Décision de justice

TA Lyon – N° 1604108 – 17 mai 2018

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 1604108

Date de la décision : 17 mai 2018

Index

Mots-clés

Budget local, Information, Vote utile

Rubriques

Institutions et collectivités publiques

Résumé

Le tribunal administratif de Lyon annule la délibération de la région Auvergne-Rhône-Alpes approuvant son budget primitif pour l’année 2016.

Le tribunal administratif de Lyon juge que cette délibération ne satisfait pas aux exigences de l’article L.  4132-17 du code général des collectivités territoriales. L’information délivrée aux membres du conseil régional pour le vote du budget notamment en ce qui concerne la répartition de l’enveloppe de 4,7 millions d’euros pour le projet de Center Parcs à Roybon n’a pas été suffisante pour leur permettre d’exercer leurs attributions. Interrogés sur la répartition des fonds consacrés au projet de Center Parcs, le président et le vice-président de la région ont donné des réponses générales en évoquant la transversalité du projet mais n’ont pas apporté de précisions sur la répartition prévue et la nature des dépenses envisagées, indispensable pour permettre un vote utile du budget par chapitre.

L’annulation du budget régional 2016 : l’instrumentalisation du droit budgétaire pour pallier les défaillances du débat démocratique

Damien Catteau

Maître de conférences en droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3 - Equipe de droit public de Lyon (EA 666)

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DOI : 10.35562/alyoda.6457

Le droit budgétaire local revêt une importance toute particulière dès lors que le budget local constitue le support juridique de la mise en œuvre des politiques publiques mais aussi, et par voie de conséquence, le cœur du débat démocratique local. Dans le même temps, c’est également un droit qu’on pourrait qualifier d’éphémère dès lors qu’il est contraint par l’incontournable principe d’annualité qui, il est vrai, s’accommode parfois assez mal des délais propres au contentieux administratif. Dès lors, le contentieux budgétaire aboutit parfois à des décisions de justice singulières comme l’est assurément le jugement rendu par le Tribunal administratif de Lyon le 17 mai 2018.

Dans cette espèce, les requérantes, conseillères régionales d’Auvergne-Rhône-Alpes, membres du groupe d’élus « Le rassemblement citoyens écologistes solidaires », demandaient l’annulation de la délibération approuvant le budget primitif de la région pour l’année 2016, soutenant, à l’appui de leur recours, une méconnaissance du droit à l’information des élus ainsi que de leur droit d’amendement, mais également l’illégalité d’une enveloppe de 4, 7 millions d’euros prévue, sous forme d’autorisation de programme, pour le projet de Center Parcs de Roybon. Les requérantes soulevaient ainsi, et s’agissant de cette « subvention », l’existence d’un conflit d’intérêt autour d’un des vices présidents du conseil régional et l’illégalité de l’autorisation de programme du fait de celle du projet lui-même (concernant l’affaire du Center Parcs de Roybon, voir notamment : TA de Grenoble, ordonnance du 23 déc. 2014, n° 1406934 ; CE, 3 avril 2015, association « Pour les Chambaran sans Center Parcs », n° 386991 ; CE, 18 juin 2015, société Roybon Cottages, n° 386971 ; TA de Grenoble (3e et 5e chambres réunies), 16 juillet 2015, Union Régionale Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature (UR FRAPNA) et autres, n° 1406678, 1406933, 1501820 ; CAA de Lyon (3ème et 1ère chambres réunies), 16 déc. 2016, n° 14LY03705, n°s 15LY03104, 15LY03144 et n°s 15LY03097, 15LY03110 (3 arrêts) ) . S’appuyant sur la règle de l’économie de moyens, le juge administratif va retenir la méconnaissance du droit à l’information des élus et, sans examiner les autres moyens soulevés par les requérantes, annuler la délibération approuvant le budget 2016, deux ans après son adoption et un an après l’approbation des résultats de l’exercice par le vote du compte administratif. Aussi, peut-on bien évidemment s’interroger sur la portée d’une telle décision mais aussi, et d’autant plus au regard du contexte politique relativement conflictuel entre la majorité régionale et les groupes d’opposition (notamment concernant l’affaire du Center Parcs de Roybon), sur une éventuelle instrumentalisation du droit budgétaire comme moyen de pallier les défaillances du débat politique. En effet, alors même que la décision présente une solution plutôt « classique » en termes de droit budgétaire local (I), l’annulation n’aura eu que peu de conséquences pratiques (II), si ce n’est d’obliger, pour des raisons d’orthodoxie budgétaire, à revoter le budget et ainsi à prolonger un peu plus cette « tension » existante entre le débat juridique et le débat politique.

