Le concessionnaire n’ayant pas respecté les obligations stipulées au traité de concession ne peut ni contester les sanctions conventionnellement prévues ni en demander la modulation, sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 1152 du Code civil, au juge du contrat dès lors que les sanctions ne revêtent pas un caractère manifestement excessif.
Le cas échéant, les montants dus par application d’une sanction contractuelle ne peuvent être modulés que si la sanction s’apparente à des pénalités de retard. Que si la modulation semble être admise pour des pénalités dites de bonus/malus, elle ne peut, en tout état de cause, être appliquée pour la sanction visant à faire assurer l’obligation mal exécutée par un autre prestataire ou par le concédant, aux risques et frais du concessionnaire défaillant.
De ce fait, une communauté urbaine (et en général toute collectivité publique), est en droit, à l’encontre de son cocontractant, concessionnaire d’une usine de traitement et de valorisation des déchets ménagers, d’enclencher tous mécanismes de sanctions si une mauvaise gestion de l’exploitation est avérée. Ainsi constitue une mauvaise exécution justifiant les sanctions, le non-respect d’objectifs de traitements de déchets fixés par avenant au traité de concession.
La plasticité des pouvoirs du juge des contrats administratifs couplée aux évolutions récurrentes du droit de la commande publique, favorise l’accroissement du contentieux des contrats administratifs, notamment concernant les concessions de service public. Toutefois, la sanction pour manquement aux obligations conventionnelles du concessionnaire (ou sanction pour faute) est un classique de la jurisprudence des contrats administratifs.
Il est admis, depuis plus d’un siècle, que le pouvoir de sanction est un pouvoir inhérent aux contrats administratifs puisque « si aucune sanction (…), n'a été expressément prévue au cahier des charges, ils n'en constituent pas moins de la part de l'entrepreneur l'inexécution de ses obligations et sont de nature à motiver l'allocation d'une indemnité (…) à raison du préjudice qui en est résulté pour elle » (Conseil d’Etat, 31 mai 1907, req. n° 16.324, Sieur Deplanque, Lebon p.513, concl. Romieu ; D. 1907.3.81 ; RD publ. 1907.678, note Jèze ; S. 1907.3.113, note Hauriou). Mieux, le concédant peut l’enclencher sans la saisine préalable du juge (C.E., sect., 27 janv. 1933, Sieur Le Loir, Lebon p.136, v. n° 92.2 et C.E., 21 mai 1982, req. n° 20414, Société de protection intégrale du bâtiment, Lebon p.183) .
Trois types de sanctions – pour inexécution – peuvent être distingués : les sanctions pécuniaires (dommages et intérêts et pénalités), les sanctions coercitives (contrainte, mise sous séquestre), la sanction résolutoire (déchéance du concessionnaire) qui ne peut être prononcée que par la voie juridictionnelle sauf à ce que les stipulations n’en disposent autrement (C.E., 20 janv. 1905, Compagnie départementale des eaux, Lebon p.57, concl. Romieu ; C.E., 21 nov. 1980, req. n° 01458 08942, Syndicat intercommunal d'organisation de la station de Peyresourde-Balestas, Lebon p.438) .
Les faits de l’espèce concernent deux de ces sanctions : la pénalité pour exécution insuffisante du service de traitement des ordures ménagères et la mise sous séquestre du concessionnaire, soit la substitution temporaire et aux frais et risques de ce dernier, par le concédant (C.E., 30 mars 1927, Société de l’énergie industrielle, Lebon p.1063; C.E., 23 juin 1944, R.D.P. 1945, 101, concl. Odent).
Certes, la sanction pour défaut du cocontractant est une prérogative de puissance publique ; il n’en demeure pas moins que la liberté contractuelle accordée aux parties permet de prévoir, dans les stipulations de la convention, des mesures de sanction « discutées » voire « négociées » (c’est le cas, pour la plupart des concessions, des dommages et intérêts ou des pénalités de retard ou pénalités d’inexécution, ce qui se vérifie dans notre arrêt).
