Cas du règlement d'un service de distribution d'eau potable qui autorise ce service à solliciter le remboursement, par des abonnés, du coût de réparation de la partie du branchement qui est située dans leur propriété privée, "dès lors qu'aucune faute de service n'a été commise par le service de l'eau potable". Une telle clause n'est pas abusive dès lors qu'elle n'a pour effet ni d'exonérer le service des eaux de sa responsabilité à raison de sa propre faute, ni d'exclure la possibilité, pour l'abonné, de rechercher la responsabilité d'un tiers à raison des dommages.
Service public de la distribution d’eau potable : clauses abusives au sens du code de la consommation
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Décision de justice
TA Grenoble – N° 1704706 – 22 mars 2018 – C+ 
Informations complémentairesJuridiction : TA Grenoble
Numéro de la décision : 1704706
Date de la décision : 22 mars 2018
Code de publication : C+
Index
Textes
Résumé
Note
Lydia Houmer
Juriste chez Enedis - Diplômée du Master 2 Droit public des affaires de l’Université Jean Moulin Lyon 3
DOI : 10.35562/alyoda.6459
Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, le juge du tribunal administratif de Grenoble (ci-après TA de Grenoble) a été amené à se prononcer sur la légalité d’un règlement de service d’eau potable eu égard aux dispositions issues du code de la consommation.
En l’espèce, les usagers du service public d’eau potable de la ville de Saint-Nazaire-Les- Eymes contestaient la légalité du règlement de service afférent au motif que son article 5 d) constituait selon eux une clause abusive au sens des articles L. 212-1 et suivants du Code de la consommation. Cet article du règlement prévoyait la possibilité de réclamer à l’abonné le remboursement du coût de réparation de la partie de branchement située sur sa propriété privée, dès lors qu’aucune faute de service n’avait été commise.
Pour rappel, en matière de service public d’eau potable et d’assainissement, les branchements situés sur l’emprise du domaine public constituent des branchements conformes, et ce en vertu de l’article L.1331-2 du code de la santé publique .Ces derniers sont alors propriété de la collectivité qui doit en assurer l’entretien et en contrôler la conformité. A contrario, la partie de branchement située en propriété privée n’appartient pas à la collectivité et n’est pas constitutive d’un branchement conforme. Il résulte de cette distinction une différence de régime de responsabilité quant à l’entretien de ces branchements, qui pour les premiers incombe à la collectivité, et les seconds, au propriétaire privé.
En l’occurrence, les installations visées par la disposition litigieuse étaient situées en propriété privée et non pas sur le domaine public, ce qui explique la possibilité prévue pour la commune de réclamer à l’abonné la répétition des coûts engendrés par la réparation de ces installations.
A l’appui de leur demande, les requérants invoquaient les moyens selon lesquels la clause ferait peser sur eux la charge de la preuve, qu’elle prévoirait un engagement ferme de ces derniers alors que la prestation de la commune est assujettie à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté et enfin, qu’elle leur ferait supporter les conséquences de dommages qui ne leur sont pas imputables, le tout en réservant le droit à la collectivité de modifier unilatéralement certaines clauses essentielles du contrat.
Malgré les arguments avancés, le juge administratif grenoblois a finalement déclaré légale la disposition litigieuse et ce au moyen d’une application rigoureuse de la jurisprudence précédemment développée par le Conseil d’État en matière de clauses abusives.
En effet, par son arrêt de section en date du 11 juillet 2001 ( Conseil d’Etat, Section, 11 juillet 2001, n° 221458, Société des eaux du Nord) , et dans la lignée de ce qu’avait déjà été affirmé par la Cour de cassation (Civ. 1re, 31 mai 1988, no 87-10.479), la Haute juridiction administrative avait pleinement intégré les dispositions relatives aux clauses abusives dans son bloc de légalité, offrant ainsi un nouvel outil de protection au service des usagers des services publics industriels et commerciaux (ci-après SPIC) . Par cette décision, le Conseil d’Etat avait souligné que l’exorbitance attachée au service public ne faisait pas obstacle à l’application par le juge administratif des règles relatives aux clauses abusives, assimilant ainsi usagers des SPIC aux consommateurs classiques du secteur privé.
Ce faisant, le Conseil d’Etat avait dégagé une position de principe pour apprécier le caractère abusif d’une clause en considérant qu’il s’apprécie « non seulement au regard de cette clause elle-même, mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service ».
Reprenant cette grille de lecture, le TA de Grenoble a estimé que la disposition litigieuse ne constituait pas une clause abusive au sens des articles précités principalement aux motifs qu’elle « n’[avait] pas pour effet d’exonérer le service de sa responsabilité à raison de sa propre faute », ni d ’ « exclure la possibilité, pour un abonné de rechercher la responsabilité d’un tiers à raison des dommages subis ». En sus de ce motif, le juge administratif a souligné que cette clause ne s’appliquait qu’à « des situations transitoires » étant donné que la commune avait prévu de rendre ces installations conformes en déplaçant le branchement et le compteur sur le domaine public. Partant, le caractère abusif de la clause a été écarté en se fondant sur la prise en compte du contexte du service.
Cette appréciation qui se veut plus globale et va au-delà de la clause litigieuse stricto-sensu s’avère donc défavorable à l’usager. D’ailleurs, plus que le contexte du service, des principes directeurs du service public tels que la mutabilité ou encore la continuité ont pu être mobilisés pour faire échec à la demande de requérants. (v. par ex CAA Nantes, 29 décembre 2005, n° 03NT00250 Vitteau c.Commune de Beaugency) .
Somme toute, ce jugement témoigne à nouveau de la nuance qu’il convient d’apporter à l’enrichissement du bloc de légalité du juge administratif.et rappelle en effet que la protection de l’usager d’un SPIC peut être amoindrie face à celle offerte à un consommateur « classique ». Comme le soulignait justement Guillaume Lazzarin, « l’application du droit des clauses abusives aux services publics, censée rapprocher l’usager du consommateur, constitue finalement un révélateur de leurs différences » (v. G. Lazzari, L’application du droit de la consommation aux services publics, RFDA, 2022, p. 591).
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