Interruption du délai de recours contentieux par la demande d’aide juridictionnelle : conditions

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Décision de justice

CAA Lyon, 5ème chambre – N° 19LY03056 – 24 octobre 2019 – C

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 19LY03056

Numéro Légifrance : CETATEXT000039335072

Date de la décision : 24 octobre 2019

Code de publication : C

Index

Mots-clés

Aide juridictionnelle, Délai de recours, Prorogation, Refus de titre de séjour

Rubriques

Procédure

Résumé

Le délai de recours contentieux est interrompu par une demande d’aide juridictionnelle. Si l’aide est accordée, ce délai ne recommence à courir qu’à compter de la notification de la décision à l’intéressé, et non pas de sa communication à son avocat. 1

54-06-05-09, Procédure, Délais, Interruption et prolongation des délais, Interruption du délai de recours contentieux par demande d’aide juridictionnelle, Conditions dans lesquelles le délai interrompu recommence à courir (article 38 du décret du 19 décembre 1991)

Notes

1 Cf. CE, 28 décembre 2016, N° 397598, B Retour au texte

Précisions autour de l’interruption du délai de recours contentieux par une demande d’aide juridictionnelle

Emilie Barbin

Docteure en droit public, Université Jean Moulin Lyon 3 (IEA – EDPL – EA 666)

DOI : 10.35562/alyoda.6557

En jugeant que la communication de la décision du bureau d’aide juridictionnelle d’admission au bénéfice totale de l’aide juridictionnelle à l’avocat du requérant ne pouvait équivaloir à sa notification au requérant, le Cour administrative d’appel de Lyon livre une interprétation fidèle à l’esprit de l’aide juridictionnelle, intrinsèquement favorable au justiciable.

« Ô temps, suspends ton vol ! »

Le temps du contentieux administratif peut être suspendu par la demande d’aide juridictionnelle, selon des conditions dont l’interprétation se révèle plutôt favorable au requérant, ce dont témoigne la décision de la Cour administrative d’appel du 24 octobre 2019 (C.A.A. Lyon, 5ème chambre, 24 oct. 2019, M. A., n° 19LY03056) . En l’espèce, M. A., d’origine camerounaise, entre en France en 2017. Encore mineur, il est alors pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) jusqu’à sa majorité, à laquelle il formule une demande de titre de séjour. Le 3 août 2018, le préfet de l’Ain a pris plusieurs décisions, refusant le titre de séjour demandé au titre de la vie privée et familiale, obligeant M. A à quitter le territoire français dans le délai de trente jours sur le fondement du 3° de l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) et désignant un pays de destination. Ces décisions individuelles ont été notifiées le 4 décembre 2018 à l’intéressé, lequel a alors formé une demande d’aide juridictionnelle le 27 décembre. Celle-ci lui a été accordée par une décision du 1er février désignant l’auxiliaire de justice chargé de l’assister. Cette décision d’octroi de l’aide juridictionnelle a été notifiée à l’intéressé le 26 février 2019 (en dépit d’une mention « original délivré le 22 février » figurant sur la décision), lequel a alors introduit un recours contre les trois décisions du préfet. Cette requête a été déposée le 28 mars 2019 et a été rejetée par une ordonnance du 28 juin 2019 rendue par le Tribunal administratif de Lyon, au motif qu’elle avait été formée hors du délai de trente jours imparti pour ce contentieux (L. 512-1 I du CESEDA) . Contestant ce rejet, M. A. demande à la Cour administrative d’appel de Lyon d’annuler l’ordonnance et de renvoyer l’affaire devant le tribunal.

Il appartenait ainsi à la juridiction de se pencher, une fois de plus, sur la manière dont la demande d’aide juridictionnelle interfère dans l’écoulement du délai de recours contentieux. La Cour rappelle que le point de départ du nouveau délai de recours postérieurement à l’introduction d’une demande d’aide juridictionnelle est la notification de la décision auprès de l’intéressé. Elle précise à cet égard que la communication de la décision à l’avocat du requérant ne peut être assimilée à une notification et, partant, ne peut constituer le point de départ du nouveau délai contentieux. D’autant qu’un document des services postaux, produit pour la première fois en appel atteste de la notification de la décision au 26 février 2019. Le recours déposé par M. A. le 28 mars – jour d’expiration du délai de recours de 30 jours – ne pouvait donc être considéré comme tardif, l’ordonnance du tribunal administratif étant, par conséquent, irrégulière.

