1. Mme L. a exercé en Suisse une activité professionnelle jusqu’en 2011 puis a transféré, au cours de cette année, son domicile en France et fait valoir ses droits à la retraite.
La société d’assurances Alliance Suisse Vie lui a versé une prestation en capital d’un montant de 318 695 euros. Cette prestation a fait alors l’objet d’une retenue à la source en Suisse et n’a pas été déclarée en France.
Mais le 28 mai 2012, Mme L. a constitué un dossier de demande de remboursement de l’impôt payé en Suisse, estimant que la somme ne pouvait être imposée en Suisse en application de la convention franco-suisse.
M.et Mme L. ont fait l’objet d’un contrôle sur pièces portant sur l’année 2011, à l’issue duquel l’administration française a estimé que la prestation en capital perçue par Mme L. devait être réintégrée dans les revenus imposables de leur foyer fiscal.
Avant la ratification de l'avenant à la convention entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions, entré en vigueur le 4 novembre 2010 (signé le 27 août 2009), l'article 20 de la convention prévoyait que les pensions et autres rémunérations similaires versées à un résident d'un État contractant au titre d'un emploi antérieur n’étaient imposables que dans cet État.
Les pensions perçues sous forme de capital par des personnes résidant en France ayant travaillé en Suisse n'étaient imposées à ce titre :
- ni en France, le droit interne français ne prévoyant alors pas de mécanisme d'imposition pour les pensions versées en capital ;
- ni en Suisse, du fait des dispositions de l'article 20 précité de la convention, prévoyant l'imposition de ce revenu en France.
Le législateur français a entendu combler ce « vide fiscal » pour les prestations en capital.
L'article 59 de la quatrième loi de finances rectificative pour 2010 a posé le principe d'imposition à l'impôt sur le revenu des prestations de retraite versées sous forme de capital (CGI, art. 79 modifié). (Ce mécanisme s'applique pour l'imposition des prestations de retraite versées sous forme de capital à compter du 1er janvier 2011).
L'article 4 de l'avenant modifié de la convention franco-suisse permet désormais d'imposer ces pensions et autres rémunérations similaires dans l'État d'où elles proviennent lorsque l'Etat de résidence n'exerce pas son droit d'imposer.
M.et Mme L. ont demandé, suite à la réception de la proposition de rectification, par un courrier, en date du 5 novembre 2012, à bénéficier du prélèvement forfaitaire obligatoire de 7, 5 % institué par les dispositions du II de l’article 163 bis du code général des impôts ou à défaut du système du quotient applicable aux revenus exceptionnels.
L’administration leur a refusé, par lettre en date du 30 janvier 2013, le bénéfice de ce prélèvement et a admis l’application du quotient.
Par courrier en date du 31 mai 2013, M.et Mme L. ont demandé une nouvelle fois à bénéficier du prélèvement libératoire. La demande a de nouveau été rejetée.
M.et Mme L. relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Dijon, en date du 6 novembre 2014, qui a rejeté leur demande tendant à la réduction de la cotisation d’impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis dans la mesure où le prélèvement libératoire n’a pas été appliqué.
2.Ce dossier pose la délicate question des conditions d’option pour le prélèvement libératoire prévu par les dispositions de l’article 163 bis II du code général des impôts.
Plus précisément : Est-ce que des contribuables qui n’ont pas déclaré une pension perçue sous forme de capital, peuvent présenter une demande pour qu’elle soit soumise au prélèvement libératoire dans le délai de réclamation de l’article R.196-1 du code du livre des procédures fiscales ?
Par la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011, un prélèvement libératoire au taux de 7, 5 % a été substitué, comme modalité d'imposition des prestations de retraite, versées en capital, de source étrangère ou française, à l'option pour un quotient spécifique qui avait été instaurée par la quatrième loi de finances rectificative pour 2010.
Ce prélèvement est assis sur le montant du capital diminué d'un abattement de 10 %.
Ces dispositions s'appliquent à compter de l'imposition des revenus de 2011.
*La loi est silencieuse sur les modalités de présentation de la demande d’application du prélèvement libératoire et le délai dans laquelle elle soit être formalisée.
Aux termes de l’article 163 bis II du code général des impôts « Les prestations de retraite versées sous forme de capital imposables conformément au b quinquies du 5 de l'article 158 peuvent, sur demande expresse et irrévocable du bénéficiaire, être soumises à un prélèvement au taux de 7, 5 % qui libère les revenus auxquels il s'applique de l'impôt sur le revenu.
