Garanties accordées au contribuable et relations entre société mère et filiale

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Décision de justice

CAA Lyon, 2ème chambre – N° 11LY00558 – SARL Merlett France – 28 octobre 2011 – C+

Requête jointe : 11LY01754

L'article 1er de l'arrêt de la Cour est annulé par le Conseil d'Etat :voir CE - 25 mars 2013 - N° 355035 - B

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 11LY00558

Numéro Légifrance : CETATEXT000024755135

Date de la décision : 28 octobre 2011

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

BIC, Décision de gestion, Erreur comptable

Rubriques

Fiscalité

Résumé

Évaluation de l'actif - Théorie du bilan - Décision de gestion et erreur comptable - 1) Décision de gestion - Condition - Existence d'une faculté juridique d'option - Conséquence - Avance financière envisagée par une société mère au profit de sa filiale ne présentant pas de caractère certain - Inscription par la filiale de cette somme au compte " emprunts soumis à des conditions particulières " et enregistrement de la contrepartie au débit du compte fournisseur de la société mère avec diminution d'autant du solde de ce compte - Erreur comptable de la filiale - Existence - 2) Caractère rectifiable ou délibéré de cette erreur - Incidence sur le bénéfice net (art. 38, 2 du CGI) - Absence, cette erreur n'ayant pas eu pour conséquence d'augmenter l'actif net.

Société dont le bilan d'ouverture faisait état d'une dette envers sa société mère inscrite dans les comptes fournisseurs et dont le bilan de clôture ne comportait plus cette inscription mais faisait état d'une dette de même montant inscrite au compte " emprunts soumis à des conditions particulières ", dénommé par la société " autres fonds propres ", à la suite d'une délibération du conseil d'administration de la société mère autorisant son président à effectuer des versements sous forme d'avances remboursables au profit de sa filiale à concurrence d'un tel montant, sous réserve de l'éventuelle approbation de l'assemblée générale des actionnaires au cours de l'exercice suivant, dans la perspective d'une future augmentation de capital.1) En procédant à ces écritures, la société n'a pas pris une décision de gestion qui lui serait opposable, dès lors qu'une telle décision suppose l'existence d'une faculté juridique d'option et que l'écriture litigieuse ne traduisait pas l'exercice d'une telle faculté, mais a commis une erreur comptable, dès lors qu'elle ne pouvait, l'avance financière envisagée par sa société mère ne présentant pas de caractère certain, enregistrer la contrepartie de cette inscription comptable au débit du compte fournisseur de la société mère et ainsi diminuer d'autant son solde fournisseur. 2) Une telle erreur, qu'elle soit regardée comme rectifiable ou comme délibérée, ne saurait avoir d'incidence sur le bénéfice net de la société au regard des dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts (CGI), dès lors qu'elle n'a pas eu pour conséquence d'augmenter son actif net mais a seulement affecté par compensation deux comptes de passif enregistrant une même créance d'un même tiers et n'entrant pas dans la catégorie des comptes de capitaux propres.

Conclusions du rapporteur public

Dominique Jourdan

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5884

La SARL Merlett France, filiale de la société italienne Merlett Technoplastic, qui a pour activité le commerce en gros de tuyaux, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2002, 2003 et 2004. Divers redressements ont été notifiés le 15 décembre 2005, contestés en vain devant l’administration fiscale, puis devant le tribunal, administratif de Grenoble, qui par un jugement en date du 16 février 2011 dont il est relevé appel a rejeté la demande.

Le litige ne concerne qu’un seul point et porte sur la somme de 406 795 euros en droits et pénalités. Il s’agit, selon l’administration, de l’abandon d’une créance par la société italienne mère d’un montant d’1000 000 d’euros au profit de la société requérante.

Avant d’aborder le bien fondé, vous devrez vous prononcer sur le moyen soulevé, tiré de l’irrégularité de la procédure d’imposition. La société considère que l’administration fiscale s’est fondée sur le procès-verbal du 6 décembre 2002 du conseil d’administration de la société italienne qu’elle s’est abstenue de soumettre au débat. A l’appui de son analyse, elle cite l’arrêt du 30 décembre 2009 n° 312901 Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ SARL DBI.

