Cette affaire de dommages de travaux publics DTP concerne la commune de PONCIN dans l’Ain qui compte environ 1600 habitants et présente un patrimoine médiéval important …
En 2003, cette commune a entrepris de restructurer le centre bourg et dans ce cadre, elle a réalisé un nouveau « réseau des eaux » rue Bichat sous la forme de travaux de réfection des réseaux enterrés d’eaux potable, d’eaux usées et d’eaux pluviales, travaux conduits du 3 janvier 2006 au 21 avril 2006…Or, début mai 2006, plusieurs désordres ont été constatés au droit de l’immeuble appartenant à Mme Jeanne G, situé au 9 rue Bichat consistant en une série de fissures apparues sur les façades Sud et Ouest ainsi qu’à l’intérieur de la maison elle-même dans les pièces de salle à manger au 1er étage et dans une chambre au deuxième étage… Après les procédures habituelles d’expertise et de réclamation préalable, Mme G et ses 5 enfants ont demandé au TA de Lyon que la commune de PONCIN soit condamné à leur payer une indemnité globale de 56 889, 86 € assortie des intérêts de droit, pour les préjudices matériel et moral qu’ils estiment avoir subis du fait de l’exécution des travaux publics au droit de la rue Bichat. Ils complètent leur demande en réclamant une indemnisation des pertes de loyer estimés à 500 € par mois … Mme Jeanne G est décédée en cours d’instance soit le 1er septembre 2011, et ce sont ses 5 enfants par dévolution successorale qui ont repris l’instance en leur nom…. Par jugement du 16 octobre 2012, le TA de Lyon a, d’une part au titre d’une responsabilité sans faute pour DTP, condamné la commune de PONCIN à leur verser la somme de 20 474, 20 € et imputé les frais d’expertise à la commune …En revanche, il a rejeté les conclusions à fin d’appel en garantie de la commune et celles des sociétés SJA ingénierie, Atelier d’architecture et d’urbanisme Chatillon et associés et Socotra… La commune de Poncin conteste et demande à votre Cour à titre principal d’annuler ce jugement en tant qu’il a fait droit aux conclusions indemnitaires de la famille G et, à titre subsidiaire, elle demande une réduction de la somme due aux Mme G et Autres, et, en cas de condamnation, elle demande la garantie solidaire des sociétés Atelier d’architecture et d’urbanisme Chatillon et associés, SJA ingénierie et SOCATRA…. Quant à la famille G, elle présente, à titre incident, des conclusions tendant à une augmentation des indemnités mises à la charge de la commune de Poncin …Enfin les sociétés mises en cause par la commune de PONCIN concluent au rejet de son appel en garantie et présentent, à titre subsidiaire, des conclusions à fin de limitation des sommes à allouer aux consorts G et des conclusions d’appel en garantie à l’encontre de la commune et réciproquement entre elles….
Première question : la commune de PONCIN est-elle responsable des dommages invoqués par la famille G… Vous pourrez, sur ce point, conforter les 1er juges…En effet, comme cela a été dit, la responsabilité du maître d’un ouvrage public peut être engagée, même sans faute, à l’égard des demandeurs tiers par rapport à un ouvrage public ou une opération de travaux publics… Elle est subordonnée à la démonstration, par ce tiers, de l'existence d'un dommage permanent soit anormal et spécial et d’un lien de causalité entre cet ouvrage ou cette opération et les dommages subis … Les personnes ainsi mises en cause doivent alors, pour dégager leur responsabilité, établir que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse utilement être invoqué le fait du tiers…
Concrètement, comme le relève utilement le jugement attaqué et sans qu’il y ait d’élément nouveau en appel, l’immeuble du 9 rue Bichat présente de grandes fissures traversantes depuis les travaux de rénovation des réseaux d’eaux réalisés de janvier à avril 2006 et notamment à la suite de l’ouverture d’une tranchée à proximité immédiate de cet immeuble au lieu de celle prévue en milieu de rue… Ces fissures ont continué à s’agrandir entre 2006 et 2007 avant de se stabiliser rendant, comme l’indique l’expert, l’immeuble impropre à sa destination d’habitation car n’offrant plus l’étanchéité requise … Or selon l’expert, et des photographies figurant dans son rapport, il est acté qu’avant les travaux, ces fissures n’étaient ni présentes ni apparentes… Par suite, en l’état de l’instruction, le lien de causalité entre les travaux publics en cause et ces fissures doit être regardé comme établi … et ce dommage causé à l’immeuble du 9 rue Bichat revêt bien un caractère anormal et spécial … Voyez un de vos arrêts 27 novembre 2014, Département de la Loire, n° 13LY025131 où un chantier de TP serait également à l’origine de fissures dans un immeuble (mais non établi car elles préexistaient avant les travaux) … Dans notre affaire, la commune ne démontre en outre ni de faute imputable à la victime ni de cas de force majeure … Nous vous proposons donc de confirmer le TA sur cette analyse d’une responsabilité sans faute de la commune de PONCIN……
