Le projet architectural d'une demande de permis de construire prévu aux articles R. 431-8 et R. 431-9 du Code de l'urbanisme doit préciser l'état initial du terrain et, notamment, les plantations qui y figurent. Par état initial, il faut comprendre la situation qui existe avant toute modification de la part des pétitionnaires et non celle qui prévaut au moment de la demande de permis. Cette obligation n'est pas contraire au principe de non-rétroactivité des actes administratifs.
L'idée selon laquelle le droit de l'urbanisme ne s'intéresserait qu'à la pierre et au béton est répandue chez ceux qui, parmi les juristes, accordent une importance excessive à l'étymologie des mots. L'arrêt commenté montre que la protection du végétal, dans un souci tant environnemental qu'esthétique, fait l'objet de l'attention renforcée du droit de l'urbanisme contemporain, et constitue ainsi l'une de ses exigences propres.
Le 8 octobre 2007, la commune de Montagny a accordé aux époux B. un permis de construire dans une zone classée UA13 par le plan local d’urbanisme, ce qui impose de ne pas supprimer les plantations existantes ou de les remplacer par des plantations équivalentes. Ceux-ci abattent alors les arbres qui se trouvent sur la parcelle. Par la suite, le permis est annulé par le tribunal administratif de Lyon, par un jugement du 9 juin 2010, en raison de l'insuffisance du volet paysager de la demande. Les époux B. sollicitent alors l'attribution d'un second permis, sur la même parcelle. Conformément aux articles R. 431-8 et suivants du Code de l'urbanisme qui prescrivent au pétitionnaire de préciser, dans le projet architectural, quel est l'état initial du terrain, ils indiquent que la parcelle est très peu arborée, ce qui est exact au moment où ils font la demande puisqu'ils y ont supprimé quasiment toute la végétation. Contesté par M. A., ce permis est à nouveau annulé par le tribunal administratif de Lyon qui affirme que la situation du terrain à prendre en compte dans la demande du permis est celle qui existe avant toute transformation ; les époux B. devaient donc décrire les plantations qui s'y trouvaient avant l'abattage des arbres.
La commune de Montagny interjette appel. Elle considère que le jugement du tribunal est contraire au principe de non-rétroactivité des actes administratifs en ce qu'il a estimé que le deuxième permis de construire devait prendre en compte la végétation, telle qu'elle existait avant l'attribution du premier.
M. A. au contraire estime que le principe de non-rétroactivité n'est pas en jeu ici, et qu'il était nécessaire, pour respecter les dispositions sus-évoquées du Code de l'urbanisme et du plan local d'urbanisme de la commune, de prendre en compte la situation préalable à la demande du premier permis de construire, étant donné que le second avait précisément pour objet de le régulariser.
Dès lors, que faut-il entendre par « état initial du terrain » ?
Les magistrats lyonnais indiquent ici que l'application des dispositions précitées du Code de l'urbanisme et du plan local d'urbanisme nécessite que le projet architectural décrive l'état du terrain d'assiette dans son « état existant avant tous travaux effectués en vue de la réalisation du projet faisant l'objet de cette demande » et que par ailleurs, une telle solution ne met pas en cause le principe de non-rétroactivité des actes administratifs.
Ainsi, non seulement la description de la parcelle préalablement à toute modification n'est pas contraire à la non-rétroactivité (I-), mais, plus encore, cette prise en compte est obligatoire pour donner un effet utile aux exigences du droit de l'urbanisme (II-).
I- La non remise en cause du principe de non-rétroactivité des actes administratifs par la prise en compte d’éléments disparus au moment de l’édiction de l’acte
Auteur du permis de construire annulé par le tribunal administratif de Lyon le 28 mars 2013, la commune de Montagny invoque à l'appui de son appel la violation du principe de non-rétroactivité des actes administratifs. La cour administrative d’appel de Lyon estime que ce principe n'est ici pas en cause (considérant 4). Pour comprendre ce qui motive sa position, il faut dans un premier temps rappeler la teneur des règles ici en présence.
Les articles R. 431-8 et suivants du Code de l'urbanisme imposent au pétitionnaire de préciser l'état initial du terrain objet du permis de construire et d'indiquer quels sont ses projets d'aménagement et de transformation de la végétation et des plantations. De plus, l'article UA 13 du plan local d'urbanisme de la commune de Montagny l'oblige à remplacer les végétations le cas échéant supprimées par des plantations équivalentes. Ainsi l'application de ces règles suppose-t-elle de s'entendre préalablement sur l'idée d'état initial du terrain.
