Sursis à exécution et principe général du droit de l’Union européenne d’être entendu

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Décision de justice

CAA Lyon, 6ème chambre – N° 13LY01786 – Préfet du Rhône c/ M. X – 31 juillet 2013 – C

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 13LY01786

Numéro Légifrance : CETATEXT000028443478

Date de la décision : 31 juillet 2013

Code de publication : C

Index

Mots-clés

Procédure administrative, Sursis à exécution, Recours du préfet, Moyen sérieux, PGDUE, Droit d’être entendu, OQTF

Rubriques

Etrangers

Résumé

Le moyen soulevé par le préfet tiré de ce que l’étranger n’a pas été privé de la possibilité de faire connaître utilement et effectivement ses observations préalablement à l’obligation de quitter le territoire français prise à son encontre, paraît, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier la censure du motif retenu par le jugement attaqué.

Lire aussi l'article : Obligation de quitter le territoire français ne faisant pas suite à un refus et respect des droits fondamentaux de l’Union Européenne

Conclusions du rapporteur public

Marc Clément

Rapporteur public à la cour administrative de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6117

L’affaire qui se présente aujourd’hui nous permet de revenir une nouvelle fois sur la question de la portée du droit d’être entendu dans une procédure administrative, droit résultant de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne.

Rappelons rapidement les faits.

M. Z., ressortissant tunisien né en 1967, est entré une première fois régulièrement en France en 1999 sous couvert d’un visa de court séjour ; il a eu en 1999 un enfant avec une ressortissante tunisienne résidant alors régulièrement en France ; il a demandé en 2001 une première carte de séjour refusée par le préfet du Rhône et a fait l’objet en 2003, d’une mesure de reconduite à la frontière dont il a demandé l’annulation au tribunal administratif de Lyon lequel a rejeté sa requête. Il a alors été reconduit en Tunisie.

Entré une nouvelle fois en France le 5 novembre 2010, M. Z. demande alors un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français, son enfant ayant acquis la nationalité française en 2009. Le préfet du Rhône par décisions du 30 janvier 2013 lui refuse un titre de séjour, lui fait obligation de quitter le territoire français et fixe comme pays de destination la Tunisie. Ce sont ces décisions qui constituent l’essentiel du litige.

Par une décision du 28 mai 2013, le préfet du Rhône assigne M. Z. à résidence ; celui-ci conteste alors cette assignation à résidence et l'obligation de quitter le territoire ainsi que la décision fixant le pays de destination en vertu des dispositions de l'article L512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le magistrat désigné du Tribunal administratif de Lyon annule l’obligation de quitter le territoire et l’assignation à résidence par un jugement du 30 mai 2013 dont le préfet du Rhône demande le sursis à exécution dans la présente instance.

Pour être complet, signalons que le tribunal administratif de Lyon a rejeté par un jugement du 3 juillet 2013 la requête de M. Z. dirigée contre le refus de titre du 30 janvier 2013.

Le préfet du Rhône demande le sursis à exécution du jugement sur la base de deux fondements : d'une part l'article R811-15 du code de justice administrative et d'autre part l'article R811-17 du même code.

Pour ce qui concerne l'article R811-15, il convient d'examiner si des moyens sérieux sont invoqués pour, d'une part procéder à l'annulation du jugement et d'autre part vérifier que les conclusions qui ont été accueillies par le premier juge sont fragilisées. Il n'est pas nécessaire que le préfet démontre que les conséquences du jugement ont une incidence particulière.

Tel n'est pas le cas en revanche pour un sursis à exécution accordé sur la base de l'article R811-17 puisqu'il faut en outre démontrer des conséquences difficilement réparables (voir par exemple sur ce point l’arrêt CE 10 novembre 2004 sous le n° 261290 « Société Spie Trindel » et les conclusions de Denis Piveteau).

En l'espèce, nous indiquons tout de suite que sur ce terrain, le fait pour le préfet d'invoquer la nécessité de mettre en place des procédures administratives complexes pour tenir compte de la jurisprudence qui s'imposerait du fait du jugement attaqué ne nous semble pas remplir une telle condition. Le préfet ne nous semble pas apporter d’éléments suffisamment précis pour pouvoir qualifier de conséquences « difficilement réparables » le surcroit de travail administratif généré, au demeurant non par la seule décision attaquée, mais par une application généralisée à toutes les procédures en cours des termes du jugement.