Sur l’évaluation des préjudices, comme cela a été précisé dans le jugement, l’objet est la réparation du dommage constaté suite aux travaux et non l’amélioration de l’habitation ou la création d’une plus-value… Vous pourrez donc suivre les propositions de l’expert et notamment écarter les demandes des consorts G tendant à la prise en charge du changement des fenêtres au rez-de-chaussée et des travaux de menuiserie afférents…En revanche vous pourrez nous semble-t-il retenir la pose de placoplatre et de peinture lors la réfection des chambres du fait des fissures en façade… et dans le cas présent, vous pourrez exclure l’application d’un coefficient de vétusté dès lors que cet immeuble a été habitable jusqu’à la survenance des fissures … Ainsi, les réparations intérieures et extérieures afférentes aux dommages…seront justement évaluées à hauteur de 16 208 € auxquels s’ajoutent des frais de maitrise d’œuvre et d’études techniques évalués par l’expert à 2750 € …les consorts G n’apportant pas en l’espèce d’éléments suffisamment circonstanciés pour justifier une somme supérieure…
A ce stade, rappelons d’une part que selon une décision du CE, 21 juillet 1970, n° 77386 aux tables2 sur ce point précis, l'évaluation des dommages doit être faite à la date où, leur cause ayant pris fin et leur étendue étant connue, il pouvait être procédé aux travaux destinés à les réparer. En général, cette date est celle du dépôt, par l'expert nommé par le TA, d'un rapport définissant avec une précision suffisante la nature et l'étendue des travaux nécessaires. Voyez encore, 28 novembre 1975, Ville de Douai, n° 88933 au Recueil Lebon3…. Or, dans notre affaire, les requérants, se bornent à demander l’actualisation du montant des réparations sur la base des indices BT 01 et BT06 et du montant des frais de maitrise d’œuvre sur l’index ingénierie, sans justifier que la mise en œuvre des travaux aurait été retardée par une impossibilité financière, matérielle ou juridique…. Nous vous proposons donc d’écarter cette demande…
D’autre part, il est constant que les consorts G., qui sont des particuliers, ne sont pas assujettis à la TVA, les travaux de réparation mais aussi les frais de maîtrise d’œuvre doivent donc être évalués Toutes Taxes Comprises (TTC) … Ainsi le taux de TVA applicable aux travaux de réparation est celui qui était en vigueur à la date du jugement attaqué, compte tenu des condamnations prononcées par le TA …En, l’espèce, qu’il s’agisse des travaux eux-mêmes ou des prestations de service tel que la maitrise d’œuvre, le taux alors applicable était de 7%... Ainsi, l’indemnité sera portée à 17 343 € au titre de réparations et 2942, 50 € au titre des frais de maîtrise d’œuvre soit un total de 20 285, 50 €
Ensuite, s’agissant de la perte de valeur locative que les consorts G. évaluent à 500 € par mois après le départ de leur mère en maison de retraite en 2006, en l’état de l’instruction, vous ne pourrez que l’écarter dès lors que ce préjudice n’est pas établi en ce qu’ils ne vous apportent aucun élément tangible sur une quelconque volonté ou tentative de mise en location de cet immeuble… Mme Jeanne G ayant plutôt envisagé de la vendre …
Vous pourriez hésiter également à prendre en compte la facture d’un montant de 11 855, 50 € de l’Association « Construire pour la Vie » pour des frais d’assistance à expertise et de défense de leurs intérêts lors des multiples démarches menées à compter de la découverte des fissures sur leur maison…En effet, comme le fait valoir la commune, outre que la somme est très importante pour un dommage somme-toute très classique de fissure d’un immeuble, et qu’il y a eu un expert désigné par le tribunal à la demande des consorts G qui dispose des mêmes compétences et dont la facture s’élève à 5 432 €, ces derniers n’établissent pas s’être directement acquittés de cette somme excepté pour une avance de 1500 € et si cela était le cas, de ne pas avoir sollicité le remboursement à la MATMUT, leur assureur… voyez la facture et les retours de dires à l’expert établis par cette Association et dont l’objet fait référence à l’assureur de Mme G. et certains rapports de l’Association…signé par M. Cohenny… indique « Nous demandons à la MATMUT de diffuser le présent document à toutes les parties de la cause. »
