Illicéité de la cause d’un contrat de consultation juridique en raison de la méconnaissance de la loi du 31 décembre 1971 réglementant l’exercice de cette activité

Lire les commentaires de :

Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 11LY01404 – Société CTR – 22 mars 2012 – R

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 11LY01404

Numéro Légifrance : CETATEXT000025580367

Date de la décision : 22 mars 2012

Code de publication : R

Index

Mots-clés

Contrat de prestations juridiques, Consultation juridique, Loi du 31 décembre 1971, Cause illicite, Nullité du contrat, Contrat de recherche d’économies, Principe de loyauté des relations contractuelles, Responsabilité extracontractuelle

Rubriques

Marchés et contrats

Résumé

Marché de consultation juridique, Contrat de prestations juridiques, Prestataire non autorisé au regard de la loi du 31 décembre 1971, Illicéité de la cause, Nullité du contrat, Contrat de recherche d’économies, Qualification de marché public, Principe de loyauté des relations contractuelles, Absence de procédure de passation, Nullité du contrat en raison de sa cause illicite, Responsabilité extracontractuelle

La mission consistant en la vérification, au regard de la réglementation en vigueur, du bien-fondé des cotisations sociales versées aux organismes sociaux et des taxes assises sur les salaires payés par un établissement public, en la formulation de propositions puis, le cas échéant, en une assistance dans les démarches entreprises par cet établissement pour obtenir la restitution des sommes versées indûment constitue, dans son ensemble, une consultation juridique. Par conséquent, le marché public ayant pour objet la réalisation d’une telle mission par une entreprise qui ne remplit pas les conditions prévues par les dispositions pertinentes de la loi du 31 décembre 1971, lesquelles réglementent la pratique onéreuse habituelle du conseil juridique, méconnaît ces mêmes dispositions et repose, dès lors, sur une cause illicite.

Principe de loyauté des relations contractuelles et illicéité de la cause du contrat

Sabrina Conti

Avocate au Barreau de Lyon

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.5976

L’arrêt commenté présente un intérêt jurisprudentiel évident en illustrant l’office du juge du contrat et plus spécifiquement, en traitant de la combinaison entre, d’une part, l’exigence de loyauté des relations contractuelles et, d’autre part, l’illicéité de la cause du contrat. Le contrat de recherche d'économies proposé par une société à un établissement public est qualifié de marché public. Une telle qualification impliquait la mise en œuvre d’une procédure de publicité et mise en concurrence. Tel n’a pas été le cas. Toutefois, au regard de l’exigence de loyauté contractuelle, la cour juge que cette méconnaissance des procédures de passation du code des marchés publics ne justifie pas que l’application du contrat soit écartée pour régler le litige entre les parties. L’intérêt majeur de l’arrêt est que la cour retient un autre motif justifiant la nullité du contrat : le caractère illicite de sa cause. En effet, la loi du 31 décembre 1971 réservant la pratique de consultations juridiques à titre principal aux seules personnes détenant un titre les habilitant à une telle profession, les contrats proposés par la société reposaient sur une cause illicite, faute pour celle-ci d'avoir les titres et agréments nécessaires. L’application du contrat est écartée, de sorte que la société ne peut fonder une demande d'indemnisation que sur le terrain de l'enrichissement sans cause.

La société CTR a démarché l’établissement public Les ateliers de Cheney afin de lui proposer ses services en matière de recherche d’économies sur les charges sociales et fiscales supportées par ledit établissement. Une convention a été conclue à l’issue des discussions, la société CTR ayant pour missions la formulation de recommandations et l’assistance pour l’obtention de la restitution des sommes indument versées par l’établissement public. La convention prévoyait une rémunération proportionnelle aux économies réalisées suite aux recommandations de la société CTR.

Aucune des factures émises par la société CTR n’a été honorée, de sorte que cette dernière a saisi le tribunal administratif de Dijon en vue d’obtenir la condamnation de l’établissement à lui verser une somme de 200 000 euros.

