Dans l’affaire portée devant la Cour administrative d’appel de Lyon, est posée la question de l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des activités d’un établissement et services d’aide par le travail (ESAT) et les conséquences de cette problématique du point de vue de la taxe sur les salaires. Selon l’article L. 344-2 du Code de l’action sociale et des familles, « les établissements et services d'aide par le travail accueillent des personnes handicapées dont (…) les capacités de travail ne leur permettent, momentanément ou durablement, à temps plein ou à temps partiel, ni de travailler dans une entreprise ordinaire ou dans une entreprise adaptée ou pour le compte d'un centre de distribution de travail à domicile, ni d'exercer une activité professionnelle indépendante. Ils leur offrent des possibilités d'activités diverses à caractère professionnel, ainsi qu'un soutien médico-social et éducatif, en vue de favoriser leur épanouissement personnel et social ».
La Cour administrative d’appel de Lyon dans un arrêt du 9 mars 2017 inédit au Lebon se prononce précisément sur l’activité d’hébergement de personnes handicapées exercées par un ESAT. Comparant les conditions d’exercice de cette activité avec le secteur lucratif, elle se positionne dans le sens du non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée.
Pour arriver à cette solution, elle va analyser l’activité à l’aune des dispositions relatives aux organismes d’utilité générale (2), pour ensuite l’appréhender du point de vue des dispositions visant les personnes publiques (3) . La singularité de cette combinaison s’explique par la qualité de l’établissement organisant l’activité, puisqu’il s’agit d’une personne publique. Pour comprendre cette solution, une brève présentation de l’ESAT et de son régime fiscal s’impose (1).
1. Le régime des établissements et services d’aide par le travail en matière de TVA
Les ESAT (anciennement dénommés centres d’aide par le travail) sont en règle générale constitués sous la forme d’association de la loi de 1901 et ont pour objet l’accueil des personnes handicapées en vue de faciliter leur insertion sociale et professionnelle. Pour cela, ils accueillent des personnes handicapées afin de leur offrir des possibilités d’activités professionnelles adaptées à leur situation, ainsi qu’un soutien médico-social et éducatif dans le but de favoriser leur épanouissement personnel et social.
Ces établissements sont placés sous la responsabilité des agences régionales de santé, établissement public administratif chargé de la mise en œuvre de la politique de santé à l’échelon régional. La prise en charge d’activités d’utilité sociale se fait historiquement par l’intervention du secteur associatif. Néanmoins, la manifestation des personnes publiques dans ce domaine est une pratique de plus en plus courante. Dans ce cas, la structure la plus privilégiée est celle de l’établissement public. C’est ainsi qu’un ESAT peut être directement géré par un établissement public, comme en témoigne le présent cas. Cela expliquera la démarche particulière adoptée par le juge administratif dans l’appréhension de l’activité d’hébergement de travailleurs handicapés.
L’établissement public médico-social (EPMS) Les Ateliers du Cheney, requérant dans cette affaire, est un ESAT réalisant, outre son activité principale d’accompagnement les handicapés, deux activités, à savoir une activité de production et une activité d’hébergement de travailleurs handicapés. Les activités des ESAT sont situées dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée, mais bénéficient en principe d’une exonération législative. En effet, le 7 de l’article 261 du Code général des impôts dispose que « les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient » sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée (article 261 7 1° b du Code général des impôts) .
Une option pour l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée est néanmoins possible, en application des articles 195 B à 195 D de l’annexe II au Code général des impôts. Elle vise les ventes d’articles fabriqués par des groupements d’aveugles ou de travailleurs handicapés. La doctrine administrative complète ces dispositifs et confirme cette possibilité d’option pour les activités de production et de commercialisation effectuées par les personnes handicapées au sein de l’ESAT (BOI-TVA-CHAMP-30-10-30-20). Cette option a été exercée par l’établissement public médico-social Les Ateliers du Cheney. Son rapport d’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée était donc de 82 %.