Ce prélèvement est applicable lorsque le versement n'est pas fractionné et que le bénéficiaire justifie que les cotisations versées durant la phase de constitution des droits, y compris le cas échéant par l'employeur, étaient déductibles de son revenu imposable ou étaient afférentes à un revenu exonéré dans l'État auquel était attribué le droit d'imposer celui-ci. »
Le tribunal administratif de Dijon a estimé, dans le jugement attaqué, que l'option pour l'assujettissement des prestations de retraite servies sous forme de capital au prélèvement libératoire forfaitaire au taux de 7, 5% instituée par l'article 163 bis du code général des impôts doit être exercée par le contribuable à l'occasion de la souscription de sa déclaration annuelle de revenus et que l'absence d'option en faveur de ce régime est irrévocable.
Les premiers juges considèrent que l'administration fiscale n'a pas commis d'erreur de droit en refusant aux requérants le bénéfice de ce prélèvement libératoire au motif qu'ils n'avaient pas exercé cette option dans le délai de déclaration de leurs revenus et qu’ils ne peuvent utilement se prévaloir de la circonstance qu'ils n'ont pas déclaré la prestation de retraite, pour soutenir qu'ils n'ont exercé aucun choix, en faveur ou non de l'option, qui leur serait opposable.
Les requérants font valoir que les dispositions afférentes à ce prélèvement ne prévoient aucun délai pour l’exercice de cette option et que dans le délai de réclamation contentieuse de l’article R.196-1 du livre des procédures fiscales, le contribuable peut à tout moment rectifier les erreurs commises lors de la souscription de sa déclaration.
Il est exact, comme les requérants le soutiennent, que la loi ne prévoit pas de conditions particulières pour le dépôt de la demande expresse. Il n’est pas précisé par la loi que cette demande soit faite dans la déclaration de revenus, dans un délai déterminé et les conditions de déchéance de ce droit à bénéficier du prélèvement libératoire, notamment en l’absence de déclaration de la prestation en capital concerné.
Il n’y a pas de décret qui est venu fixer les modalités d’application de l’article 163 bis II du code général des impôts. La loi n’en prévoyait pas.
Dès lors que l’article 163 bis II du code général des impôts fixe seul le régime d’imposition des prestations en capital il convient de demeurer, selon nous, dans une lecture littérale de la loi, dans un strict formalisme.
Le Conseil d’Etat juge que le choix du rattachement au foyer fiscal d’un enfant majeur est irrévocable après l’expiration du délai de déclaration des revenus de l’année concernée. (Voir CE, 2 juin 1989, Bussoz, n° 62979, RJF 8-9/89 n° 912) mais c’est en application de la loi. L’article 6-2 du code général des impôts applicable en l'espèce prévoyait "toute personne majeure âgées de moins de vingt et un ans ... peut opter, dans le délai de déclaration ».
* Une doctrine qui prévoit seulement que la demande est formalisée dans la déclaration de revenus et qui ne serait en tout état de cause pas invocable.
L’administration cite la doctrine, la circulaire BOI-RSA-PEN-30-10-20 du 11 décembre 2012, et les requérants font valoir que le prélèvement est établi, contrôlé et recouvré comme l'impôt sur le revenu et que la doctrine administrative ne mentionne elle-même aucun délai.
Cette doctrine ne prévoit pas de délai, mais au point 170 de l’instruction précitée, pour la demande expresse du bénéficiaire, elle indique que l'option se matérialise par la déclaration du montant de la ou des prestation (s) de retraite en capital éligible (s) dans les cases spécifiques de la déclaration des revenus n° 2042 qui permettent d'appliquer le prélèvement.
Elle ne prévoit pas la déchéance du droit à bénéficier du prélèvement en cas d’une omission de déclaration de la somme sur laquelle porterait le prélèvement à déclarer.
L’administration ne peut en tout état de cause se prévaloir de sa propre doctrine et la doctrine ne peut ajouter à la loi et restreindre le bénéfice d’un avantage octroyé au contribuable par le législateur.
Le Conseil d’Etat au sujet de gains provenant de cessions d'actions non déclarés, pour lesquels le contribuable sollicitait a posteriori le régime fiscal favorable du 163 bis C du code général des impôts dont il remplissait les conditions, a jugé que le bénéfice de ce régime n'était pas réservé par la loi aux seuls gains déclarés, le Conseil d'État a donc conclu à l'illégalité d'une déchéance fondée sur une interprétation administrative ( voir CE, 8e et 3e ss-sect., 25 nov. 2009, n° 323334, M. et Mme Lachmann : concl. N. Escaut),
Même si la demande expresse peut être réputée faite, selon les prévisions de la doctrine, par le biais de la déclaration en remplissant des rubriques prévues à cet effet dans déclaration annuelle des revenus, il ne faut pas en déduire une condition obligatoire pour l’application de ce prélèvement sous peine de déchéance notamment en l’absence de toute déclaration de la somme en question.