Le tribunal a écarté l’application du contrat en raison de sa nullité et condamné l’établissement public sur le terrain extracontractuel à verser les sommes correspondant aux dépenses utiles engagées par la société, soit un montant de 3000 euros. Selon le tribunal, le contrat de recherche d’économies était nul faute d’avoir donné lieu à la mise en œuvre d’une procédure de publicité et mise en concurrence. Pour le tribunal, le contrat devait être purement et simplement écarté sans que l’exigence de loyauté des relations contractuelles y fasse obstacle.

La société CTR a interjeté appel de ce jugement.

Par un arrêt très motivé du 22 mars 2012, la cour administrative d’appel de Lyon rejette la requête de la société CTR. L’arrêt retient que l’absence de mise en œuvre d’une procédure de passation conforme au code des marchés publics ne justifie pas que le contrat soit écarté au regard de l’exigence de loyauté des relations contractuelles (1). En revanche, du point de vue de son contenu et plus précisément de sa cause, le contrat est déclaré nul dans la mesure où les missions confiées à la société CTR relevaient des seules personnes habilitées à donner des consultations juridiques (2). C’est donc bien sur le terrain extracontractuel que le litige devait se régler, les dépenses utiles n’excédant pas les 3000 euros retenus en première instance.

Cet arrêt présente un intérêt jurisprudentiel évident à plusieurs égards.

1.- L’exigence de loyauté des relations contractuelles prévaut même en cas de marché public conclu sans aucune mise en concurrence

Après avoir qualifié le contrat de recherche d’économie de marché public (A), la cour administrative d’appel fait prévaloir l’exigence de loyauté des parties et refuse d’écarter l’application du contrat sur ce fondement (B).

A.- Qualification du contrat de recherche d’économie au regard du code des marchés publics

La première question était celle de la qualification du contrat de recherche d’économies sur les charges sociales et fiscales supportées par l’établissement public au regard du code des marchés publics. Ce type de contrats s’est développé ces dernières années, posant systématiquement le problème de leur qualification (Les conventions de recherche d’économies à l’épreuve du droit de la commande publique, A. Ciaudio, CMP n° 07 juillet 2011, étude 9).

D’après l’article 1er du code des marchés publics, les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. Ils sont soumis pour leur conclusion, en fonction de leur montant et de leurs caractéristiques, à une procédure de publicité et mise en concurrence.

Nul doute en l’espèce que l’établissement public en cause était au nombre des pouvoirs adjudicateurs soumis au code.

En revanche, se posait la question de savoir si la circonstance que le contrat ait été conclu après une opération de démarchage de la société CTR remettait en cause le critère relatif à la réponse à un besoin de la personne publique. En effet, les Ateliers de Cheney n’avaient semble-t-il, à aucun moment exprimé un quelconque besoin en matière d’optimisation de ses cotisations. Ce n’est qu’une fois sollicité directement par la Société CTR que ce besoin s’est trouvé concrétisé. Sur ce point la considération que la seule circonstance qu’en définitive, le contrat permette de répondre à un besoin, même ignoré par la personne publique elle-même, suffit à considérer que la condition est réunie.

Restait ensuite le critère relatif au caractère onéreux du contrat, se concrétisant en réalité par le versement d’un prix en contrepartie de la prestation fournie. Là encore, la question se posait en raison de l’absence de fixation d’un prix donné par le contrat puisqu’il était prévu que cette contrepartie correspondrait à un pourcentage des économies de cotisations. Sur ce point, la cour juge que le caractère déterminable du prix suffit à établir que le critère du caractère onéreux du contrat est rempli.

Partant, le contrat de recherche d’économies répondait à la qualification de marché public et sa conclusion était en principe soumise à la mise en œuvre d’une procédure de publicité et mise en concurrence.

Ce faisant, la cour retient la même qualification que la cour administrative d’appel de Bordeaux (C.A.A. Bordeaux, 11 janvier 2011, Société CTR, n° 09BX02684, Société CTR). En revanche, la cour administrative d’appel de Lyon refuse d’en déduire que l’application du contrat doit être écartée.