En revanche, la demande de sursis sur la base de l'article R811-15 nous semble pouvoir prospérer.

La requête en sursis à exécution est-elle recevable ?

La première question qui se pose est de savoir si la requête du préfet est recevable. M. Z. soutient en effet que dès lors qu'en exécution du jugement le préfet lui a délivré une autorisation provisoire de séjour, la demande de sursis à exécution est privée d'objet.

Certes, on peut s'interroger sur la portée d'une demande de sursis à exécution dans le contexte d'un jugement prononçant l'annulation d'une décision, laquelle n’appelle aucune mesure d’exécution proprement dite. Mais vous observerez qu’en l’espèce au-delà de la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour, la pleine exécution du jugement exige une nouvelle mesure puisqu'il reste au préfet à réexaminer la situation de M. Z..

La jurisprudence semble à cet égard considérer que l'adoption de mesures en exécution de jugement ne prive ni de la possibilité de faire appel, ni de la possibilité de demander le sursis à exécution dès lors que le préfet s’est borné à exécuter le jugement (CE 4 avril 2005 Préfet du Bas Rhin n°257981 avec les conclusions d’Emmanuel Glaser). Cela paraît logique dans la mesure où une jurisprudence fermant la porte aux voies de recours contre un jugement dès lors qu'un commencement d'exécution a été réalisé, aurait nécessairement pour effet de retarder l'exécution des mesures requises par un jugement : décourager une exécution rapide d'un jugement n'irait certainement pas dans le sens d'une correcte application des décisions juridictionnelles ; nous pensons qu'il est effectivement sage de préserver les voies de l'appel et de préserver de ce fait les possibilités de demande de sursis à exécution. C’est ce qui a été retenu dans une affaire analogue CAA Lyon Préfet du Rhône c. M. A. 4 juillet 2013 n°13LY01602.

Ainsi nous considérons que la requête est recevable pour ce qui concerne l’annulation de l’obligation de quitter le territoire en dépit de la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour.

En revanche, nous avons un doute sur la décision d’assignation à résidence car celle-ci a épuisé ses effets du fait de l’écoulement des 45 jours impartis depuis le 28 mai. Il nous semble dès lors que vous n’avez plus lieu de vous prononcer sur un éventuel sursis à exécution de cette décision d’assignation à résidence.

Le magistrat pouvait-il mettre en œuvre les principes d'équivalence et d'effectivité du droit de l'Union européenne ?

Il nous semble nécessaire de traiter la question de la mise en œuvre des principes européens d’équivalence et d’effectivité même s’il est possible de couper court en répondant plus directement au fond, à savoir si le droit d'être entendu a été violé par le préfet du Rhône. Cela nous semble en effet indispensable pour pouvoir comprendre le raisonnement retenu dans le jugement en litige.

Le principe d'équivalence est un principe procédural qui impose aux Etats membres d'accorder le même niveau de protection que l'on applique du droit de l'Union ou du droit national (CJUE 158/80 7 juillet 1981 Rewe-Handelsgesellschaft Nord mbH point 44). Par exemple, si on devait appliquer un régime de charge de la preuve favorable au requérant pour un certain type de litiges, ce régime devrait s'appliquer de la même façon que le juge fasse application des lois nationales ou du droit de l'Union, distinction au demeurant souvent complexe.

Le principe d’effectivité vient compléter le principe d’équivalence en imposant aux procédures nationales un minimum permettant que le droit européen soit invocable par un requérant. Il permet d’écarter des règles procédurales excessivement restrictives.

L'approche retenue par le tribunal administratif est de partir de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 qui impose que des décisions défavorables ne peuvent être prises par l'administration sans que le demandeur ne puisse faire part de ses observations. Il existe donc un droit d'être entendu dans le droit français. Il doit être soigneusement distingué du droit d'être entendu au sens de l'Union européenne. Cette distinction des principes en fonction du droit appliqué est parfaitement illustrée par l'arrêt Arcelor du Conseil d'Etat, CE 8 février 2007 Arcelor n°287110, et les conclusions de Mattias Guyomar ; cet arrêt distingue le principe d'égalité tel qu'il est exprimé en droit français et le principe d'égalité en droit de l'Union européenne.

