Création de la commune nouvelle « Les Deux Alpes » et propriété intellectuelle des marques

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Décision de justice

CAA Lyon, 3ème chambre – N° 17LY02936 – Association Avenir Mont-de-Lans – 18 novembre 2019 – C

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 17LY02936

Numéro Légifrance : CETATEXT000039409773

Date de la décision : 18 novembre 2019

Code de publication : C

Index

Mots-clés

Commune nouvelle, Propriété intellectuelle, Propriété industrielle, Droit des marques, INPI, Contrôle de légalité interne, Renvoi préjudiciel

Rubriques

Institutions et collectivités publiques

Résumé

L'association "Avenir Mont-de-Lans" demande l'annulation de l'arrêté du préfet de l’Isère du 28 septembre 2016, qui a entériné la constitution de la commune nouvelle de "Les Deux Alpes", en lieu et place des communes de Mont-de-Lans et de Venosc, à compter du 1er janvier 2017, sur le fondement de l’article L. 2113-2 du code général des collectivités territoriales aux termes duquel : « Une commune nouvelle peut être créée en lieu et place de communes contiguës (…) à la demande de tous les conseils municipaux (…)  ».

L’association conteste en fait essentiellement la dénomination de la commune nouvelle ainsi validée par le préfet. Le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande, par jugement du 22 juin 2017 dont il est fait ici appel.

Si l'association appelante invoque l'enregistrement, auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) des marques " Les 2 Alpes " et " Les deux Alpes Loisirs ", déposées, respectivement, par l'office du tourisme des Deux Alpes et par la société privée gestionnaire, sur délégation, du domaine skiable des Deux Alpes, l'arrêté du préfet n'emporte pas en lui-même un usage de ces marques, pour des produits ou des services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement de ces marques, un tel usage n'étant susceptible de résulter que de décisions adoptées par la commune nouvelle. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin pour la cour de saisir la juridiction judiciaire d'un renvoi préjudiciel, ce moyen ne peut qu'être écarté.

L'article L. 2113-6 du code général des collectivités territoriales ne comporte aucune règle de fond encadrant le nom des communes nouvelles. En particulier, aucune disposition n'exige que ce nom soit en lien avec celui des communes auxquelles la commune nouvelle a vocation à se substituer.

De même, l'association appelante ne peut utilement invoquer les conditions qui encadreraient, selon elle, le changement de nom d'une commune.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la dénomination " Les Deux Alpes " évoque la réunion de deux alpages, l'Alpe de Mont-de-Lans et l'Alpe de Venosc, qui recouvrent le territoire des deux communes auxquelles s'est substituée la commune nouvelle. En outre, ces communes se sont développées avec l'essor d'un domaine skiable, commun à leurs deux territoires et communément appelé " Les Deux Alpes " depuis plusieurs dizaines d'années. La gestion de ce domaine est au cœur des principes fondateurs de la commune nouvelle, tels qu'ils ressortent de la charte de cette commune nouvelle.

Ainsi, la dénomination " Les Deux Alpes ", inspirée de considérations tant géographiques qu'historiques, et en cohérence avec la dimension touristique de ce territoire, ne saurait être regardée comme ayant été retenue pour des considérations commerciales, contrairement à ce que prétend l'association.

135-02-01-01, Collectivités territoriales, Création d'une commune nouvelle, Droit des marques, INPI, Compétences concurrentes des deux ordres de juridiction, Contentieux de l'appréciation de la légalité, Cas où une question préjudicielle ne s'impose pas.

17-04-02-02, Compétence, Contentieux de l’appréciation de la légalité, Cas où une question préjudicielle ne s’impose pas.

26-04-03, Droit de propriété, Propriété littéraire et artistique, Droit des marques.

Création d’une commune nouvelle : le toponyme fixé par l’arrêté préfectoral n’emporte pas usage de marques

Simon Berthon

Doctorant en droit public à l’Université Clermont-Auvergne (CMH – EA 4232)

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DOI : 10.35562/alyoda.6560

Une association était venue contester la dénomination retenue par un arrêté préfectoral créant une commune nouvelle. La Cour administrative d’appel de Lyon considère que l’arrêté préfectoral litigieux se limite à attribuer le nom de la commune nouvelle et n’emporte pas un usage illicite de marques antérieurement déposées par des tiers. De même, elle précise que l’autorité compétente pour fixer le nouveau toponyme n’est pas liée par les dispositions législatives encadrant le changement de nom des communes. Par conséquent, rien n’oblige à ce que le nom d’une commune nouvelle soit en lien avec les communes déléguées.