B.- Application du contrat malgré la méconnaissance des règles de passation

Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté, de faire application du contrat même si celui-ci est affecté de certains vices (C.E. Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, CMP 2010, repère 2 et 6, F. Llorens et PL. Soler-Couteaux ; C.E. sect. 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806, CMP 2011, comm. 150 note J.P. Pietri).

Le Conseil d’Etat a toutefois fixé des tempéraments à l’application du contrat. Ainsi, il peut tout de même être écarté en raison de sa nullité lorsque l’irrégularité invoquée tient au caractère illicite de son contenu ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.

Le juge du contrat dispose donc désormais de pouvoirs lui permettant de se prononcer en tenant compte de l’exigence de loyauté des relations contractuelles et de l’intérêt général.

Reste donc à définir quelles sont les irrégularités relatives au contenu du contrat ou bien celles relatives à la manière dont les parties ont donné leur consentement qui sont susceptibles de justifier que le contrat soit écarté.

Il ne fait pas de doute que la solution dégagée par la jurisprudence Commune de Béziers est susceptible de s’appliquer en cas de manquement aux règles de passation des contrats. Dans ce cas, le contrat doit être appliqué, sauf si la gravité de l’illégalité relative à la procédure de passation ou les circonstances dans lesquelles elle a été commise y font obstacle (C.E., 12 janvier 2011, Crédit Municipal de Paris, n° 338551 – CMP 2011, comm. 88, note J-P Pietri). Il n’y a donc pas de conséquence automatique.

Saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat issu de l’application d’une clause de tacite reconduction et partant, conclu sans mise en concurrence, le Conseil d’Etat a jugé que cette irrégularité n’impliquait pas en l’espèce que le contrat soit écarté (C.E., 23 mai 2011, Département de la Guyane, n° 314715, CMP 2011, comm. 222, note J.P Pietri). De même, la cour administrative d’appel de Douai a jugé que l’absence de mise en œuvre d’une procédure de publicité et mise en concurrence ne justifiait pas d’écarter le contrat (C.A.A. Douai – n° 10DA00480- Société Grenke – 21 février 2012- Semaine juridique administrations et collectivités territoriales n° 27, 9 juillet 2012, 2238).

De ce point de vue, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit dans le courant consistant effectivement à considérer que la violation des règles de passation, et même l’absence totale de mise en concurrence, ne prévalent pas sur l’exigence de loyauté. En effet, c’est bien en fonction, d’une part, de la gravité de l’irrégularité et, d’autre part, des circonstances dans lesquelles l’irrégularité a été commise que le juge doit décider ou non de faire application du contrat, quand bien le même le manquement serait l’absence totale de mise en concurrence.

Notons qu’en 2010, la cour avait, au contraire, estimé que l’absence de mise en concurrence justifiait à elle seule que le contrat soit écarté (C.A.A. Lyon, 22 avril 2010, Société Soffimat c/Centre hospitalier de Roanne, n° 07LY01357). Cette position n’était plus conforme aux arrêts ultérieurs du Conseil d’Etat.

Dans ces conditions, l’absence totale de publicité et mise en concurrence a été jugée, au regard des circonstances, comme compatible avec l’application du contrat au nom de l’exigence de loyauté des parties.

En effet, et c’est ce qui est déterminant, selon la cour, l’établissement public n’a pas établi que son consentement a été vicié au moment de la conclusion du contrat. Il n’a pas non plus établi qu’il ignorait la consistance des prestations.

Ce n’est donc pas sur ce fondement que l’application du contrat est écartée, mais sur celui de la cause illicite.

2.- L’exigence de loyauté contractuelle cède devant l’illicéité de la cause du contrat méconnaissant la réglementation des prestations juridiques

La cour administrative d’appel Lyon procède à un contrôle de la cause du contrat pour en écarter l’application (A). En effet, le contrat confiait une mission de consultation juridique à un prestataire non habilité (B).

