Loi de validation rétroactive de prélèvements de produits de jeux de casinos et droit au respect des biens

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Décision de justice

CAA Lyon, 2ème chambre – N° 11LY02567 – Société Casino de Vichy « les 4 chemins » – 10 juillet 2012 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 11LY02567

Numéro Légifrance : CETATEXT000026198238

Date de la décision : 10 juillet 2012

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Casino, Produits de jeux de casino, Article 1er du 1er protocole additionnel à la CEDH, Loi de validation

Rubriques

Fiscalité

Résumé

Casino, Biens au sens de l’article 1er du 1er protocole additionnel à la CEDH, Incompétence du pouvoir réglementaire en matière fiscale, Loi de validation

Une société exploitant un casino demandait la restitution de prélèvements sur le produit brut des jeux, acquittés au titre des années 2004 à 2008, sur le fondement des dispositions de l’article 18 du décret du 22 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les casinos.

Selon l’article 18 du décret n° 59-1489 du 22 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les casinos, pris sur le fondement de la loi du 15 juin 1907, les sommes représentant le montant des prélèvements, qu’ils s'appliquent aux jeux dits « de cercle » ou aux jeux dits « de contrepartie », deviennent propriété de l’Etat et de la commune dès leur entrée dans la cagnotte ou la caisse du casino, ces sommes étant ainsi des fonds publics que le casino doit reverser à l’Etat et à la commune non en tant que débiteur de droits ou taxes, mais en tant que dépositaire de fonds publics pour le compte de collectivités publiques (CE Section, 3 novembre 1978, 2409, société touristique thermale et hôtelière de Divonne-les-Bains) .

L’inconstitutionnalité de ces dispositions réglementaires au regard des règles de compétence définies par les articles 34 et 37 de la Constitution donnait à la société requérante l’espérance légitime d’obtenir la restitution d’une somme d’argent devant être regardée comme un bien au sens des stipulations précitées de l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Mais le paragraphe III de l’article 27 de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009, qui valide lesdits prélèvements sur le produit des jeux uniquement en tant qu’ils sont contestés sur le fondement du moyen tiré de ce que leur assiette ou leurs modalités de recouvrement ou de contrôle ont été fixées par voie réglementaire, répond à un impérieux motif d’intérêt général et n’a donc pas méconnu les stipulations de l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La société ne pouvait donc prétendre à la restitution des prélèvements sur le produit brut des jeux litigieux.

Conclusions du rapporteur public

Dominique Jourdan

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5982

L’objet de ces quatre requêtes est identique : les sociétés exploitent toutes un casino dans les conditions fixées par la loi du 15 juin 1907 réglementant les jeux dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques.

Elles demandent la restitution des prélèvements sur le produit brut des jeux acquittés au titre des années 2004 à 2008.

Ces prélèvements sur le produit brut des jeux sont opérés au titre de la loi du 15 juin 1907 et l'article 14 de la loi de finances du 19 décembre 1926, de l'article L2333-54 du Code général des collectivités territoriales, de l'article 50 de la loi 90-1168 du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, de l'article 18 de l'ordonnance 96-50 du 24 janvier 1996 et de l'article L136-7-1 du Code de la sécurité sociale.

Une des particularités à prendre dans votre raisonnement tient à la présence de plusieurs bénéficiaires des prélèvements : l'Etat, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les organismes sociaux.

Les sociétés requérantes font valoir que ces divers prélèvements constituent des prélèvements et produits de toute nature, et qu’il revenait au législateur, en vertu de l’article 34 de la constitution, de déterminer les règles d’assiette et de recouvrement, alors que seul le pouvoir réglementaire n’est intervenu, notamment par le décret du 23 décembre 1959.

Si le législateur est intervenu, c’est au moins en faisant adopté le  III de l'article 27 de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques : « Sont validés, sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, les prélèvements spécifiques aux jeux des casinos exploités en application de la loi du 15 juin 1907 relative aux casinos, dus au titre d'une période antérieure au 1er novembre 2009, en tant qu'ils seraient contestés par un moyen tiré de ce que leur assiette ou leurs modalités de recouvrement ou de contrôle ont été fixées par voie réglementaire »

Bien évidemment, Le Conseil constitutionnel a été saisi, et ce le 16 juillet 2010 par le Conseil d'Etat (décision n° 339899 du 16 juillet 2010), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de ces dispositions.

Et par une décision en date du 14 octobre 2010 n° 2010-53 QPC, Sté Plombinoise de Casino, il a estimé que les dispositions en litige étaient conformes à la constitution.

