Médecins généralistes ou spécialistes : une même obligation de participer à la permanence des soins

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Décision de justice

CAA Lyon, 6ème chambre – N° 11LY02019 – 22 mars 2012 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 11LY02019

Numéro Légifrance : CETATEXT000025580393

Date de la décision : 22 mars 2012

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Médecins généralistes, Médecins spécialistes, Participation à la permanence des soins

Rubriques

Santé publique

Résumé

Il résulte des dispositions combinées des articles L6314-1, R4127-77, R6315-1, R6315-4 et R6315-6 du code de la santé publique ainsi que de l’article L162-5 du code de la sécurité sociale, que les médecins spécialistes participent à la permanence des soins au même titre que les médecins généralistes et selon les modalités définies par le cahier des charges arrêté par le préfet.

Ainsi, en cas d’absence de volontaire de médecins généralistes au service de garde, il appartenait au préfet de consulter, préalablement à la réquisition de l’un d’entre eux, les médecins spécialistes qui participent eux aussi à la permanence des soins. Par suite, c’est à tort que le préfet a procédé à la réquisition de M. T., pour participer au service de garde, sans même consulter au préalable les médecins spécialistes.

Conclusions du rapporteur public

François Pourny

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5979

Le requérant, M. T..., médecin généraliste à Brignais, a été réquisitionné pour assurer la permanence des soins sur le secteur n° 0115 du département du Rhône par deux arrêtés du préfet du Rhône, le premier, en date du 24 décembre 2008, concernant le 1er janvier 2009, et le second, en date du 21 décembre 2009, concernant le 24 décembre 2009. M. T... a contesté ces deux arrêtés devant le Tribunal administratif de Lyon. Ce tribunal a rejeté la demande de M. T... dirigée contre l’arrêté du 24 décembre 2008 par le jugement n° 0900893 du 11 mai 2011, dont M. T... interjette appel par la requête n° 11LY02019. Il a de même rejeté la demande de M. T... dirigée contre l’arrêté du 21 décembre 2009 par le jugement n° 1001009 du 11 mai 2011, dont M. T... interjette appel par la requête n° 11LY02020.

Les arrêtés de réquisitions pris par le préfet du Rhône s’inscrivent dans le cadre juridique suivant. L’article L6314-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors en vigueur, disposait que « Sous réserve des missions dévolues aux établissements de santé, les médecins mentionnés à l'article L162-5, dans le cadre de leur activité libérale, à l'article L162-5-10 (…) et à l'article L162-32-1 du code de la sécurité sociale participent à la mission de service public de permanence des soins dans des conditions et selon des modalités d'organisation définies par un décret en Conseil d'Etat. (…) . ». Nous préciserons seulement que l’article L162-5 du code de la sécurité sociale concerne les médecins généralistes ou spécialistes conventionnés, que l’article L162-5-10 concerne les médecins non conventionnés et que l’article L162-32-1 concerne les médecins exerçant dans des centres de santé. Le code de la santé publique indique ensuite à l’article R4127-77 qu’ « Il est du devoir du médecin de participer à la permanence des soins dans le cadre des lois et des règlements qui l’organisent. » et il précise l’organisation de cette permanence à ces articles R6315-1 et suivants, dont les dispositions ont été ultérieurement modifiées par le décret n° 2010-8099 du 13 juillet 2010, inapplicable aux litiges que vous avez à trancher. L’article R6315-1, dans sa rédaction alors en vigueur, disposait que la permanence des soins est organisée dans le cadre départemental et que le département est divisé en secteurs, l’article R6315-2 prévoyait l’établissement d’un tableau nominatif des médecins de permanence établi par les médecins volontaires pour y participer et l’article R. 6315‑4 disposait que les médecins participent à la permanence des soins sur la base du volontariat mais que si le tableau reste incomplet le préfet procède aux réquisitions nécessaires. Il disposait en outre qu’il pouvait être accordé par le conseil départemental de l’ordre des médecins des exemptions de permanence pour tenir compte de l’âge, de l’état de santé et éventuellement des conditions d’exercice de certains médecins. Enfin, l’article R. 6315-6 disposait qu’un cahier des charges départemental fixait les conditions particulières d’organisation de la permanence des soins et de la régulation et qu’il précisait les modalités de participation des médecins spécialistes.

Dans ce cadre, les arrêtés préfectoraux litigieux ont visé les dispositions applicables, l’absence de volontaire pour assurer la permanence des soins sur le secteur concerné, la participation active des médecins non exemptés tout au long de l’année et l’absence de toute participation de M. T... tout au long de l’année 2008, pour l’un, et 2009, pour l’autre, avant de prononcer la réquisition de l’intéressé sur proposition du directeur départemental des affaires sanitaires et sociales.