Ce moyen sera écarté, car l’obligation du ministre de soumettre à un débat oral et contradictoire avec le contribuable les documents obtenus dans le cadre de son droit de communication ne concerne que les documents présentant le caractère de pièces comptables de l'entreprise vérifiée, et ayant été effectivement utilisés pour fonder les redressements.

Tel n’est pas le cas du procès-verbal d’une séance du conseil d’administration de la société Merlett Technoplastic SPA, en date du 6 décembre 2002, qui n’est pas une pièce de la société contrôlée et qui n’avait pas à être soumises au débat oral et contradictoire. Voyez en ce sens CE, 22 novembre 2006, n° 280252, B., RJF 07 n° 0180, CE,  27 juillet 2009, n° 295805, société Conforama Holding) Les conclusions du rapporteur public, Mme BURGUBURU dans l’affaire citée par le requérant  lui-même SARL DBI + confirme d’ailleurs cette analyse.

S’agissant du bien-fondé de l’imposition, la confusion est amenée dans les débats par la notion d’abandon de créance utilisée par l’administration, et qui amène les parties à se contredire d’ailleurs.

L’abandon par un créancier de tout ou partie de sa créance entraîne une diminution du passif exigible du débiteur et par là une augmentation d’égal montant de son actif net, et donc un produit d’exploitation. Et le profit résultant de l’extinction d’une dette doit être rattaché à l’exercice au cours duquel cette extinction est acquise (CE, 14 novembre 1990, n° 067012, Dt fisc. 1991, n° 020, com.1069). L’abandon de la créance appartient au créancier. Or vous ne trouverez pas dans les documents émanant de la société mère, et notamment la délibération précitée du 6 décembre 2002 d’éléments caractérisant l’intention de la société mère, d’abandonner la créance inscrite au compte fournisseur.

Il n’en reste pas moins qu’il convient dans ce dossier de se placer non pas du côté de la société mère, mais de la société contrôlée, et c’est de l’extinction de créance dont il s’agit. En l’espèce, la dette de 1 000 000 d’euros figurant au compte fournisseur classe 4 au bilan d’ouverture de l’exercice 2002 a été volontairement supprimée du passif du bilan de clôture du même exercice.  Le rapport de gestion de la société versé au dossier se rapportant à l’exercice clos le 31 décembre 2002 établit clairement qu’il s’agit là d’une décision de gestion. Elle est, ainsi que le soutient l’administration, opposable à la société. (CE 7 novembre 1979, n° 12129, 7e et 9e sous-sections.).

Il est de jurisprudence constante qu’en, application du 2 de l’article 38 du code général des impôts, que l'extinction d'une créance de tiers entre le bilan d'ouverture et le bilan de clôture d'un exercice implique, quelle qu'en soit la cause et à moins qu'elle ait pour contrepartie une diminution des valeurs d'actif, une augmentation de la valeur de l'actif net entre l'ouverture et la clôture de l'exercice. Voyez  décision de Plénière CE 19 novembre 1976, n° 97391ou CE 13 décembre 1982, n° 25510, 7e et 9e sous-sections.

L’extinction au compte fournisseur de la dette au bilan 2002 n’est pas contestable en l’espèce, et l’administration pouvait, pour ce motif, réintégrer la somme dans les résultats. Peu importe que le créancier n’ait pas abandonné sa créance, la société contrôlée avait pris la décision de ne plus l’y inscrire. Cette extinction n’a pas pour contrepartie une diminution des valeurs d’actif, et doit, donner lieu à une majoration de l’actif net. Il s’agit là de l’application classique de la jurisprudence que nous venons de citer.

La société requérante fait toutefois valoir que la dette au compte fournisseur a été convertie en emprunt, et qu’ainsi, aucune variation de l’actif net au cours de l’exercice n’est à constater. Une somme d’un million d’euros a en effet été inscrite au compte 167400. Le compte 167400 enregistre les avances conditionnées de l’Etat, et ne nous semble pas applicable en l’espèce. Si on en reste au compte 167, ce dernier regroupe les emprunts et dettes assortis de conditions particulières. Les emprunts pouvant donner lieu à des prises de participations relèvent de ce compte 167. Ce compte figure également au passif du bilan, et la société en déduit qu’aucune variation de l’actif net résulte de l’extinction de la créance au compte fournisseur.