* Il n’y a pas de jurisprudence à notre connaissance sur cette question ou une jurisprudence qui serait transposable.
Il est vrai que, dans le silence de la loi, le Conseil d’Etat a estimé que la demande expresse par le contribuable du bénéfice du report d'imposition alors prévu par l’article 160 du CGI devait être formulée à l'occasion de la souscription de la déclaration de revenu global concernant l'année de réalisation de la plus-value et ne pouvait être utilement formulée, postérieurement à l'expiration du délai de déclaration, dans le délai de réclamation (CE, 14 février 2001, Labruyère, n° 198470, RJF 5/01 n° 621) .
Mais outre que le prélèvement libératoire de l’article 163 bis II du code général des impôts est de nature différente que le report d’imposition dont il est question dans cette jurisprudence, ce qui a selon nous emporté la conviction des juges dans cette affaire est le fait qu’admettre la possibilité de formuler la demande jusqu’à l’expiration du délai de réclamation posait un problème. Cela impliquait, en effet, l’acceptation d’une rétroactivité de l’engagement de conservation des titres.
De même, n’est pas transposable la décision CE, 24 octobre 2014, Davidas (n° 366962, RJF 1/15 n° 021)
Il a été retenu, dans cette affaire, l’absence d’option pour le prélèvement libératoire sur les produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation après le paiement de ces sommes. Mais ce prélèvement est de nature différente, il est opéré à la source par le débiteur ou par la personne qui assure le paiement des revenus, de sorte qu’il ne peut résulter que d’un choix exprimé par le bénéficiaire des produits au plus tard au moment de ce paiement.
Ce n’est pas le cas dans notre affaire, le prélèvement est exigible en même temps que l’impôt sur le revenu. Le fait générateur du prélèvement de 7, 5 % prévu au II de l'article 163 bis du CGI est identique à celui applicable à l'impôt sur le revenu.
En l’espèce, pour le prélèvement de l’article 163 bis II du code général des impôts, il n’y a pas, selon nous, d’obstacle à ce que pour un contribuable qui n’a pas déclaré la prestation en capital, qui n’a donc pas présenté de demande expresse et irrévocable et même pas implicitement renoncé à ce prélèvement, puisse présenter une demande expresse irrévocable dans le délai de réclamation.
La référence des requérants à une décision de gestion opposable n’est pas appropriée. Cependant ils ont, selon nous raison de dire que n’ayant pas présenté de déclaration, ils n’ont pas pu y inclure une demande expresse irrévocable, et ne peuvent non plus être regardés comme ayant implicitement opté pour l’absence de prélèvement.
La jurisprudence considère d’ailleurs que lorsque la loi ouvre un droit au profit des contribuables, la demande tendant à l’obtention de l’avantage résultant de ce droit peut être présentée jusqu’à l’expiration du délai de réclamation (voir: CE Sect.19 février 1971, n° 79216, Leb p147, DF 1971 n° 14)
Il a été jugé récemment, par le Conseil d’Etat, dans la décision n° 0372924 Ministre délégué, chargé du Budget c/Société Sicli du 11 mai 2015 (conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti) que les dispositions qui prévoient que le bénéfice d’un avantage fiscal est demandé par voie déclarative n’ont, en principe, pas pour effet d’interdire au contribuable de régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu à l'article R. 196-2 du LPF, sauf si la loi a expressément prévu que l’absence de demande dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage, ou lorsqu’elle offre au contribuable une faculté d’option dont l’exercice présente nécessairement un caractère irrévocable.
Il est certain comme nous l’avons dit que nous ne sommes pas dans la première hypothèse, la loi est silencieuse sur l’absence de demande dans le délai de déclaration.
Nous pouvons en revanche nous interroger sur le point de savoir si nous sommes dans la deuxième hypothèse.
Est-ce que la loi offre une faculté d’option dont l’exercice présente nécessairement un caractère irrévocable ?
Il n’est pas toujours aisé de distinguer un régime dérogatoire au droit commun d’un régime optionnel.
Est-ce que le prélèvement de 7, 5 % est un avantage fiscal, un droit ou une faculté d’option dont l’exercice présente nécessairement un caractère irrévocable ?
Dès lors qu’il faut présenter une demande nous pourrions penser que ce régime est optionnel. Ce régime pourrait aussi être regardé comme optionnel puisque le bénéficiaire d'une pension en capital peut aussi être imposé au barème progressif avec le bénéfice du quotient de droit commun si cela lui est plus favorable.
