du décret du 15 février 1988 qui prévoient : « Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une durée déterminée et d'un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée ; / 4° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement. »
C’est cette sanction, la plus lourde, qui a été choisie par les deux élus de Montluçon.

La procédure applicable est régie par l’article 42 du même décret : « Le licenciement ne peut intervenir qu’à l’issue d’un entretien préalable. La convocation à l’entretien préalable est effectuée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation. (…) ».

En l’espèce, il ressort des deux lettres du 17 septembre 2018 convoquant M. H… à un entretien préalable, qu’elles font référence aux articles 36 à 38 du décret du 15 février 1988, et donc y compris à l’article 36-1 mentionnant la sanction de licenciement. Par ailleurs, ces deux lettres indiquent : « Je vous informe que j’envisage d’engager une procédure disciplinaire, et de prendre à votre encontre une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. Ce projet de sanction, prévu par l’article 36-1 du décret n° 88-145 du 15 février 1988 modifié, est motivé par les faits tels qu’ils sont relatés et résumés comme suit : (…) »

L’unique moyen de légalité externe tiré du vice de procédure, qui n’était guère sérieux, sera donc écarté car manquant en fait.

Erreur de faits

M.H. soutient que les auteurs des décisions litigieuses de licenciement du 7 novembre 2018 auraient commis des erreurs de fait, dès lors que les faits qui lui sont reprochés seraient matériellement inexacts.

Les faits reprochés sont de deux sortes : d’une part, l’utilisation d’un véhicule de service, en dehors du service ; d’autre part, l’utilisation d’une plaque « Police » et d’une sorte de gyrophare bleu pour stationner illégalement sur les places réservées aux autocars.

Au cours des échanges de mémoires entre les parties celles-ci se sont à notre sens égarées sur certains points comme le « feu bleu » utilisé est-il ou non un gyrophare ? Ces débats sur le « sexe des anges » sont hors sujet et sans intérêt. Nous ne nous égarerons donc pas et nous irons à l’essentiel tout en reprenant à notre compte les appréciations des défendeurs qui font remarquer que le requérant « s’empêtre » dans des déclarations contradictoires sur la matérialité des faits qui lui sont reprochés.

Le requérant aurait pu en effet reconnaître les faits et insister sur la proportionnalité de la sanction, mais il persiste devant vous à contester la réalité des faits, alors que cette matérialité est implacable et incontestable.

Il est en effet établi qu’une plaque « police » avait été placée de façon visible alors que le véhicule de service était garé illégalement sur des emplacements réservés aux autocars. Il est constant également qu’un feu bleu, qu’il s’agisse « gyrophare » ou de « feux de pénétration », habituellement réservés aux services d’urgence et aux forces de l’ordre, était également placé de façon visible. Aucun agent communal, y compris un directeur de cabinet, n’est habilité à utiliser des matériels dévolus aux seules forces de police ou d’urgence. Ces faits ont été reconnus par le tribunal correctionnel de Bordeaux.

Par ailleurs, l’utilisation du véhicule de service, en dehors du service à des fins personnelles, est également établie. Si, effectivement M.H. était en déplacement professionnel à Bordeaux le lundi 6 août 2018, en revanche, le lendemain, le mardi 7 août 2018, il était en congés et se trouvait sur le site touristique de la dune du Pilat, en compagnie de sa famille et d’un élu.
Il n’était donc plus en service à cette date. Là encore les débats sur l’existence ou non d’un ordre de mission sont inutiles, dès lors qu’il est avéré qu’à partir du mardi 7 août 2018 M.H. était en vacances avec sa famille.

Il ressort également des pièces du dossier, et notamment de la délibération en date du 25 septembre 2014 du conseil municipal de Montluçon, qu’il était bénéficiaire d’un véhicule de service à « usage exclusivement pour faire face aux nécessités des services », et non d’un véhicule de fonction susceptible d’être utilisé à titre privé, un tel véhicule étant exclusivement réservé au directeur général des services de la ville de Montluçon. Vous n’aurez pas à entrer non plus sur le débat du remisage à domicile du véhicule de service, car rien dans le dossier ne permet de démontrer que le site de la Dune du Pilat constituerait le domicile du requérant.