Étroitement liée au droit au recours effectif et au principe d’égalité des armes (Bougrab (J.), « L’aide juridictionnelle, un droit fondamental ? », AJDA, 2001, p. 1016), la demande d’aide juridictionnelle a vocation à profiter au requérant. Car il faut bien garder à l’esprit que c’est seulement à partir de la désignation de l’avocat que le requérant sera véritablement prêt à se confronter aux lois de la procédure administrative contentieuse. C’est ainsi que la demande d’aide juridictionnelle intègre traditionnellement les mécanismes permettant de faire obstacle à l’écoulement du temps de recours contentieux (I), selon une articulation complexe qui se révèle in fine favorable au requérant (II) .

I. La demande d’aide juridictionnelle, cause classique d’interruption du délai de recours

Bien que le passage du temps soit linéaire et non réversible, la période durant laquelle un acte administratif est susceptible d’être contesté devant le juge ne sera pas forcément – dans son appréhension juridique, du moins – continue. Autrement dit, le délai de recours contre une décision à compter de sa publication ou de sa notification (art. R. 421-1 CJA) est susceptible d’être interrompu. Ainsi, et conformément à une règle générale de procédure, le délai de recours est prorogé par le dépôt d’un recours administratif préalable, gracieux ou hiérarchique (CE, 10 juillet 1964, Centre médico-pédagogique de Beaulieu, n° 060408, Lebon p. 399) ; le délai de recours commence alors à courir de nouveau à partir de la date de la décision administrative rendue sur recours administratif préalable. Il en ira de même notamment en cas de dépôt d’une requête devant une juridiction incompétente, d’échec d’une tentative de médiation (art. L. 213-6 CJA), d’intervention d’une décision explicite de rejet dans le délai de formation d’une décision implicite de rejet ou, encore, à la suite d’une demande d’aide juridictionnelle. Dans cette dernière hypothèse, un nouveau délai court à compter du jour de la réception par l’intéressé de la décision du bureau d’aide juridictionnelle (BAJ) de rejet ou d’admission de sa demande, sauf, « en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné » (art. 38 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique tel que modifié par le décret de 2001 ; réaffirmé par CE, Avis 28 juin 2013, n° 0363460, Lebon p. 185 ; chron. Le Bot (O.), JCP A, 2013, n° 052, p. 34) . Ces effets interruptifs se déploient devant les juges de premier ressort comme devant les juges d’appel (CE, 7 oct. 1994, n° 132031, inédit) .

Ce régime général connaît toutefois des aménagements en droit des étrangers. Selon l’article L. 511-1 CESEDA, l’étranger visé par une décision l’obligeant à quitter le territoire français dispose d’un délai d’un mois pour l’exécuter lui-même, à compter de la notification de la décision. Ce délai de départ volontaire correspond au délai de recours contentieux, au cours duquel l’étranger peut demander l’annulation des décisions individuelles qui lui ont été notifiées simultanément (art. L. 512-1 I CESEDA ; art. R. 776-2 CJA) . Outre le fait que le délai de recours est réduit dans le domaine du contentieux des étrangers, il n’est pas prorogé par l’exercice d’un recours administratif (art. R. 776-5 CJA) . Ce régime dérogatoire ne s’étend toutefois pas aux demandes d’aide juridictionnelle, qui peuvent être demandées « au plus tard lors de l’introduction de [l]a requête en annulation » (art. L. 511-1 CESEDA) et qui ont bien pour effet de proroger le délai de recours. La combinaison des délais suscite néanmoins des difficultés de calcul, qu’il appartient au juge administratif de résoudre.