Néanmoins, les entreprises et organismes qui n’ont pas été assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires se trouvent soumis à la taxe sur les salaires, conformément à l’article 231-1 du Code général des impôts. Ainsi, il peut être favorable pour une entreprise ou une personne publique d’être soumises à la taxe sur la valeur ajoutée de plein droit ou sur option, afin d’écarter un assujettissement à la taxe sur les salaires, ou de limiter son assiette puisque celle-ci intègre dans son calcul le rapport d’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, le rapport d’assujettissement de 82 % avait donc pour conséquence d’inclure l’ESAT dans le champ d’application de la taxe sur les salaires.
Ce rapport d’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de 82 % est cependant contesté par l’ESAT. Celui-ci considère le montant de ce rapport à 98 %, lui permettant d’échapper à la taxe sur les salaires. Ce rapport d’assujettissement résulte selon le requérant de l’assujettissement de son activité d’hébergement de personnes handicapées à la taxe sur la valeur ajoutée dont l’exercice entraînerait une distorsion de concurrence. Après le rejet de la réclamation de l’EPMS Les Ateliers du Cheney par l’administration, le tribunal administratif de Dijon a également adopté la même position.
Suite à l’appel du jugement rendu par le tribunal administratif de Dijon, la Cour administrative d’appel de Lyon par un arrêt du 9 mars 2017 rejette aussi la requête de l’EPMS au motif de l’absence l’assujettissement de son activité d’hébergement de travailleurs handicapés. Pour analyser cette activité et répondre à la problématique de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, la Cour administrative d’appel procède à une méthode en deux temps. D’abord, elle va analyser l’activité à l’aune des dispositions relatives aux organismes d’utilité générale, pour ensuite l’appréhender du point de vue des dispositions visant les personnes publiques. La singularité de cette combinaison s’explique par la qualité de l’établissement organisant l’activité, puisqu’il s’agit d’une personne publique.
2. L’appréhension de l’activité d’utilité sociale à l’aune de la concurrence
La Cour administrative d’appel fait application de l’article 261 du Code général des impôts pour analyser l’activité d’hébergement à l’aune de la concurrence. En l’espèce, le prix d’une journée d’hébergement est fixé par le département de l’Yvonne. Les personnes morales du secteur non lucratif ne se trouvent en situation de concurrence avec l’EMPS puisque celles-ci, selon la Cour, se trouveront également exonérées de taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement de l’article 261 du Code général des impôts. Ainsi, tant l’EMPS que les organismes sans but lucratif se trouvent hors du secteur concurrentiel.
Cette activité d’hébergement peut également être exercée par le secteur lucratif. Cependant, l’EMPS se distinguera des personnes morales du secteur lucratif par la tarification sociale qu’il a mise en place, faisant que « tout bénéficiaire de la prestation d'hébergement qu'il fournit doit verser les deux tiers de son salaire, 90 % de l'allocation d'adulte handicapé, la totalité de l'allocation logement et, le cas échéant, la prime pour l'emploi qu'il perçoit ». Selon la Cour, cette tarification exclut le caractère lucratif de l’activité. Cette appréciation souligne la prise en compte de la plus-value sociale apportée par l’activité d’hébergement.
On peut à ce stade s’interroger sur un premier point relatif à la dissociabilité des activités d’hébergement et de production. L’activité d’hébergement de personnes handicapées est par essence socio-médicale puisqu’elle contribue à l’accompagnement de ces personnes. Mais ne pourrait-on pas considérer cette activité comme le prolongement de l’activité de production, dans le cas où les personnes handicapées bénéficiant de l’activité d’hébergement seraient les mêmes protagonistes contribuant à cette activité de production ? Cette interrogation doit pourtant laisser place à la cohérence. En effet, la particularité des ESAT est reflétée par la nature dualiste de ses activités, d’une part à caractère médico-social et d’autre part à caractère commercial, imposant une appréciation indépendante de ces activités. Cette sectorisation dans l’appréhension des activités se retrouvera également d’un point de vue comptable dans l’exercice du droit à déduction (article 209 de l’annexe II au Code général des impôts.