Pour contrôler ce « synallagmatisme », le juge administratif a pris, depuis plusieurs années, la pleine mesure de ses pouvoirs en matière administrative et contractuelle : annulation, résiliation, substitution ou réformation du contrat, indemnisation, modulation voire même interprétation de la volonté des cocontractants (sur la base de la loyauté contractuelle, par exemple, C.E., Assemblée, 28 déc. 2009, req. n° 304802, Commune de Béziers dit « Béziers I », Lebon p.509, concl. Glaser, G.A.J.A. n° 0118, pp.939-956), et l’injonction de reprise des rapports contractuels après résiliation (C.E., sect., 21 mars 2011, req. n° 304806, Commune de Béziers dit « Béziers II », concl. Cortot-Boucher, G.A.J.A n° 0118, pp.939-956.).
Bien qu’il soit une prérogative traditionnelle, le pouvoir de sanction est une mesure de « gestion » courante des concessions de service public pour lequel le juge peut être amené à se prononcer tant sur sa validité que sur son applicabilité aux parties (Cour administrative d’appel de Lyon, 4ème ch., 3 oct. 2013, req. n° 12LY01897, Communauté urbaine de Lyon et Société Valorly) .
La Communauté urbaine de Lyon (ci-après COURLY), établissement public de coopération intercommunale (ci-après E.P.C.I.) compétent en matière d’assainissement et de traitement des ordures ménagères sur son territoire, a confié par concession à la Compagnie française d’exploitation thermique (COFRETH) (aux droits de laquelle est venu un groupement dont le mandataire la société Valorly filiale de la SITA Centre-Est – SUEZ environnement), l’exploitation d’une usine d’incinération et de valorisation des ordures ménagères (ci-après U.I.O.M.), située à Rillieux-la-Pape depuis le 29 septembre 1985. Au titre de l’exécution du contrat (ou plutôt de sa non-exécution), la COURLY a émis deux titres exécutoires, datés du 19 août 2009 et du 19 novembre 2010, mettant à la charge du concessionnaire les sommes de 639 947, 36 euros (année 2007) et 269 207, 64 euros (année 2008) tenant aux surcoûts engendrés pour la collectivité du fait du refus d’accueil des déchets par U.I.O.M. gérée par le concessionnaire. Résolue à ne pas s’acquitter de ces sommes auprès de l’E.P.C.I., la société Valorly avait saisi le Tribunal administratif de Lyon pour en obtenir la décharge, notamment en alléguant une insuffisance de justificatifs des surcoûts supportés par la COURLY. Accueillie partiellement en première instance, le premier titre exécutoire s’est vu ramené à 50 000 euros, la société étant totalement déchargée du deuxième. La COURLY a donc formé appel devant la Cour administrative de Lyon par une requête enregistrée le 23 juillet 2012 aux fins d’annuler le jugement du Tribunal administratif de Lyon et de rétablir les sommes demandées dans les titres exécutoires. Plus accessoirement, la société Valorly a formé un appel incident en date du 8 avril 2013 et qui, à titre principal, demande le rejet de la requête de la COURLY et à titre subsidiaire de moduler les sommes émanant des titres exécutoires.
La Cour va accéder aux demandes de la COURLY en annulant le jugement en date du 16 mai 2012 du Tribunal administratif et en maintenant la quasi intégralité des sommes dues par le cocontractant de l’E.P.C.I., se fondant notamment sur le fait « que la COURLY justifie, par des factures et mandats de paiement, des détournements de déchets qu’elle a été amenée à réaliser, et qui doivent servir de base pour calculer la pénalité résultant des stipulations précitées ; qu’elle est, par suite, fondée à soutenir que c’est à tort que le Tribunal s’est fondé sur l’absence de tels justificatifs pour prononcer la décharge de l’obligation de payer les sommes en litige ». Corollairement, la Cour va rejeter la demande de modulation de la société puisque « d’une part, que les sommes mises à la charge de la société Valorly (…) bien qu’elles soient qualifiées de pénalité par les parties, aboutissent seulement à indemniser la COURLY des surcoûts qu’elle a effectivement supportés ; qu’ainsi, elles ne peuvent être regardées comme des pénalités (…) » et « d’autre part, s’agissant des pénalités dues au titre du système de bonus-malus (…) la société Valorly n’apporte aucun élément sur la rémunération qu’elle perçoit de l’exécution du contrat en cause ; que, par suite, sa demande tendant à la modulation des pénalités n’est pas assortie des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ». Les titres exécutoires de 2009 et de 2010 (voir sur ce point les conclusions du rapporteur C. Vinet) ont donc été rétablis au profit du Grand Lyon, imposant le paiement des sommes dues à la société Valorly.
