La Cour administrative d’appel de Lyon a validé la création d'une commune nouvelle sous la dénomination « Les Deux Alpes ». Cet arrêt, classique sur le fond, rappelant les principes fondamentaux encadrant la création d'une commune nouvelle, permet aux magistrats de préciser les règles applicables s’agissant du choix du nom d'une commune nouvelle, et notamment la nécessité de respecter le droit des marques.
Alors qu’au 1er janvier 2019 la France comptait 794 communes nouvelles regroupant 2 500 communes, l’étude des projets de fusion ayant eu lieu sur le territoire démontre que le choix du nom de la future commune est fréquemment source de crispation lors de la mise en œuvre concrète du projet de fusion. Entre volonté de conserver l’identité des communes fusionnées, difficultés pour trouver un nom générique et contestations juridictionnelles, le choix du nom de la commune nouvelle s’avère être un véritable frein à la concrétisation des projets. C’est ce qu’illustre l’arrêt d’espèce, rendu le 18 novembre 2019 par la 3e chambre de la Cour administrative d’appel de Lyon.
Par délibérations conjointes du 23 juin 2016, les communes de Venosc (38143) et Mont-de-Lans (38860) ont sollicité du Préfet de l’Isère la création d’une commune nouvelle sur le fondement de l’article L. 2113-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) . Suite à une nouvelle délibération de la commune de Mont-de-Lans le 27 septembre 2016 (délibération destinée à préciser certains points du projet de fusion), le Préfet de l’Isère a acté, par arrêté du 28 septembre 2016, la création de la commune nouvelle. Cette commune, créée sous la dénomination « Les Deux Alpes » devait se substituer aux communes de Mont-de-Lans et Venosc à compter du 1er janvier 2017.
Cependant, suite à l’adoption de l’arrêté préfectoral, l’association « Avenir Mont-de-Lans », opposante au projet de fusion, a attaqué, devant le tribunal administratif de Grenoble l’arrêté du 28 septembre 2016 actant la création de la commune nouvelle.
Suite au rejet de sa requête par un jugement du 22 juin 2017, l’association a interjeté appel devant la C.A.A. de Lyon. Elle soutient que :
d’une part, les délibérations des conseils municipaux des communes de Venosc et Mont-de-Lans méconnaîtraient les règles de convocation et d’information des conseillers municipaux ;d’autre part, l’absence de délibérations concordantes quant à l’autorité chargée d’assurer la gestion provisoire de la commune nouvelle jusqu’à l’élection de son exécutif constituerait un vice entachant la légalité de la procédure de création ;enfin, le choix du nom de la commune serait illégal car méconnaissant les dispositions du CGCT et du Code de la propriété intellectuelle.
d’une part, les délibérations des conseils municipaux des communes de Venosc et Mont-de-Lans méconnaîtraient les règles de convocation et d’information des conseillers municipaux ;d’autre part, l’absence de délibérations concordantes quant à l’autorité chargée d’assurer la gestion provisoire de la commune nouvelle jusqu’à l’élection de son exécutif constituerait un vice entachant la légalité de la procédure de création ;enfin, le choix du nom de la commune serait illégal car méconnaissant les dispositions du CGCT et du Code de la propriété intellectuelle.
Par sa décision du 18 novembre 2019, la Cour de Lyon, confirmant l’interprétation du tribunal administratif de Grenoble, a rejeté la requête de l’association appelante et confirmé la régularité de la procédure de création de la commune nouvelle.
Outre le fait qu’aucune illégalité de procédure ne peut être relevée dans le processus de création de la commune nouvelle (1), le choix du nom de la commune s’avère, lui aussi, régulier. Cette décision, classique sur le fond, permet toutefois aux magistrats de la C.A.A. de Lyon de préciser les règles applicables en matière de choix du nom d’une commune nouvelle (2).
1. La création de la commune nouvelle des Deux Alpes : une procédure régulière au regard du droit des collectivités
En vertu de l’article L. 2113-2 du CGCT, la création d’une commune nouvelle nécessite que les conseillers municipaux délibèrent sur les conditions du regroupement de leurs communes. Dans le cas d’espèce, pour remettre en cause la légalité de l’arrêté préfectoral actant la création de la commune des Deux Alpes, la requérante excipait de l’illégalité des délibérations du 23 juin 2016 et 27 septembre 2017 par lesquelles le conseil municipal de Mont-de-Lans s’était prononcé en faveur de la création d’une commune nouvelle. Elle soutenait en effet que les conseillers, dont la convocation était irrégulière, n’auraient pas été suffisamment informés.
Par cette décision, et le rejet de l’ensemble des arguments de procédure soulevés par l’association, les magistrats rappellent les conditions dans lesquelles les conseillers municipaux d’une commune doivent se prononcer lorsqu’un projet de fusion communale leur est soumis.
Tout d’abord, la cour rappelle qu’il appartient au requérant de démontrer l’irrégularité de la convocation des conseillers municipaux. Or, en l’espèce, l’association requérante n’apportait aucun élément susceptible de démontrer une telle irrégularité. Par ailleurs, l’association, en se fondant sur l’article L. 2121-13 du CGCT, invoquait un défaut d’information des conseillers municipaux de Mont-de-Lans. Cependant, les juges soulignent qu’alors même que la commune de Mont-de-Lans n’était pas soumise à cette obligation (en tant que commune de moins de 3 500 habitants), les convocations transmises aux conseillers municipaux étaient assorties d’une « note d’information générale » et d’un « projet de charte de la commune nouvelle », démontrant manifestement la volonté d’informer les conseillers sur les conditions du regroupement. Cet état de fait, combiné à la circonstance (justement rappelée par les juges) qu’aucun élu n’avait formulé de demande de complément d’information sur le projet de fusion, rappelle, s’il en était besoin, que les projets de fusion de commune, loin d’être des projets dogmatiques, sont le fruit d’une action concertée et raisonnée des élus locaux.