En s'appuyant sur le droit d'être entendu tel qu'il existe en droit français, le juge de première instance a considéré que, lorsque l'on applique le droit de l'Union (la directive « retour »), on doit respecter ce droit d'être entendu français par application du principe d'équivalence et du principe d’effectivité.

Dans ce contexte, le moyen du préfet tiré de ce que le principe d'équivalence est un principe qui ne peut pas s'appliquer dans les procédures administratives est inopérant car le raisonnement du premier juge ne met pas en œuvre le principe d’équivalence dans la procédure administrative. Il utilise simplement le principe d’équivalence pour définir le régime juridique applicable.

Or le Conseil d'Etat a explicitement écarté l'application de l'article 24 de la loi de 2000 dans le cadre des décisions d'obligation de quitter le territoire dans son avis du 19 octobre 2007 (CE Avis 19 octobre 2007 n°306821) ; le premier juge propose de ne pas suivre cette jurisprudence en s'appuyant sur le principe d'équivalence.

Ce raisonnement nous semble opérer une extension abusive du champ d'application de l'article 24. En effet de deux choses l'une : ou l'article 24 est pleinement applicable aux obligations de quitter le territoire – ce qui est contraire à la jurisprudence du Conseil d'Etat - et alors le droit d'être entendu « français » s'applique sans avoir besoin de recourir  au principe d'équivalence ou bien l'article 24 ne s'applique pas aux obligations de quitter le territoire et alors le principe d'équivalence ne peut pas jouer car il n'y a pas de dispositions procédurales applicables à des décisions fondées sur le droit national plus favorables. Dans les deux cas, rien ne permettrait de mettre en œuvre le droit d'être entendu « français » dans le cadre d'une obligation de quitter le territoire.

Pour franchir cet obstacle, le raisonnement du premier juge repose sur l'idée qu'il existe un ensemble de décisions similaires à des décisions d'obligation de quitter le territoire qui sont couvertes par l'article 24. Et donc qu'il convient d'étendre – par le principe d'équivalence – le champ d'application de l'article 24 en dépit de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Aucune précision n'est donnée sur ces décisions similaires : c'est d'ailleurs ce que soulève le préfet en soulevant un défaut de motivation du jugement. Moyen qui ne nous retiendra pas beaucoup : la motivation n'est peut-être pas suffisamment claire mais elle est réelle.

Mais le principe d'équivalence, principe européen, ne peut avoir pour effet de modifier des règles de procédure nationales si celles-ci ne sont pas dirigées contre le droit de l’Union : si la loi française ne fait pas application du droit d'être entendu « français » pour certaines décisions, le principe d'équivalence européen ne permet pas d'étendre ce droit d'être entendu « français » à d'autres décisions sous prétexte que de telles décisions existent. En d'autres termes, avant l'intervention de la directive « retour », le droit d'être entendu « français » ne jouait pas pour les obligations de quitter le territoire et l'intervention du droit de l'Union n'a pas eu pour effet de modifier cette situation. Cette approche retenue par le premier juge nous semble une application erronée du principe d’équivalence européen : celui-ci n’a pas pour effet de transformer le droit national. Pour que le principe d’équivalence s’applique il convient que la règle nationale en question – ici le droit d’être entendu français – s’applique déjà à des décisions similaires. Ces décisions similaires sont selon le juge européen des décisions « ayant un objet et une cause semblable » (CJUE C-326/96 1er décembre 1998 Levez). En l’espèce il ne peut s’agir que des décisions d’obligation de quitter le territoire et certainement pas des décisions prises dans un autre domaine puisqu’elles n’auraient ni un objet ni une cause semblable.

Par conséquent nous considérons que le préfet est fondé à contester le raisonnement retenu dans le jugement en litige : le principe d’équivalence européen ne permet pas une application de l’article 24 de la loi de 2000 aux décisions d’obligation de quitter le territoire.