L’arrêt en question, sans être novateur, n’en est pas moins intéressant pour les collectivités qui doivent faire face à une mauvaise exécution d’un service public concédé et qui peuvent, pour diverses raisons, hésiter à appliquer les clauses de sanctions (I). De même, la Cour a rappelé que seules les parties aux contrats étaient tenues par les clauses de la convention et, qu’ainsi, les dénominations émanant de celles-ci n’entrainent pas, nécessairement, une qualification à l’identique par ses juges. Aussi est-ce le cas, ici, des « pénalités » pour lesquelles, le juge du contrat se réserve le droit d’en moduler ou non, les montants selon les faits qui lui sont soumis (II).
I.- Les clauses de sanction dans les contrats de concession : une solution concrète à la mauvaise exécution du service public concédé
La délégation de service public est un mode de gestion des services publics protéiforme, défini comme « un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au service » (art. 38, L. n° 93-122, 29 janv. 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « loi SAPIN ») . L’externalisation de la gestion du service public est poussée à son paroxysme (soit la gestion complète prévue à l’article 38 précité) par le biais de la concession de service public et de travaux publics. En effet, dans cette hypothèse, le concessionnaire est en quelque sorte « à la pioche » et « au moulin » car responsable de la construction des ouvrages initiaux nécessaires au service public et responsable de l’exploitation du service public (ce qui le distingue, en droit français, du concessionnaire de travaux publics qui n’exploite que les ouvrages publics, art. 1er, Ord. n° 2009-864, 15 juil. 2009, relative aux contrats de concession de travaux publics) .
Si ce contrat paraît être à l’avantage de la personne publique (pas d’investissement matériel), la concession est un des contrats les plus dangereux pour le concédant, les enjeux financiers pouvant dépasser la simple gestion du service public. Il en va justement ainsi du service de traitement des ordures ménagères (C.E., 30 juin 1999, req. n° 198147, Synd. Mixte traitement des ordures ménagères centre ouest Seine-et-Marnais, Lebon p. 229) qui, une fois le principe de rémunération par redevance établi, devient un service public industriel et commercial (C.E., avis, sect., 10 avril 1992, req. n° 132539, SARL Hofmiller, Lebon p. 159 ; Tribunal des conflits, 12 fév. 2007, req. n°C3526, inédit au Lebon) . Il n’est pas à démontrer le caractère attractif du service de traitement des déchets, comme nombre d’autres services (eau, pompes funèbres, remontées mécaniques, etc.), pour lesquels les candidats sont nombreux.
Pourtant, bien que lucratifs et au final peu risqués pour les concessionnaires (à ce sujet voir, D. Capitant, Le risque économique, nouveau critère de la délégation de service public ?, R.L.C.T., 2009/43 ; J.-B. Vila, Bilan en demi-teinte d’un service public aux intérêts financiers : les concessions de casinos, Contrats – marchés publ., n° 02, Février 2013, étude 2 ; S. Ziani, Les limites conceptuelles et prudentielles à la rentabilité d’un service public délégué, Dr. Adm., n° 05, Mai 2011, étude 10), les concessions ne sont pas gage d’une gestion optimale du service public.
Dans ce contexte, la concession liant la COULRY à la société Valorly qui, en 2007 et 2008, a refusé quelques milliers de tonnages de déchets, n’a pas respecté, en conséquence, « la capacité contractuelle annuelle de base » fixée par l’avenant n° 010 au contrat, conclu en 2006. Face à ce refus, le Grand Lyon a dû transférer cette charge à un autre site que l’UIOM, ce qui a engendré un « surcoût » inévitable pour l’intercommunalité. Comme le stipule l’article 16.4 de l’avenant n° 8 du 1er avril 2004, « en cas de non-respect de la capacité de traitement, telle qu’elle résulte de la méthodologie de calcul du PCI (…), le délégataire versera au Grand Lyon des indemnités correspondant aux surcoûts - de détournement des déchets – (…) ».