Enfin, la requérante contestait le fait que les communes de Mont-de-Lans et de Venosc ne se soient pas concomitamment accordées sur l’autorité en charge de la gestion provisoire de la commune nouvelle. Cependant, les juges relèvent qu’aucune disposition du CGCT relative à la création d’une commune nouvelle n’impose que les communes regroupées s’accordent sur l’autorité en charge de la gestion provisoire de la commune. Dès lors, le fait que la commune de Mont-de-Lans ait, par sa seconde délibération (du 27 septembre 2016), désigné le Maire de Venosc comme autorité de gestion est sans incidence sur la procédure de création de la commune nouvelle.
Pour l’ensemble de ces motifs, la cour rejette les arguments de la requérante tenant à l’illégalité par exception de la création de la commune nouvelle des Deux Alpes.
2. Le choix du nom d’une commune nouvelle : entre liberté, principe de réalité et nécessaire respect du droit de la propriété intellectuelle
En vertu de l’article L. 2113-6 du CGCT, il appartient aux conseillers municipaux de choisir, par délibérations concordantes, le nom de la commune nouvelle. Cependant, les élus et habitants des communes fusionnées souhaitant souvent conserver l’identité de leur commune, ce choix est fréquemment un sujet de crispation, comme en témoigne le cas d’espèce.
La requérante soutenait en effet que l’utilisation du nom « les Deux Alpes » par la commune nouvelle méconnaîtrait manifestement le droit des marques et les « conditions qui encadreraient le changement de nom d’une commune ». Au soutien de ce premier moyen, la requérante soulignait que l’office du tourisme des Deux Alpes et le délégataire du domaine skiable de la station avaient tous deux déposé les marques « les 2 alpes » et « les deux Alpes Loisirs » à l’INPI. Dès lors, selon la requérante, le choix du nom « Les Deux Alpes » constituerait un usage illégal de ces marques, en violation des dispositions des articles L. 713-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle.
Bien qu’incompétente en principe (les litiges relatifs aux violations du droit des marques étant exclusivement portés devant les tribunaux de l’ordre judiciaire), la C.A.A. de Lyon, écarte ce premier argument qui ne présentait aucune difficulté sérieuse. En effet, l’arrêté préfectoral actant la création de la commune sous le nom « Les Deux Alpes » n’entraîne pas, par lui-même, un usage de ces marques « pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement de ces marques ». Seules des décisions adoptées par la commune seront susceptibles de constituer des violations de marques enregistrées. Si cet arrêt rappelle que les collectivités sont, elles aussi, soumises au droit des marques et à l’interdiction d’utiliser, sans accord, une marque déposée, elle permet également aux magistrats de revenir sur la grande liberté dont bénéficient les conseillers municipaux lors du choix du nom de la commune nouvelle.
Observant que l’article L. 2113-6 « ne comporte aucune règle de fond encadrant le nom des communes nouvelles », les magistrats confirment qu’il n’existe aucun principe qui obligerait que le nouveau nom soit en lien avec celui des anciennes communes. Toutefois, dans le cas d’espèce, les juges relèvent que, bien qu’aucune règle n’encadre le choix des noms des communes, le nom choisi est manifestement inspiré par un principe de réalité. Ils soulignent en effet que, d’une part, le nom générique « les Deux Alpes », qui a notamment été donné à la station de ski éponyme, évoque la « réunion des deux alpages, l’alpe du Mont-de-Lans et l’alpe de Venosc ». D’autre part, ils soulignent que l’essor commun des deux communes s’est fait autour de la station des Deux-Alpes dont le domaine skiable est situé sur leurs deux territoires. C’est pourquoi, constatant le bien-fondé de cette dénomination au regard des considérations géographiques et historiques, les magistrats de la C.A.A. de Lyon rejettent l’argument selon lequel ce choix de nom aurait été retenu « pour des considérations commerciales ».
Cette décision n’est pas une solution isolée. En effet, par un jugement du 22 novembre 2016, soit près d’un an avant la décision de première instance dans l’affaire d’espèce, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (n° 1600196), saisi d’une question relativement similaire, a validé la création de la commune nouvelle « d’Aÿ-Champagne » en dépit de l’existence de la marque « Champagne ». Adoptant un raisonnement proche de celui de la C.A.A. de Lyon, le T.A. avait jugé que : « le nom d’Aÿ-Champagne était déjà le nom d’usage, largement utilisé et reconnu tout au long du XXème siècle, de l’ancienne commune d’Aÿ ; que, de plus, historiquement, le terme “Champagne” est associé à cette commune depuis le Xème siècle ; que, par ailleurs, les trois anciennes communes concernées par le nouveau nom de la commune fusionnée se situent géographiquement en Champagne dans un secteur de viticulture de vins de Champagne ; que l’intérêt public local à l’appellation de la nouvelle commune est ainsi établi ».
Si, dans le cas d’espèce, la notion « d’intérêt public local » n’est pas évoquée par les magistrats de la C.A.A. de Lyon, il ressort de ces décisions que les circonstances locales et historiques semblent être des éléments largement pris en compte par les tribunaux administratifs pour valider le nom d’une commune nouvelle créée dans le champ d’application géographique d’une marque déposée.