I. Une décision logique : le droit à l’information des élus

Quand bien même le jugement du tribunal administratif a ceci d’exceptionnel d’aboutir à la première annulation d’un budget régional, il s’inscrit dans une jurisprudence assez classique en matière de droit budgétaire local. En effet, l’article L. 4132-17 du code général des collectivités territoriales accorde à un droit d’information individuelle aux élus en disposant que « tout membre du conseil régional a le droit, dans le cadre de sa fonction, d’être informé des affaires de la région qui font l’objet d’une délibération ». Or, ce droit d’information des élus est relativement bien circonscrit par la jurisprudence administrative, notamment s’agissant du budget communal, et se décline, pour l’exécutif local, à la fois en une obligation de remettre à l’avance à chaque élu un minimum d’informations pertinentes et en une obligation d’établir et de tenir à la disposition des conseillers une information complète (Voir notam. J.-L. Albert, « Budgets et comptes locaux : élaboration et le vote du budget », in J.-C. DOUENCE (dir.), Encyclopédie des collectivités locales, Vol. 1. Chap. 2 (folio n° 7040), n° 124-146).

Sans revenir sur une jurisprudence particulièrement fournie sur ces questions, il ressort en particulier de cette dernière que les conseillers peuvent, au-delà des documents accessibles à toute personne dans les conditions prévues par la loi du 17 juillet 1978, exciper de leur qualité particulière de conseiller pour exiger certains documents ou renseignements supplémentaires leur permettant d’exercer leur contrôle (Voir notam. CE (7/10 SSR), 10 juill. 1996  n° 140606 et CE (Sect), 23 avril 1997, Ville de Caen , n° 151852, Rec. p. 158) . Du reste, il ressort assez clairement d’une réponse ministérielle de 2016 concernant à la fois l’articulation entre ces deux obligations, mais aussi la prééminence et l’étendue de la seconde sur la première, que lorsqu’il s’agit d’envisager l’annulation du budget, « il se déduit de la jurisprudence que le défaut d'organisation d'une information préalable à l'initiative de l'exécutif […] ne peut, à elle seule, justifier l'annulation d'une délibération : ce n'est que si [l’exécutif] ne donne pas satisfaction à la demande de communication des documents nécessaires à leur information, formulée par les conseillers, qu'il est porté atteinte au dispositif légal » (a contrario, voir : CE (6/1SSR), 14 nov. 2012, Commune de Mandelieu-La Napoule, n° 342327).

Or, il ressort des circonstances de l’espèce que Mme Cosson, présidente du groupe d’élus « Le rassemblement citoyens écologistes et solidaires » avait interrogé, par courrier, le président de Région, entre autres questions, sur la répartition exacte de l’enveloppe de 4, 7 millions d’euros concernant le Center Parcs à Roybon. En appréciant, in concreto, si cette demande d’information avait été satisfaite, le juge a estimé qu’il ne ressortait ni du courrier de réponse du président, ni des débats en commission auxquels il renvoie, ni-même du compte-rendu de la séance, que Mme Cosson ait jamais obtenu une « réponse satisfaisante » à ses questions et notamment la répartition et la nature des dépenses de ladite enveloppe. Dès lors et de manière assez cohérente, le juge considère que « l’information délivrée aux membres du conseil régional n’a pas été suffisante pour leur permettre d’exercer leurs attributions et n’a pas satisfait aux exigences de l’article L. 4132-17 du code général des collectivités territoriales ». Par voie de conséquence, et estimant que « cette information était indispensable pour permettre un vote utile par chapitre », le juge a prononcé, là encore assez logiquement, l’annulation de l’ensemble de la délibération approuvant le budget primitif pour 2016.

Reste que si la décision est tout à fait conforme à la jurisprudence établie dans ce domaine, la particularité de cette espèce tient en réalité aux conséquences extrêmement limitées de l’annulation.