Premièrement, la convention elle-même prévoit des dispositifs de sanction ce qui permet de connaître concrètement la portée de celles-ci, au contraire des sanctions, dites implicites Néanmoins, cette sanction de l’article 16.4 de l’avenant n’apparaît pas comme une sanction pécuniaire, mais comme « un dessaisissement provisoire » par le concédant qui « fait procéder à l’exécution du contrat (aux) frais et risques du concessionnaire » (Y. Gaudemet, Exécution forcée et puissance publique : les prérogatives de la puissance publique pour requérir l’exécution, Revue des contrats, 1er janv. 2005, n° 1, p. 133.) . Ainsi, la sanction s’assimile à une mise sous séquestre dont « la pénalité pécuniaire » n’est autre que le remboursement « des surcoûts supportés » par la personne publique et justifiés par la continuité du service public.
Deuxièmement, la Cour précise bien que la société Valorly « ne peut utilement contester les modalités de calcul résultant du protocole annexé ». En effet, un concessionnaire, pour se défaire d’une clause conventionnelle ne peut recourir que soit à un avenant consensuellement accepté (puisqu’existe une prohibition d’une modification unilatérale de la personne publique sur les clauses financières au titre du droit à l’équilibre financier des contrats administratifs), soit à la dénonciation pour illégalité de l’objet d’une clause, ce que le juge administratif tend de moins en moins à faire lorsque le contrat a préalablement et paisiblement été exécuté dans les mêmes conditions (C.E., Ass., 28 déc. 2009, req. n° 304802, Commune de Béziers dit « Béziers I », préc cit.) . Dès lors, sans accord, pas d’évolution des clauses financières qui demeurent applicables « sous réserve de la correction d’erreurs purement matérielles » (voir II ci-après).
Parallèlement, selon les préconisations du rapporteur public et au regard des rapports d’expertises réalisées dans cette affaire, ces modalités de calcul ont été largement acceptées et n’ont été modifiées qu’à hauteur des surcoûts calculés pour 2007 (modification au demeurant très faibles puisque la COURLY avançait un surcoût de 77.36 € TTC la tonne alors que la Cour a finalement retenu un surcoût de 75.95 € TTC).
Par ailleurs, la société Valorly contestait l’article 45 du traité de concession, instaurant une pénalité forfaitaire qui, au final, conduisait à une double sanction pour le non traitement des déchets. Là aussi, la Cour a suivi un raisonnement fondé sur la différenciation entre la sanction comptable et sanction purement pécuniaire.
Lorsque la première ne vient que compenser une dépense comptablement liée à la substitution de la personne publique dans l’exécution du service (ou de son transfert à un tiers prestataire), la deuxième, elle, vient réparer le préjudice causé par le concessionnaire par son inexécution (retard, dommages et intérêts). En conséquence, les objectifs des deux « pénalités » sont différents, tout comme leur assiette (l’article 45 du traité a pour assiette les 2000 tonnes supplémentaires apportées au-delà de la capacité contractuelle de base, l’article 16.4 a pour assiette la différence entre l’objectif contractuel et le tonnage effectivement traité).
De plus, en vertu de la liberté contractuelle qui caractérise les contrats administratifs (voir not. Cons. const., 30 nov. 2006, n° 2006-543 DC, AJDA 2007. 192, note G. Marcou ; ibid. 473, note G. Marcou ; D. 2007. 1760, note M. Verpeaux ; ibid. 1166, obs. V. Bernaud, L. Gay et C. Severino ; GDCC, 15e éd. 2009. n° 046 ; RFDA 2006. 1163, note R. de Bellescize ; ibid. 2007. 564, note A. Levade ; ibid. 596, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier : JO 8 déc. 2006, p. 18544. ; C.E. 7 février 1986, req. n° 35331 35423 35441, Association FO Consommateurs et autres, Lebon. p. 31 – C.E. Sect. 28 janv. 1998, req. n° 138650, Société Borg Warner, CJEG 1998, p. 269, chron. F. Moderne ; C.E. 27 avril 1998, req. n° 184473 184557, M. Cornette de Saint-Cyr, AJDA 1998, p. 831, concl. Maugüé ), même si l’assiette des sanctions avaient été identiques, « rien n’interdirait la double sanction » si elle est prévue au contrat (voir C. Vinet, concl. de notre arrêt) .
En conséquence, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon tend à montrer la voie aux personnes publiques responsables d’un service public concédé et qui se heurtent à la mauvaise exécution ou à l’inexécution de certaines clauses de leur contrat. Dans les relations contractuelles s’inscrivant dans la durée, le rapport de force entre personne publique et concessionnaire tend à se déséquilibrer, favorisant l’asymétrie d’informations sur la gestion du service, au détriment de la personne publique. Pour éviter l’accroissement de ce déséquilibre, le concédant doit faire un bon usage des prérogatives de puissance publique qui sont à sa disposition afin de faire respecter les obligations du concessionnaire, tel le titre exécutoire dans notre affaire.
