Depuis un certain nombre d’années, le département du Rhône, dans le but de faciliter l’accès au spectacle sportif et de faire la promotion de l’activité physique, a passé des contrats avec l’Olympique Lyonnais (OL) pour l’achat d’abonnements, places et « pass » permettant d’assister à des matches du club sportif.
Ainsi, par des délibérations du 16 mai 2008, 12 juin 2009 et 11 juin 2010, la commission permanente du conseil général du Rhône a lancé, au titre de chaque saison sportive correspondante, une consultation avec publicité, dans le cadre de l’article 30 du CMP, afin de passer un marché à bons de commande, avec un minimum de 600 000 € et un maximum de 900 000 € et a autorisé le président du conseil général ou son délégataire à signer le marché qui serait passé à l’issue de la procédure.
Par trois requêtes distinctes, l’association des contribuables actifs du lyonnais (CANOL) a contesté ces délibérations devant le TA de Lyon.
Par un jugement unique dont l’association CANOL relève appel, le TA a rejeté les demandes dirigées contre les 3 délibérations relatives aux marchés passés avec l’OL.
Tout d’abord, vous vous interrogerez sur la recevabilité des demandes présentées par l’association CANOL.
Celles-ci ne posaient pas de difficultés formelles, elles comportaient bien les mentions que doit contenir une requête pour être recevable, notamment les nom et domicile de son auteur, et la signature du mémoire en réplique par le président de l’association, M. Vergnaud a régularisé la requête (V. CE 16 janvier 1998, Association aux vieilles pierers d’Aiglemont, n° 153558, B et CE 6 avril 2007, Min. de l’agriculture et de la pêche c/ M. et Mme Blondeau, n° 265702, B) .
Quant à l’intérêt pour agir de l’association, il ne nous paraît guère douteux s’agissant de délibérations du département prévoyant une dépense : l’objet de l’association CANOL est défini aux articles 2 et 2 bis de ses statuts comme tendant à l’information, la défense et la promotion des intérêts des contribuables habitant dans le département du Rhône. A cette fin, elle peut engager toutes missions relevant de son objet, notamment, des actions amiables ou contentieuses devant les tribunaux compétents contre toutes les collectivités territoriales et les établissements publics dont la gestion et les décisions peuvent avoir une incidence sur la fiscalité locale des habitants du département du Rhône.
L’objet social que s’est donné l’association CANOL nous paraît donc en adéquation, tant sur le plan géographique que matériel, avec l’objet des délibérations contestées.
Vous avez d’ailleurs déjà admis cet intérêt pour agir à l’occasion d’un litige précédent opposant l’association CANOL au département du Rhône sur une délibération dont l’objet était identique. V. CAA Lyon 7 avril 2011, Département du Rhône c/ Association CANOL, n° 09LY02983, C.
Venons-en aux questions de fond posées par ces affaires.
Précisons avant toute chose qu’il nous semble que les contrats passés sont bien des marchés, et non des subventions ainsi que l’association CANOL le soutient, dès lors que les sommes versées correspondent à des prestations en relation avec les avantages immédiats que la collectivité en retire. V. CE 26 mars 2008, Région de la Réunion, n° 284412, A, aux conclusions de F. Seners.
Autrement dit, la qualification de subvention ne dépend pas de l’efficacité de l’action entreprise, il ne s’agit pas de se demander si l’achat de places pour des matches de l’OL assure efficacement la promotion du sport ou la promotion de l’image du département, mais si le prix payé correspond ou non à la rémunération normale d’une prestation, telle qu’aurait pu la verser un « investisseur privé en économie de marché ». V. CE 27 février 2006, Cie Ryanair Limited et CCI de Strasbourg et du Bas-Rhin, n° 264406, 264545, A.
Il ne ressort pas des pièces du dossier que le prix des prestations achetées à l’occasion de ces trois marchés aurait été hors de proportion avec leur valeur économique.
Il s’agit donc bien de marchés, plus précisément de marchés de services, qui ont tous été passés selon la procédure adaptée prévueà l’article 28 du code des marchés publics.
En vertu des articles 26 à 30 du code des marchés publics, cela est possible pour les marchés d’un montant inférieur à un certain seuil qui, était dépassé en l’espèce, ou bien, quel que soit leur montant, pour les marchés ayant pour objet des prestations de services qui ne sont pas mentionnées à l’article 29. Les prestations litigieuses n’étant pas visées par ces dispositions, il était donc possible pour le département de recourir à la procédure adaptée.
Vous savez que le fait de recourir à cette procédure ne fait pas échapper l’entité adjudicatrice aux principes généraux de la commande publique, au nombre desquels figurent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
Or, en l’espèce, le respect du principe de liberté d’accès à la commande publique nous paraît soulever une difficulté de taille puisque l’attributaire du marché était connu d’avance.
Alors qu’une mise en concurrence suppose, par définition, que plusieurs candidats soient en mesure de soumissionner, la délibération telle qu’elle est rédigée, exclut qu’un autre candidat que l’OL puisse être retenu puisque seul l’OL peut commercialiser des places pour les spectacles sportifs de l’OL.
La notoriété du club sportif est mise en avant pour justifier le choix prédéterminé de l’OL.
Si cet élément aurait pu être pris en compte dans l’appréciation de la valeur des offres, il ne nous paraît pas pour autant avoir permis au département de se dispenser d’effectuer véritablement la mise en concurrence qu’il avait annoncée.
