Mme M., de nationalité sénégalaise, a sollicité le 19 décembre 2012 sa régularisation auprès du préfet de la Haute-Savoie, en produisant à cette occasion une promesse d’embauche, en date du 26 novembre 2012. Par arrêté du 27 janvier 2014, le préfet de la Haute-Savoie a rejeté cette demande de titre de séjour et assorti ce refus d’une obligation de quitter le territoire français. Le préfet de la Haute-Savoie relève appel du jugement du 4 juillet 2014 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions par une requête qui est recevable, la requête ayant été enregistrée le 19 août 2014 soit dans le délai d’un mois suivant la notification du jugement le 18 juillet 2014, le délai d’un mois fixé à l’article R. 776-9 du code de justice administrative étant un délai franc (CE, 15 septembre 2004, Préfet de police c/ M. B. 244713, aux Tables).
Pour rejeter la demande de titre de séjour, le préfet a indiqué dans un premier temps que la situation de Mme M., examinée au regard des critères de la circulaire du 28 novembre 2012, ne relevait pas de considérations humanitaires et de motifs exceptionnels au sens de l’article L. 313-14 du CESEDA, Mme M. étant présente en France depuis moins de dix années, ayant ses principales attaches familiales au Sénégal. Il estimait que, par conséquent, et dès lors qu’elle ne rentrait pas dans le champ de l’article L. 313-14, la situation de l’emploi lui était opposable. Il a alors, dans un deuxième temps, examiné sa demande au regard des dispositions de l’article L. 313-10 du CESEDA, pour considérer qu’elle ne remplissait pas les conditions de délivrance d’un titre de séjour sur ce fondement, ne disposant d’aucun visa de long séjour ni d’un contrat de travail visé par les services du ministère chargé de l’emploi, ajoutant que la situation de l’emploi pour le type de poste qui lui était proposé était défavorable (105 demandes pour 3 offres). Enfin, le préfet a écarté la possibilité d’une délivrance de titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l’article L. 313-11 du CESEDA et estimé qu’aucune mesure dérogatoire n’était justifiée.
Confronté à cette décision pour le moins mal bâtie, le tribunal administratif de Grenoble a retenu, par le jugement du 4 juillet 2014 dont il est relevé appel, le moyen tiré de l’erreur de fait commise par le préfet de la Haute-Savoie qui n’a pas pris en compte un contrat de travail en date du 11 décembre 2013 en qualité d’aide-ménagère. Il est vrai que ce contrat, contrairement au précédent, n’a pas été visé par la décision ni analysé par le préfet. Mais ce dernier soutient que ce contrat n’avait pas été porté à sa connaissance avant la décision litigieuse du 27 janvier 2014 et Mme M. n’établit pas le contraire. Elle se borne à faire état d’un reçu préfectoral en date du 13 janvier 2014, postérieur à cette promesse d’embauche, mais ce reçu porte sur le paiement du droit de visa de régularisation d’un montant de 340 euros perçu lors d’une demande de titre de séjour et est donc sans lien avec une éventuelle production de pièces par Mme M..
Vous censurerez donc le motif retenu par le tribunal et examinerez par la voie de l’effet dévolutif les autres moyens soulevés par Mme M..
Comme nous l’avons rappelé, le préfet a à titre principal opposé à la demande de Mme M. les critères fixés par la circulaire du 28 novembre 2012. Il pourrait ainsi être regardé comme ayant entaché sa décision d’une erreur de droit (voyez CAA Lyon, 2ème chambre, 2 décembre 2014, M. M., 14LY00140) . Mais, le préfet a indiqué avoir examiné la situation de Mme M. « notamment » au regard des critères de la circulaire du 28 novembre 2012, et contrairement au précédent cité, on pourrait considérer qu’il ne s’est pas senti lié par ceux-ci. Par ailleurs, et surtout, le moyen n’est pas soulevé.
Mme M. reproche au préfet de n’avoir pas examiné sa demande au regard de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal relatif à la gestion concertée des flux migratoires signé à Dakar le 23 septembre 2006, et l’avenant à cet accord signé le 25 février 2008.
Comme nous l’avons dit, la demande de Mme M. était à titre principal une demande de régularisation à titre exceptionnelle. Aux termes du paragraphe 42 de l’article 4 de l’accord du 23 septembre 2006, dans sa rédaction issue du point 31 de l’article 3 de l’avenant signé le 25 février 2008 : « Un ressortissant sénégalais en situation irrégulière en France peut bénéficier, en application de la législation française, d’une admission exceptionnelle au séjour se traduisant par la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant : - soit la mention “salarié” s’il exerce l’un des métiers mentionnés dans la liste figurant en annexe IV de l’Accord et dispose d’une proposition de contrat de travail ; / - soit la mention “vie privée et familiale” s’il justifie de motifs humanitaires ou exceptionnels ».
Par avis du 9 novembre 2015, M. Y., 391429, le CE a indiqué que ces stipulations renvoyant à la législation française en matière d’admission exceptionnelle au séjour des ressortissants sénégalais en situation irrégulière rendent applicables à ces ressortissants les dispositions de l’article L. 313-14 du CESEDA et que, dès lors, le préfet, saisi d’une demande d’admission exceptionnelle au séjour par un ressortissant sénégalais en situation irrégulière est conduit à faire application des dispositions de l’article L. 313-14 du code.
Dans ces conditions, ne commet pas d’erreur de droit le préfet qui examine une telle demande au regard des dispositions de l’article L. 313-14 (CAA Paris, 25 janvier 2016, Préfet de police c/ M. S., 15PA01703 ; CAA Versailles, 26 janvier 2016, M. N., 14VE03497 ; CAA Nantes, 8 décembre 2015, M. K., 15NT00466) .
Resterait alors à déterminer comment le préfet doit, dans son raisonnement, intégrer l’existence d’une proposition de contrat de travail dans l’un des métiers mentionnés dans la liste figurant en annexe de l’accord franco-sénégalais. Cette question, qui n’a pas été envisagée par le CE dans l’avis précité, nous semble se décomposer en deux sous-questions.
Le préfet peut-il prendre en compte cette liste des métiers ?
Sur ce point, le CE semble s’être situé dans son avis du 9 novembre 2015, M. Y. dans le prolongement, d’un précédent avis concernant l’accord franco-béninois (CE, Avis du 5 juillet 2013, M. H., 367908, aux Tables), sous réserve des différences de rédaction entre les deux accords. Le CE après avoir indiqué que cet accord renvoyait à la législation nationale pour la délivrance des titres de séjour, était interrogé sur la question de savoir si le préfet devait prendre en compte la liste des métiers figurant en annexe à l’accord, pour lequel la situation de l’emploi ne devait pas être opposée aux ressortissants béninois, ou celle à laquelle renvoyaient alors les dispositions de l’article L. 313-14 du CESEDA, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2011. Le CE a répondu que « Cette demande devait donc être examinée par l’autorité administrative en prenant en compte tant la liste de ces métiers annexée à l’arrêté du 18 janvier 2008 pris pour l’application du troisième alinéa de l’article L. 313-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que celle définie par l’article 14 de l’accord de gestion concertée des flux migratoires. » Nous pensons qu’il en allait de même pour un ressortissant sénégalais. L’examen de la demande, dans les conditions prévues à l’article L. 313-14 du CESEDA, pouvait être effectué au regard de la liste des métiers figurant à l’annexe à cet accord.
On peut se demander s’il en va de même depuis la suppression de la référence à la liste des métiers en tension dans le texte du CESEDA. Dans ses conclusions sur l’avis H., le rapporteur public Da Costa indiquait que depuis la suppression de la référence à la liste des métiers en tension par la loi de 2011, la question ne se posait plus. Il serait en effet assez paradoxal que les ressortissants couverts par des accords bilatéraux au départ plus favorables en général que les dispositions nationales soient désormais les seuls à se voir opposer une liste des métiers (en ce que le préfet pourrait se borner à constater, pour rejeter leur demande d’admission exceptionnelle au séjour, que le métier auquel ils postulent ne figure pas sur la liste). Dès lors qu’il est renvoyé aux dispositions de l’article L. 313-14 du CESEDA, la référence à une liste de métiers ne nous paraît plus pertinente.
Quelles conséquences pourrait tirer le préfet de l’absence ou de la présence d’un métier sur cette liste (à supposer écartée la précédente objection) ?