Admis comme un important vecteur de croissance économique (Jouyet (J.-P.), Lévy (M.), L’économie de l’immatériel, la croissance de demain, La documentation française, novembre 2006), le toponyme des collectivités territoriales est l’objet de nombreuses convoitises. Soucieuses de leurs intérêts, les collectivités s’engagent dans une politique de protection de leurs dénominations. Dès lors, les litiges opposant les personnes publiques à des tiers au sujet de la subtilisation de leurs noms deviennent de plus en plus communs (Mondou (Ch.), « Le nom des collectivités territoriales : un patrimoine à préserver », AJCT 2017, p. 505).

Tout l’intérêt de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon réside dans le fait qu’il s’agit d’une situation résolument contraire ! En l’espèce, il n’est en effet pas question d’une collectivité territoriale reprochant à un tiers d’utiliser abusivement son nom afin d’en tirer un bénéfice économique, mais d’un tiers accusant une collectivité d’avoir opté pour un nom à des fins commerciales.

En l’espèce, les deux communes contiguës de Mont-de-Lans et Venosc avaient sollicité le préfet de l’Isère sur le fondement de l’article L. 2113-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) afin d’approuver la création de la commune nouvelle dénommée « Les Deux Alpes ». Ainsi, c’est par un arrêté préfectoral du 28 septembre 2016 que ladite commune nouvelle fut créée. Opposée à cette fusion, une association localisée sur le territoire de la commune déléguée de Mont-de-Lans intenta un recours en annulation contre l’arrêté préfectoral. À la suite du rejet de sa demande par le Tribunal administratif de Grenoble, la requérante fit appel devant la Cour administrative d’appel de Lyon.

La requête de l’association appelante portait notamment sur la légalité des délibérations du conseil municipal de Mont-de-Lans et la dénomination de la commune nouvelle. L’analyse proposée s’attardera uniquement sur ce dernier point qui constitue l’apport essentiel de l’arrêt.

Dans un premier temps, l’association soutenait que l’arrêté préfectoral fixant le toponyme de la commune nouvelle violait les dispositions de l’ancien article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) (modifié par l’ordonnance n° 02019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services transposant la directive (UE) 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques) car il emportait usage des marques « les 2 Alpes » et « Deux Alpes Loisirs » (et non « Les deux Alpes Loisirs » https://bases-marques.inpi.fr/Typo3_INPI_Marques/marques_fiche_resultats.html?index=1&refId=3977517_201734_fmark&y=0) respectivement déposées par l’office de tourisme et la société privée gestionnaire, sur délégation de service public, du domaine skiable. Dès lors, en vertu de l’ancien article L. 716-3 CPI (il s’agit désormais de l’art. L. 716-5 CPI), elle demandait un renvoi préjudiciel devant la juridiction judiciaire compétente en la matière (Raynard (J.), Py (E.), Tréfigny (P.), Droit de la propriété industrielle, 5e éd., LexisNexis, 2016, Manuel, pp. 395-396).

La Cour administrative d’appel précisa qu’il ne pouvait y avoir violation des dispositions de l’ancien article L. 713-2 du CPI puisque l’arrêté préfectoral contesté n’emportait pas « en lui-même un usage de ces marques, pour des produits ou des services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement de ces marques » (§. 11) . Pour que l’usage illicite d’une marque soit constitué, il est en effet nécessaire que le signe soit utilisé dans la vie des affaires en tant que marque, conformément à sa fonction première qui est de distinguer des produits ou des services (Directive (UE) n° 2015/2436 du 16 décembre 2015, cons. n° 18) . Or, l’arrêté préfectoral fixant simplement la dénomination de la commune nouvelle ne répondait pas à ces critères. Ainsi, le droit de la propriété intellectuelle n’ayant pas vocation à s’appliquer, le renvoi préjudiciel sollicité par l’association ne s’imposait pas. Cette solution jurisprudentielle est à rapprocher du jugement du Tribunal administratif d’Amiens en date du 27 décembre 2016, soulignant à propos d’un arrêté préfectoral créant une commune nouvelle que « l’arrêté attaqué n’a ni pour objet ni pour effet de conférer ou de réglementer l’utilisation d’une marque ou d’une appellation protégée » (T.A. Amiens, 3ème ch., 27 décembre 2016, Association sauvegarde Sud-Morvan e. a., n° 1600307. V. aussi : T.A. Châlons-en-Champagne, 2ème ch., 22 novembre 2016, n° 1600196) .