A.- L’absence de cause ou la cause illicite justifie la nullité du contrat

Si les arrêts rendus jusqu’à présent en application de la jurisprudence Commune de Béziers posaient la question de la nullité du contrat en raison de la méconnaissance des règles de passation, c’est sur le contenu même du contrat que la cour administrative d’appel de Lyon se prononce. Tel est l’intérêt majeur de cette décision.

Ainsi qu’il ressort expressément de la jurisprudence Commune de Béziers, c’est également le contenu illicite du contrat qui peut, en fonction de la gravité de l’illégalité et des circonstances de l’espèce, justifier que le contrat soit écarté.

Les exemples jurisprudentiels sont toutefois rares. Il a par exemple été jugé que certaines clauses d’un contrat méconnaissant le principe d’inaliénabilité du domaine public devaient être écartées (C.E., 4 mai 2011, Communauté de communes du Queyras, n° 340089, CMP n° 06 juin 2011, G. Eckert).

Tout l’intérêt de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon commenté réside précisément dans l’appréciation qui a été faite du contenu même du contrat et, plus spécifiquement de sa cause. En effet, c’est sous cet angle que l’exigence de loyauté est écartée au profit de la nullité du contrat.

L’article 1131 du code civil dispose que l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet.

Le Conseil d’Etat fait application de ces principes aux contrats publics (C.E., 15 février 2008, Commune La Londe-les-Maures, n° 279045, Revue juridique de l’économie publique, n° 0656, août 2008, comm. 34, Nullité d’un contrat pour absence de cause ou cause illicite, conclusions Bertrand Dacosta). Ainsi, une convention peut être déclarée nulle lorsqu’elle est dépourvue de cause ou qu’elle est fondée sur une cause qui, en raison de l’objet de cette convention ou du but poursuivi par les parties, présente un caractère illicite.

En l’espèce, la cour administrative d’appel de Lyon juge que le vice touchant au contenu même du contrat justifie que le contrat soit déclaré nul et écarté, sans d’ailleurs qu’il soit fait référence à la gravité de l’irrégularité ou aux circonstances dans lesquelles elle a été commise. En effet la réunion de ces conditions n’a pas à être démontrée lorsque l’exigence de loyauté est confrontée au contenu illicite du contrat et non pas à ses modalités de conclusion.

B.- Appréciation de l’illicéité de la cause du contrat au regard de la réglementation des prestations juridiques

La loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques encadre très strictement les prestations de conseil juridique et de représentation en justice, définissant ainsi ce qui est désormais communément désigné comme étant le « périmètre du droit ».

Les membres de la profession d’avocat sont seuls habilités à intervenir en matière d’assistance et de représentation en justice.

Mais c’est essentiellement dans le domaine du conseil juridique que des problématiques se posent, notamment en matière de commande publique. En la matière également, seuls les professionnels du droit peuvent fournir des consultations juridiques à titre principal. Les personnes qui exercent une activité professionnelle non réglementées peuvent, sous certaines conditions d’agrément, apporter ce type de service, mais uniquement à titre accessoire.

Ainsi, les marchés publics ayant pour objet la délivrance de conseils juridiques doivent être attribués à des candidats qui répondent à plusieurs conditions posées par la loi du 31 décembre 1971.

En l’espèce, la prestation du contrat de recherche d’économies consistait à conseiller l’établissement public sur le montant des cotisations sociales versées et, le cas échéant, à l’assister dans ses démarches pour obtenir la restitution des sommes versées indûment. La cour considère qu’il s’agit uniquement de prestations de conseil juridique.

Or, si la société CTR disposait d’un agrément à la pratique du droit, cet agrément ne lui permettait d’exercer le droit qu’à titre accessoire.

Dans ces conditions, le contrat a été conclu en méconnaissance des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 et repose sur une cause illicite entraînant sa nullité.

L’intérêt de l’arrêt commenté est bien que la cour contrôle le respect de ce qui est communément qualifié de « périmètre du droit » sous l’angle de la cause du contrat. Ainsi, la méconnaissance de cette réglementation spécifique entache de nullité le contrat et l’exigence de loyauté des relations contractuelles est sans effet. La société CTR ne pouvait donc se situer que sur le terrain extra-contractuel.

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0