Mais force est de constater que ce terrain juridique n'était pas soulevé en première instance, pas plus qu'il n'est évoqué dans le mémoire en défense en appel. Et pourtant, ainsi que nous l’avons montré, le raisonnement retenu par le juge de première instance reposant sur une combinaison du droit d'être entendu français et du principe d'équivalence est un terrain juridique totalement différent de celui de l'application du droit d'être entendu européen.

Dès lors le moyen soulevé par le préfet de la nécessité de soulever un moyen d'ordre public nous semble pertinent. Puisque les parties n'ont pas eu à débattre de cette question, que ni le principe d'équivalence ni le droit d'être entendu français n'étaient en débat dans le cadre de la demande d'annulation de l'obligation de quitter le territoire, il convenait certainement de soulever un moyen d'ordre public. A cet égard, l’arrêt récent CE 19 avril 2013 CCI d’Angoulême n°340093 souligne l’importance de permettre aux parties de discuter d’une solution juridique qui s’appuierait sur un terrain juridique non soulevé par une des parties (comme par ailleurs le fait aussi la CJUE : C-89/08 2 décembre 2009 Commission c. Irlande e.a.). Il nous semble donc qu’un moyen d’ordre public s’imposait.

Mais vous savez que par une décision SA Morgane de 1991, le Conseil d'Etat considère qu'il n'appartient pas au juge administratif de soulever d'office un moyen tiré du droit de l'Union européenne. Or le principe d'équivalence suppose très clairement que si le juge doit soulever d'office un moyen tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi française, il lui faut faire de même si la méconnaissance porte sur le champ d’application du droit de l'Union.

La jurisprudence S.A Morgane nous semble donc contraire au principe d'équivalence. Les conclusions contraires de M.D. Hagelsteen pour l’arrêt S.A. Morgane ainsi que dans une moindre mesure les conclusions de P. Fombeur pour l’arrêt CE 6 décembre 2002 M. n°239540 proposant de s'écarter de cette jurisprudence montrent au minimum des hésitations. Les évolutions apportées récemment par la jurisprudence du Conseil d'Etat pour ce qui concerne l'application du droit de l'Union européenne devraient très certainement amener sur ce point un changement de jurisprudence (voir par exemple l’arrêt CE 30 octobre 2009 Mme P. n°298348). La justification de l'approche retenue en 1991 reposait sur la crainte de devoir appliquer un droit méconnu. Le débat devant vous montre qu'il n'y a plus lieu de s'inquiéter de la méconnaissance par le juge administratif du droit de l'Union européenne !

Plusieurs moyens sérieux sont donc soulevés par le préfet à l'appui de sa demande de sursis à exécution justifiant l’annulation du jugement. Cela ne suffit pas pour accorder le sursis. Il faut également examiner si le droit d'être entendu - au sens cette fois-ci du droit de l'Union européenne - a été violé et si cette violation emporte annulation des décisions attaquées.

Le droit d'être entendu européen peut-il être invoqué ?

La jurisprudence de la Cour a été fixée par l'affaire CAA Lyon 14 mars 2013 n°12LY02704. La requête dont vous êtes saisis repose en partie sur des éléments de faits analogues à ceux de l'affaire citée. M. Z. a fait l'objet d'un refus de titre de séjour et concomitamment à ce refus de titre le préfet a pris deux autres décisions à savoir une obligation de quitter le territoire et une décision fixant le pays de destination. La Cour ne s’est pas prononcée en revanche sur ce qui se passe pour les décisions d’assignation à résidence.

Vous avez donc jugé que les principes généraux du droit de l'Union s'appliquaient au régime des obligations de quitter le territoire dans la mesure où la directive « retour » organise largement la procédure. Même si la doctrine soutient que l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux s'applique (voir l'article de Diana-Urania Galetta « Le champ d’application de l’article 41 de la Charte (droit à une bonne administration) » à la Revue Trimestrielle de Droit Européen de mars 2013), il nous semble que la formulation de la CJUE est beaucoup plus prudente : la CJUE prend soin de lier Article 41 et principe général. Il importe en effet de préserver une cohérence entre l'application du principe général et l'application de la Charte, même si le texte même de l'article 41 de la Charte restreint la portée du droit à une bonne administration aux décisions prises par les institutions de l'Union. Cependant, il est essentiel selon nous de ne pas s’appuyer sur l'article 41 mais bien sur le principe général puisque nous ne sommes pas dans le cadre d'une application du droit de l’Union par une institution de l'Union mais par une autorité nationale.

