Les condamnations de l’Etat se multiplient à raison des conditions de détention dans les maisons d’arrêt. La cour administrative d’appel de Lyon en offre une nouvelle illustration en retenant, dans trois dossiers, la responsabilité de l’administration pénitentiaire à raison du surpeuplement des cellules et de leur vétusté ne permettant pas de respecter la dignité des personnes détenues. Ce manquement constitue une faute dont il résulte nécessairement un préjudice moral pour les prisonniers.
La Cour administrative d’appel de Lyon a confirmé, par trois arrêts du 31 mars 2011, que la détention dans des conditions non conformes aux prescriptions du Code de procédure pénale et aux exigences de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme engage la responsabilité pour faute de l’administration pénitentiaire et « entraîne, par elle-même, un préjudice moral par nature et à ce titre indemnisation ».
Les circonstances factuelles des trois affaires sont identiques : dans les trois cas en effet la personne détenue n’a disposé que d’un espace restreint dans la cellule qu’elle occupait (de 3, 57 à 6, 11 m² dans l’affaire n° 10LY01546 et moins de 4 m2 dans les affaires n° 10LY01579 et 10LY01580), le renouvellement de l’air ambiant n’était pas correctement assuré par les fenêtres « hautes et de faibles dimensions », les toilettes partiellement cloisonnées n’offraient aucune intimité et étaient situées à proximité immédiate des lieux de prise des repas. Ces conditions de détention sont liées à la surpopulation carcérale de la maison d’arrêt de Clermont-Ferrand (dont la capacité est de 86 détenus mais qui en accueille 116 et parfois jusqu’à 130) conjuguée à la vétusté de l’établissement, qui fut mis en service au début du XIXe siècle dans les bâtiments d'un ancien couvent datant du XVIe siècle (http://www.annuaires.justice.gouv.fr/etablissements-penitentiaires-10113/direction-interregionale-de-lyon-10125/clermont-ferrand-10788.html) .
Les causes de telles conditions de détention sont bien connues et concernent la quasi totalité des maisons d’arrêt. Contrairement aux établissements pour peines, celles-ci ne connaissent pas de numerus clausus et doivent accueillir les personnes placées en détention provisoire (CPP, art. 714) comme les personnes condamnées à de courtes peines (CPP, art. 717) et d’autres à de plus longue durée en attente de transfert en établissement pour peines. Le problème de la surpopulation carcérale se pose donc essentiellement sinon exclusivement dans les maisons d’arrêt. Dans ce contexte, le principe de l’encellulement individuel fait plus que jamais figure de vœux pieux, même si la loi pénitentiaire l’a réaffirmé (Loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, art. 100) tout en « dé-codifiant » le moratoire de cinq ans jusqu’alors prévu par l’article 716 du Code de procédure pénale, en cas d’impossibilité de respecter cette règle en raison de la distribution interne des locaux ou du nombre de détenus présents. La vétusté de nombre de ces établissements ajoute à l’incommodité – pour ne pas dire plus – de cette promiscuité. Il s’ensuit que l’administration pénitentiaire se trouve dans l’impossibilité d’assurer aux personnes détenues des conditions de détention répondant aux prescriptions du Code de procédure pénale. Ainsi, théoriquement les cellules doivent répondre aux exigences de l'hygiène en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération (CPP, art. D 350). Les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que les détenus puissent lire et travailler à la lumière naturelle et l'agencement de celles-ci doit permettre l'entrée d'air frais. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus (CPP, art. D. 351). Plus généralement, les conditions de détention doivent respecter la dignité de la personne détenue. Cette exigence, auparavant exprimée par l'article D. 189 du Code de procédure pénale (abrogé par l’article 46 du décret n° 2010-1635 du 23 décembre 2010 portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le code de procédure pénale), est désormais énoncée par la loi elle-même (Loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, art. 22).
