Ces litiges se rapportent à l’assujettissement de sociétés à la taxe sur les achats de viande.
Rappelons que jusqu’à l’émergence de l’encéphalite spongiforme bovine, appelée crise de la vache folle, les éleveurs bénéficiaient gratuitement de l’activité d’équarrissage. Cette activité a été érigée en service public par la loi du 26 décembre 1996, et alors, a été créée à la charge des détaillants de viande, une taxe affectée, la taxe d’équarrissage ou taxe sur les achats de viande.
Cette taxe a toutefois été contestée, avec succès, devant la CJCE par les professionnels de la grande distribution, qui l’a qualifiée d’aide d’Etat contraire au droit européen (CJCE, 20 novembre 2003, affaire 126/01, SA GEMO, RJF 2/04 n° 02051). Et le Conseil d’Etat s’est intéressé aux modalités de la restitution de la taxe sur les achats de viande qui pesait sur l’Etat, qui avait initialement évalué ce remboursement à 2 millions d’euros pour la période antérieure au 1er janvier 2001 (CE, n° 0264494 15 juillet 2004, Ministre c/SA Gemo, concl. Guillaume Goulard, RJF 10/04 p. 726).
La loi de finances pour 2004 a en conséquence supprimé la taxe d’équarrissage, mais a institué, pour le financement du service public de l’équarrissage, la taxe d’abattage, inscrite à l'article 1609 sept vicies du code général des impôts, et la Commission européenne a donné son approbation à ce dispositif de financement du service public de l’équarrissage, qui lui avait été notifié conformément aux stipulations de l’article 88, §3 du Traité instituant la Communauté européenne. (CE, 28 décembre 2007, Fédération nationale de l’industrie et des commerces en gros des viandes, RJF 2008 n° 0374).
Mais avant même l’adoption de cette nouvelle taxe d’abattage, le dispositif de l’équarrissage avait été réformé par l’article 35 de la loi de finances rectificatives pour 2000, qui avait modifié l’affectation de la taxe sur les achats de viande. Depuis le 1er janvier 2001 et jusqu’à son remplacement par la taxe d’abattage, cette taxe n’était ainsi plus affectée à un fonds destiné à financer les opérations d’équarrissage mais au budget général de l’Etat, dans le but non dissimulé de la mettre en conformité avec le droit communautaire.
Les litiges qui nous vous êtes saisis concernent des années différentes selon les sociétés, mais s’inscrivent dans cette période intermédiaire 1er janvier 2001-31 décembre 2003, au cours de laquelle l’administration fiscale, qui pensait avoir perdu toute chance de percevoir la taxe, est revenue sur sa position, se fondant sur les dispositions de la loi de finances pour 2000.
Dans l’ensemble des affaires qui ont été appelées, l’administration a imposé les sociétés qui se sont acquittées des sommes dues, puis en a prononcé le dégrèvement, mais elle a refusé de procéder effectivement à cette restitution.
Selon les cas, elle a adressé au contribuable une décision expresse de refus mais parfois, elle n’a pas pris cette peine, et son refus d’exécuter sa décision se déduit des propos contenus dans ses mémoires présentés au cours des instances contentieuses.
Les sociétés, qui ont saisi le tribunal administratif de Grenoble afin que l’administration soit condamnée à procéder à cette restitution, ont toutes obtenu gain de cause. C’est donc le ministre qui interjette appel de ces jugements.
Sur le fond, vous le savez, la question ne mérite pas de longs développements.
Lorsque l’administration fiscale a procédé à un dégrèvement, elle ne peut établir sur les mêmes bases une nouvelle imposition sans avoir préalablement informé le contribuable de la persistance de son intention de l’imposer. En ce sens CE 8 avril 1991 n° 067 938 Mlle P RJF 05/91 n° 0652. Dans son avis 334465 du 1er avril 2010 SAS Marsadis, le conseil d’Etat rappelle, à propos de la taxe sur les achats viande, que lorsque l’administration a prononcé le dégrèvement d'une imposition, elle ne peut établir, sur les mêmes bases, une nouvelle imposition sans avoir, préalablement, informé le contribuable de la persistance de son intention de l’imposer.
La question restée en attente était celle des modalités d’information du contribuable. Une simple lettre d’information doit-elle être considérée comme suffisante ?