Cependant l’article 163 bis II ne fait pas référence à une « option ». C’est le tribunal administratif qui a employé ce terme, qui n’est pas neutre comme nous le voyons.
L’application du prélèvement obligatoire de 7, 5 % est bien selon nous un avantage fiscal pour celui qui l’invoque et même un droit pour celui qui le demande et remplit les conditions.
Nous ne partageons pas l’analyse du tribunal administratif (considérant 3) indiquant que l’absence d’option en faveur de ce régime est irrévocable. Le texte ne fait précisément référence qu’à une demande expresse et irrévocable pour que la somme puisse être soumise au prélèvement.
Le terme « irrévocable » ne s’applique qu’à la demande d’application du prélèvement, qui une fois formulée de manière expresse, ne permet pas au contribuable de prétendre rétroactivement en changer.
Comme nous l’avons dit, le législateur est silencieux sur le délai de présentation de la demande, sur la déchéance du droit à bénéficier du prélèvement.
Le texte législatif n’est pas ambigu, il n’est pas selon nous besoin de se référer aux travaux parlementaires qui n’apportent pas d’ailleurs en l’espèce de précisions permettant d’éclairer l’intention du législateur.
Nous ne sommes pas dans le cas où la loi offre une faculté d’option dont l’exercice est irrévocable.
La circonstance que la prestation en capital n’a pas été déclarée ne vaut pas renonciation irrévocable au bénéfice du prélèvement.
Il nous semble donc qu’il s’agit bien d’un avantage accordé par le législateur et que le contribuable qui a omis de déclarer sa prestation en capital peut bénéficier de ce régime d’imposition jusqu’à l’expiration du délai de réclamation.
D’ailleurs la jurisprudence, même quand la loi précise le délai, accepte dans certains cas la régularisation dans le délai de réclamation.
Il a été reconnu ainsi que, même si les dispositions de l'article 46 quater-0 W de l'annexe III au CGI prévoient que la déclaration d'option pour le report en arrière d'un déficit doit en principe être souscrite en même temps que la déclaration des résultats de l'exercice dans le délai légal de déclaration, ces dispositions n'ont pas pour effet d'interdire à une entreprise qui a déposé sa déclaration de résultats après l'expiration de ce délai, de régulariser sa déclaration d'option pour le report en arrière du déficit jusqu'à l'expiration du délai de réclamation (CE, 3e et 8e ss-sect., 23 déc. 2011, n° 338773, min. c/ Sté Maysam France : Dr. fisc. 2012, n° 23, comm. 324, concl. É. Geffray ; RJF 2012, n° 232).
Les obligations déclaratives mises à la charge des contribuables, notamment pour une prestation en capital, constituent une modalité d'exercice du contrôle de l'administration et non en l’espèce une formalité substantielle pour bénéficier du prélèvement libératoire de l’article 163 bis II du Code général des impôts.
M.et Mme L. n'avaient, au cas présent, souscrit aucune déclaration de la prestation en capital. Cette dernière n’a été imposée qu’à l’issue au contrôle sur pièces de l’administration, suite à la demande de la requérante portant sur le remboursement de la retenue à la source en Suisse sur cette prestation.
Ils ne pouvaient donc être regardés comme ayant renoncé implicitement au prélèvement libératoire et pouvaient donc dans le délai de réclamation fixé par l’article R.196-1 du livre des procédures fiscales, présenter une demande expresse et irrévocable pour que le capital soit soumis à un prélèvement libératoire de 7, 5 % et non au quotient.
Il n’est pas contesté que la demande d’application de ce prélèvement a été expressément formulée le 5 novembre 2012 par M.et Mme L., puis dans une réclamation le 31 mai 2013 suite à mise en recouvrement du 30 avril 2013, donc dans le délai de réclamation fixé par l’article R.196-1du livre des procédures fiscales.
Il n’est pas contesté que les requérants remplissaient les autres conditions pour obtenir l’application du prélèvement libératoire, que le versement n'était pas fractionné et que Mme L. justifiait que les cotisations versées durant la phase de constitution des droits, y compris le cas échéant par l'employeur, étaient déductibles de son revenu imposable ou étaient afférentes à un revenu exonéré dans l'Etat auquel était attribué le droit d'imposer celui-ci.
Ainsi, les requérants étaient en droit de bénéficier du prélèvement au lieu de l’application du quotient, il doit être dans cette mesure prononcé une réduction.
Par ces motifs nous concluons :
- à l’annulation du jugement attaqué.
- à la réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu de l'année 2011 résultant de l'application du prélèvement libératoire prévu par les dispositions du II de l'article 163 bis du code général des impôts alors applicables.
- à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
- et au rejet du surplus des conclusions de la requête.