Sur ce point, le fait que le demandeur dispose d’un contrat de travail figurant sur la liste des métiers en tension ne saurait lui donner un droit à la délivrance d’un titre de séjour, pas plus que l’absence du métier sur cette liste ne saurait à lui seul justifier le rejet de sa demande. Sur ce point voyez l’avis S. du 8 juin 2010 (n° 0334793) : « un demandeur qui justifierait d’une promesse d’embauche ou d’un contrat lui permettant d’exercer une activité figurant dans la liste annexée à l’arrêté interministériel du 18 janvier 2008, ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là-même, des « motifs exceptionnels » exigés par la loi. Il appartient, en effet, à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’examiner, notamment, si la qualification, l’expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement et recensés comme tels dans l’arrêté du 18 janvier 2008, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l’étranger ferait état à l’appui de sa demande, tel que par exemple, l’ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l’espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour »
Le fait qu’un ressortissant sénégalais produirait un contrat de travail pour un des métiers en tension figurant en annexe à l’accord ne saurait en lui-même le faire regarder comme établissant des motifs exceptionnels d’admission au séjour, au sens de l’article L. 313-14 du CESEDA, qui lui est seul applicable.
Dans ce sens, CAA Versailles, 18 février 2016, 15VE01025 ; CAA Versailles, 11 février 2016, 15VE00686 ; CAA Paris, 29 janvier 2016, Préfet de police, 13PA02637 ; CAA Paris, 25 janvier 2016, Préfet de police c/ S. précité.
A l’inverse, dans un cas où il a été jugé que le préfet « doit prendre en compte la liste des métiers figurant en annexe IV de l’accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 » (sans préciser comment) CAA Paris, 2 février 2016, M. D., 15PA00885.
En examinant la demande de délivrance d’un titre de séjour salarié à titre exceptionnel sur le fondement des seules dispositions de l’article L. 313-14 du CESEDA, le préfet de la Haute-Savoie n’a donc entaché sa décision d’aucune erreur de droit. Compte tenu notamment de l’absence d’expérience professionnelle de Mme M. dans les métiers pour lesquels elle avait produit des promesses d’embauche, celle-ci n’ayant apparemment jamais travaillé depuis son entré en France en 2008, il n’a pas non plus entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation. En revanche, on peut se demander si le préfet n’a pas sur ce point, entaché sa décision d’une erreur de droit, dès lors qu’il n’a in fine, pour apprécier l’opportunité d’une demande de régularisation par le travail, opposé que des considérations générales sur la situation familiale et personnelle de l’intéressée, mais le moyen n’est là encore pas soulevé.
Venons-en maintenant à l’examen de la demande de délivrance d’un titre salarié de plein droit, dont le préfet a envisagé la possibilité, avant de l’écarter.
Jusqu’à l’accord de 2006, il nous semble que s’appliquaient seules les dispositions du CESEDA. Si l’article 5 de la convention franco-sénégalaise du 1er août 1994 précisait que le ressortissant d’un Etat souhaitant exercer sur le territoire d’un autre Etat une activité professionnelle salariée devait justifier être en possession d’un certificat de contrôle médical et d’un contrat de travail visé par le ministère du travail dans les conditions prévues par la législation de l’Etat d’accueil, après que l’article 4 eut prévu que pour un séjour de plus de trois mois, les ressortissants d’un Etat devaient être munis d’un visa de court séjour, la convention ne prévoyait pour autant pas de délivrance d’un titre de séjour salarié. Comme le rappelait Damien Botteghi dans ses conclusions sur CE, 2 mars 2012, M. L., 355208, pour un accord supplétif, les dispositions de droit commun ont vocation à s’appliquer si elles ne sont pas exclues par les stipulations de l’accord bilatéral ». Tel n’était pas le cas pour l’accord franco-sénégalais, alors que l’article 13 de la convention renvoyait aux législations des deux Etats pour la délivrance des titres de séjour.
Sur ce point et pour des stipulations identiques, pour la convention franco-malienne, CE, 7 mai 2013, M. D., 366481.
Mais, l’accord du 23 septembre 2006 et son avenant ont introduit au sein de son article 3 des dispositions pour le moins mal rédigées, qui font hésiter sur la question de savoir si cette logique peut être maintenue.