Les deux séries de faits reprochés à M.H. sont donc parfaitement établies et sont bien évidemment fautives, puisqu’elles relèvent d’un manquement à l’obligation de probité, telle qu’elle résulte de l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 : « Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. »

Même s’il est vrai que le code de la fonction publique est rarement placé comme livre de chevet, nous en recommandons chaudement la lecture au requérant.

Le moyen de l’erreur de fait sera écarté

Sanction disproportionnée

Nous en venons maintenant au troisième moyen invoqué, qui est le plus sérieux et intéressant juridiquement, de la disproportion de la sanction. Le requérant soutient que le maire et le président de la communauté d’agglomération ont commis une erreur d’appréciation en lui infligeant la sanction la plus lourde des sanctions prévues par le décret du 15 février 1988.

Vous savez que depuis 2013 et l’arrêt CE du 13 novembre 2013 n° 347704, vous exercez non plus un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation, mais un contrôle entier de l’erreur d’appréciation. Cet arrêt, dans son considérant de principe, définit l’office du juge qui doit « rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. »

Au soutien de ce moyen, le requérant invoque plusieurs arguments que vous allez devoir analyser.
Il fait valoir que les faits qui lui sont reprochés sont isolés et il insiste sur ses compétences et qualités professionnelles jugées « avérées et reconnues ».

Sur la gravité de la faute (et l’absence de réitérations) 

Pour prendre les décisions de licenciement, les deux élus ont pris en compte trois éléments : le manquement au devoir de probité ; la trahison du lien de confiance établi avec sa hiérarchie ; et l’atteinte à l’image de la ville de Montluçon.

Si le requérant fait valoir que les faits reprochés sont isolés et qu’il tente de minimiser leur portée, il n’en reste pas moins que l’autorité hiérarchique, sous le contrôle du juge, doit également apprécier la gravité de la faute commise, même si elle unique. Pour dire les choses autrement, la réitération de plusieurs fautes dans le temps peut conduire à considérer comme proportionnée une sanction lourde, mais une seule faute, dès lors qu’elle est grave peut, elle aussi, conduire à une sanction lourde, voire à la plus lourde. Par ailleurs, pour analyser la gravité de la faute, l’administration, doit également prendre en compte les fonctions exercées par l’agent et les répercussions éventuelles de cette faute sur l’image de l’administration.

Exemple de fautes réitérées justifiant un licenciement : CAA Bordeaux 21 décembre 2017 n° 15BX02999 (exercice d’une activité privée sans autorisation de cumul, malgré les rappels à l’ordre de sa hiérarchie à ce sujet ; plus des refus d’obéissances ; la cour retient un comportement fautif persistant justifiant la sanction de licenciement)

Exemple de faute isolée justifiant une sanction lourde : CAA Marseille, 17 avril 2007, n°04MA01596 (l’attitude agressive et conflictuelle de l’agent et accusations graves à l’encontre du maire justifiant la révocation, mais avant l’arrêt de 2013, dans le cadre de l’erreur manifeste d’appréciation).

Plus contemporain : CAA Marseille, 17 juillet 2018, OPHLM Pays d’Aix Habitat, 16MA02710 (licenciement pour faute grave du directeur général de l’Office, en raison d’un manquement au devoir de probité)

CE, 19 février 1992, n° 121565 (révocation d’un professeur de conservatoire municipal qui a refusé de participer à un concert, ce qui constitue une faute suffisamment grave pour que le licenciement ne soit pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, dès lors que la réputation du conservatoire a été mise à mal.)