En effet, le code des marchés publics prévoit précisément les cas dans lesquels les pouvoirs adjudicateurs sont dispensés de procéder à une mise en concurrence.
Cela est possible, notamment, dans le cas où le marché ne peut être confié qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité - c’est le 8° du II de l’article 35 du code des marchés publics -, ou bien dans le cas où ces formalités sont impossibles ou sont manifestement inutiles en raison notamment de l’objet du marché, de son montant ou du faible degré de concurrence dans le secteur considéré (dernier alinéa de l’article 28 du CMP relatif à la procédure adaptée) .
Mais, d’une part, la passation des marchés litigieux ne l’a pas été en vertu de l’une de ces dispositions. D’autre part, compte tenu de la nature du besoin à satisfaire, tel que définie par les délibérations litigieuses, il nous semble que le département n’aurait pas été fondé à recourir auxdites dispositions.
En effet, nous rappelons que l’objectif des marchés en cause était de faciliter l’accès au spectacle sportif et de faire la promotion de l’activité physique pour encourager la pratique sportive et son encadrement bénévole.
A la lecture de cette définition du besoin exprimé, il paraît assez évident que l’achat d’accès aux matches de l’OL n’est pas le seul moyen de nature à satisfaire un tel besoin, quelle que soit, par ailleurs, la qualité du spectacle offert par l’OL.
Non seulement, d’autres spectacles sportifs étaient susceptibles de concourir au but de promotion de la pratique sportive, par la découverte de sports moins connus et qui gagneraient peut-être à l’être, mais, en outre, des actions d’initiation à la pratique sportive pouvaient être également envisagées.
Autrement dit, la seule notoriété du club sportif OL ne nous paraît pas avoir permis au département de se dispenser d’une véritable mise en concurrence alors que l’objet de son marché était de faciliter l’accès au spectacle sportif et faire la promotion de l’activité physique.
Nous vous proposons donc d’accueillir le moyen tiré de la méconnaissance du principe de la liberté d’accès à la commande publique.
Précisons à titre subsidiaire que les autres moyens soulevés par l’association CANOL ne nous paraissent pas fondés : compte tenu des termes des délibérations litigieuses et des documents y annexés, l’information des élus nous paraît avoir été suffisante ; par ailleurs, la définition des besoins par la collectivité et des moyens à mettre en œuvre nous paraît conforme aux exigences de l’article 5 du code des marchés publics : la délibération est, en réalité, affectée d’une absence d’adéquation entre les deux, c’est-à-dire entre l’objet du marché et son objectif, mais c’est ce que vous sanctionnerez, si vous nous suivez, à travers le non-respect de l’obligation de mise en concurrence ; enfin, il peut être admis qu’il est d’intérêt départemental de promouvoir la pratique sportive, dans la mesure où il s’agit d’un intérêt général reconnu par la loi (loi du 16 juillet 1984), qui prévoit que les collectivités territoriales concourent, avec l’État, à la réalisation de cet objectif.
Ainsi, nous vous proposons d’annuler les délibérations litigieuses au motif qu’elles autorisent la passation de marchés sans mise en concurrence préalable alors qu’ils n’étaient pas dispensés de cette formalité.
Vous vous interrogerez ensuite sur les conséquences qu’il convient de tirer de cette illégalité sur les contrats passés.
La décision Sté Ophrys CE 21 février 2011, n° 337349, 337394, est venue apporter de nouvelles précisions sur l’office du juge lorsqu’il met en œuvre ses pouvoirs d’injonction :
Il s’en dégage trois solutions :
- soit le juge considère que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, compte tenu de la nature de l’illégalité commise, qui ne doit pas avoir d’incidence sur le contrat ; il peut, le cas échéant, prescrire des mesures de régularisation ;
- soit il considère que compte tenu de la nature de l’illégalité, il y a lieu d’enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, auquel cas il doit, au préalable s’assurer que cela ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général ;
- soit enfin, si l’illégalité est d’une telle gravité qu’il considère que seule la disparition rétroactive du contrat est possible, il enjoint aux parties de tenter de le résoudre à l’amiable ou, à défaut, de saisir le juge du contrat pour qu’il prenne les mesures appropriées.
En l’espèce, l’illégalité nous paraît d’une gravité difficile à neutraliser : il s’agit de la méconnaissance de l’un des principes généraux de la commande publique. Aucune mesure de régularisation ne peut être prescrite pour y remédier : le marché a été passé sans mise en concurrence.
La résiliation des relations contractuelles n’a pas de sens en l’espèce puisque celles-ci ont déjà pris fin.
Il ne vous reste, pensons-nous, que la dernière hypothèse : inviter le département du Rhône à tenter de résoudre à l’amiable ses relations contractuelles avec son cocontractant ou, à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée.
Vous retiendrez, le cas échéant, cette formulation prudente car, le juge de l’injonction ne doit pas restreindre les pouvoirs qui seront ceux du juge du contrat saisis par les parties : celui-ci doit conserver la possibilité d’apprécier la nécessité de prononcer la résolution du contrat. V. CE 16 novembre 2011, Sté Sogedo, n° 342903, C.
Par ces motifs, nous concluons :
- à l’annulation des délibérations des 16 mai 2008, 12 juin 2009 et 11 juin 2010 et du jugement attaqué ;
- à ce qu’il soit enjoint au département du Rhône, à défaut d’accord amiable avec son cocontractant sur une résolution du contrat, de saisir le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée.