A la fin de l’année 2004, la commune de Val d’Isère a entrepris de mettre une parcelle lui appartenant sur le « front de neige » à la disposition d’un opérateur privé pour la création d’un espace détente comportant bar, restaurant et discothèque. Le projet a suivi son cours, sous l’œil vigilant des syndicats des copropriétaires des résidences Le Rond Point Des Pistes 1 et 3, préoccupés par les risques de nuisances d’un tel projet.
Les syndicats de copropriétaire ont, dans un premier temps, obtenu du juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble la suspension de l’arrêté du 20 février 2007 accordant un permis de construire à la société Doudoune, future exploitante de l’établissement, mais par un jugement du 29 janvier 2009, leur requête contre l’autorisation de construire a été rejetée, le Tribunal considérant en particulier qu’un permis modificatif avait remédié aux problèmes de stationnement posés par le permis de construire initial. Statuant sur l’ensemble des moyens invoqués, les premiers juges ont également admis que, titulaire d’un bail emphytéotique accordé par la commune de Val d’Isère qui n’avait fait l’objet d’aucune décision de justice l’invalidant à la date du permis de construire attaqué, la Société D. justifiait d’un titre l’habilitant à déposer une demande de permis de construire. Le juge d’appel en a jugé autrement : par un arrêt du 7 mars 2011, la 1ère Chambre de la Cour a annulé le permis de construire ; l’arrêt rappelle que lorsqu’un projet qui fait l’objet d’une demande de permis de construire, doit être édifié sur une dépendance du domaine public, le permis ne peut être légalement accordé que si le pétitionnaire est en possession d’une autorisation d’occupation délivrée dans des conditions régulières, puis considère que le bail emphytéotique conclu entre la commune de Val d’Isère et la Société D. est intervenu en méconnaissance de l’article L1311-2 du code général des collectivités territoriales. L’arrêt a fait l’objet d’un pourvoi en cassation (enregistré le 17 mai 2011 sous le n° 349420).
S’agissant d’un bien qualifié de dépendance du domaine public communal, la théorie du propriétaire apparent a donc été écartée par la Cour, même si le titre dont se prévalait la Société D. n’avait pas été invalidé par un juge, et pour cause : vous êtes saisis des requêtes d’appel présentées par la commune de Val d’Isère et par la Société D. contre le jugement en date du 27 avril 2011, par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a, postérieurement à l’arrêt de votre Cour relatif au permis de construire, annulé la délibération en date du 27 février 2006 par laquelle le conseil municipal de Val d’Isère a approuvé un projet de bail emphytéotique administratif à conclure en vue de la construction d’un bar-restaurant-discothèque et autorisé le maire à signer ce contrat.
Saisis de deux requêtes d’appel présentées, d’une part, par la commune de Val d’Isère et, d’autre part, par la Société D., vous pourriez vous interroger sur la recevabilité de cette dernière à relever appel, alors que seul M. M. B., dont on peut supposer qu’il est le gérant de la SARL, était partie à l’instance devant le tribunal administratif …Si vous nous suivez, vous n’aurez pas à vous prononcer sur cette question et la requête d’appel présentée par la commune de Val d’Isère est, en tout état de cause, recevable.
Avant de statuer sur la légalité de la délibération litigieuse, vous confirmerez les premiers juges pour admettre l’intérêt à agir des syndicats de propriétaires : le terrain faisant l’objet du bail emphytéotique est situé à proximité immédiate des deux résidences, même si elles ne jouxtent pas la parcelle en cause. Aux termes de l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965, les syndicats de copropriétaires défendent la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble. Compte tenu des termes du bail emphytéotique, les conditions d’exploitation de la discothèque (heures d’ouverture …) résultent bien du contrat et si la commune de Val d’Isère fait valoir l’insonorisation des locaux, enterrés de quatre mètres, vous n’avez pas, à ce stade, à vous prononcer sur l’effectivité des nuisances pouvant résulter de l’exploitation de l’établissement, étant précisé que les nuisances sont susceptibles d’apparaître hors les murs de l’établissement du fait des allers et venues nocturnes de sa clientèle.