Nous estimons que le manquement à l’obligation de probité commis par le directeur de Cabinet constitue en l’espèce une faute grave. L’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. »

Tout d’abord, l’utilisation par le directeur de cabinet d’un véhicule de service, à des fins purement personnelles, alors qu’il est en vacances, constitue une faute et un manquement évident au devoir de probité. La faute est d’autant plus grave qu’elle est commise par un agent haut placé dans la hiérarchie de la collectivité et qui est également soumis, de notre point de vue, au moins du point de vue déontologique, à un devoir d’exemplarité. Un haut fonctionnaire est là pour servir et non « se servir » ! M.H. semble l’avoir oublié. Cette première faute est aggravée par les circonstances et le fait que M.H. a stationné le véhicule illégalement sur les emplacements des cars du parking de la Dune du Pilat en ayant pris soin de mettre en évidence une plaque « police » ainsi que des feux bleus habituellement réservés aux forces de l’ordre ou aux services d’urgence.

Le but de la manœuvre était sans doute de pouvoir ainsi user d’un passe-droit. Mauvaise inspiration, car cela a, au contraire, attitré l’attention des services de police. « Pour vivre heureux vivons cachés » dit le proverbe.

La circonstance que le tribunal correctionnel de Bordeaux n’ait pas condamné M.H., ce qui mériterait d’être vérifié, est sans incidence sur la gravité de la faute, puisque le requérant vous indique lui-même qu’il a été reconnu coupable d’utilisation irrégulière de la plaque police.

Enfin, cette faute grave a eu un retentissement médiatique important qui a nécessairement porté atteinte à l’image de la ville de Montluçon et de la communauté d’agglomération de Montluçon.

La circonstance que M. H. donnait jusque-là entière satisfaction et était bien noté est sans incidence sur la gravité des faits et leur répercussion. De même sont sans incidence aucune, au regard de la gravité de la faute, les décorations et les formations suivies dans des instituts prestigieux.

Dès lors, les deux élus pouvaient, sans commettre d’erreur d’appréciation, et eu égard aux fonctions occupées par l’agent, à la gravité de la faute et de ses répercussions sur l’image des collectivités sanctionner M. H… par un licenciement disciplinaire pour faute. Le moyen de la disproportion de la sanction sera écarté.

Détournement procédure

M. H. soutient enfin, que les décisions litigieuses procèderaient d’un détournement de procédure, dès lors qu’elles se fondent sur une notion de confiance qui aurait pu permettre la mise en œuvre de la procédure de licenciement spécifique aux collaborateurs de cabinet pour « perte de confiance » prévue par l’article 110 de la loi du 26 janvier 1984. Le licenciement disciplinaire aurait donc été utilisé, selon lui, pour le priver du préavis et des indemnités réglementaires.

Comme nous l’avons indiqué, le maire de Montluçon et le président de la communauté d’agglomération, pour justifier leur décision de licenciement, ont pris comme motifs trois éléments : le manquement au devoir de probité, l’atteinte à l’image des collectivités et la trahison du lien de confiance établi avec sa hiérarchie. Nous venons de vous proposer de juger que les deux premiers motifs justifiaient, à eux seuls, le licenciement contesté.

Les dispositions invoquées par le requérant, qui prévoient effectivement le licenciement pour perte de confiance, sont celles de l’article 110 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 : « L'autorité territoriale peut, pour former son cabinet, librement recruter un ou plusieurs collaborateurs et mettre librement fin à leurs fonctions. // »

Toutefois, ces dispositions ouvrent une possibilité (l’autorité peut) d’un licenciement pour perte de confiance et cette possibilité n’est pas exclusive de celle du licenciement disciplinaire pour faute.

Nous ne sommes pas dans l’hypothèse du licenciement pour perte de confiance. En effet dans cette affaire, et comme le font valoir les défendeurs, la trahison du lien de confiance est constitutif d’une faute.
Voir par exemple : CAA Bordeaux, 19 février 2008, n° 06BX00038. Dans cet arrêt la cour juge que « qu’il est reproché à M. Renard de « s’être rendu au Brésil à des fins personnelles et non, dans le cadre de ses fonctions ou missions imparties au chef de détachement de Saint-Georges et chef de la police militaire » et que la sanction a été prononcée au motif que l’intéressé avait « trompé ou tenté de tromper la confiance de son chef ».