L’importance des clauses conventionnelles (régulières et licites) est non négligeable pour les personnes publiques puisque, en cas de mise en jeu des pénalités financières contractuelles, les concédants n’ont pas l’obligation du préalable juridictionnel. Le juge qui, après infliction des pénalités, ne se limite qu’à contrôler l’erreur manifeste dans l’enclenchement de celles-ci et ne fait pas de la modulation de ces dernières, « un droit acquis » au plaignant.
II.- Les pénalités financières conventionnelles : une modulation rationnelle et non systématique par le juge
Les pénalités financières, qui peuvent atteindre des sommes extrêmement importantes, sont un enjeu économique majeur pour les cocontractants. La balance de l’équation financière des contrats peut très vite basculer pour le concessionnaire négligeant. A l’origine, le juge administratif refusait de moduler les pénalités de retard à la demande des entreprises déficientes en ce sens : « elles ne sauraient, par ailleurs, utilement demander au juge administratif, sur le fondement des dispositions de l'article 1152 du code civil, la réduction du taux desdites pénalités » (C.E., 13 mai 1987, req. n° 35374 50006 50065, CITRA France, Lebon p.821, D. 1987, somm., p. 433, obs. Ph. Terneyre, RFD publ. 1988 p.1427).
Aussi, l’inspiration du droit privé étant de plus en plus forte au sein de la commande publique, le juge a revu sa position dans un arrêt qui fait, désormais, jurisprudence (C.E., 29 déc. 2008, req. n° 296930, Office public d’habitation à loyers modérés de Puteaux, Contrats – marchés publ. 2009, comm. 40, G. Eckert) . Cependant, si les parties à un contrat administratif peuvent se prévaloir de l’alinéa 2 de l’article 1152 du code civil (« Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite. »), il n’en demeure pas moins que le juge administratif ne fait que « s’inspirer » de cet alinéa.
Notamment, le juge administratif ne peut d’office, contrairement au juge civil, moduler les montants manifestement excessifs (ou dérisoires) des sanctions dans les contrats. Ainsi, des sanctions contractuelles « bouleversant l’économie » du contrat ne seront modulées que si les parties font des conclusions expresses en ce sens. Cette position originale du juge administratif tend à s’expliquer par les particularismes reconnus (encore) aux contrats publics (dus au prisme de l’intérêt général). De plus, si l’on a vu que la liberté contractuelle est bel et bien consacrée dans la commande publique, celle-ci n’a pas la même aura que dans les contrats privés où elle est, normalement, le socle des relations entre les parties.
Les pénalités, en premier lieu de retard, sont d’origine exclusivement contractuelle puisque ni le code des marchés publics ni la Loi « Sapin » ne prévoient explicitement la fixation de telles pénalités ; l’honneur revenant au cahier des clauses administratives générales pour les marchés publics de Travaux (CCAG Travaux) dont la dernière rédaction remonte à 2009 (arrêté du 8 septembre 2009) . En définitive, la nature exclusivement contractuelle des pénalités de retard aurait dû conduire le juge administratif à se reconnaitre compétent d’office pour modérer ou augmenter les pénalités.
Comme elle l’avait fait quelques mois plus tôt (C.A.A. Lyon, 28 févr. 2013, req. n° 12LY00477, Société Henri Germain, Contrats – Marchés publ. n° 5, Mai 2013, comm. 14), la Cour lyonnaise a dû se prononcer sur la modulation de pénalités.
Dans notre affaire, la question est toutefois plus intéressante, puisqu’il s’agit de savoir si la jurisprudence « OPHLM de Puteaux » trouve à s’appliquer quand bien même les pénalités ne sont pas des pénalités de retard (qui sont l’objet de la très grande majorité des requêtes en modulation) mais des pénalités de bonus/malus. Si la solution est admise pour les pénalités de retard, la question est plus nouvelle pour les pénalités liées à la performance.
La Cour va, en premier lieu, rappeler que pour être modulées, les pénalités doivent être manifestement excessives. Mais la Cour, pour écarter toute modulation des pénalités émises au titre des articles 16.4 de l’avenant n° 08 et 45 du traité de concession, va opérer une dichotomie entre les pénalités.