Sur le fond du litige, l’article L1311-2 du code général des collectivités territoriales dispose qu’ « Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique […], en vue de l’accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d’une mission de service public ou en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence ».
La Société D. conteste tout d’abord l’appartenance de la parcelle en cause au domaine public de la commune de Val d’Isère. Dans l’arrêt précité du 7 mars 2011, votre Cour a expressément qualifié la parcelle d’implantation du projet de dépendance du domaine public de la commune de Val d’Isère et cette qualification était déterminante pour la solution du litige. En revanche, et contrairement à ce qui est affirmé par la Société D. avec force conviction mais de façon tout à fait erronée, le Conseil d’Etat n’a absolument pas retenu la solution opposée dans sa décision du 2 juillet 2008 n° 0312836 : compte tenu de la nature du contrôle exercé par le juge de cassation, s’agissant d’appréciations largement factuelles concernant les caractéristiques de la zone d’implantation du projet, le Conseil d’Etat statuant sur l’ordonnance par laquelle le juge des référés a mis fin à la suspension du permis de construire, ne s’est pas prononcé sur l’appartenance du bien au domaine public communal du domaine skiable de Val d’Isère. Pour vous en convaincre, il suffit de vous reporter aux conclusions du Rapporteur Public, Mme Anne Courrèges.
Même si le raisonnement tenu par la Cour dans l’arrêt du 7 mars 2011 paraît convaincant, nous ne vous proposerons pas de trancher cette question, plus délicate qu’il n’y paraît à lire les conclusions d’Anne Courrèges : la réponse que vous pourriez apporter ne paraît pas utile dans le présent litige. Le jugement attaqué du 27 avril 2011 ne se prononce pas, d’une part, sur l’appartenance du bien au domaine public communal. D’autre part et surtout, les dispositions de l’article 13 de la loi du 5 janvier 1988, dont sont issues, dans une rédaction modifiée à la marge, celles de l’article L1311-2 du code général des collectivités territoriales, ont étendu aux opérations qu’elles visent la possibilité pour une collectivité de consentir un bail emphytéotique sur les biens appartenant à son domaine privé ou public (ce sont là les termes de l’arrêt CE Section 25 février 1994 n° 144641-145406 « S.A. Sofap-Marignan Immobilier et autres ») . La même référence à une dépendance du domaine privé ou du domaine public d’une collectivité est reprise plus récemment dans l’arrêt du 19 juillet 2011 n° 320796 « Mme V. »). D’ailleurs, les dispositions de l’article L1311-2 du code général des collectivités territoriales que nous avons rappelé se poursuivent par « Un tel bail peut être conclu même si le bien sur lequel il porte […] constitue une dépendance du domaine public … », ce qui suppose a contrario que les baux visés par le CGCT puissent porter sur une dépendance du domaine privé. Enfin, pour terminer sur ce moyen, la Société D. affirme que la parcelle en cause n’appartient pas au domaine public de la commune de Val d’Isère, mais elle n’en tire aucune conséquence qui devrait vous conduire à annuler le jugement attaqué. Vous écarterez ce premier moyen.
Pour annuler la délibération du conseil municipal de Val d’Isère du 27 février 2006, les premiers juges ont considéré que la réalisation et l’exploitation d’un établissement de bar-restaurant-discothèque ne constitue pas l’accomplissement d’une mission de service public pour le compte de la commune de Val-d’Isère ; que l’opération de construction d’un tel établissement ne constitue pas en elle-même une opération d’intérêt général au sens de l’ article L1311-2 du code général des collectivités territoriales, alors même qu’elle est de nature à contribuer à l’animation touristique d’une station de sports d’hiver et que le preneur du bail s’engage à « associer son équipement aux évènements de la station » et à ouvrir, pendant la saison estivale « pour des évènements spéciaux et l’organisation de manifestations d’initiative communale ».