Dans l’arrêt attendu du 16 mars 2011 Société SOMADIS N° 0333860, le Conseil d’Etat expose que lorsque l’administration, saisie d’une réclamation en ce sens, prononce le dégrèvement d’une imposition, sa décision a pour effet d’annuler le titre fondant le paiement de cette imposition, que ce titre résulte d’un acte de l’administration ou, si les dispositions applicables le prévoient, d’une simple déclaration du redevable.
Et La circonstance que les sommes déjà versées par le contribuable en exécution de ce titre ne lui aient pas été remboursées en méconnaissance des dispositions de l’article L. 208 du livre des procédures fiscales ou n’aient pas fait l’objet d’une compensation pour avoir paiement d’autres impositions dues, est sans incidence sur la portée de la décision prononçant le dégrèvement.
Le conseil d’Etat en déduit que lorsque l’administration estime ultérieurement avoir consenti un tel dégrèvement à tort, il lui appartient, après avoir averti le contribuable de la persistance de son intention de l’imposer, d’émettre un nouveau titre en vue de procéder au recouvrement des impositions qu’elle entend rétablir.
Il en résulte que l’administration ne pouvait, comme dans les affaires appelées, sans émettre de nouveaux titres, maintenir à la charge des sociétés requérantes l’imposition et refuser la restitution des taxes ayant fait l’objet d’un dégrèvement aux motifs qu’elle serait revenue sur cette décision et que les impositions en litige procédaient des déclarations de la société.
Vous ne pourrez donc que confirmer les jugements du tribunal administratif de Grenoble, qui n’en a pas dit autrement en indiquant pour justifier la condamnation de l’Etat a restituer les sommes au motif « qu’il appartenait à l’administration de réviser elle-même la décision de dégrèvement prise à tort en remettant à la charge du contribuable la somme dégrevée ». Si le tribunal a retenu, dans certaines affaires, un autre motif, vous n’aurez pas à l’examiner. L’exigence tendant à l’émission d’un titre de recouvrement suffit au rejet des recours.
Vous pourrez mettre à la charge de l’Etat la somme de 1000 euros au profit de chacune des sociétés requérantes, à l’exception des affaires n° 09LY00956, n° 09LY00927 et n° 09LY00838 pour lesquelles les sociétés n’ont formulé aucune demande en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il vous appartiendra auparavant de rejeter le moyen tiré de l’irrégularité des jugements, présenté par le ministre. En effet, les premiers juges, qui n’étaient pas tenu de répondre à l’ensemble des arguments présentés en défense, n’ont pas méconnus les dispositions de l’article L. 9 du code de justice administrative, et ont indiqué, ainsi que nous venons de le dire, et les motifs pour lesquels ils estimaient que la restitution devait être ordonnée, alors même que l’un des motifs, serait, et c’est le cas dans certains jugements, erroné.
Une seule des affaires, le dossier 09LY00786 société AMIDIS devra toutefois vous conduire à prononcer l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il a accordé dans son article 2 à la société la restitution de la taxe sur les achats viande versée au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 octobre 2002. En effet, dans ce dossier, l’un des mémoires sur lesquels se sont fondés les premiers juges n’a pas été communiqué au ministre, et en l’absence de mention de cette communication sur le suivi fiche requête du tribunal, le jugement est irrégulier, dans cette mesure. Après avoir évoqué, vous accordez à la société la restitution de la taxe au profit de cette société, ainsi que les frais irrépétibles pour la somme de 1000 euros.
Ainsi, les dégrèvements que vous pourrez confirmer aujourd’hui représente un total de près de 2 270 000 euros.
Alors que tant bien que mal, l’ensemble des moyens tendant à démontrer l’illégalité de la taxe et notamment sa non-conformité aux dispositions communautaires, l’administration fiscale a été rejeté (arrêts du Conseil du d’Etat 27 juillet 2009 n° 312098 Société Boucherie du Marché et n° 313502 Société Montaudis ; arrêt n° 337538 23 juillet 2010 Société ATAC) l’administration fiscale est sanctionnée pour avoir tenté, dans certaines de ces affaires d’aller plus vite que la musique, déjà dissonante…
Telles sont nos conclusions dans ces affaires.