Mais en l’espèce, si vous dépassez le cap du préjudice incertain qu’a retenu le TA, vous pourriez aussi regarder cette assistance comme utile puisque l’expert judiciaire semble avoir pris en compte (et refacturer) dans son rapport des croquis et des photographies provenant de cette Association… si vous retenez que cela est suffisant, vous pourrez alors considérer que la commune doit indemniser les consorts G de cette somme de 11 855, 50 €…
Enfin, contrairement aux 1iers juges, nous vous proposons de dédommager la famille G au titre de troubles dans les conditions d’existence depuis la survenance de dommages sur leur immeuble en l’évaluant à la somme de 1 000 €…
Si vous nous suivez jusque-là, vous pourrez réformer le jugement attaqué et modifier l’article 1er pour porter l’indemnité due par la commune à 33 141 € au lieu de 20 474, 20 €…
Cette somme sera, comme l’a prévu le TA, assortie des intérêts légaux afférents et de leur capitalisation…
Et vous pourrez confirmer que les frais d’expertise, taxés et liquidés à la somme de 5432 € restent à la charge de la commune de PONCIN…
2/Nous en arrivons à la 2ième partie de cette affaire relative aux appels en garantie croisé.
En préalable, indiquons que les consorts G présentent une demande de condamnation solidaire à l’encontre de la commune et des différentes entreprises intervenantes sur les travaux réalisés rue Bichat…. mais vous pourrez l’écarter comme irrecevable dès lors qu’elle est présentée pour la première fois en appel…
Regardons tout d’abord les appels en garanties formés par la commune de PONCIN Le tribunal administratif les avait écartés…
La jurisprudence dans ce domaine CE 6 avril 2007 CH de Boulogne-sur-Mer, n° 264490, au Recueil Lebon aux conclusions de Nicolas BOULOUIS définit notamment la portée d’une réception des travaux par le maître de l’ouvrage…Cette DCE décide que « la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Ainsi, … a) La réception interdit, par conséquent, au maître de l’ouvrage d’invoquer, après qu’elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l’ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation. Il en va ainsi, s'agissant des dommages causés aux tiers, et sauf clause contractuelle contraire, alors même que le maître de l'ouvrage entendrait exercer une action en garantie à l'encontre des constructeurs à raison de condamnations prononcées contre lui au profit de ces tiers, sauf dans le cas où la réception n'aurait été acquise à l'entrepreneur qu'à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part.
Par une décision du 13 novembre 2009, SOCIETE SCREG EST, n° 306061…, aux Tables le CE complète sur la responsabilité décennale en indiquant que « la responsabilité de l'entrepreneur envers le maître d'ouvrage …peut toutefois être recherchée sur le fondement de la garantie décennale si le dommage subi par le tiers trouve directement son origine dans des désordres affectant l'ouvrage objet du marché. »
Enfin le CE a, le 19 juin 2015, Sté ERDF c/ Société SERPOLET SAVOIE MONT BLANC, n° 372283, confirmé sur ce sujet que « la fin des rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur, consécutive à la réception sans réserve d'un marché de travaux publics, fait obstacle à ce que, sauf clause contractuelle contraire, l'entrepreneur soit ultérieurement appelé en garantie par le maître d'ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation à ce dernier … »4 …
En résumé, la réception des travaux est « un acte pivot » : avant celui-ci, la responsabilité ne peut être que contractuelle à partir du moment où le fait dommageable se produit pendant la durée d’exécution du contrat entre le maître d’ouvrage et les entreprises exécutant les travaux… Après, la signature de la réception des travaux sans réserve, et sauf clause spécifique, la responsabilité contractuelle du titulaire du contrat ne peut plus être engagée …sa responsabilité ne peut être engagée que sur le fondement de l’une des garanties légales dites « post-contractuelles » soit la garantie de parfait achèvement, la garantie biennale de bon fonctionnement et la garantie décennale….