Mais en tout état de cause, le licenciement apparait pleinement justifié par la faute commise par M. H. le 7 août 2018 et le moyen du détournement de procédure, qui n’est pas établi, sera écarté.

En conséquence, tous les moyens étant écartés, les conclusions tendant à l’annulation seront rejetées.

Sur les frais liés au litige

Compte tenu de la solution de rejet des deux requêtes, les conclusions du requérant au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative seront rejetées. Il sera en revanche condamné à indemniser les deux collectivités qui ont eu recours à un avocat.

Par ces motifs, nous concluons au rejet des deux requêtes et à la condamnation de M. H. à verser la commune de Montluçon et à la communauté d’agglomération de Montluçon une somme de 1.000 euros chacune, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Le juge administratif et les leçons de morale

Xavier Mignot

Diplômé de l’Université Lyon 3 en Droit et en Lettres classiques

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DOI : 10.35562/alyoda.6637

Tout en validant le licenciement disciplinaire qui lui était déféré, le jugement déborde du cadre strictement juridique pour s’avancer sur le terrain périlleux de la morale.

Ce jugement est aussi surprenant que les faits dont le tribunal administratif eut à connaître.

Le requérant, qui cumulait les fonctions de directeur de cabinet du maire de Montluçon et de directeur de cabinet du président de la communauté de communes, avait stationné irrégulièrement, près de la dune du Pilat, pendant ses congés, un véhicule de service de la municipalité, dans lequel il avait laissé apparaître de manière ostensible une plaque « police » et des « feux bleus » caractéristiques des forces de l’ordre.

La presse locale et nationale rapportent immédiatement l’affaire. L’intéressé, contractuel, est suspendu, puis licencié sans indemnité sur le fondement de l’article 36-1 du décret n° 88-145 du 15 février 1988 pris pour application de l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984. Parallèlement, il est poursuivi et condamné au pénal pour usurpation de signes réservés à l’autorité publique. Toutefois, il conteste son licenciement devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand. Le tribunal rejette sa requête par cette décision du 15 octobre 2020, qui n’est pas exempte de critiques.

I.- Sur le plan juridique il y a peu de chose à dire des faits. Le manquement à la probité est manifeste et assurément grave ; de surcroît la réputation de la commune en a pâti : on peut donc approuver le tribunal d’avoir validé, dans son contrôle normal de proportionnalité (C.E., Ass., 13 nov. 2013, n° 347704, Lebon p. 279), la sanction la plus élevée dans l’échelle des peines disciplinaires.

Reste que l’intéressé alléguait en sa faveur ses bons états de service (et son grade dans l’Ordre national du mérite). Le TA balaye l’argument : « ces éléments », juge-t-il, « ne sauraient permettre à eux seuls d’atténuer la gravité des faits, au contraire. » L’exactitude matérielle des allégations n’est même pas examinée (il « aurait » donné satisfaction dans son travail ; il « serait » titulaire du grade d’officier). Ce n’est pas que ces élements soient insuffisants en l’espèce pour racheter l’âme du requérant ; ce n’est pas qu’ils ne le permettent point dans les circonstances de la cause ; c’est qu’ils ne « sauraient [le] permettre » : c’est-à-dire que dans l’esprit du tribunal – qui prend à rebours l’argument du requérant pour le retourner contre lui –, ils n’étaient pas de nature à le sauver ; qu’« au contraire », dit-il, ils ne pouvaient qu’alourdir un peu plus les griefs formulés contre l’intéressé. C’est un jugement analytique a priori, de pur droit.