II. Les modalités de calcul du délai de recours en cas de demande d’aide juridictionnelle favorables au requérant

Le calcul du délai de recours prend en compte plusieurs paramètres, conduisant à conjuguer plusieurs étapes clés venant rythmer la temporalité contentieuse. Tout d’abord, la première étape est celle où la requête est déposée, déclenchant le délai de recours. Ensuite, intervient le temps de la demande d’aide juridictionnelle auquel lui succède celui de la décision d’octroi ou de refus de l’aide juridictionnelle et celui à partir duquel le délai contentieux commence à courir à nouveau. Face à cet enchevêtrement (v. Lemaire (E.), « De l’influence de la notification de la décision d’aide juridictionnelle sur le délai de recours », AJDA, 2009, p. 1258), plusieurs précisions ont été apportées, s’orientant dans un sens favorable au demandeur – assez logiquement, dès lors que l’aide juridictionnelle est conçue au bénéfice du requérant.

En premier lieu, le délai de recours contentieux ne recommence à courir qu’après que la décision du BAJ est devenue définitive. Cela intervient soit à l’issue d’un délai de deux mois si l’admission est totale (délai durant lequel seuls le ministère public ou le bâtonnier peuvent contester la décision), soit après qu’il a statué s’il y a eu recours contre un refus ou une admission partielle, auquel cas la notification doit indiquer les modalités de recours (art. 50 décret du 14 juin 2001, n° 2001-512) pour faire courir le nouveau délai (CE, Sect., 28 juill. 2000, n° 151068, Lebon p. 347) . Autrement dit, la décision du BAJ ne devient définitive qu’à compter du « jour où il n’est plus possible d’exercer contre elle l’un des recours prévus à l’article 23 de la loi du 10 juillet 1991 » (CE, avis 28 juin 2013, préc.) . En outre, depuis le décret du 14 juin 2001, le Conseil d’État considère que le recours contre un refus d’admission à l’aide juridictionnelle suspend le délai de recours (CE, 22 mars 2006, n° 0278974, Lebon T., p. 1004 ; revenant sur CE, 8 nov. 1996, n° 0177833, Lebon, p. 553).

En second lieu, la décision n° 397598 du 28 décembre 2016 du Conseil d’État affine encore cette combinaison : si la notification est postérieure à la date à laquelle la décision du BAJ devient définitive, elle acte la reprise du délai de recours (CE, 28 déc. 2016, n° 397598, Lebon T., p. 871 ; chron. Le Bot (O.), JCP-A, 2017, n° 019, p. 24), sans qu’il soit nécessaire d’informer le requérant que le délai a recommencé à courir (CE, 5 oct. 2015, n° 387048, Lebon T., p. 871 ; obs. Seiller (B.), Gaz. Pal., 2016, n° 05, p. 29) . Le Conseil d’État estime ainsi qu’ « en raison de l’objet même de l’aide juridictionnelle, qui est de faciliter l’exercice du droit au recours effectif », ces règles « ne sauraient avoir pour effet de rendre ce délai opposable au demandeur tant que cette décision ne lui a pas été notifiée » (nous soulignons) . Ce considérant de principe est repris par la décision de la Cour administrative d’appel du 24 octobre 2019. Dans cette affaire, l’admission au bénéfice de l’aide juridictionnelle en première instance est totale, partant la décision du BAJ ne devenait définitive qu’à l’expiration d’un délai de deux mois (dans le même sens, v. C.A.A. Bordeaux, 28 sept. 2017, n° 17BX00054 ; CE, 21 février 2018, n° 407346, inédit) . Cette position jurisprudentielle entend alors aller dans le sens du requérant, rappelant la fonction d’information essentielle que constitue la notification.

En ce sens, l’absence de notification fait traditionnellement obstacle à l’enclenchement du délai de recours. Ainsi, à défaut de notification de la décision du BAJ par lettre recommandée avec avis de réception, « le délai de recours contentieux de trente jours (…) n’est pas opposable » (T.A. Bordeaux, 22 juin 2017, n° 1700925 ; T.A. Bordeaux, 23 mars 2017, n° 1605299 ; T.A. Marseille, 22 oct. 2019, n° 1905908). La notification est ainsi replacée au cœur de l’articulation des délais de recours, rappelant une nouvelle fois l’influence de la théorie de la connaissance acquise sur le contentieux administratif.

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