Le sous-paragraphe 321 de l’accord prévoit : « La carte de séjour temporaire portant la mention “salarié”, d’une durée de douze mois renouvelable, ou celle portant la mention “travailleur temporaire” sont délivrées, sans que soit prise en compte la situation de l’emploi, au ressortissant sénégalais titulaire d’un contrat de travail visé par l’Autorité française compétente, pour exercer une activité salariée dans l’un des métiers énumérés à l’annexe IV. ». La suite du sous-paragraphe précise la durée cette carte en fonction de la durée du contrat.
Nous noterons tout d’abord que ces stipulations ne portent que sur les personnes titulaires d’un contrat de travail visé pour exercer une activité salariée dans l’un des métiers énumérés à l’annexe IV. Sauf à avoir une lecture a contrario nous paraissant assez audacieuse de l’article, nous voyons mal comment considérer que ces stipulations s’appliqueraient au cas des personnes disposant d’une promesse d’embauche dans un autre secteur.
S’agissant de l’accord franco-béninois, qui est rédigé dans les mêmes termes, et avec les mêmes évolutions, le CE a indiqué dans son avis H. précité que « l’article 14 de l’accord du 28 novembre 2007 (qui est équivalent au paragraphe 321) n’a pas remis en cause l’article 10 de la convention du 21 décembre 1992 qui renvoie aux législations des deux Etats pour la délivrance des titres de séjour mais s’est borné à prévoir une liste de métiers pour lesquels la situation de l’emploi en France ne peut être opposée aux ressortissants béninois, demandeurs d’un titre de séjour comme travailleurs salariés » Et, dans ses conclusions M. Da Costa indiquait que « les stipulations de l’article 14 que nous avons citées, relatives à la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » et de celle portant la mention « travailleur temporaire », ne visent pas des titres de séjour qui seraient spécifiques aux ressortissants béninois. Elles renvoient à des catégories juridiques fixées par l’article L. 313- 10 du code. Leur seul apport est que la situation de l’emploi ne peut être opposée au demandeur s’agissant des métiers mentionnés sur la liste. »
Il nous semble donc que vous pourrez répondre, comme la CAA Marseille dans un arrêt en C+ du 21 mai 2015, Préfet des Alpes-Maritimes, 14MA01087, C+, que « le sous-paragraphe 321 de l’article 3 de l’accord du 23 septembre 2006 ne peut être regardé comme régissant la délivrance des titres de séjour en qualité de salarié et n’a pas remis en cause l’article 13 de la convention du 1er août 1995 qui renvoie aux législations des deux Etats pour la délivrance des titres de séjour mais s’est borné à prévoir une liste de métiers pour lesquels la situation de l’emploi en France ne pouvait être opposée aux ressortissants sénégalais, demandeurs d’un titre de séjour comme travailleurs salariés ; »
Le préfet de la Haute-Savoie ne nous semble donc avoir entaché sa décision d’aucune erreur de droit en fondant sa décision sur les dispositions de l’article L. 313-10 du CESEDA. Saisi d’une promesse d’embauche pour un emploi ne figurant pas dans la liste de l’annexe IV, il pouvait opposer la situation de l’emploi à Mme M. (même si c’est peut-être par hasard, ce raisonnement n’apparaissant pas dans sa décision).
Si ce raisonnement ne peut être opposé pour la seconde promesse d’embauche qui, même non produite au préfet, est antérieure à sa décision, le motif tiré de l’absence de visa de long séjour est suffisant pour justifier le refus de titre de séjour.
S’agissant enfin des moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la CEDH et de l’article L. 313-11 7° du CESEDA (à le supposer opérant, compte tenu de l’objet de la demande), si Mme M. indique séjourner en France depuis juillet 2008 et fait valoir qu’elle a des liens affectifs très forts avec sa sœur et les enfants de cette dernière, qu’elle a tissé de nombreuses amitiés, elle a vécu au Sénégal jusqu’à l’âge de 32 ans, son père et les autres membres de sa fratrie y résidant. Elle fait état d’un concubinage avec un ressortissant suisse mais il est constant qu’il n’y a pas communauté de vie entre les deux personnes. Dans ces conditions, et malgré la durée non contestée de séjour en France de six ans et demi à la date de la décision, le refus de séjour n’a pas porté au droit de Mme M. au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris.
Enfin, Mme M. n’a soulevé aucun moyen distinct contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement du jugement du 4 juillet 2014 et au rejet de la demande présentée par Mme M. ainsi que de ses conclusions d’appel.