La mention, dans l’avis du médecin inspecteur de santé publique, devenu le médecin de l’agence régionale de santé, d’une nationalité erronée du demandeur d’un titre de séjour pour raisons médicales, constitue une erreur de fait substantielle en ce que cet avis affirme que l’intéressé peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine. En l’espèce, il ne ressortait d’aucune pièce du dossier que l’intéressée avait la nationalité arménienne alors qu’en application de la loi sur la nationalité géorgienne du 25 mars 1993, l’OFPRA a considéré que la requérante, « qui résidait depuis 1973 de façon ininterrompue sur le territoire géorgien, selon ses propres déclarations, et qui n’a quitté le pays que fin 1993 début 1994, répondait aux critères d’attribution automatique de la nationalité géorgienne et … doit donc être considérée comme ayant la citoyenneté géorgienne ou du moins comme ayant droit à cette citoyenneté ».
Titre de séjour « état de santé » : caractère substantiel de l’erreur du médecin inspecteur de santé publique quant à la nationalité d’un étranger
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Résumé
Conclusions du rapporteur public
Pierre Monnier
Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon
DOI : 10.35562/alyoda.5844
L’histoire de Mme D. est frappée du sceau des tragédies qu’a connues l’Europe au XXème siècle.
Ses parents, arméniens, naissent dans l’empire ottoman en 1915 et 1916. Ils ont la chance d’échapper au génocide mais doivent émigrer en Géorgie où naît la requérante, le 5 mai 1941, peu après que la Géorgie fut devenue république socialiste soviétique en décembre 1936 et juste avant l’invasion nazie qui allait aboutir à l’occupation allemande de 1942. Elle a vécu l’essentiel de sa vie dans l’ex Union soviétique : en Géorgie jusqu’en 1966, puis en Ukraine de 1966 à 1973, enfin en Russie à partir de 1973, qu’elle a quittée pour entrer clandestinement en France le 28 octobre 2006.
Après y avoir vainement demandé le statut de réfugiée, qui lui a été refusé par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) par une décision du 10 juillet 2007, confirmée le 19 mai 2009 par la Cour nationale du droit d’asile, elle a sollicité le 11 mai 2009 la délivrance d’un titre de séjour en tant qu’étrangère malade, sur le fondement des dispositions du 11° de l’article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Le préfet du Rhône a, par arrêté du 27 octobre 2009, refusé à Mme D. la délivrance de ce titre de séjour, en assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français dans le délai d’un mois et en prescrivant que l’intéressée soit, à l’issue de ce délai, reconduite d’office à destination du pays dont elle a la nationalité.
Mme D. fait appel du jugement en date du 11 mai 2010 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de ces décisions du préfet du Rhône.
Elle développe devant vous un moyen qu’elle n’avait pas présenté en première instance, tiré de ce que le préfet, le médecin inspecteur de santé publique et le tribunal administratif de Lyon ont commis une erreur de fait en estimant qu’elle était d’origine arménienne.
Il nous semble devoir être accueilli.
En effet, même si Mme D. a, comme nous l’avons déjà rappelé, incontestablement des origines arméniennes ainsi qu’en atteste le nom D.que portait sa famille à l’origine, elle n’a probablement jamais mis les pieds en Arménie, tout du moins depuis que cet Etat a proclamé son indépendance en septembre 1991. Vous remarquerez que l’OFFICE FRANÇAIS DE PROTECTION DES REFUGIES ET APATRIDES a considéré qu’elle était de nationalité géorgienne sur la base de la loi sur la nationalité géorgienne du 25 mars 1993. Elle-même se dit apatride.
Bref, l’erreur de fait paraît patente. Elle affecte la décision de refus de titre dès lors que le préfet, qui ne conteste pas que l’état de santé de la requérante nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité, s’est prononcé sur l’accessibilité aux soins en Arménie. Une substitution de motif serait du reste impossible dès lors que le médecin inspecteur de santé publique, dans son avis, s’est également déterminé par rapport à l’accessibilité des soins en Arménie.
