Avant l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques, il convenait d’appliquer les critères classiques de qualification du domaine public aux bureaux de l’administration. Désormais, ces derniers constituent des biens du domaine privé par détermination de la loi, avec toutes les conséquences qui en découlent.
Les biens des personnes publiques appartiennent soit à leur domaine public soit à leur domaine privé. Cette dichotomie n’est pas seulement théorique, puisqu’en pratique, elle permet de déterminer tant la compétence juridictionnelle que le droit public ou privé applicable.
C’est sur cette problématique que revient la Cour administrative d’appel de LYON dans son arrêt en date du 6 juin 2013. Un incendie était intervenu dans un immeuble donné à bail par le Département de la Haute-Loire à l’État, et abritant le service d’économie agricole de la Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt. La compagnie d’assurance et le Département de la Haute- oire demandent au Tribunal administratif de CLERMONT-FERRAND de condamner l’Etat en réparation de leurs préjudices en raison de l’incendie. Le Tribunal administratif de CLERMONT-FERRAND se déclare incompétent, au motif que le bail conclu entre les deux personnes publiques constituerait un contrat de droit privé. La Cour administrative d’appel de LYON annule le jugement rendu, en appliquant, méthodiquement, les critères de l’appartenance du bien au domaine public, et ce avant l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques du fait de l’antériorité du sinistre.
C’est l’occasion pour la Cour administrative d’appel de LYON de revenir sur la notion d’immeubles publics à usage de bureaux, constitués par des bureaux administratifs et lieux de travail des agents de l’administration. La finalité première de ces locaux n’est pas que le public les utilise, mais les agents de l’administration.
Cet arrêt de la Cour administrative d’appel de LYON en date du 6 juin 2013 est un intéressant exemple de l’application de la dichotomie domaine public / privé aux bureaux de l’administration (I), et des conséquences de cette qualification (II).
I – La dichotomie fondamentale du domaine public / privé appliquée aux immeubles de bureaux de l’administration
A – L’ancien régime juridique des bureaux administratifs avant l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques : l’application des critères classiques du domaine public
Selon l'article L 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public.
Avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du Code général de la propriété des personnes publiques, le juge administratif exigeait, non un aménagement indispensable, mais un aménagement spécial. Cette différence sémantique est de taille, puisqu’elle permettait de classer plus facilement les biens des personnes publiques dans leur domaine public.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de LYON applique en l’espèce le droit avant l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques, le bail ayant été conclu à compter du 15 mars 2004 et l’incendie, fait générateur de responsabilité, étant survenu le 5 mars 2005. La Cour considère que l’immeuble en cause comportait des pièces d’archives et des bureaux, et avait ainsi par le passé été affecté et spécialement aménagé pour un service public administratif.
Ainsi que le juge en l’espèce la Cour administrative d’appel de LYON, l’ensemble des immeubles de bureaux de l’Administration était indirectement regardé comme faisant partie du domaine public (CE, 7 février 1975, Ordre des avocats au barreau de Lille, req. n° 83611) . Cette classification n’est en réalité plus d’actualité, puisque désormais, les immeubles de bureaux des personnes publiques sont par principe rangés dans le domaine privé des personnes publiques par détermination de la loi.
B – Le nouveau régime juridique des bureaux administratifs après l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques : la domanialité privée par détermination de la loi
Le domaine privé d’une personne publique est défini a contrario par rapport à la définition du domaine public. Ainsi, les dépendances appartenant à une personne publique, mais n’étant ni affectées à l’usage direct du public ni à l’usage d’un service public, constitueront des dépendances du domaine privé de la personne publique en cause.
Les immeubles de bureaux de l'État et de ses établissements publics avaient déjà été rangés dans le domaine privé depuis l’ordonnance n° 2004-825 du 19 août 2004. Tous les immeubles de bureaux des personnes publiques font désormais partie du domaine privé par détermination de la loi depuis le 1er juillet 2006.
Ainsi, il n’est plus besoin d’appliquer les critères classiques de qualification du domaine public pour déterminer la nature des bureaux administratifs. L’article L 2211-1 du Code général de la propriété des personnes publiques pose en effet le principe selon lequel font partie du domaine privé les biens des personnes publiques qui ne relèvent pas du domaine public, et notamment les biens immobiliers à usage de bureaux. Il en est de même en ce qui concerne les réserves foncières, les chemins ruraux, les bois et forêts soumis au régime forestier.
Il s‘agit de permettre aux personnes publiques de simplifier la gestion de leur patrimoine sans désaffection et déclassement préalables. Les immeubles de bureaux pourront également faire l’objet de baux de droit commun. Les notions d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité inhérentes au domaine public sont contournées.
Les règles applicables aux bureaux administratifs sont assouplies. Par exemple, toute occupation ou utilisation du domaine public donne lieu au paiement d’une redevance, laquelle doit tenir compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation (articles L 2125-1 et L 2125-3 du Code général de la propriété des personnes publiques). L’obligation de définir le montant en fonction des avantages procurés ne s’impose pas pour l’occupation du domaine privé.
Le domaine privé répond, d’une manière générale, à un régime juridique plus souple. Il permet la copropriété (CE, 11 février 1994, Compagnie d’assurances La préservatrice foncière, req. n° 109564) , la mitoyenneté (CAA MARSEILLE, 18 décembre 2006, Franco, req. n°) , l’indivision (CE, 6 avril 1998, Courly, req. n° 151752), ou encore l’utilisation des outils de droit privé, tel que le bail commercial. Les personnes publiques gèrent librement leur domaine privé selon les règles qui leur sont applicables (article L 2221-1 du Code général de la propriété des personnes publiques).
