Par un contrat de délégation de service public signé le 1er février 2019, la commune de Dijon a confié à l’association dénommée Dijon Congrexpo l’exploitation du parc des expositions et du palais des congrès de Dijon pour une période initiale courant du 4 février 2019 au 31 décembre 2022, qui a été prolongée par deux avenants jusqu’au 15 avril 2023.
Par un courrier réceptionné le 27 avril 2021, Dijon Congrexpo a adressé à la commune de Dijon un mémoire de réclamation aux fins de versement d’une indemnité d’imprévision, évaluée à 1 642 493 euros HT, pour la période du 17 mars au 31 décembre 2020 correspondant selon elle à la période de bouleversement du contrat par la pandémie de Covid-19. Compte tenu du refus de l’administration de mettre en œuvre une tentative de conciliation amiable du différend opposant les cocontractants préalablement à la saisine du juge, l’association requérante demande la condamnation de la commune de Dijon à lui verser cette indemnité, majorée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.
Dijon Congrexpo demande à être indemnisée sur le terrain de l’imprévision, théorie jurisprudentielle de responsabilité contractuelle sans faute dégagée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux n°59928, A, tombée quelque peu en désuétude, mais désormais codifiée à l’article L. 6 3° du code de la commande publique1, lequel n’était toutefois pas encore en vigueur à la date de signature de la délégation de service public en litige.
Comme vous le savez, une indemnité d’imprévision suppose un déficit d’exploitation qui soit la conséquence directe d’un évènement imprévisible, indépendant de l’action du cocontractant de l’administration, et ayant entraîné un bouleversement de l’économie du contrat. Le concessionnaire est alors en droit de réclamer au concédant une indemnité représentant la part de la charge extracontractuelle que l’interprétation raisonnable du contrat permet de lui faire supporter. Cette indemnité est calculée en tenant compte, le cas échéant, des autres facteurs qui ont contribué au bouleversement de l’économie du contrat, l’indemnité d’imprévision ne pouvant venir qu’en compensation de la part de déficit liée aux circonstances imprévisibles (CE, 21 octobre 2019, Société Alliance, n°419155, B).
En l’espèce, alors qu’il est constant que la crise sanitaire de la COVID-19 présente un caractère extérieur aux cocontractants, vous relèverez du dossier que Dijon Congrexpo, malgré la forte baisse de son activité induite par cette crise et ses conséquences, a continué d’exécuter le contrat de délégation de service public. Il n’est pas davantage contesté par les parties au contrat que, tant la survenue de la pandémie de Covid-19 que la nature et l’étendue des mesures gouvernementales mises en œuvre pour y faire face, notamment les mesures de confinement et les jauges de fréquentation des lieux publics y compris en dehors de ces périodes, présentent le caractère d’un évènement imprévisible, notamment dans son ampleur. Enfin, vous constaterez au dossier que si les comptes d’exploitation prévisionnels prévoyaient chaque année un déficit d’exploitation sur toute la durée du contrat initial, Dijon Congrexpo a réalisé un bénéfice entre le 4 février 2019 et le 31 décembre 2019, ainsi que les années 2021 et 2022. En revanche, entre le 17 mars 2020 et le 31 décembre 2020, période en litige, l’association requérante fait état d’un déficit d’exploitation de 1 642 493 euros HT, soit environ trois fois et demi plus important que le déficit prévisionnel de 480 068 euros estimé pour la totalité de l’année 2020. Vous pourrez donc regarder la crise sanitaire et ses conséquences comme étant à l’origine d’un déficit d’exploitation temporaire ayant entrainé un bouleversement de l’économie du contrat initialement conclu.
La commune de Dijon fait valoir que l’association requérante n’a droit à aucune indemnité d’imprévision en ce qu’elle a réalisé un bénéfice sur l’ensemble de l’exécution du contrat de délégation de service. Toutefois, outre qu’une telle circonstance aurait été, en tout état de cause, sans incidence sur le droit à une indemnité d’imprévision qui vise à compenser un déficit temporaire d’exploitation, vous relèverez du dossier, y compris des éléments comptables produits par la commune elle-même, que le contrat de délégation de service public a en réalité été déficitaire sur la période courant de février 2019 à décembre 2022, et ce uniquement à cause de l’année 2020.