Si nous revenons à notre affaire, rappelons qu’il est constant que la commune de PONCIN a signé, sans réserve, la réception définitive des travaux à l’origine des préjudices subis par les consorts G., le 4 août 2006 avec une prise d’effet rétroactive au 21 avril 2006….
Dans ces écritures, la commune de PONCIN ne va pas sur les garanties légales et notamment la garantie décennale…il invoque seulement 2 clauses contractuelles qui, selon elle, lui permettraient, même après la réception sans réserve des travaux, d’exercer une action en garantie contre les « constructeurs » de l’ouvrage incriminé… il s’agit :
- d’un article du CCAP page 14 paragraphe 9-7 « assurances » pour la maîtrise d’œuvre, selon lequel « dans un délai de 15 jours à compter de la notification du marché, l’entrepreneur et ses sous-traitants doivent justifier qu’ils sont titulaires d’une police d’assurance garantissant les tiers en cas d’accidents ou de dommages causés par l’exécution des travaux »
- et d’un article du CCP maitrise d’œuvre, page 8/28 au paragraphe B « assurance de responsabilité civile professionnelle » selon lequel « les titulaires doivent être garanties par une police destinée à garantir leur responsabilité civile autre que décennale en cas de préjudices causés à des tiers y compris le maître de l’ouvrage, à la suite de tout dommage corporel, matériel et immatériel consécutif ou non, du fait de l’opération en cours de réalisation ou après sa réception »
Toutefois, ces clauses ne nous semblent prévoir pas, par elles-mêmes, une telle prolongation de responsabilité contractuelle…
La première clause contractuelle implique seulement la justification d’une assurance dans les 15 jours à compter de la notification du marché… Vous pourriez hésiter pour la seconde car sa lecture semble tendre à une obligation d’assurance pour le cas où l’entrepreneur serait mis en cause par des tiers, ce qui peut être le cas même après réception de l’ouvrage, ou pour le cas où, par l’effet d’une autre clause, l'entrepreneur pourrait être appelé en garantie par le maître d'ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation après la réception des travaux…. Toutefois, cet article ne prévoit pas clairement que l’entrepreneur pourrait être appelé en garantie par le maître d’ouvrage après la réception sans réserve des travaux.
Dans la décision ERDF de juin 2015 déjà citée, le CE pour annuler un arrêt de votre Cour qui avait estimé que les parties au marché relatif aux travaux à l’origine du dommage n’avaient pas entendu déroger à l’effet extinctif des relations contractuelles qui s’attache à la réception sans réserve des travaux, s’est fondé sur les stipulations de l’article 34 du CCAG (cahier des clauses administratives générales) applicables au marché de travaux courants d’EDF, selon lesquelles « L'entrepreneur a, à l'égard d'EDF GDF, même après paiement des travaux, la responsabilité pécuniaire des dommages aux personnes et aux biens causés par la conduite des travaux ou les modalités de leur exécution, sauf s'il établit que cette conduite ou ces modalités résultent nécessairement de stipulations du marché ou de prescriptions d'ordre de service, ou sauf si EDF, poursuivi par des tiers victimes de tels dommages a été condamnée sans avoir appelé l'entrepreneur en garantie devant la juridiction saisie »
Il nous semble que l’on peut en déduire que la dérogation à l’effet extinctif des relations contractuelles qui s’attache à la réception sans réserve des travaux doit résulter clairement des stipulations du contrat et ne peut résulter d’une mention relative à une obligation d’assurance comme dans le cas des articles cités par la commune de PONCIN.
Au final, vous pourrez écarter cette demande d’appels en garantie présentée par la commune de PONCIN… Si vous nous suivez jusque-là, il n’y a pas lieu d’examiner les conclusions d’appel en garantie formulées par les sociétés SOCATRA et SJA Ingénierie…
Par ces motifs, nous concluons :
- au rejet de la requête de la Commune de PONCIN
- à ce que l’indemnité mise à la charge de la commune soit portée à la somme de 33 141 € au lieu de 20 474, 20 €… et que le jugement attaqué soit réformé en ce sens
-au paiement aux consorts G. par la commune de PONCIN de la somme de 1500 € au titre de l’article L.761-1du code de justice administrative.
- et au rejet du surplus des conclusions …