La Société D. soutient sans trop de conviction que les premiers juges ont eu tort d’écarter le critère de l’accomplissement d’une mission de service public. La jurisprudence a pu qualifier de service public des activités telles que les bars et buvettes situés dans les cercles militaires (CE 22 décembre 1989 n° 86113 ) ou les restaurants d’altitude situés sur le domaine skiable (CE 25 novembre 2005 n° 259527 « R. », aux conclusions de Laurent Olléon) . Il nous paraît toutefois difficile d’admette en l’espèce qu’un établissement bar-restaurant-discothèque participe à l’accomplissement d’une mission de service public en rapport avec la vie associative et culturelle de Val d’Isère, aux motifs que la salle pourrait accueillir des cérémonies de remise de prix à l’issue de compétitions sportives et que, par rapport aux établissements nocturnes existants, celui de la Société D. contribuerait compte tenu de la configuration des locaux à la baisse des nuisances sonores et à l’optimisation de l’utilisation des parcs de stationnement de la station. Par ailleurs, vous constaterez l’absence de carence de l’initiative privée, compte tenu de la présence d’autres établissements concurrents.
La commune de Val d’Isère soutient quant à elle que l’activité envisagée par la Société D. et faisant l’objet du bail emphytéotique litigieux s’inscrit « dans une démarche globale de maintien de l’activité touristique en zone de haute montagne », contestant le raisonnement des premiers juges consistant à apprécier seulement si l’opération constitue « en elle-même » une opération d’intérêt général.
Sur ce point, la jurisprudence admet en effet l’intérêt général au sens de l’article L1311-2 du code général des collectivités territoriales d’opérations consistant à dynamiser et à renforcer le tourisme (par exemple autour d’un lac, s’agissant de l’établissement d’installations permettant l’exercice de commerces de loueurs d’engins nautiques, CAA Nancy 30 octobre 2008 n° 07NC00568 « SARL La Perle »), comme la re-dynamisation de l’activité commerciale d’une commune et la création d’emplois (CAA Versailles 27 octobre 2004 n° 02VE02544 « Commune d’Epinay-sous-Senart ») . Le juge des référés de première instance a également admis la conclusion d’un bail emphytéotique administratif pour l’aménagement d’un bar cafétéria, au motif qu’il se rattachait directement à l’opération d’intérêt général que constitue la réalisation d’un équipement culturel polyvalent (TA Strasbourg 5 mai 2000 n° 9902038 « M. R. »).
En l’espèce, l’argumentation développée par la commune de Val d’Isère ne nous paraît pas convaincante : nous ne voyons pas en effet en quoi l’opération envisagée par la Société D. contribuerait plus que les autres commerces ou établissements de loisirs implantée dans la station de ski à l’objectif d’intérêt général invoqué de maintien de l’activité touristique en zone de haute montagne.
Vous constaterez à la lecture du bail emphytéotique en litige que ses termes semblent avoir été choisis pour décrire une véritable collaboration entre la collectivité et l’entreprise privée, mais en réalité il ne pèse sur celle-ci aucune véritable obligation, aucune véritable contrainte justifiée par l’intérêt général. La plupart des « obligations » énumérées à l’article 7 correspondent au cahier des charges qu’est susceptible de s’imposer tout établissement de qualité. Le contrôle de la collectivité sur les activités de l’exploitant paraît particulièrement limité, au vu des termes de l’article 11 du bail, qu’il s’agisse des aspects techniques ou financiers.
Si vous nous suivez, vous confirmerez donc le jugement attaqué et rejetterez les requêtes n° 011LY01353 et 11LY01521. Sous le n° 11LY01578, la commune de Val d’Isère relève par ailleurs appel du jugement en date du 21 avril 2011, par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a annulé la délibération de son conseil municipal en date du 8 novembre 2006 approuvant un projet de convention à conclure par la commune avec la Société D. sur le fondement de l’article L342-1 du code du tourisme.
La minute du jugement attaqué figurant au dossier de première instance porte les signatures requises par le code de justice administrative ; l’absence de ces signatures sur la copie transmise aux parties est sans incidence sur la régularité du jugement (CE 29 mai 2009 n° 323862 « A. ») .Vous écarterez comme manquant en fait la critique de la régularité du jugement attaqué.