La question est donc celle de « la compensation possible » pour le calcul du résultat entre une écriture au compte de classe 4 fournisseur, et une écriture constatée en haut du bilan, au compte de capitaux.

La compensation d’une dette par une autre, sans que le résultat de l’entreprise ne soit affecté, est possible. Vous savez par exemple qu’une créance de la société peut être cédée à un associé et donc passer du compte fournisseur au compte associé, mais c’est à la condition que les conditions de cession de créance prévue par l’article 1690 du code civil soit respectées.

En l’espèce, le créancier est inchangé, c’est la société mère, mais elle était fournisseur, elle devient prêteur.

C’est la nature de la créance qui change : la société ne détiendrait plus une créance à court ou moyen terme, mais concèderait un prêt sans intérêt à sa filiale, lequel est d’ailleurs spécifique, car il s’agit d’un prêt qui peut être, soit remboursé par la filiale, soit converti en augmentation de capital. La société mère était « fournisseur », elle devient « prêteur ».

Rien ne s'oppose à ce qu'une créance sur l'entreprise soit effectivement convertie en capital, et qu’elle fasse ainsi l'objet d'un apport - consenti par le tiers titulaire de la créance, qui y renonce, en contrepartie de l'acquisition de droits sur les résultats de l'entreprise. Voyez CE 13 décembre 1982, n° 025510, 7e et 9e sous-sections ou CE 7 novembre 1979, n° 12129, 7e et 9e sous-sections.

Mais encore faut-il que la conversion de la créance en capital soit formellement consentie. CE 7 novembre 1979, n° 12129, 7e et 9e sous-sections. Les dispositions du code général des impôts, article 216 A imposent, pour que l’opération de compensation entre créance et apport en capital soit neutre fiscalement, que la société débitrice s'engage à augmenter son capital au profit de la société créancière, d'une somme au moins égale aux abandons de créances et l'engagement doit être joint à la déclaration de résultats de l'exercice au cours duquel les abandons sont intervenus.

Rien de tel en l’espèce, puisque les sommes inscrites sur le compte 167 peuvent faire l’objet d’un remboursement ou d’une conversion en participation au capital, mais la conversion n’est pas certaine.

En admettant même que la conversion de la créance en emprunt sans intérêt soit possible, il s’agit d’un évènement ne relevant pas de la seule décision de la société filiale, mais d’une décision affectant les droits et obligations de la société vis-à-vis de son créancier.  Or, il ne ressort pas de la délibération du 6 décembre 2002, que la société mère ait accepté la compensation sous forme d’emprunt sans intérêt.

La neutralité fiscale n’est pas assurée en l’espèce, et on conçoit que si la société mère venait au fil du temps à transformer l’emprunt en participation au capital de la société, les dispositions de l’article 216 A du code des impôts seraient détournées. Or précisément, à l’appui de son argumentation, la société que le conseil d’administration de la société mère Merlett Technoplastic SPA a décidé, le 6 décembre 2002, de lui verser 1 000 000 d’euros sous forme d’avances remboursables sans intérêts afin de majorer son capital social.

En conclusion, la société requérante a, par une décision de gestion qui lui est opposable, procéder à l’extinction de sa créance au compte fournisseur. Elle ne peut, pour échapper à l’imposition résultant d’une revalorisation de l’actif net qui en résulte, soutenir que la créance aurait été convertie en emprunt sans intérêt. En effet, (et en tout état de cause) cette décision relève également de la société mère, et s’il ressort des délibérations de cette dernière, que des avances financières pouvant donner lieu à une majoration de capital seront accordées aux filiales, il n’est pas mentionné que ces avances, qui au demeurant n’étaient pas effectivement réalisés en 2002, se substitueront aux créances en cours.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de cette requête.

Puisque vous statuez sur les conclusions de la requête n° 11LY00558 tendant à la décharge des impositions litigieuses, il n’y a plus lieu de statuer sur la requête de la SARL MERLETT FRANCE tendant à la suspension de leur mise en recouvrement (n° 11LY01754)

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