Même si cela paraît évident, il reste que pour que soit modulée une pénalité, il faut que celle-ci soit regardée comme une « pénalité au sens des principes dont s’inspire l’article 1152 du Code civil ».
Il n’en va pas ainsi pour les pénalités qui « aboutissent seulement à indemniser la COURLY des surcoûts qu’elle a effectivement supportés ». Cette affirmation rejoint l’analyse précédente, soit la différenciation entre l’indemnisation comptable et l’indemnisation moratoire de la personne publique. Une pénalité au sens de l’article 1152 du Code civil, ouvrant la possibilité d’une modulation ne peut être qu’une pénalité dont la finalité est la répression d’un préjudice lié à l’inexécution d’une obligation contractuelle soit, le versement de dommages et intérêts.
Cependant, si la pénalité est définie comme telle par le juge (art. 45 du traité), cette condition n’est pas suffisante pour ouvrir droit à modulation. Il est nécessaire que le requérant assortisse sa demande « des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ». Le rapporteur public cerne ces « précisions » en apportant que « le caractère manifestement excessif des pénalités ne peut s’apprécier que par rapport au montant du chiffre d’affaires réalisé ». Le couperet est ici évident pour les concessionnaires.
Si l’asymétrie d’informations est une réalité avérée dans les concessions de service public (J.-B. Vila, Recherches sur le rôle de l’amortissement pour rationaliser la rémunération du cocontractant. - Cas des délégations de service public et des partenariats public-privé, Contrats – Marchés publ. n° 05, mai 2010 ; S. Ziani, Dr. Adm., n° 05, Mai 2011, étude 10, op. cit.) , transmettre les données financières relatives à la composition du chiffre d’affaires relatif à l’exploitation du service public concédé irait à l’encontre des intérêts du concessionnaire. Une communication la plus détaillée possible pour le juge et les parties, pourrait révéler l’optimisation financière de la gestion du service public (marge d’exploitation réelle, lissage des comptes, rémunération accessoire, amortissements, good will, etc.) et, en conséquence, exposerait le délégataire à une éventuelle mise à plat en sa défaveur de l’équilibre financier de la convention. La transparence financière est donc la seule issue pour le concessionnaire contre des indemnités qu’il estime excessives.
Aussi, le juge du contrat semble de plus en plus attentif aux montants fixés par les parties dans les conventions et au calcul de ceux-ci (voir J.-B. Vila, L’indemnité d’un cocontractant lors de la résiliation d’une concession. - De la prise en compte de la comptabilité par le juge du contrat à un juge comptable du contrat, JCP A n° 037, 12 sept. 2011, 2294.), permettant de rationaliser le système indemnitaire des conventions.
N’est-ce pas, par ailleurs, ce qu’a fait le Conseil d’Etat dans ses récentes jurisprudences relatives aux indemnisations après résiliation unilatérale des personnes publiques pour intérêt général de contrats de concession ? (C.E., 4 mai 2011, req. n° 334280, CCI Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan ; C.E., Ass., 21 déc. 2012, req. n° 342788, Commune de Douai, Contrat – Marchés publ. 2013, comm. 41, G. Eckert ;JCP A 2013, 2045, J.-B. Vila ;C.E., 8e et 3e ss-sect., 21 oct. 2013, req. n° 358873, min. c/ Société SEMIDEP, concl. B. Bonhert, Dr. Fisc. N° 6, 6 févr. 2014.). La Haute juridiction ne s’est imposée aucune restriction pour sanctionner les indemnités « dissuasives » qui transformaient la résiliation pour intérêt général, prérogative de puissance publique primaire, en une clause purement formelle voire de faire de la résiliation pour IG un « non-pouvoir » sans perspective d’application.
Ces décisions récentes du juge administratif vont dans le même sens, celui de réhabiliter les autorités publiques concédantes dans leur fonction principale : assurer un contrôle efficace des concessions de service public. Il revient désormais aux personnes publiques d’être vigilantes vis-à-vis des stipulations des traités de concession et de l’application qui en est faite tout au long de l’exécution. En cas contraire, le droit des concessions continuera de tendre vers le déséquilibre en faveur de l’intérêt des concessionnaires pénalisant certainement, les usagers et le service public lui-même.