Dans le cas d’espèce, la définition de cette notion constitue l'enjeu principal car au départ, c'est-à-dire avant même que les époux B. ne déposent leur première demande de permis, le terrain était recouvert d'arbres, de haies et autres plantes (considérant 6). Après l'attribution du premier permis – qui se verra par la suite annuler –, les époux B. ont supprimé quasiment toute la végétation de leur terrain.
Dès lors, si l'on considère que, par état initial du terrain il faut entendre la situation telle qu'elle se présente au moment de la demande du permis de construire litigieux, indépendamment de l'historique de la parcelle, des modifications qu'elle a subies et, notamment, des abattages d'arbres effectués, le respect de l'article UA 13 du plan local d’urbanisme n'implique nullement de remplacer les végétations existantes par des plantations équivalentes ; et pour cause : il n'y a, peu ou prou, plus de végétation du tout ! Telle est la thèse développée par le maire de Montagny. Selon lui, la description du terrain doit porter sur la situation existant au moment du dépôt de la demande de permis de construire, même si des transformations ont déjà eu lieu précédemment. La production d'une description du terrain avant toute transformation, et donc, en l'espèce, au moment où les propriétaires faisaient leur première demande d'autorisation de construire, constituerait alors selon lui, une violation du principe de non-rétroactivité des actes administratifs.
C’est précisément cette interprétation que rejettent le tribunal administratif, M. A. et in fine la cour administrative d'appel de Lyon. Les magistrats indiquent que la situation qui doit être prise en compte pour l'application des articles sus-évoqués du Code de l'urbanisme ainsi que du plan local d’urbanisme est « l'état initial, précédant les abattages » (considérant 4). Par conséquent, et dès lors qu'initialement – c'est-à-dire avant toute intervention des pétitionnaires –, des arbres et une végétation fournie recouvraient le terrain, le respect des dispositions du code de l'urbanisme ainsi que de l'article UA 13 du plan local d’urbanisme impose aux époux B. de préciser quelle était la nature des plantations avant les abattages, et de les remplacer par des plantations équivalentes, ce qui n'a pas été prévu.
Plus encore, la Cour rappelle ici le champ d’application du principe de non-rétroactivité des actes administratifs : ce dernier n’interdit pas de prendre en compte des éléments qui existaient dans le passé mais qui ont disparu au moment où la demande d’autorisation est présentée à l’administration.
Traditionnellement, ce principe interdit qu'un acte administratif dispose pour le passé. Solennellement consacré dans l'arrêt Société du Journal l'Aurore (C.E., ass., 25 juin 1948, Gaz. Pal., 1948, 2, p. 7, concl. Letourneur ; S. 1948, 3, p. 69, concl. Letourneur ; D. 1948, p. 437, note M. Waline ; JCP 1948, II, n° 4427, note Mestre), il induit que les actes administratifs ne puissent ni produire des effets à une date antérieure à celle de leur entrée en vigueur, ni remettre en cause une situation en cours créée antérieurement. En d’autres termes, ce sont les « situations juridiques définitivement constituées » qui sont visées par la jurisprudence (pour un exemple récent employant cette expression, v. C.E., 16 juin 2008, Fédération des syndicats dentaires libéraux, n° 296578, Rec. 2016 ; Genevois (B), Les principes généraux du droit, Répertoire de contentieux administratif, Dalloz, 2014, n° 0799 ss.).
Or, il ne s'agit pas de non-rétroactivité dans l'arrêt commenté car les effets juridiques du permis de construire ne commencent pas avant son entrée en vigueur. Comme le rappellent M. A. ainsi que la cour (considérant 4), le permis ne vaut que pour l'avenir. Il est vrai que les éléments à prendre en compte pour accorder l'autorisation sont révolus et que la végétation doit être décrite avant même l'intervention du pétitionnaire. Toutefois, ceci n'a rien à voir avec le principe de non-rétroactivité tel qu’il est envisagé dans la jurisprudence. En matière contentieuse, le conseil d’État a jugé que l’application d’une loi aux demandes formées avant son entrée en vigueur mais jugées après cette dernière ne viole pas le principe de non-rétroactivité (C.E., 11 juill. 2008, Association des amis des paysages bourganiauds, n° 313386, Rec. T. 845 ; AJDA 2008. 2025, concl. A.). Ainsi, si le principe régit l’édiction des normes juridiques nouvelles, il s’avère indifférent à la place qu’occupent dans le temps les demandes formées par les pétitionnaires ou requérants – demandes qui peuvent, par ailleurs, être à l’origine de la création de la norme en question. Indifférent à ces demandes, le juge chargé d’appliquer le principe de non-rétroactivité l’est a fortiori aux éléments de fait qui y sont contenus et en sont le support. C’est donc très logiquement qu’il admet que l'administration puisse fonder sur des circonstances passées les solutions qui s'appliqueront dans l'avenir (C.E., sect. 19 juin 1959, Villard, Rec. 373, concl. Braibant). Par ailleurs, la conception qu'adopte ici le juge du champ d'application du principe de non-rétroactivité des actes administratifs vient au soutien des exigences propres au droit de l'urbanisme.
