Sanction administrative : application du principe de la rétroactivité in mitius

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Mots-clés

Sanction administrative, Application dans le temps, Texte applicable, Loi répressive nouvelle plus douce, Rétroactivité, In mitius

Rubriques

Actes administratifs

Résumé

L’article L. 441-6 du code de commerce prévoit une sanction à l’encontre de l’entreprise qui ne respecte pas les délais légaux de paiements de ses partenaires. La loi avait instauré un régime de sanction prononcée par le juge judiciaire (juridiction civile ou commerciale), à l’initiative de toute personne y ayant intérêt ou du ministère public. L’amende civile pouvait atteindre 2 millions d’euros. La loi du 17 mars 2014 dit loi Hamon a substitué, pour les mêmes faits, un régime de sanction administrative, confié au DIRECCTE, l’amende étant d’un montant maximum de 375 000 euros pour une personne morale (75 000 euros pour une personne physique).

En l’espèce, les services de la DIRECCTE ont constaté que la SAS Caterpillar France ne respectait pas les délais légaux de paiement de sociétés de travail intérimaires. Il s’agit de faits commis en 2011 et 2012. Il est jugé ici par la cour administrative d'appel de Lyon que le régime de sanction résultant de la loi du 17 mars 2014 (loi plus douce) s’appliquait.

Pour information : Le Conseil constitutionnel a affirmé la portée constitutionnelle du principe de rétroactivité in mitiusCAA Marseille, 25 février 2019, Ministre de l’économie et des finances c/ Airbus Helicopters, 18MA01094, C+ confirmé en cassation CE, 3 février 2021, n° 430130

L’extension du champ de la rétroactivité in mitius 

Emilie Barbin

Docteure en droit public Université Jean Moulin Lyon 3 (IEA – EDPL – EA 666)

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DOI : 10.35562/alyoda.6556

Le principe de non-rétroactivité des lois pénales connaît une exception traditionnelle lorsque le nouveau dispositif législatif se révèle plus favorable à l’intéressé. Cette rétroactivité in mitius trouve une nouvelle application devant la Cour administrative d’appel de Lyon, lorsqu’un régime de sanction administrative pécuniaire, visant à punir les délais excessifs de paiement par une société de ses prestataires ou fournisseurs, se substitue à l’amende pouvant être prononcée par les juridictions civiles.

La Cour administrative d’appel de Lyon fait ici une nouvelle application dans le champ du droit administratif du principe traditionnel du droit pénal selon lequel les lois pénales peuvent rétroagir lorsqu’elles sont plus douces (en tant que principe à valeur constitutionnelle : C.C., 19 et 20 janv. 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, n° 080-127 DC, Rec. CC, p. 15 ; note Franck (C.), JCP-G, 1981, II, n° 01970, p. 1, note Dekeuwer (A.), D. 1982, p. 441; art. 112-1 C.pén.) . Le principe de non-rétroactivité des lois (article 8 DDHC) et son exception ont été étendus aux sanctions administratives (Connil (D.), L’office du juge administratif et le temps, Dalloz, 2012, Nouvelle bibliothèque de thèse, p. 312) . Il a ainsi été admis que « le principe de non-rétroactivité […] ne concerne pas seulement les peines appliquées par les juridictions répressives, mais s'étend nécessairement à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a cru devoir laisser le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire » (C.C., 30 déc. 1982, Loi de finances rectificatives pour 1982, n° 082-155 DC, Rec. C.C., p. 88) . Aussi les sanctions administratives tombent-elles dans le spectre de la dérogation in mitius (C.E., 17 mars 1997, OMI, n° 124588, Lebon p. 86 ; C.E., 16 nov. 2007, Cie aérienne Iberia lineas aeras de Espagna, n° 289184, inédit), que le juge administratif, officiant en plein contentieux, peut appliquer directement lorsqu’il a à connaître de certaines sanctions administratives infligées à un administré (C.E., Ass., 16 févr. 2009, Société ATOM, n° 274000, Lebon p. 25; concl. Legras (C.) RFDA, 2009, p. 259) . Ainsi, les contraventions de grande voirie (C.E., 23 juill. 1976, n° 096256, Lebon p. 376), les amendes infligées par la Cour de discipline budgétaire et financière (C.E., Sect., 9 déc. 1977, n° 097399, Lebon p. 493 ; AJDA, 1978, p. 446) , ou encore les sanctions fiscales « dès lors qu'elles présentent le caractère d'une punition » (C.E., Sect., Avis, 5 avr. 1996, n° 176611, Lebon p. 116) ont intégré le champ de l’exception, qui s’étend désormais à une large part du droit administratif répressif (concl. Legras (C.), sur C.E., Ass., 16 févr. 2009, Société ATOM, Dr. fiscal, 2009, n° 015, comm. 275) .

Cette uniformisation s’explique par l’appartenance des sanctions administratives à un « ordre juridique punitif global » (Moderne (F.), « Les sanctions administratives », RFDA, 2002, p. 483), sans pour autant conduire à une pleine assimilation des répressions administrative et pénale (sur ce point, v. Éveillard (G.), « Droit administratif et droit pénal », in Gonod (P.), Melleray (F.), Yolka (Ph.) (dir.) Traité de droit administratif, Dalloz, 2011, p. 685) . Malgré tout, les potentiels enchevêtrements temporels selon la nature de la sanction se dénouent généralement au bénéfice de l’administré. Par exemple, une loi nouvelle qui instaure une sanction administrative remplaçant l’ancienne sanction pénale prévaudra pour des faits initiés avant l’entrée en vigueur des actuelles dispositions (C.E., 28 nov. 2008, SCEA De Caltot, n° 295847, Lebon T. p. 904) . De la même manière, dans l’affaire soumise à la Cour administrative de Lyon, un régime de sanction administrative pécuniaire visant à punir les délais excessifs de paiement de prestataires ou de fournisseurs par une société se substituait à l’amende pouvant être prononcée par les juridictions civiles. Ces dispositions, si elles n’ont pas procédé à la suppression d’un régime de sanction, mais se sont limitées à modifier les règles de compétence et de procédure, tout en réduisant le plafond des peines encourues, « ont le caractère d’une loi pénale plus douce », estime la cour. En conséquence, la fiction de la rétroactivité peut se déployer, favorable à l’administré ; le juge administratif réceptionnant ce précepte classique selon lequel, « en matière criminelle, il faut toujours adopter l’opinion la plus favorable à l'humanité comme à l'innocence » (avis C.E. du 28 prairial an VIII, cité par A. Wermer, « Contribution à l'étude de l’application de la loi dans le temps en droit public », RDP, 1982, p. 740).

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