Les sociétés requérantes ne désarment pas, et soutiennent devant vous aujourd’hui que la loi de validation est contraire à l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Aux termes de cet article "Toute personne physique ou morale à droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (…) " ;

Ainsi que le rappelle Claire legras  dans ses conclusions sous l’affaire  CE 21 octobre 2011, 9e et 10e s.-s., n° 314768, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ Sté Mécanique Automobile de l'Est ; CE 21 octobre 2011, 9e et 10e s.-s., n° 314767, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ SNC Peugeot Citroën MulhouseRJF 1/12 n° 037 : « L'application de cet article, ainsi que le précise la jurisprudence du juge de Strasbourg, suppose un raisonnement en trois temps qui conduit à répondre successivement aux questions suivantes : est-on en présence d'un « bien » au sens de cet article ? La loi incriminée porte-t-elle atteinte à ce bien ? Cette atteinte est-elle justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ? »

Les sociétés ne peuvent prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elles peuvent faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. Et, à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations. Voyez par exemple, pour une application par le conseil d’Etat  N° 307619 M. Christian A, 13 octobre 2010.

1 /les sociétés entre-elles dans le champ d’application de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme

Autrement dit, peuvent –elles se prévaloir de l’existence d’un bien ou d’une créance certaine, où encore d'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent ?

Il entre dans l’office du juge de s’assurer que les sociétés remplissent bien les conditions posées au bénéfice de ces stipulations, parmi lesquelles figure la disposition d'un bien. Voyez, en ce sens, une décision du CE 2 juin 2010 (n° 318014, Fondation de France).

La CEDH a adopté une conception large de la notion de propriété qui inclut la notion de bien mais aussi les créances. Elle regarde comme une « valeur patrimoniale » non seulement les créances constituées, mais aussi les créances qui, bien que ni constatées ni liquidées par une décision de justice, constituent néanmoins « une espérance légitime » pour celui qui les détient. Voyez les arrêts D. c/ France, CEDH 16 avril 2002 n° 36677/97 et D. c/ France, CEDH 6 octobre 2005 n° 1513/03.

Le Conseil d’Etat juge donc qu’à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien. Voyez Société Getecom  2008-11-19

Nous reviendrons sur ce point après avoir analysé la position des juges de première instance

Le tribunal administratif dans les quatre affaires soumises, a considéré que les sociétés ne pouvaient se prévaloir d’un bien ou d’une créance. Le jugement mentionne : «   qu'aux termes de l'article 18 du décret du 22 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les casinos, pris sur le fondement de la loi du 15 juin 1907 : « le montant des prélèvements au profit de l'Etat d'une part, et de la commune d'autre part, est versé au percepteur le jour même de leur liquidation, ou le lendemain si le casino se trouve dans la même localité que le bureau de perception et, dans le cas contraire, dans le délai maximum de trois jours. Bien qu'elles ne soient pas immédiatement exigibles, les sommes représentant le montant du prélèvement progressif deviennent, dès leur entrée dans la cagnotte, la propriété de l'Etat. Il en est de même pour le prélèvement qui est stipulé au profit de la commune par le cahier des charges » ; qu'il résulte de ces dispositions que les sommes représentant le montant des prélèvements deviennent propriété de l'Etat et de la commune dès leur entrée dans la cagnotte ou la caisse du casino ; »

IL est probable que le tribunal s’est référé à l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 novembre 1978  2409 A Société touristique thermale et hôtelière de Divonne-les-Bains aux conclusions de M. Favre, arrêt cité par le ministre. Il est jugé que « Les prélèvements opérés au profit de l'Etat et de la Commune sur le produit des jeux exploités par les casinos sont des fonds publics »dont les casinos sont dépositaires pour le compte de ces collectivités et ne constituent pas une taxe sur les activités de l'entreprise (au sens des articles 209, 212, 218 et 219 de l'annexe II) . Ils n’entrent dès lors pas dans les recettes de la société exploitant le casino. Les sociétés ont alors obtenu la réduction des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée auxquels cette dernière société a été assujettie par avis de mise en recouvrement du 2 mai 1976 au titre de la période du 1er janvier 1968 au 31 juillet 1970, dès lors que la TVA devait s’appliquer sur les recettes nettes après déduction des prélèvements.