II- Le souci du juge de conférer un effet utile aux règles d’urbanisme
Intéressant en tant qu'il manie un principe commun du droit administratif général, cet arrêt l'est aussi du point de vue des exigences propres au droit de l'urbanisme qui sont ici sauvegardées.
D'abord, la solution adoptée par le juge vise à conférer un effet utile aux dispositions du Code de l'urbanisme et au plan local d'urbanisme de la commune de Montagny. Si la cour administrative d’appel de Lyon avait jugé différemment, les articles R. 431-8 et R. 431-9 du Code de l'urbanisme auraient été privés de tout effet. Ces dispositions imposent que le projet architectural décrive l'état initial du terrain et la manière dont le pétitionnaire entend l'aménager, l'insérer, le planter etc. Elle visent à permettre le contrôle de la qualité et de la précision du projet du propriétaire en la matière (v. sur l'importance de cette description, C.E., 14 oct. 2013, A. C. et autres, n° 358401 (considérant 4) ; C.A.A. Douai, 13 août 2012, Commune de Friville-Escarcabotin, n° 11DA01185. La description peut être succincte si la modestie du projet rend ces précisions peu utiles, v. C.A.A. Lyon, 12 août 2014, M. D., n° 13LY01174) . Or, dans cette perspective, il n'y a guère d'intérêt à décrire une parcelle sur laquelle les végétaux qui s'y trouvaient ont fait l'objet d'un abattage massif.
L'article UA 13 du plan local d'urbanisme de la commune de Montagny est plus exigeant encore et impose que « les plantations existantes [soient] maintenues ou remplacées par des plantations au moins équivalentes ». Ici, l'on conçoit aisément que cette disposition perdrait tout son intérêt si, par plantations existantes, l'on entendait les plantations situées sur la parcelle au moment de la demande du permis, sans tenir compte des modifications déjà effectuées par les propriétaires du terrain.
Ainsi, non seulement l'interprétation du tribunal administratif de Lyon est conforme au principe de non-rétroactivité, mais est obligatoire pour répondre aux exigences propres au droit de l'urbanisme.
Plus encore, il nous semble que cet arrêt illustre le caractère réaliste et pragmatique du droit de l'urbanisme. La formulation du considérant 4 est intéressante à ce titre : « pour l'application de ces dispositions, la demande de permis de construire doit faire apparaître le terrain d'assiette dans son état existant avant tous travaux effectués en vue de la réalisation du projet faisant l'objet de cette demande ». Ainsi, là où les pétitionnaires et la commune requérante raisonnent en termes d'acte et de décision – selon eux, la situation à prendre en compte est celle du terrain au moment de l'instruction de la demande de l'acte contesté –, le juge administratif raisonne en terme d'opération, ou plus précisément de « projet ».
Dès lors que la description du terrain doit se faire avant le commencement de toute opération, il faut en déduire que c'est le projet dans sa globalité qui doit, selon la cour administrative d’appel de Lyon, faire l'objet du contrôle et de l'autorisation de la commune. Le droit de l'urbanisme donne ici à voir son caractère profondément réaliste en s'attachant à saisir un ensemble cohérent de faits aux dépens d'un raisonnement centré sur les actes administratifs. Ce faisant, le droit de l'urbanisme s'attache avant tout au respect des exigences dont il est le porteur. Le juge est invité non pas à raisonner en termes d'actes formels, mais à rendre des décisions qui protègent les exigences, pour ne pas dire les valeurs, du droit de l'urbanisme. Ici, les articles cités du Code de l'urbanisme et du plan local d'urbanisme ont pour ambition de contrôler la destruction et la transformation de la végétation sur certaines parcelles. Ainsi les exigences dépassent-elles fort heureusement le simple agencement des constructions dans l'espace ; la protection de la verdure fait pleinement partie des visées d'un droit qui porte décidément assez mal son nom.