La Cour administrative d’appel intègre ensuite cette démonstration au sein d’un volet « personne publique », afin d’analyser l’activité de l’établissement public.
3. L’appréhension de l’activité l’utilité sociale exercée par une personne publique
Comme la Cour l’avait rappelé initialement, une personne morale de droit public est exonérée de la TVA pour certaines activités lorsque son non-assujettissement n’entraîne pas de distorsions de concurrence (article 256 B du Code général des impôts). Ces activités concernent « leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs ».
La Cour vise ensuite l’article 13 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (reprenant le paragraphe 5 de l’article 4 de la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977). Selon cette disposition, les activités accomplies par les établissements publics sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée lorsque leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance malgré l’accomplissement de ces activités « en tant qu’autorités publiques ». On notera, et le constat n’est pas nouveau, l’absence de parallélisme entre la disposition de droit interne et la disposition européenne puisque la première vise des activités quand la seconde vise l’exercice d’activités en tant qu’autorité publique.
La Cour complète sa démonstration en reprenant la portée de la jurisprudence Isle of Wight Council (CJCE 16 septembre 2008, C-288/07, Isle of Wight Council) selon laquelle l’évaluation de la concurrence doit être fait « sans que cette évaluation porte sur un marché local en particulier ». C’est ainsi que les conditions tarifaires développées précédemment excluent la situation de concurrence avec le secteur lucratif potentiellement existant. Cette appréciation in abstracto posée par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs été reprise ultérieurement par le Conseil d’Etat (CE, 23 décembre 2010, Commune de Saint-Jorioz, n° 307856) . La Cour administrative d’appel de Lyon poursuit en présentant ainsi l’EPMS comme une personne publique « agissant en tant qu’autorité publique ». L’établissement public médico-social Les Ateliers du Cheney exerce donc son activité d’hébergement des travailleurs handicapés en tant qu’autorité publique.
L’exercice d’une activité « en tant qu’autorité publique » invitant à l’usage de prérogative de puissance publique afin de remplir une mission d’intérêt général. En captant parmi ses ressources, celle provenant des bénéficiaires de l’hébergement et fonction d’une tarification sociale, il s’agit bien pour l’établissement public de réaliser sa fonction socio-médicale qui constitue une mission d’intérêt général.
Il convient de noter que l’appréciation de l’activité par rapport au secteur concurrentiel n’est pas identique à celle qui serait faite si l’activité avait été organisée par organisme de droit privé. En effet, pour l’analyse de l’assujettissement aux impôts commerciaux des organismes à but non lucratif, il convient d’analyser le marché in concreto, c’est-à-dire en fonction des personnes offrant réellement les mêmes produits et services sur le marché concerné (BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 n° 530 ). Néanmoins, dans la présente affaire, cette divergence est sans conséquence.
Cette appréciation de l’activité non lucrative de l’hébergement des travailleurs handicapés est justifiée puisque cette activité est l’une des manifestations de la fonction socio-médicale. Cette présence hors du champ lucratif de l’ESAT, au même titre que les organismes à but non lucratif, est économiquement fondée puisque l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de ces activités prises en charge par les personnes publiques et les organismes non lucratifs entrainerait une distorsion de concurrence à leur détriment. En effet, la prise en charge de cette mission sociale a un coût qui doit être compensé par cette exonération à cette charge fiscale. C’est ainsi que l’on peut d’ailleurs regretter l’inadéquation entre l’appréhension de cette activité au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, et les conséquences qui en découlent. Cette conséquence en l’espèce est contreproductive, elle signifie pour l’ESAT le fait d’être assujetti à la taxe sur les salaires, et donc de créer une charge supplémentaire à l’encadrement des handicapés.