La CJUE aura l'occasion de se prononcer explicitement sur l’application du principe dans le contexte des obligations de quitter le territoire en répondant à la question préjudicielle posée par le tribunal administratif de Melun enregistrée sous le numéro C-166/13 ; nous n'avons cependant aucun doute sur le fait que le principe général du droit de l'Union relatif au droit à une bonne administration, droit qui comprend le droit d'être entendu en cas de décision défavorable doit être respecté pour ces décisions.

La question est moins évidente pour ce qui concerne l’assignation à résidence et, dans l’hypothèse où vous ne retiendriez pas un non-lieu pour les conclusions du préfet visant cette décision, nous vous proposons d’examiner plus en détail ce point.

Le paragraphe 3 de l’article 7 de la directive 2008/115/CE prévoit la possibilité d’une assignation à résidence et est transposé à l’article L. 513-4 du code. Mais il s’agit là de l’assignation à résidence dans le cadre du délai de départ volontaire. La décision du 28 mai 2013 est en revanche fondée sur l’article L. 561-2 ce qui correspond à une mesure alternative à la rétention. Le lien avec la directive repose sur l’article 15 qui dispose que « A moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliqués efficacement dans un cas particulier, les Etats membres peuvent (…) placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers (…) ». Ce lien ténu entre le régime de la décision d’assignation et le texte européen ne permet pas de conclure aisément que cette décision entre dans le champ du droit de l’Union, condition essentielle pour pouvoir invoquer le droit d’être entendu. De plus se pose la question de savoir si la décision d’assignation est alors une réelle décision défavorable : elle est au contraire plutôt positive, étant une mesure moins coercitive.

Cet article 15 nous semble insuffisant pour que la décision d’assignation à résidence entre dans le champ du droit de l’Union. Ceci en dépit d’une jurisprudence extensive de la CJUE y compris lorsque la législation de l’Union est rudimentaire en la matière (C-213/03 15 juillet 2004 Syndicat des pêcheurs de l’Etang de Berre) ou même que l’Union semble exclure a priori son intervention (C-240/09 8 mars 2011 Lesoochranarske zoskupenie). Par suite, le moyen tiré de la violation du droit d’être entendu pour une décision d’assignation à résidence serait inopérant.

Quelle est la portée du droit d’être entendu européen ?

La question la plus complexe est celle de la portée de ce droit d'être entendu. Si le droit d'être entendu fait partie des droits de la défense, la jurisprudence qui en délimite les contours ne semble pas être fixée. Il faut souligner que cette jurisprudence a été rendue pour l'essentiel dans le cadre de contentieux particuliers : le contentieux du droit de la concurrence ou des aides d'Etat. Dans ce contexte, la Commission européenne a un pouvoir reconnu par les Traités de prendre des décisions contraignantes pouvant être contestées devant le Tribunal puis devant la CJUE. Ces décisions ne sont bien évidemment pas sollicitées par les entreprises et le droit d'être entendu a consacré la nécessité pour la Commission de ne prendre cette décision qu'après avoir mis les entreprises concernées en mesure d'apporter leurs observations dans le cadre de procédures longues et complexes.

Nous sommes avec les décisions d'obligation de quitter le territoire dans un type de contentieux administratif différent. Le droit d'être entendu ne pourra être le même quel que soit le type de procédure administrative et il ne serait pas réaliste d'appliquer les mêmes standards dans toutes les procédures administratives : régir de façon homogène toutes les procédures administratives à partir d’un cadre commun rigide aboutirait nécessairement à des situations absurdes.