En revanche, lorsque la Cour souligne qu’un tel usage ne serait susceptible « de résulter que de décisions adoptées par la commune nouvelle » (§. 11), elle semble par là même avertir la collectivité territoriale naissante. Si cette dernière, dans le cadre de ses activités, venait à reproduire « sans autorisation » des propriétaires, des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement des marques précitées, alors elle s’exposerait à une action en contrefaçon devant la juridiction judiciaire. Objectivement, une telle situation paraît peu probable au regard des modes de gestion qui unissent étroitement l’office de tourisme, géré en régie dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière (CRC Auvergne Rhône-Alpes, Commune de Venosc, Rapport d’observations définitives et sa réponse, 25 juin 2018, p. 48) et la société gestionnaire, par délégation de service public, du domaine skiable à la commune nouvelle. En effet, il serait étonnant que les organismes rattachés à la collectivité territoriale par une mission de service public et partageant le même intérêt pour le développement du territoire, s’opposent à l’utilisation de leurs marques.

Dans un second temps, l’association considérait que le préfet de département avait commis une erreur manifeste d’appréciation en fixant un toponyme pris pour des considérations commerciales et portant atteinte aux intérêts patrimoniaux et moraux de la commune nouvelle.

Tout en apportant d’utiles précisions quant à la détermination du nom d’une commune nouvelle, la réponse de la Cour administrative d’appel laisse apparaître certains questionnements.

En rappelant, d’une part, que l’article L. 2113-6 du CGCT « ne comporte aucune règle de fond encadrant le nom des communes nouvelles » (C.A.A. Nantes, 4ème ch., 21 juin 2019, Commune de Saint-Aignan, n° 17NT03686) et d’autre part, que « les conditions » encadrant « le changement de nom d’une commune » n’ont pas vocation à s’appliquer aux communes nouvelles (Mondou (Ch.), préc., p. 505.), c’est à juste titre que les magistrats ont jugé qu’ « aucune disposition n’exige » que le nom de la commune nouvelle « soit en lien avec celui des communes » déléguées. La Cour administrative d’appel de Lyon met en évidence la liberté de choix réservée à l’autorité compétente dans la détermination du toponyme d’une commune nouvelle. Toutefois, au regard de la jurisprudence du Conseil d’État qui « est encore vierge en ce qui concerne le choix de la dénomination d’une commune nouvelle […] » (Bréchot (F.-X.), « Commune nouvelle, voici ton nom », AJDA 2019, p. 2048), il est regrettable que la Cour, par excès de prudence, n’ait pas saisi l’opportunité de dégager ses propres critères jurisprudentiels en la matière.

En poursuivant son contrôle minimum de l’erreur manifeste d’appréciation, la Cour administrative d’appel de Lyon va se muer en véritable historienne en s’employant à démontrer le lien unissant le toponyme de la commune nouvelle avec les communes déléguées. Elle en conclut qu’au regard « des considérations tant géographiques qu’historiques, et en cohérence avec la dimension touristique de ce territoire », la dénomination de la commune nouvelle « Les Deux Alpes » n’a pas été retenue pour des considérations commerciales, tout en ajoutant que la « proximité avec le nom de la société gestionnaire du domaine skiable » ne porterait pas atteinte à ses « intérêts patrimoniaux et moraux ».