En ce qui concerne la légalité externe des arrêtés attaqués, M. T... soutient qu’ils sont insuffisamment motivés mais il vous sera facile de constater que ces arrêtés comportent l’indication des motifs de fait et de droit qui en constituent le fondement, la pertinence des motifs invoqués important peu pour l’examen du caractère suffisant de la motivation. En outre l’absence de visa d’un décret pris pour l’application de l’article L2213-1 du code de la défense ne saurait entacher lesdits arrêtés d’insuffisance de motivation. Par ailleurs, une erreur dans l’un des arrêtés sur le visa d’un article du code de la sécurité sociale relatif aux modalités de rémunération des astreintes effectuées dans le cadre de la permanence des soins nous paraît également sans incidence sur la légalité externe et interne de la réquisition prononcée.

En ce qui concerne la légalité interne des arrêtés attaqués, M. T... soutient qu’il n’était pas volontaire, mais c’est précisément parce qu’il n’y avait pas de volontaire qu’il a été réquisitionné. Il soutient également que les arrêtés attaqués sont entaché d’une erreur de fait, car il y avait un volontaire et qu’il n’était pas le seul à ne pas s’être porté volontaire, mais les déclarations, au cours d’une instance pénale, du médecin ayant finalement assuré la permanence du 1er décembre 2009 ne nous paraissent pas suffisantes pour établir qu’à la date de l’arrêté attaqué il existait déjà un volontaire et la lettre de ce médecin, en date du 18 décembre 2009, n’établit pas qu’il était volontaire pour assurer la permanence du 24 décembre 2009, elle établit seulement qu’il n’avait pas adopté une position de principe consistant à refuser systématiquement de se porter volontaire aussi longtemps que M. T... ne participerait pas à la permanence des soins. Par ailleurs, il ne nous paraît pas établi que, parmi les médecins généralistes, d’autres médecins n’auraient jamais participé à la permanence. De manière plus intéressante, M. T... soutient que le fait qu’il ne se soit jamais porté volontaire ne pouvait pas constituer un critère justifiant sa réquisition, mais il nous semble que le préfet pouvait tenir compte de cette circonstance pour choisir le médecin réquisitionné afin d’assurer la permanence des soins.

Enfin, le requérant soutient que les arrêtés attaqués sont entachés d’une erreur de droit et qu’ils ont été pris en méconnaissance du principe d’égalité, dès lors que les médecins spécialistes n’ont pas été appelés à participer à la permanence des soins. Le ministre a répondu à ce moyen en indiquant que la permanence ne concerne que les médecins généralistes, des services de garde spécifiques étant organisés dans les domaines pédiatrique, dentaire et ophtalmologique.

Sur ce point, il résulte de la combinaison dispositions précitées de l’article L6314-1 du code de la santé publique et de l’article L162-5 du code de la sécurité sociale que la participation à la permanence des soins concerne aussi bien les généralistes que les spécialistes. L’article R4127-77 du code de la santé publique en fait un devoir, dans le cadre des dispositions qui l’organisent, pour tous les médecins. Les articles R6315-1 et suivants du code de la santé publique ont organisé la permanence des soins pour la médecine ambulatoire et non pour la seule médecine générale. Enfin, l’article R. 6315-6 dans sa rédaction alors en vigueur disposait que le cahier des charges départemental devait préciser les modalités de participation des spécialistes. En l’espèce, aucune modalité n’avait été fixée par le cahier des charges arrêté par le préfet du Rhône le 26 juin 2008.

Il est cependant vrai qu’il a déjà été jugé par une décision du Conseil d’Etat du 28 avril 2003 n° 248998  M. X, que la circonstance que des médecins spécialistes ou ayant un exercice particulier ne sont pas soumis au tour de garde était sans influence sur la légalité d’une décision du conseil départemental de l’Ordre d’accorder des exemptions, mais cette décision ne saurait être interprétée comme excluant par principe les médecins spécialistes de l’obligation de participer à la permanence des soins, elle indique seulement que le conseil départemental de l’Ordre peut maintenir une exemption pour les spécialistes tout en supprimant celle qu’il avait prévu pour d’autres médecins.

Par suite, dès lors qu’il n’est pas établi que le conseil départemental de l’ordre des médecins avait accordé des exemptions de permanence aux médecins spécialistes, le requérant nous paraît fondé à soutenir que les arrêtés qu’il conteste sont entachés d’une erreur de droit, d’une part, parce que seuls les médecins généralistes ont été appelés à se porter volontaires pour l’établissement du tableau de la permanence des soins, et, d’autre part, parce que le préfet s’est fondé sur l’absence de volontaire parmi les seuls médecins généralistes et qu’il n’a examiné que la situation des généralistes pour choisir le médecin qu’il a réquisitionné pour assurer cette permanence.

Il nous semble donc que M. T... est fondé à soutenir que c’est à tort que, par les jugements attaqués, le Tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes. Dans les circonstances de l’espèce, il ne nous semblerait pas inéquitable de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros par instance au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation des jugements et des arrêtés attaqués et à la mise à la charge de l’Etat d’une somme de 1 500 euros par arrêt au profit de M. T... au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative.

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