II. Les conséquences limitées de l’annulation : une décision symbolique ?

Alors même que le budget a été exécuté en 2016, et l’exercice définitivement clos par le vote du compte administratif en 2017, l’annulation du budget, intervenant en 2018, n’a d’autres conséquences que l’obligation d’adopter une nouvelle délibération approuvant, rétroactivement et formellement, le budget. Pire encore, la décision n’a aucune conséquence concernant l’enveloppe de 4, 7 millions d’euros contestée. Le projet du Center Parcs de Roybon étant suspendu depuis 2014, l’autorisation de programme est de fait une autorisation de programme « dormante » qui n’a, semble-t-il, fait l’objet d’aucun engagement de crédits et a finalement été annulée puis réinscrite dans le budget 2017 (ayant lui-aussi fait l’objet d’un recours pendant des membres de l’opposition) . Aussi, ne faudrait-il voir dans cette annulation qu’une « victoire avant tout symbolique » du point de vue de l’opposition, ou, au contraire, une simple manœuvre politicienne et une « instrumentalisation de la justice » du point de vue de la majorité. Quoi qu’il en soit, il apparaît que le débat juridique, loin d’être porté par le seul désir du strict respect des règles budgétaires, semble en quelque sorte permettre de prolonger un débat politique, si ce n’est défaillant, à tout le moins sans issue. Les suites de cette affaire paraissent d’ailleurs confirmer cette impression.

En effet, dès lors que la délibération approuvant le budget a été annulée, et se trouve donc réputée n’être jamais intervenue, la (seule) conséquence directe de cette annulation est l’obligation de régularisation rétroactive que commande l’orthodoxie budgétaire, et plus spécifiquement le principe d’antériorité de l’autorisation, propre à la notion même de budget. Cette régularisation aurait dû avoir lieu lors de l’assemblée plénière suivant l’annulation, soit le 14 juin. Or, il n’en a rien été et la Chambre régionale des comptes a en conséquence été saisie pour avis par le préfet sur le fondement de l’article L. 1612-2 du CGCT (absence de vote du budget dans le délai imparti) . Dans son avis du 24 juillet 2018, la Chambre va appliquer de manière très didactique, et néanmoins extrêmement classique, le raisonnement inhérent à la procédure prévue à l’article L. 1612-2. Elle va en effet constater tout d’abord l’annulation du budget et la nécessité de régularisation, en précisant au surplus que celle-ci ne saurait résulter du vote ultérieur du compte administratif. Puis, constatant l’absence de ce budget « fantôme », et pour cause, au-delà du délai d’adoption (fixée au15 avril 2016), va prononcer la recevabilité de la saisine du préfet, qui prive d’ailleurs le conseil régional de sa capacité de délibérer à nouveau sur le budget. Enfin, constatant que l’exercice 2016 est définitivement clos, elle va proposer le règlement d’office du budget par le préfet, sur la base du projet de budget primitif initialement voté en 2016. C’est dire, là encore, l’effet on ne peut plus limité de l’ensemble de cette procédure, purement formelle et uniquement fondée sur le rétablissement de l’orthodoxie budgétaire.

Néanmoins, quand bien même cet avis n’apporte aucune surprise sur le fond, les circonstances de la saisine sont, elles, beaucoup plutôt intéressantes. En effet, alors que le conseil régional était, à partir de la notification de l’annulation, à nouveau compétent pour délibérer sur le budget, et avait obligation de le faire d’ailleurs, on aurait pu imaginer que la saisine du préfet ait été sollicitée par les membres de l’opposition, voire même par un citoyen-contribuable, constatant la défaillance du conseil. Pourtant, il semblerait que le préfet ait en réalité été sollicité par le président du conseil régional lui-même, en raison du « risque juridique important » qu’aurait pu induire une nouvelle délibération. Cette sollicitation surprend d’autant plus que le règlement d’office du budget par le préfet, en cas de dépassement du délai d’adoption, a généralement une connotation de « sanction » à l’égard de l’exécutif. Or, alors même qu’il est difficile d’envisager quel « risque » réel, qu’il soit juridique ou politique, aurait pu comporter une telle délibération formelle, force est de constater qu’elle permet, à l’évidence, de soustraire la question du débat en séance. Tout au plus, l’avis de la CRC et le règlement d’office feront-ils l’objet des mesures d’information et de publicité habituelles dans le cadre de cette procédure. Aussi, là encore selon le point de vue, pourra-t-on estimer que cette sollicitation du préfet constitue, pour la majorité, une solution permettant d’empêcher des manœuvres politiques et dilatoires que pourraient induire une nouvelle délibération ou, au contraire, pour les membres de l’opposition, une instrumentalisation du contrôle budgétaire pour contourner le débat démocratique.

Quoi qu’il en soit, solliciter à la fois le juge administratif et le juge financier, en plus du représentant de l’État, sur un budget « fantôme » relatif à un exercice définitivement clos depuis plus d’un an ne manque certes pas d’originalité mais semble illustrer les défaillances du débat démocratique et cette tentation que peuvent parfois avoir les élus locaux de faire arbitrer par le juge des différends dont les enjeux sont de nature bien plus politique que juridique.

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