La motivation de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon reste discutable eu égard aux dispositions de la circulaire du 18 avril 2017 sur la fixation du nom d’une commune nouvelle invitant les préfets de département à ne pas entériner « les noms qui seraient fondés sur des considérations de simple publicité touristique ou économique » (circulaire n°16-012332-D du 18 avril 2017 relative à la fixation du nom d’une commune nouvelle) . Il serait candide de croire que le toponyme « Les Deux Alpes » n’aurait pas été sélectionné dans une optique de valorisation économique du territoire. Les collectivités territoriales « cherchent sans cesse à améliorer le rayonnement et la qualité de leur image, principalement dans un but touristique » (Hoffman (E.), Bouchard (L.) et Capiaux (J.), « Protection du nom de la collectivité territoriale : enjeux publics et privés », Gaz. Pal. 10 déc. 2011, doct. p. 11.). En ce sens, il paraît peu surprenant que la commune nouvelle « Les Deux Alpes » ait souhaité valoriser son potentiel touristique, à commencer par sa propre dénomination (Royer (E.), « Protégeons les noms de nos villages », Juris tourisme 2014, n° 165, p. 3). En somme, il peut être reproché à la Cour administrative d’appel de Lyon de ne pas avoir pris suffisamment en considération l’impact économique du toponyme fixé.

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0

Création d'une commune nouvelle : entre réalités locales et nécessaire respect du droit des marques

Thomas Dord

Élève-avocat, Diplômé du Master 2 Droit Public des Affaires - Université Jean Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.6558

La Cour administrative d’appel de Lyon a validé la création d'une commune nouvelle sous la dénomination « Les Deux Alpes ». Cet arrêt, classique sur le fond, rappelant les principes fondamentaux encadrant la création d'une commune nouvelle, permet aux magistrats de préciser les règles applicables s’agissant du choix du nom d'une commune nouvelle, et notamment la nécessité de respecter le droit des marques.

Alors qu’au 1er janvier 2019 la France comptait 794 communes nouvelles regroupant 2 500 communes, l’étude des projets de fusion ayant eu lieu sur le territoire démontre que le choix du nom de la future commune est fréquemment source de crispation lors de la mise en œuvre concrète du projet de fusion. Entre volonté de conserver l’identité des communes fusionnées, difficultés pour trouver un nom générique et contestations juridictionnelles, le choix du nom de la commune nouvelle s’avère être un véritable frein à la concrétisation des projets. C’est ce qu’illustre l’arrêt d’espèce, rendu le 18 novembre 2019 par la 3e chambre de la Cour administrative d’appel de Lyon.

Par délibérations conjointes du 23 juin 2016, les communes de Venosc (38143) et Mont-de-Lans (38860) ont sollicité du Préfet de l’Isère la création d’une commune nouvelle sur le fondement de l’article L. 2113-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) . Suite à une nouvelle délibération de la commune de Mont-de-Lans le 27 septembre 2016 (délibération destinée à préciser certains points du projet de fusion), le Préfet de l’Isère a acté, par arrêté du 28 septembre 2016, la création de la commune nouvelle. Cette commune, créée sous la dénomination « Les Deux Alpes » devait se substituer aux communes de Mont-de-Lans et Venosc à compter du 1er janvier 2017.

Cependant, suite à l’adoption de l’arrêté préfectoral, l’association « Avenir Mont-de-Lans », opposante au projet de fusion, a attaqué, devant le tribunal administratif de Grenoble l’arrêté du 28 septembre 2016 actant la création de la commune nouvelle.

Suite au rejet de sa requête par un jugement du 22 juin 2017, l’association a interjeté appel devant la C.A.A. de Lyon. Elle soutient que :

d’une part, les délibérations des conseils municipaux des communes de Venosc et Mont-de-Lans méconnaîtraient les règles de convocation et d’information des conseillers municipaux ;d’autre part, l’absence de délibérations concordantes quant à l’autorité chargée d’assurer la gestion provisoire de la commune nouvelle jusqu’à l’élection de son exécutif constituerait un vice entachant la légalité de la procédure de création ;enfin, le choix du nom de la commune serait illégal car méconnaissant les dispositions du CGCT et du Code de la propriété intellectuelle.

d’une part, les délibérations des conseils municipaux des communes de Venosc et Mont-de-Lans méconnaîtraient les règles de convocation et d’information des conseillers municipaux ;d’autre part, l’absence de délibérations concordantes quant à l’autorité chargée d’assurer la gestion provisoire de la commune nouvelle jusqu’à l’élection de son exécutif constituerait un vice entachant la légalité de la procédure de création ;enfin, le choix du nom de la commune serait illégal car méconnaissant les dispositions du CGCT et du Code de la propriété intellectuelle.