Jusqu'à l'intervention de l'arrêt C-277/11 22 novembre 2012, M., la question de l'application éventuelle du droit d'être entendu dans le contexte d'une obligation de quitter le territoire ne se posaient semble-t-il pas. Ce qui a fait évoluer les choses, c'est que dans cette décision, la CJUE, statuant sur une affaire relative au droit d’asile, retient que même en absence de texte européen explicite, le droit d’être entendu doit être respecté pour chaque procédure administrative conduisant à une décision défavorable.

A ce jour deux questions préjudicielles sont actuellement pendantes devant la CJUE : la première enregistrée sous le numéro C-166/13 porte sur l'applicabilité du principe dans les procédures d'éloignement ; la seconde sous le numéro C-249/13 porte sur le contenu du droit d'être entendu. La question C-166/13 nous semble de peu d'utilité pour la résolution du cas que nous traitons car il est assez probable que le droit d'être entendu s'applique en l'espèce. Si la CJUE arrivait à la conclusion contraire, l'approche de la Cour administrative de Lyon ne pêcherait que par excès de zèle européen ! L'autre aspect de cette question préjudicielle porte sur les conséquences de l'effet suspensif d'un recours au regard d'une éventuelle violation du droit d'être entendu : si nous concluons à l'absence de violation de ce droit, la réponse à cette question ne présente qu'un intérêt limité.

La seconde question préjudicielle porte sur l'application de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux aux décisions d’éloignement alors que, selon nous, l'article 41 n'est pas en lien avec le litige puisque seul le principe général peut s'appliquer : la CJUE pourrait répondre assez sèchement que l'article 41 ne s'applique pas à la situation invoquée comme elle l'a fait assez fréquemment pour des questions relatives à la Charte.  

En tout état de cause, la première partie de la question demande en substance à la CJUE de fournir un guide d'application de ce droit d'être entendu en en définissant les contours avec précision. Il n’est pas certain que la CJUE puisse satisfaire une telle demande : rappelons que la CJUE n'admet une question préjudicielle que pour autant que le juge national ait fait l'effort de préciser un lien direct entre la question posée et l’affaire à trancher. Elle refuse de répondre à des questions purement théoriques ou générales. En l'espèce, nous avons quelques doutes sur le caractère suffisamment précis de la première question posée : il est en effet trop général de demander de préciser le contenu du droit d'être entendu sans, qu’au préalable, le juge national ait fait un premier travail d'analyse des problèmes potentiels de la procédure française qui le conduisent à soumettre la question.

Enfin, pour ce qui concerne les questions plus précises posées à la CJUE, celles-ci reposent sur l'idée qu'il conviendrait de faire connaître au demandeur un projet de décision pour qu'il puisse prendre position y compris en étant éventuellement assisté d'un conseil. Une telle approche nous semble aller très au-delà de ce qui est requis par la jurisprudence de la CJUE dans le cadre d'un droit d'être entendu qui suppose la possibilité de présenter des observations avant la prise de décision mais qui ne suppose pas une décision négociée entre le demandeur et les autorités préfectorales ! Plus encore, il nous semble que la CJUE a déjà répondu par la négative dans le cadre de l’affaire C-277/11 puisque même l’exigence de coopération avec le demandeur imposée par l’article 4 de la directive 2004/83/CE combinée avec le droit d’être entendu ne conduit pas à une obligation pour les autorités d’informer préalablement le demandeur d’un projet de rejet de sa demande et d’en communiquer les motifs.

Dans ces conditions, il nous parait peu vraisemblable que ces questions préjudicielles apportent des éléments déterminants pour la solution du litige.

La jurisprudence de la CJUE fournit une définition du droit d’être entendu : « Le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts. », formulation reprise notamment au point 87 de l’arrêt du 22 novembre 2011 C-277/11 avec des références de jurisprudence nombreuses.

Dans les faits M. Z. a fait une demande de titre et si une audition a bien eu lieu, celle-ci est intervenue le 28 mai 2013 donc postérieurement aux décisions du 30 janvier 2013.

La CJUE dans l’arrêt C-277/11 considère que, dans l’hypothèse de deux procédures administratives distinctes (une relative au statut de réfugié et l’autre à la demande de protection subsidiaire), le droit d’être entendu doit être respecté dans chacune des procédures sans qu’il soit possible de se référer à une audition dans le cadre d’une des procédures pour valider la deuxième. Rien dans cet arrêt ne nous informe sur le contenu qu’il conviendrait de donner au droit d’être entendu si ce n’est la définition rappelée précédemment.