Si vous nous avez suivi vous retiendrez que Dijon Congrexpo est fondée à demander à la commune de Dijon le versement d’une indemnité d’imprévision, qu’il convient donc d’évaluer.
En premier lieu, la commune de Dijon conteste le début de la période de référence retenue par l’association requérante. Toutefois, le 17 mars 2020 correspondant à la date du premier confinement national total de la population et, donc, à la fermeture brutale à tout public des équipements gérés par Dijon Congrexpo, nous vous invitons à retenir cette date comme début de la période indemnisable, sachant que la commune de Dijon ne conteste pas la date de fin de cette période, le 31 décembre 2020.
En deuxième lieu, vous constaterez à la lecture des documents comptables produits que Dijon Congrexpo a bien retranché de sa demande indemnitaire l’ensemble des aides publiques perçues au titre de la crise sanitaire. Par ailleurs, vous relèverez que le déficit d’exploitation ne provient pas d’une augmentation importante des charges d’exploitation mais d’une baisse spectaculaire des produits d’exploitation dès lors que, s’agissant d’équipements dédiés à l’évènementiel, les périodes de confinement du printemps et de l’automne 2020 comme les importantes restrictions d’accès en dehors de ces périodes de confinement, faisaient obstacle à l’organisation d’événements tels que foires et salons, soit les principales sources de revenus de Dijon Congrexpo. Au final, le déficit d’exploitation subi pour la période du 17 mars 2020 au 31 décembre 2020 est justifié à hauteur de 1 642 493 euros HT.
En dernier lieu, contrairement à ce que fait valoir la commune de Dijon, les comptes prévisionnels d’exploitation déficitaires sont sans incidence sur le montant de l’indemnité d’imprévision, déterminée au vu du déficit d’exploitation réellement subi pendant la seule période impactée par l’événement imprévisible. En revanche, il est de jurisprudence constante qu’une petite partie de l’indemnité d’imprévision, évaluée de 5 à 10% et correspondant au risque d’exploitation que doit supporter le cocontractant, est laissée à la charge de ce dernier (voir en ce sens, les conclusions de Gilles Pellissier dans l’affaire Société Alliance, précédemment citée). Pour établir le montant restant à la charge du délégataire, le juge tient compte de la situation financière de l’entreprise, des bénéfices réalisés dans le passé et des avantages escomptés pour l’avenir, du caractère plus ou moins précaire de l’exploitation et de la diligence apportée par le contractant pour surmonter les difficultés.
En l’espèce, vous relèverez du dossier que les comptes prévisionnels d’exploitation faisaient état d’un déficit chaque année sur la totalité du contrat, laissant entendre que le délégataire acceptait un risque d’exploitation certain. Mais vous observerez également que, en dehors de l’année 2020 en litige, les comptes d’exploitation ont en réalité été excédentaires, signe d’une bonne gestion par le délégataire. Enfin, vous constaterez que si le délégataire a été diligent pour informer le délégant de ses difficultés liées à la crise sanitaire et ainsi trouver des solutions pour permettre la continuité de l’exécution du contrat, le délégant a en revanche été assez peu réceptif à ces demandes puisqu’une offre d’indemnisation n’a été formulée que postérieurement à l’introduction de la présente requête. Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous vous proposons une juste appréciation de l’indemnité d’imprévision à hauteur de 1 500 000 euros HT (soit un risque d’exploitation d’un peu plus de 9%). Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 27 avril 2021, date de réception du mémoire de réclamation et capitalisation des intérêts à compter du 27 avril 2022.
Telles sont nos conclusions dans cette affaire. La commune de Dijon versera en outre à Dijon Congrexpo une somme de 1 500 euros au titre des frais de justice.