Par sa décision du 18 novembre 2019, la Cour de Lyon, confirmant l’interprétation du tribunal administratif de Grenoble, a rejeté la requête de l’association appelante et confirmé la régularité de la procédure de création de la commune nouvelle.

Outre le fait qu’aucune illégalité de procédure ne peut être relevée dans le processus de création de la commune nouvelle (1), le choix du nom de la commune s’avère, lui aussi, régulier. Cette décision, classique sur le fond, permet toutefois aux magistrats de la C.A.A. de Lyon de préciser les règles applicables en matière de choix du nom d’une commune nouvelle (2).

1. La création de la commune nouvelle des Deux Alpes : une procédure régulière au regard du droit des collectivités

En vertu de l’article L. 2113-2 du CGCT, la création d’une commune nouvelle nécessite que les conseillers municipaux délibèrent sur les conditions du regroupement de leurs communes. Dans le cas d’espèce, pour remettre en cause la légalité de l’arrêté préfectoral actant la création de la commune des Deux Alpes, la requérante excipait de l’illégalité des délibérations du 23 juin 2016 et 27 septembre 2017 par lesquelles le conseil municipal de Mont-de-Lans s’était prononcé en faveur de la création d’une commune nouvelle. Elle soutenait en effet que les conseillers, dont la convocation était irrégulière, n’auraient pas été suffisamment informés.

Par cette décision, et le rejet de l’ensemble des arguments de procédure soulevés par l’association, les magistrats rappellent les conditions dans lesquelles les conseillers municipaux d’une commune doivent se prononcer lorsqu’un projet de fusion communale leur est soumis.

Tout d’abord, la cour rappelle qu’il appartient au requérant de démontrer l’irrégularité de la convocation des conseillers municipaux. Or, en l’espèce, l’association requérante n’apportait aucun élément susceptible de démontrer une telle irrégularité. Par ailleurs, l’association, en se fondant sur l’article L. 2121-13 du CGCT, invoquait un défaut d’information des conseillers municipaux de Mont-de-Lans. Cependant, les juges soulignent qu’alors même que la commune de Mont-de-Lans n’était pas soumise à cette obligation (en tant que commune de moins de 3 500 habitants), les convocations transmises aux conseillers municipaux étaient assorties d’une « note d’information générale » et d’un « projet de charte de la commune nouvelle », démontrant manifestement la volonté d’informer les conseillers sur les conditions du regroupement. Cet état de fait, combiné à la circonstance (justement rappelée par les juges) qu’aucun élu n’avait formulé de demande de complément d’information sur le projet de fusion, rappelle, s’il en était besoin, que les projets de fusion de commune, loin d’être des projets dogmatiques, sont le fruit d’une action concertée et raisonnée des élus locaux.

Enfin, la requérante contestait le fait que les communes de Mont-de-Lans et de Venosc ne se soient pas concomitamment accordées sur l’autorité en charge de la gestion provisoire de la commune nouvelle. Cependant, les juges relèvent qu’aucune disposition du CGCT relative à la création d’une commune nouvelle n’impose que les communes regroupées s’accordent sur l’autorité en charge de la gestion provisoire de la commune. Dès lors, le fait que la commune de Mont-de-Lans ait, par sa seconde délibération (du 27 septembre 2016), désigné le Maire de Venosc comme autorité de gestion est sans incidence sur la procédure de création de la commune nouvelle.

  Pour l’ensemble de ces motifs, la cour rejette les arguments de la requérante tenant à l’illégalité par exception de la création de la commune nouvelle des Deux Alpes.

2. Le choix du nom d’une commune nouvelle : entre liberté, principe de réalité et nécessaire respect du droit de la propriété intellectuelle

En vertu de l’article L. 2113-6 du CGCT, il appartient aux conseillers municipaux de choisir, par délibérations concordantes, le nom de la commune nouvelle. Cependant, les élus et habitants des communes fusionnées souhaitant souvent conserver l’identité de leur commune, ce choix est fréquemment un sujet de crispation, comme en témoigne le cas d’espèce.

La requérante soutenait en effet que l’utilisation du nom « les Deux Alpes » par la commune nouvelle méconnaîtrait manifestement le droit des marques et les « conditions qui encadreraient le changement de nom d’une commune ». Au soutien de ce premier moyen, la requérante soulignait que l’office du tourisme des Deux Alpes et le délégataire du domaine skiable de la station avaient tous deux déposé les marques « les 2 alpes » et « les deux Alpes Loisirs » à l’INPI. Dès lors, selon la requérante, le choix du nom « Les Deux Alpes » constituerait un usage illégal de ces marques, en violation des dispositions des articles L. 713-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

Bien qu’incompétente en principe (les litiges relatifs aux violations du droit des marques étant exclusivement portés devant les tribunaux de l’ordre judiciaire), la C.A.A. de Lyon, écarte ce premier argument qui ne présentait aucune difficulté sérieuse. En effet, l’arrêté préfectoral actant la création de la commune sous le nom « Les Deux Alpes » n’entraîne pas, par lui-même, un usage de ces marques « pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement de ces marques ». Seules des décisions adoptées par la commune seront susceptibles de constituer des violations de marques enregistrées. Si cet arrêt rappelle que les collectivités sont, elles aussi, soumises au droit des marques et à l’interdiction d’utiliser, sans accord, une marque déposée, elle permet également aux magistrats de revenir sur la grande liberté dont bénéficient les conseillers municipaux lors du choix du nom de la commune nouvelle.

Observant que l’article L. 2113-6 « ne comporte aucune règle de fond encadrant le nom des communes nouvelles », les magistrats confirment qu’il n’existe aucun principe qui obligerait que le nouveau nom soit en lien avec celui des anciennes communes. Toutefois, dans le cas d’espèce, les juges relèvent que, bien qu’aucune règle n’encadre le choix des noms des communes, le nom choisi est manifestement inspiré par un principe de réalité. Ils soulignent en effet que, d’une part, le nom générique « les Deux Alpes », qui a notamment été donné à la station de ski éponyme, évoque la « réunion des deux alpages, l’alpe du Mont-de-Lans et l’alpe de Venosc ». D’autre part, ils soulignent que l’essor commun des deux communes s’est fait autour de la station des Deux-Alpes dont le domaine skiable est situé sur leurs deux territoires. C’est pourquoi, constatant le bien-fondé de cette dénomination au regard des considérations géographiques et historiques, les magistrats de la C.A.A. de Lyon rejettent l’argument selon lequel ce choix de nom aurait été retenu « pour des considérations commerciales ».

Cette décision n’est pas une solution isolée. En effet, par un jugement du 22 novembre 2016, soit près d’un an avant la décision de première instance dans l’affaire d’espèce, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (n° 1600196), saisi d’une question relativement similaire, a validé la création de la commune nouvelle « d’Aÿ-Champagne » en dépit de l’existence de la marque « Champagne ». Adoptant un raisonnement proche de celui de la C.A.A. de Lyon, le T.A. avait jugé que : « le nom d’Aÿ-Champagne était déjà le nom d’usage, largement utilisé et reconnu tout au long du XXème siècle, de l’ancienne commune d’Aÿ ; que, de plus, historiquement, le terme “Champagne” est associé à cette commune depuis le Xème siècle ; que, par ailleurs, les trois anciennes communes concernées par le nouveau nom de la commune fusionnée se situent géographiquement en Champagne dans un secteur de viticulture de vins de Champagne ; que l’intérêt public local à l’appellation de la nouvelle commune est ainsi établi ».

Si, dans le cas d’espèce, la notion « d’intérêt public local » n’est pas évoquée par les magistrats de la C.A.A. de Lyon, il ressort de ces décisions que les circonstances locales et historiques semblent être des éléments largement pris en compte par les tribunaux administratifs pour valider le nom d’une commune nouvelle créée dans le champ d’application géographique d’une marque déposée.

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