Les conclusions du commissaire de gouvernement M. Favre vous apprennent que si la loi de 1907 a précisé que les sommes prélevées sur les produits des jeux devenaient dès leur entrée propriété de l’Etat, c’était uniquement dans le but d’instituer une dissuasion à la dissimulation éventuelle des sommes donnant lieu à prélèvement, en permettant ensuite de qualifier pénalement, notamment de vol les sommes non déclarées. Mais la qualification de comptable public des directeurs de casinos n’a pas été retenues pour autant par la cour de cassation (c.cass 4 décembre 1952 M. et autres) .

La notion d’appropriation immédiate ainsi justifiée, s’explique également par les modalités de prélèvements : ces derniers s’opèrent sur les sommes mises en jeu par le casino, comme une sorte de droit d’entrée des joueurs, calculés selon des modalités diverses et selon les jeux d’ailleurs, à l’instar de ce qui est fait sur les enjeux de courses de chevaux.

Ceci étant dit, ces spécificités des prélèvements sur les jeux, et les particularités qu’elles entraînent tant au niveau de la qualification pénale que de la détermination des recettes taxables à la taxe sur la valeur ajoutée, sont très éloignées et sans incidence sur l’application de la notion d’espérance légitime au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH dont les sociétés requérantes vous demandent faire application.

Contrairement à ce qu’indique le ministre, les sommes ne sont pas prélevées sur les pertes des joueurs mais sur les sommes mise en jeu. Il précise lui-même que rien de s’oppose effectivement à cette restitution, tout en indiquant également que la restitution correspondrait néanmoins à un enrichissement sans cause, ainsi que cela ressort de la décision du conseil constitutionnel du 14 octobre 2010. Le conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi de validation et l’intérêt général de cette loi. Mais il n’a pas appliqué cette notion d’enrichissement sans cause en visant les dispositions de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ni en se prononçant sur la notion d’espérance légitime, préalable à l’examen de l’intérêt général d’une loi de validation.

L’enrichissement sans cause participe de l’intérêt général de la loi qui justifie la rétroactivité de la loi. Le conseil constitutionnel avait déjà retenu cette notion dans sa décision sur la loi de finances rectificative pour 1999.  (Cons. const. 29 décembre 1999, n° 99-425 DC, loi de finances rectificative pour 1999 : Décisions du mois n° 249). S'agissant alors de la validation d’avis de mise en recouvrement émis par des agents territorialement incompétents, l'irrégularité validée était de pure forme. IL en a déduit qu'à défaut de validation les contribuables concernés profiteraient d'un enrichissement injustifié. Voyez Chronique  Emmanuelle Mignon, Validations législatives : vers l'équilibre jurisprudentiel ?  CE 26 novembre 1999, n° 184474, 9e et 8e s.-s.)

Nous vous proposons d’écarter cette objection infondée du ministre, et de faire application des critères retenus par la CEDH et le conseil d’Etat.

Ce dont il est question, c’est donc de l’espérance légitime de faire reconnaître le bien-fondé d'une créance (CEDH 19 octobre 2004 n° 58867/00, Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France c/ France). La reconnaissance d'un droit patrimonial, comprend le remboursement d'une somme d'argent. (CEDH 20 novembre 1995 n° 17849/91, Pressos Compania Naviera SA c/ Belgique : série A n° 332, § 31-32) .

Voyez la chronique « Loi rétroactive en matière fiscale et article 1er du premier protocole additionnel à la conv. EDH : des espoirs déçus ? CE 19 novembre 2008 n° 292948, SA Getecom  concl. N. Escaut .

Ce qu’il vous faut donc regarder pour déterminer si une créance est suffisamment établie, en raison de l'espérance légitime d'obtenir la reconnaissance de son bien-fondé, c’est la possibilité pour la société d'obtenir gain de cause dans le litige fiscal au moment de l'intervention du législateur, en l’occurrence au moment de la loi de validation. C’est pourquoi la cour examine très concrètement l'état du droit national, y inclus la jurisprudence et son caractère plus ou moins stable (CEDH 28 septembre 2004 n° 44912/98, K. c/ Slovaquie, § 48-52 : Rec. 2004-IX)

L’utilisation en matière fiscale pour la première fois de la notion d'espérance légitime par le Conseil d’Etat est la décision du 19 novembre 2008 n° 0292948, Société Getecom. C’est alors l’état de la jurisprudence que le conseil d’Etat à apprécie l’état de la jurisprudence, qu’il cite dans son arrêt. ( CE 7 juillet 2004 n° 230169 ass., Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c/ SARL Ghesquière équipement  sur l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit.) En l’espèce, le Conseil d'Etat a jugé que l'intervention du législateur dans un délai d'environ six mois à la suite d'un revirement de sa propre jurisprudence était de nature à permettre au législateur de rattraper par la loi la rétroactivité de la jurisprudence nouvelle. La rapidité de l’action du législateur ôtait alors aux bénéficiaires potentiels du nouvel état du droit dégagé par le juge toute espérance légitime d'en tirer profit. Le délai d’application du revirement de jurisprudence a été en l’espèce trop court pour créer une espérance légitime.