Le droit européen l’impose de toute façon. La Cour de Strasbourg a en effet consacré le droit à des conditions de détention conformes à la dignité humaine, sur le fondement de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention »), qui proscrit formellement la torture et les traitements inhumains ou dégradants (Cour EDH, 26 octobre 2000, Kudla c/ Pologne [GC], req. n° 30210/96, § 94) . A ce titre, le juge de Strasbourg a pu préciser que lorsque la personne détenue dispose de moins de 3 m2 d’espace personnel, cette situation caractérise, en soi, une violation de l’article 3 de la Convention (cf. Cour EDH, 16 juin 2005, Labzov c/ Russie, n 62208/00, § 44 ; 21 juin 2007, Kantyrev c/ Russie, n 37213/02, §§ 50-51 ; 22 octobre 2009, Sikorski c/ Pologne, n° 17599/05, § 43) . Au-delà de cette superficie, il y a lieu de tenir compte d’autres éléments, tels que la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels… pour déterminer si l’article 3 a été violé (cf. Cour EDH, 19 juillet 2007, Trepachkine c/ Russie, req. n 36898/03, § 92 ; 12 juin 2008, Vlassov c/ Russie, req. n° 78146/01, § 84) .
Tel est bien le raisonnement qui sous-tend les trois arrêts de la Cour administrative de Lyon qui analysent en premier lieu la superficie dont a disposé le détenu puis les autres aspects pour conclure à la non-conformité des conditions de détention au regard du Code de procédure pénale et de l’article 3 de la Convention. Cette méconnaissance constitue assurément une faute (toute illégalité étant nécessairement fautive : CE, Sect., 26 janvier 1973, Ville de Paris c/ D., Rec. CE, p. 77), laquelle engage la responsabilité de l’Etat. L’invite du Garde des sceaux, évoquant, de manière subsidiaire, « la nécessité de tenir compte des difficultés du service » (aff. n° 10LY01546) résonne comme l’écho assourdi du succès passé de la faute lourde en matière pénitentiaire (cf. CE 3 octobre 1958, Rakotoarinovy, Rec. CE, p. 470) . Mais outre que la faute simple suffit désormais, le juge ne saurait tenir compte ici des contraintes matérielles ou financières de l’administration pénitentiaire qui ne sont pas des circonstances exonératoires de responsabilité.
La soumission à des conditions de détention indignes constitue en soi un préjudice moral, qui ouvre droit à réparation en fonction de la durée de la détention. Le premier requérant, qui a été détenu à la maison d’arrêt de Clermont-ferrand du 13 novembre 2007 au 12 juillet 2008 (soit 180 jours) s’est vu allouer la somme de 800 euros en réparation de son préjudice moral (aff. n° 10LY01546), soit 4, 44 euros / jour, le second, détenu du 19 mai 2008 au 24 mars 2009 soit 309 jours (aff. n° 10LY01579) et le troisième du 13 mars 2008 au 2 mars 2009 soit 364 jours (aff. n° 10LY01580) se sont vu attribuer chacun 1 500 euros, soit 4, 80 €/j et 4, 12 €/j respectivement.
On conçoit que le juge adopte une approche pragmatique, compte tenu de la multiplication des recours des détenus soumis à de semblables conditions de détention et de l’ambiance actuelle d’austérité budgétaire de l’Etat. La faiblesse du montant des indemnités allouées peut néanmoins laisser perplexe surtout lorsqu’elle est mise en perspective avec le rang qu’occupe la dignité humaine dans la hiérarchie des normes (rappelé par le Conseil constitutionnel : cf. déc. n° 2009-593 DC, 19 novembre 2009, Loi pénitentiaire, 3e consid.) et avec l’aura dont cette valeur bénéficie. On se consolera (ou pas) en observant que le juge de Strasbourg, pourtant très attaché à la protection de la dignité des détenus, n’est pas plus généreux. Ainsi, par exemple, dans l’affaire Sikorski c/ Pologne, la Cour a condamné la Pologne à verser 3 500 euros au requérant pour le préjudice moral (§ 165) qu’il a subi en étant enfermé 23h par jour dans une cellule où il disposait de moins de 3 m2 et ce pendant plus de deux ans (§§ 132-141), soit à peine 4, 88 €/j et beaucoup moins si l’on compte les cinq autres années de détention dans des conditions moins extrêmes mais néanmoins non-conformes à l’article 3.