Pour les mêmes motifs que ceux exposés dans l’examen des deux autres affaires concernant le projet de la Société D., vous admettrez l’intérêt à agir des syndicats des copropriétaires des résidences Le Rond Point Des Pistes 1 et 3.
Sur le fond, nous vous épargnerons la lecture de l’article L342-1 du code du tourisme : il n’est pas contesté qu’il trouve à s’appliquer au projet, sans quoi la commune de Val d’Isère et la Société D. n’aurait pas eu recours à la convention. Est en revanche contestée l’application de l’article L342-2 du même code, qui impose que : « Les contrats établis […] prévoient à peine de nullité : (…) 5° Pour ceux ayant pour objet l’aménagement foncier, la réalisation et la gestion d’équipements collectifs, la gestion de services publics, les modalités de l’information technique, financière et comptable qui doit être portée à la connaissance des communes ou de leur groupement ou du syndicat mixte ; à cet effet, le cocontractant doit notamment fournir chaque année un compte rendu financier comportant le bilan prévisionnel des activités et le plan de trésorerie faisant apparaître l’échéancier des recettes et des dépenses. ».
Précisons d’emblée que vous ne pourrez tirer aucune conclusion de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 24 septembre 1999 sous le n° 169254 « Association de défense du lotissement de Crouze » : les circonstances de cette affaire ne sont pas transposables à celle qui vous est soumise ; comme le font valoir les syndicats de copropriétaires, la convention conclue entre la commune de Val d’Isère et la Société D. n’est pas silencieuse sur les prescriptions visées par l’article L342-2 du code du tourisme, mais en son article 11, elle exclut expressément l’obligation pour le co-contractant de la collectivité de fournir annuellement l’information technique, financière et comptable prévue par le code du tourisme. Cette rédaction a conduit les premiers juges à retenir une « violation directe » de l’article L342-2 du code du tourisme …. Par ailleurs, il nous semble que la décision du Conseil d’Etat doit uniquement s’entendre comme soulignant que le rappel des dispositions législatives dans le contrat n’est pas nécessaire pour en assurer la légalité.
La seule question qui vous alors est posée est celle de la qualification du projet litigieux : s’agit-il ou non d’un aménagement foncier au sens de cet article du code du tourisme, ce que conteste la commune de Val d’Isère ?
Nous n’avons pas trouvé de réponse satisfaisante dans la jurisprudence. Contrairement à ce que soutiennent les requérants de première instance le Conseil d’Etat a, en particulier, laissé la question ouverte dans l’arrêt précité de 1999 par la formule « à supposer que l'article 42 de la loi du 9 janvier 1985 ait été applicable à la convention », relative à la construction d’un hôtel comprenant 17 chambres et 6 suites.
Vous ne pourrez considérer – selon nous -, en dépit de l’utilisation du terme « aménageur » ou « opérateur » dans certains commentaires des dispositions pertinentes de la loi montagne de 1985 et jusque dans un rapport sénatorial, que la notion d’aménagement foncier ne trouve à s’appliquer que pour les projets de grande envergure, prévoyant non seulement des bâtiments mais également des aménagements, telles des voies de desserte ... Il nous semble en effet que compte tenu de l’objectif de préservation des espaces de montagne qui anime la loi de 1985 et son champ d’application qui englobe également des zones touristiques moins étendues ou des stations de montagne plus modestes que celle de Val d’Isère, par exemple, la notion d’aménagement foncier doit être retenue également pour la construction d’un immeuble à vocation touristique : hôtel, résidence de tourisme et, comme en l’espèce, établissement à vocation de loisirs ou de détente.
Si vous nous suivez pour admettre, comme les premiers juges, que vous êtes en présence d’un aménagement foncier au sens de l’article L342-2 du code du tourisme, vous confirmerez l’illégalité du projet de convention, ainsi que le motif d’annulation de la délibération du conseil municipal de Val d’Isère du 8 novembre 2006 retenu dans le jugement attaqué.
Par ces motifs, nous concluons au rejet des trois requêtes.