La question consiste donc à se demander si les sociétés casino disposaient d’une espérance légitime à se voir restituer une somme d’argent.

Or les sociétés vous expliquent qu’en application d’une jurisprudence constante, une imposition dont l’assiette, le taux ou les modalités ne sont pas définies par la loi est illégale (article 34 de la constitution), et vous cite de nombreux cas de jurisprudence depuis 1996

L’'espérance légitime dépend du caractère stable du courant jurisprudentiel. Voyez les conclusions de Claire Legras dans ses conclusions sous la jurisprudence n° 31476c citée.

Il vous sera sans doute difficile de contredire les sociétés sur leur chance de succès. Le ministre ne contredit pas ce point. La présentation faite de la de validation devant les parlementaires était claire :  « Suivant l’article 34 de la Constitution, c’est en effet à la loi de définir les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des prélèvements opérés au profit de l’État, des collectivités territoriales et des organismes sociaux sur les jeux de casinos. Or beaucoup de textes qui régissent ceux-ci ne respectent pas cette exigence. Il convient donc, pour l’avenir, de fixer dans la loi les modalités de recouvrement de ces prélèvements et, pour le passé, de valider les prélèvements opérés.  « Je précise que ces prélèvements représentent en moyenne 1, 5 milliard d’euros par an. Il s’agit d’une mesure d’urgence ! »

Les textes concernant les impositions en litige n’étaient pas entachés d’incompétence de leur auteur lorsqu’ils ont été adoptés… La jurisprudence a qualifié peu à peu les prélèvements sur les jeux d’impositions.

Il semble effectivement, que la jurisprudence ait progressivement évolué à partir de 1996 :

− dans une décision du 4 novembre 1996, le Conseil d’État a jugé que la contribution sur une fraction du produit brut des jeux réalisés entre le 1er février 1996 et le 31 janvier 2009 dans les casinos régis par la loi du 15 juin 1907 constituait une imposition nouvelle. Cette décision était relative à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), qui se distingue nettement des autres prélèvements opérés sur le produit brut des jeux ;

− dans une décision du 29 mars 2000, le Conseil d’État a jugé que le prélèvement sur les mises des loteries spécifiques au territoire de la Polynésie française, le prélèvement proportionnel sur les mises participantes des jeux et loteries pour lesquels il est fait masse commune des enjeux engagés sur l’ensemble du territoire national et le prélèvement progressif sur les gains perçus dans ces jeux ont le caractère d’une imposition CE, 29 mars 2000, Commune de Faa’a, n° 176777

− dans une décision du 20 octobre 2000, le Conseil d’État a confirmé la décision du 29 mars 2000 CE, 20 octobre 2000, Commune de Faa’a, n° 197770

L’espérance des sociétés requérantes de se voir restituer une somme nous semble établie eu égard à l’ancienneté de la jurisprudence, et à sa clarté. Et l’atteinte à un bien résulte de la loi de validation.

Il vous faudra bien sur vérifier que l’ensemble des sociétés avait bien déposé, avant l’entrée en vigueur de la loi de validation une demande de restitution des sommes indûment prélevées, et juger que la seule réclamation est suffisante, ce que conteste le ministre dans son mémoire. Si vous suivez ses conclusions de Claire Legras, vous pourrez admettre que peut se prévaloir d'une espérance légitime contrariée par une loi rétroactive un contribuable qui a réclamé comme il pouvait le faire avant son adoption.

Nous tenons à souligner que le raisonnement du tribunal, qui nous paraît devoir être censuré, ne vaudrait en tout état de cause que les prélèvements sur les produits de jeu. (visés par décret du 22 décembre 1959) . Or les créances dont se prévalent les sociétés concernent également les prélèvements sur les recettes l'article L136-7-1 du Code de la sécurité sociale qui ne sont pas concernées par ce raisonnement.

Se pose donc la question des motifs d’un impérieux motif général pour au moins une partie des sommes.

