L’OPAC du Rhône (devenu Lyon métropole habitat) a édifié en 2004 un foyer dénommé ARIMC qui est destiné à l’habitation et l’accueil des personnes en situation de handicap, dans le cadre d’un bail à construction conclu avec l’association Odyneo, laquelle l’a ensuite loué. Compte tenu de divers désordres constatés, notamment des infiltrations et traces d’humidité sous les toitures terrasse ou traditionnelle, l’OPAC a effectué une première déclaration de sinistre, le 29 septembre 2006, auprès de son assureur « dommages-ouvrage », la société L’Auxiliaire. S’en sont suivis plusieurs rapports d’experts commis par l’assurance et réparations financées par celle-ci pendant dix ans jusqu’à ce qu’il oppose, le 20 juillet 2017, la « forclusion » de la garantie « dommages-ouvrage ».
La persistance et la gravité des désordres ont conduit l’association, à la fois locataire de l’ouvrage et propriétaire du terrain sur lequel il est édifié, à assigner l’OPAC devant la juridiction judiciaire en vue de procéder à toutes les réparations nécessaires pour les faire cesser, puis ce dernier a lui-même demander à cet ordre de juridiction d’ordonner une expertise. En parallèle, et avant le dépôt du rapport de l’expert qui est finalement intervenu en août 2023, il a saisi votre juridiction de la présente requête par laquelle il demande, dans le dernier état des écritures produites, la condamnation de son assureur à lui verser un peu mois de 1,5 millions d’euros en faisant valoir succinctement que la responsabilité contractuelle de ce dernier est engagée dès lors qu’il a préfinancé des travaux de reprise qui se sont révélés inefficaces, à tout le moins qu’il doit « garantir » les constructeurs.
(…) la circonstance qu’un délai de dix ans s’est écoulé entre la réception et le dépôt de la requête, opposée par l’assureur, nous parait par elle-même sans incidence sur le bien-fondé des prétentions de l’office requérant.
En vertu de l’article L. 242-1 du code des assurances, l’assurance dite « dommages-ouvrage », qui résulte d’un contrat administratif par détermination de la loi lorsqu’il est conclu par un établissement public local dans le cadre de marché public de construction comme en l’espèce (TC, 5 juillet 2021, Société Cari-Fayat c/ Compagnie Allianz Iard, n°C4223, A), oblige l’assureur au paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au titre de la garantie décennale. Comme l’a rappelé le Conseil d’État, il s’agit d’une « assurance de chose bénéficiant au maitre de l’ouvrage et aux propriétaires successifs » (CE, 20 mars 2013, SMABTP, n°343434, B, Recueil Lebon T. p. 84) qui « institue une procédure spécifique de préfinancement des travaux de réparation des désordres couverts par la garantie décennale avant toute recherche de responsabilité » (CE, 26 mars 2018, Commune de Montereau-Fault-Yonne, n°405109, B, Recueil Lebon T. pp. 572- 775).
La haute juridiction administrative n’a pas eu l’occasion de préciser la nature juridique exacte de l’obligation qui en résulte mais la Cour de cassation, appliquant la même disposition, l’a fait par plusieurs arrêts parfaitement clairs : en application de ce texte, le maitre d’ouvrage est en droit d’obtenir le préfinancement des travaux de nature à assurer leur efficacité pour mettre fin aux désordres (Civ. 3e, 7 décembre 2005, 04-17.418 - Bulletin III, n° 235) et l'assureur ne remplit pas ses obligations contractuelles en ne préfinançant pas des travaux efficaces (Civ. 3e - 24 mai 2006, 05-11.708 - Bulletin III, n° 133 ; 11 février 2009, 07-21.761 - Bulletin III, n° 33). Il s’agit donc d’une véritable obligation de résultat et non seulement de moyen, laquelle ne se limite d’ailleurs pas à remédier aux désordres pour rendre l’ouvrage exempt de ceux-ci pendant 10 ans seulement (Civ. 3e, 22 juin 2011, 10-16.308 – Bulletin III n° 109). Dans ce cadre, il existe une sorte de présomption dans la jurisprudence judiciaire puisqu’il appartient à l’assureur de démontrer, non pas que les travaux financés ont été efficaces mais que les dommages encore subis sont sans lien avec ceux ayant justifié son intervention (Civ. 3e, 29 juin 2017, 16-19.634 – publié au Bulletin).
En l’espèce, dès lors que l’assureur a accepté à plusieurs reprises de financer des travaux pour remédier aux désordres de fuites de nature décennale durant le délai, il devait une obligation de résultat consistant en une réparation pérenne et efficace. Celle-ci n’ayant pas eu lieu, et les désordres étant toujours en lien avec les causes dénoncées à l’origine qui résident dans les toitures terrasses ou traditionnelles (du moins l’inverse n’étant ni établi, ni même soutenu), il engage sa responsabilité contractuelle, peu importe que le délai de dix ans soit aujourd’hui dépassé.
(…)
Reste l’appel en garantie présenté par la société L’Auxiliaire à l’encontre des constructeurs. A l’instar de ce que juge la Cour de cassation, une telle action, qui ne s’assimile pas à l’action subrogatoire même in futurum, ne suppose pas que l’assureur ait déjà indemnisé le demandeur initial (Civ. 3e , 8 décembre 2021, 20-18.540, Publié au Bulletin).
Cependant, encore faut-il connaitre le fondement invoqué à l’appui de ce type de conclusions incidentes ce qui n’est pas ici le cas, croyons-nous. En effet, l’assureur se borne à faire état de l’avis de l’expert sur les fautes commises par les constructeurs mais sans indiquer clairement s’il se place sur le terrain de garantie décennale ou de la responsabilité contractuelle ou quasi-délictuelle. Tout juste mentionne-t-il les « locateurs d’ouvrage » et les « principes dont s’inspirent les articles 1792 et suivants du code civil ».
Quoiqu’il en soit, la prescription décennale est acquise vis-à-vis des constructeurs qui n’ont jamais fait l’objet d’une cause interruptive de prescription durant ce délai, puisqu’ils n’ont jamais eux-mêmes été visés par une action en Justice avant son expiration (CE, 4 février 2021, SMABTP, n°441593, B), ce qui fait nécessairement obstacle à ce que leur garantie décennale puisse être engagée comme certains d’entre eux le soutiennent.
La Cour de cassation fait du respect de ce délai une cause de recevabilité de l’appel en garantie puisqu’elle estime qu’il s’agit d’un délai de forclusion Civ. 3e, 8 septembre 2009, 08-17.012 – Bulletin III n° 180) mais, en droit public, ce délai étant une prescription, il éteint le droit afférent et ne relève pas de la recevabilité mais du fond (CE, 13 mai 1987, n° 61432, inédit). Par suite, l’appel en garantie de l’assureur ne peut qu’être rejeté.
Tel est le sens de nos conclusions dans cette affaire.