Il est permis de penser qu’en vérité l’argument aurait dû être examiné au fond. Certes, les distinctions honorifiques comportent des devoirs et aggravent la portée des fautes commises. Mais rien n’est plus classique que d’alléguer ses états de service. Le juge administratif entend cette argumentation, qui pèse toujours en la faveur de l’intéressé et certainement pas en sa défaveur, contrairement à ce que cette décision suggère. Et il lui arrive, quelquefois, de casser une éviction disciplinaire disproportionnée après avoir opéré la balance entre la faute et l’« excellente manière de servir » de l’agent fautif (C.E., 12 janv. 2011, n° 338461, Lebon p. 3) . Cette balance, le TA ne l’a pas effectuée ; ce faisant, il nous semble qu’il a commis une erreur de droit.

II.- Mais c’est sur un aspect plus accessoire que le jugement innove. En effet le tribunal, après avoir écarté l’ensemble des moyens soulevés, conclut au rejet de la requête, « sans qu’il soit nécessaire de lui infliger une amende pour recours abusif mais dont l’existence doit toutefois être rappelé[e] au requérant. »

Il est permis de trouver singulière cette manière dont le juge soulève de lui-même – car ni l’administration ni le rapporteur public ne lui en avaient soufflé l’idée – la question de l’amende pour recours abusif, non pas pour infliger une telle amende, comme on s’y fût attendu, mais pour l’écarter immédiatement, tout en croyant devoir « rappeler » au requérant que cette amende « existe. »

Quel est le sens de cet obiter inattendu ? Après tout le tribunal était libre de ne pas prononcer l’amende même s’il estimait la requête abusive : le règlement (art. R.741-12 du Code de justice administrative : « le juge peut infliger ») se borne à lui en offrir la faculté. On aurait ici affaire à une espèce de tolérance administrative dans sa version juridictionnelle (v., récemment, F. Grabias, La tolérance administrative, préf. B. Plessix, Dalloz, 2018 ; ead., (Dés) ordre et tolérance, AJDA 2020.2069). Il demeure que le rôle du juge est d’appliquer le droit ; ses motifs ne peuvent être que le substrat de ses arrêts. Rien ne signale mieux le dépassement de son office que cette motivation en suspens dans le jugement, totalement déconnectée du dispositif.

Mais en vérité il est douteux que la requête fût réellement abusive. Le licenciement disciplinaire est une mesure trop grave pour ne pas trouver normal qu’on tente de la faire annuler. D’ailleurs la cause n’était pas si mauvaise. Le requérant avait su donner quelques sueurs froides à l’administration, qui outre la faute avait eu l’imprudence d’invoquer la perte de confiance, et plaidait la substitution de motifs pour échapper au couperet du détournement de procédure.

C’est ce qui nous fait privilégier une seconde hypothèse herméneutique. Au point de vue du droit, la requête n’était point abusive ; mais elle l’était au point de vue de la morale. Non omne quod licet honestum est, dit Paul : tout ce qui est permis n’est pas honnête. Sous l’oripeau du droit le tribunal a voulu marquer sa réprobation morale. Le procédé, mutatis mutandis, n’est pas absolument sans précédent. Lorsqu’il est saisi de conclusions à fin de suppression des discours injurieux ou diffamatoires, le juge administratif se plaît quelquefois à rejeter la demande, tout en stigmatisant expressément la virulence « regrettable » des écritures litigieuses (p. ex., récemment, C.E., 6 nov. 2019, n° 423084, inédit, § 9) . Ici le tribunal va plus loin, car il se saisit d’office. Seulement voilà : il n’est point de lois ni de règlements qui donnent aux juridictions le pouvoir de donner aux parties des leçons de morale indépendamment de l’application du droit. Mais comment pourrait-on reprocher aux tribunaux leurs sermons pontifiants ? Ils ne font que récupérer un besoin de morale persistant que ne satisfont plus les structures traditionnelles de la société : la famille, l’école, voire la religion ; autant d’institutions en perdition. À cet égard, le jugement rapporté révèle une crise profonde qui dépasse le seul domaine du droit.

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