Si vous estimez que les casinos disposent ainsi de cette espérance légitime, il vous faudra censurer le motif du tribunal administratif et poursuivre l’analyse.

Les modalités du contrôle par le juge administratif de la compatibilité de mesures nationales rétroactives avec l'article 1er du Premier protocole ont été définies par un avis d'assemblée, Avis CE 27 mai 2005 n° 0277975 ass. P. : Lebon p. 213.

Les stipulations de l’article 1er du premier protocole ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût‑ce de manière rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, c’est à la condition de ménager un juste équilibre entre l’atteinte portée à ces droits et les motifs d’intérêt général susceptibles de la justifier.

La Cour de Strasbourg quant à elle exige d'impérieux motifs d'intérêt général (CEDH 14 février 2006 n° 67847/01, Lecarpentier c/ France).

Le Conseil d’état a adopté cette position (par exemple arrêt N° 320999 27 avril 2011) .

Le contrôle à effectuer par le juge diffère donc de celui opéré par le juge constitutionnel, qui interrogé sur une loi de validation contrôle un but d’intérêt général suffisant.

Il vous faut donc analyser les motifs énoncés par le ministre pour justifier la loi de validation, et apprécier, si au sein de l’ensemble des justifications avancées, de nature il est vrai très différente :’impact financier, continuité des services publics locaux… politique de sécurité publique et de protection de la santé…

Vous vous arrêterez probablement sur l’enjeu financier.

Par la décision Laboratoires Génévrier, CE 23 juin 2004 n° 257797 : Lebon p. 256, le CE a justifié par d'impérieux motifs d'intérêt général une validation législative susceptible d'avoir sur les finances de la sécurité sociale une incidence de l'ordre de 500 M €, tout en relevant aussi la nature des vices qui faisaient l'objet de la validation et les inconvénients d'ordre pratique qu'elle permet d'éviter.

La perte de recettes budgétaires ne suffit pas à elle seule à justifier une mesure législative rétroactive (CEDH 23 mai 2007 n° 31501/03, A. c/ France), mais elle être prise en compte assortie d’autres justification.

En l’espèce l’enjeu financier est de taille. Le ministre indique qu’il enregistrait au moment de la loi de validation 197 réclamations, et que l’enjeu serait de 1, 5 milliards d’euros par an, soit 6 milliards au total dont 500 millions pour la sécurité sociale. Les sociétés contestent ses sommes sans argumenter, alors que le ministre présente une illustration sur deux établissements.

L’enjeu est de taille et vous pourriez vous demander s’il ne constitue pas à lui seul un motif impérieux, mais nous vous proposons d’y ajouter deux éléments significatifs tenant à la nature des vices réparés par la loi de validation :

- rappelons que les impositions sont pour la plupart très anciennes, antérieures à la constitution de 1958, et alors légalement entrées en vigueur. Et quand l’assiette et le recouvrement sont revus par les dispositions du décret n° 059-1489 du 22 décembre 1959, là encore rien d’illégal. Ce n’est qu’à partir de 1996, et surtout de 2000 (arrêts cités ci-dessus), que le conseil d’Etat reconnaît aux prélèvements relatifs aux jeux, le caractère d’imposition

L’évolution de la jurisprudence a nécessité une qualification en imposition de toutes natures des prélèvements sur les jeux, et ce changement de qualification, ce qui a été inscrit dans le projet de loi de finances pour 2009 déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 26 septembre 2008, adoptée et promulguée le 27 décembre 2008. La loi du 22 juillet 2009 a donné une base légale aux prélèvements. Mais ce faisant, le législateur n’a fait que réaffirmer sa position initiale. (CEDH national et provincial building society 23 octobre 1997 Royaume uni)

- L’administration indique ainsi avoir entendu éviter que ne se crée, un effet d’aubaine, pour les années prescrites alors que le pouvoir législatif intervenait, dès que le bien-fondé des impositions n’a jamais été contesté, depuis la loi du15 juin 1907 (CEDH 27 mai 2004 Ogis-institut stanislas France)

L’enjeu financier, la réaffirmation de la volonté du législateur comblant un vide juridique issu de l’évolution de la jurisprudence et le refus d’octroyer le bénéfice d’un effet d’aubaine sont des motifs d’intérêt général susceptibles de justifier à l’atteinte portée aux droits, auxquels peuvent être ajoutés d’autres enjeux et inconvénients d'ordre pratique cités par le ministre.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de des requêtes, les sociétés requérantes n’étant pas fondées à se plaindre du refus qui leur a été opposé par les juges, en première instance.

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