Il semble bien que le droit d’être entendu est respecté si la personne concernée est en situation de pouvoir faire des observations et de communiquer toute information pertinente à l’administration qui va prendre la décision (voir le paragraphe 185 de l’arrêt TPI T-167/08 27 juin 2012 Microsoft ou encore l’arrêt C-277/11).

La question est donc – comme d’ailleurs le défendeur le reconnaît – d’estimer si M. Z. avait connaissance de l’éventualité d’une mesure d’obligation de quitter le territoire en cas de rejet de sa demande de titre. Votre Cour tout comme la CAA de Bordeaux (CAA Bordeaux 16 juillet 2013 N. N° 13BX00601), la CAA de Nancy (CAA Nancy 1er juillet 2013 n°13NC00058), la CAA de Nantes (CAA Nantes 27 juin 2013 C. 12NT02014) ou encore la CAA de Marseille (CAA Marseille 18 juin 2013 K. n°12MA04450) estiment que du fait de sa demande de titre, un requérant ne pouvait ignorer que le préfet en cas de refus pouvait prendre une décision d’obligation de quitter le territoire. 

Nous estimons qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de la jurisprudence rendue par la Cour dans son arrêt du 14 mars 2013 et de considérer que le droit d’être entendu n’a pas été violé en l’espèce.

On soulignera de surcroit qu’une éventuelle violation du droit d’être entendu n’emporterait pas nécessairement annulation de la décision en litige. En effet la CJUE a expressément retenu que l’appréciation des conséquences d’une violation du droit d’être entendu dans la phase administrative n’emporte l’annulation de la décision prise que s’il est établi que cette violation a eu un effet sur le sens de la décision, le requérant supportant la charge de la preuve (T-211/05 4 septembre 2009 Italie c. Commission paragraphe 45 : arrêt mentionné dans le répertoire de jurisprudence de la CJUE pour ce point). Certes d’autres arrêts (notamment CJUE C-322/07 2 avril 2009 Papierfabrik August Koehler AG) pourraient amener à une conclusion contraire, mais le caractère automatique de l’annulation porterait au minimum à discussion.

Sur la situation familiale de M. Z.

Pour terminer, nous évoquerons brièvement la situation familiale de M. Z..

Vous constaterez que M. Z. soulève des moyens relatifs à la violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et la violation de l’article 3 de la convention internationale des droits de l’enfant.

Or il résulte des déclarations faites par M. Z. lors de son audition du 28 mai 2013 qu’il résidait à la date de la décision attaquée depuis seulement deux ans en France alors que son épouse réside en Tunisie. Dans sa demande de titre de séjour il a indiqué avoir une sœur résidant en Tunisie même s’il précise lors de son audition avoir un seul frère résidant en France. Il a vécu plus de 7 années en Tunisie, son fils le rejoignant pour les vacances selon ses affirmations. Il ne contribuait pas à son éducation et à son entretien avant 2012. Par ailleurs, il semble que son fils était scolarisé au moins pour l’année 2011-2012 dans les Hautes-Alpes et non dans la région lyonnaise selon l’attestation produite par le collège des Hautes Vallées à Guillestre. La décision du juge aux affaires familiales du 28 janvier 2013 ne nous semble pas modifier radicalement la situation familiale de M. Z. et ses liens avec son enfant.  

Dans de telles conditions, les décisions du 30 janvier 2013 n’ont pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. Z. à une vie privée et familiale et n’ont pas méconnu l’intérêt supérieur de son enfant.

En résumé, nous considérons que les moyens présentés par le préfet sont des moyens sérieux permettant d’annuler le jugement puisque le raisonnement retenu par le premier juge en s’appuyant sur le principe d’équivalence ne nous semble pas devoir être retenu et que ces mêmes moyens s’opposent à ce que les conclusions à fin d’annulation des décisions attaquées de M. Z. soient accueillies.

Par ces motifs, nous concluons à ce que vous fassiez droit à la demande de sursis à exécution présentée par le préfet du Rhône

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