A noter que l’article L 2211-1 du Code général de la propriété des personnes publiques prévoit une exception. Les bureaux peuvent faire partie du domaine public, s’ils forment un ensemble indivisible avec des biens immobiliers appartenant au domaine public. Ainsi, en vertu de la théorie de l’accessoire, les bureaux peuvent encore faire partie du domaine public. Le juge administratif s’intéresse alors à la configuration des lieux, et notamment si les différentes parties sont desservies par des escaliers et ascenseurs communs pour déterminer si les locaux de bureaux sont divisibles du reste de l'immeuble (CE, 25 mai 2005, SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE, req. n° 0274683) . Il ne suffit pas, en tout état de cause, que les bureaux soient édifiés sur un tènement faisant partie du domaine public (CAA BORDEAUX, 19 février 2009, Sté Vigier Génie civil environnement, req. n° 08BX02252) .
II – Les conséquences de la qualification du domaine public ou privé aux bureaux de l’administration
A – La compétence du juge administratif avant l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques
Selon le décret-loi du 17 juin 1938, par principe un contrat portant occupation du domaine public constitue un contrat administratif, et les litiges auxquels il donne lieu sont de la compétence du juge administratif. Et, selon l’article L 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, la juridiction administrative est seule compétente pour traiter des litiges relatifs aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclues par les personnes publiques ou leurs concessionnaires.
Dans l’arrêt commenté, la Cour administrative d’appel de LYON considère que quels que soient la forme et le contenu de la convention passée entre le département et l’Etat, la juridiction administrative était seule compétente pour en connaître, dès lors qu’il s’agissait de l’occupation du domaine public. C’est dire qu’une personne publique ne peut décider par elle-même de placer son contrat sous un régime de droit privé, même en rédigeant des clauses le prévoyant expressément, si ce dernier a trait au domaine public.
Si le juge administratif est le juge naturel du domaine public, il existe toutefois plusieurs exceptions à ce principe, telles que la voie de fait, l’emprise irrégulière, l’action possessoire... En outre, le juge administratif est incompétent pour répondre à une question préjudicielle portant sur la légalité d'une sous-concession domaniale conclue entre deux personnes privées sur le domaine public (CE, 9 novembre 2005, Germain-Petit, req. n° 260690) . Si l’un des cocontractants privés est concessionnaire de service public en revanche, le juge administratif reste compétent (Tribunal des Conflits, 12 décembre 2005, ASSOCIATION SPORTIVE DE KARTING, n°C3458 et article L 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques).
Enfin, et avant de se déclarer compétente pour statuer sur le litige, la Cour administrative d’appel de LYON relève que le bien à usage de bureaux n’a pas fait l’objet d’un déclassement. Mais les collectivités territoriales pourraient-elles exclure leur bien du domaine public en les déclassant, quand bien même si ce bien reste affecté au service public ? Le Conseil constitutionnel a posé sur ce point le principe selon lequel le déclassement d'un bien appartenant au domaine public ne saurait avoir pour effet de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de l'existence et de la continuité des services publics auxquels il reste affecté (Conseil Constitutionnel, 14 avril 2005, Loi relative aux aéroports, n° 2005-513).
Alors que la Cour administrative d’appel de LYON avait qualifié les immeubles à usage de bureaux en l’espèce de biens appartenant au domaine public, elle ne pouvait que se déclarer compétente pour statuer sur le litige. Mais avec les nouvelles dispositions classant les bureaux administratifs dans le domaine privé, la solution ne sera désormais plus la même…
B – La compétence désormais judiciaire en matière de bureaux administratifs
Le domaine privé est soumis au droit privé et son contentieux aux juridictions judiciaires (T. conflits, 24 octobre 1994, Duperray et SCI "les Rochettes", n° 02922). En l’espèce, et dès lors que les bureaux administratifs constituent, depuis l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques, des biens relevant du domaine privé, la Cour administrative de LYON devra se déclarer incompétente à l’avenir sur les litiges concernant les immeubles de bureaux des personnes publiques.
Le Tribunal des Conflits a posé le principe selon lequel la contestation par une personne privée de l'acte, qu'il s'agisse d'une délibération du conseil municipal ou d'une décision du maire, par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu'en soit la forme, dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n'affecte ni son périmètre ni sa consistance, ne met en cause que des rapports de droit privé et relève donc de la compétence du juge judiciaire (T. conflits., 22 novembre 2010, Brasserie du Théâtre, n° 3764) .
En revanche, si le requérant n’est pas le cocontractant de la personne publique mais un tiers, la juridiction administrative reste seule compétente pour connaître des demandes d'annulation d'une délibération d'un conseil municipal ou d'un arrêté du maire, même si l'objet de ces décisions est d'autoriser ou de passer un contrat portant sur la gestion du domaine privé de la commune et n'impliquant aucun acte de disposition de celui-ci (CE, 5 décembre 2005, Commune de Pontoy, req. n° 270948 ; CAA VERSAILLES, 21 juillet 2011, Commune de Verrières-le-Buisson, req. n° 10VE00770) . En effet, dans cette hypothèse, ce n’est pas un rapport strictement privé qui en cause, mais bien un acte détachable de la gestion du domaine privé.