Vous ne pourrez donc nous semble-t-il qu’annuler la décision de refus de titre pour erreur de fait ainsi que, par voie de conséquence, la décision portant obligation de quitter le territoire français à destination de l’Arménie. (voir à titre d’exemple cour administrative d'appel de Lyon, 21 octobre 2010, M. et Mme B. n° 10LY01191)
Compte tenu des motifs de l’annulation, vous ne pourrez ordonner, comme demandé, la délivrance d’un titre mention « vie privée et familiale ».
Vous pourriez enjoindre au préfet de réexaminer sa demande dans un délai donné… Mais il n’y a pas de conclusions subsidiaires en ce sens.
Vous savez que par son un arrêt récent, mentionné aux Tables du recueil sur ce point (Conseil d'Etat, 25 novembre 2009, M. Dross, n° 0305682), le CE a jugé que ne posait sur vous aucune obligation de requalifier ces conclusions comme tendant à ce qu'il soit enjoint de prendre une nouvelle décision dans un délai déterminé sur le fondement de l’article L911-2 du code de justice administrative.
Néanmoins dans ses conclusions, contraires sur ce point, publiées avec l’arrêt Dross au Bulletin juridique des collectivités locales, n° 011/09 (décembre 2009), pp. 802 à 805, Edouard GEFFRAY notait qu’il était régulièrement arrivé au CE d’opérer une telle requalification et notamment, en matière d’étranger, dans son célèbre arrêt Dieng du 22 février 2002 (Rec. p. 54)
Au fil de notre carrière, nous avons évolué sur cette question. Dans un premier temps, il nous semblait logique de requalifier. Puis, avec l’expérience, nous pensons qu’il est préférable de réserver cette requalification lorsqu’elle paraît nécessaire en raison soit d’un requérant peu au fait des arcanes des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative, soit face à un préfet qui s’est montré par le passé récalcitrant à procéder au réexamen de situation d’étranger. En effet, d’une part, l’injonction que vous prononcerez ne sera que la conséquence nécessaire de votre annulation, elle n’y ajoutera, si vous nous permettez l’expression, rien. D’autre part, le requérant a pu volontairement ne pas présenter des conclusions aux fins de réexamens.
Or, nous doutons que résulte d’un malencontreux oubli l’absence de conclusions en ce sens de Me Sabatier, rompu à toutes les arcanes du contentieux des étrangers, avec à son actif plus de 1000 jugements d’étranger au tribunal administratif de Lyon et notamment 300 au cours des deux dernières années. D’autre part, le préfet du Rhône n’a jamais fait preuve d’inertie dans l’exécution des jugements.
Surtout, des conclusions au titre de l’article L911-2 nous paraissent d’autant plus délicates à accueillir qu’elles vous obligeraient à indiquer un délai. Or, la décision risque de prendre un temps très long. Non seulement le médecin inspecteur de santé publique devra être saisi de nouveau mais encore il va falloir que le préfet détermine au préalable le pays d’origine de la requérante, à supposer qu’elle ne soit pas apatride.
Bref, il nous semble plus sage, dans les circonstances de l’espèce, de vous abstenir de formuler quelque injonction que ce soit. Vous pourrez en revanche accueillir, sous réserve que l’avocat de la requérante renonce au bénéfice de l’aide juridictionnelle, les conclusions au titre des frais irrépétibles. En revanche, le préfet devant être regardé comme la partie perdante, vous rejetterez ces conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par ces motifs, nous concluons
- à l’annulation du jugement n° 1001187 du Tribunal administratif de Lyon, du 11 mai 2010,
- à l’annulation des décisions du 27 octobre 2009 par lesquelles le préfet du Rhône a refusé à Mme D. la délivrance d’un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai d’un mois et a désigné le pays à destination duquel elle serait reconduite à l’expiration de ce délai,
- à la condamnation de L’Etat à verser à Me Sabatier, avocat de Mme D., la somme de 1 196 euros, au titre des dispositions combinées des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article L761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu’il renonce à percevoir la somme contributive de l’Etat à l’aide juridictionnelle,
- et, enfin, au rejet du surplus des conclusions de la requête de Mme D. ainsi que des conclusions du Préfet du Rhône tendant à l’application des dispositions de l’article L761-1 du code de justice administrative.
Voir aussi AJDA 2011 p.1103 "L'erreur sur la nationalité d'un étranger malade a un caractère substantiel" et Gazette du Palais 8 septembre 2011 n° 0251 p.29 et 30
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