Quand des revenus déclarés constitués de l’allocation logement et du revenu minimum d’insertion rendent suspecte l’immatriculation d’une Ferrari

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Décision de justice

CAA Lyon, 5ème chambre – N° 09LY02706 – 25 novembre 2010 – C

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 09LY02706

Numéro Légifrance : CETATEXT000023945416

Date de la décision : 25 novembre 2010

Code de publication : C

Index

Mots-clés

Impôt sur le revenu, Taxation d’office, Immatriculation d’un véhicule

Rubriques

Fiscalité

Résumé

Si en procédure de taxation d’office au titre de l’impôt sur le revenu, quand bien même le contribuable doit établir l’exagération de l’impôt, il appartient toujours à l’administration d’établir, pour sa part, que l’achat d’un bien de grand prix révèle l’existence d’un revenu imposable en tant que revenu d’origine indéterminée. Toutefois l’immatriculation d’un véhicule de grosse cylindrée au nom de ce contribuable suffit à emporter présomption qu’il disposait au titre de l’année en cause de la somme correspondant à la valeur de ce véhicule – somme par conséquent imposable.

Mlle X., qui avait déclaré pour tout revenu au titre de l’année en cause le revenu minimum d’insertion et l’allocation logement, a fait immatriculer à son nom un véhicule de marque Ferrari. La contribuable, qui a fait l’objet d’un examen de sa situation fiscale personnelle, n’a pas répondu à la demande d’éclaircissement et justification du vérificateur, lequel a estimé que cet achat révélait un revenu non déclaré à hauteur de la valeur du véhicule, soit 55 000 euros, et a prononcé un rappel d’impôt sur le revenu sur cette base. La demande en décharge a été rejetée par le Tribunal administratif.

La Cour juge que l’immatriculation du véhicule susmentionné au nom de Mlle X. constitue une présomption suffisante qu’elle a acquis le véhicule au cours de cette année, et avait donc disposé de la somme de 55 000 euros. L’arrêt ajoute que si pour combattre cette présomption, Mlle X. fait valoir d’une part, que le véhicule a été financé par une autre personne comme pourrait le révéler la procédure pénale en cours concernant cette dernière, et dont il conviendrait d’attendre l’issue, et, d’autre part, qu’elle a été victime d’un abus de confiance, cette argumentation, à raison de son caractère aléatoire et imprécis, ne suffit pas à contredire la présomption susmentionnée.

Conclusions du rapporteur public

Pierre Monnier

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5782

Fallait-il sauver le soldat Ryan ?

C’est un peu la question à laquelle vous devrez répondre à travers ce dossier où vous aurez à juger s’il faut Sauver la contribuable S. ?

En effet, Mme S a déclaré pour tout revenu en 2003 et 2004 le revenu minimum d’insertion et l’allocation logement. Il est constant qu’elle n’est pas titulaire d’un permis de conduire un véhicule automobile.

Mais, le 25 mai 2004, un véhicule de marque Ferrari d’une valeur de 55 000 euros a été immatriculé à son nom par les services du préfet …

Après avoir reçu cette information, la vérificatrice a constaté, en établissant une balance de trésorerie, que l'intéressée pouvait avoir disposé de revenus plus importants que ceux qu'elle avait déclarés. Une demande d'éclaircissements ou de justifications lui a été adressée par pli recommandé du 12 mai 2006, qui n'a pas été retiré, suivie de l'envoi d'une copie en courrier simple le 12 juin suivant.

En l'absence de réponse, Mme S a été informée, par une proposition de rectification du 17 juillet 2006, qu'elle était taxée d'office à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales, à raison d'un revenu d'origine indéterminée d'un montant de 54 481 € au titre de l'année 2004.

Le supplément d'impôt sur le revenu correspondant, assorti d'intérêts de retard et d'une majoration de 40 %, aété mis en recouvrement le 30 novembre 2006, pour un montant de 25 195 €. Le supplément de contributions sociales a été établi le 31 décembre 2006 pour un montant de 8 827 €.

Elle interjette appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté sa requête tendant à la décharge de ce redressement.

Elle fait valoir qu'elle n'a pas acheté le véhicule en cause et qu'elle l'a immatriculé à son nom dans le seul but de rendre service à un tiers. Elle soutient que l'acquisition du véhicule Ferrari a été financée par M.X, à l’encontre duquel une enquête, en lien avec un trafic de stupéfiants, serait en cours devant le juge d'instruction du tribunal de grande instance de X.  Elle demande à la Cour de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'une décision de justice soit intervenue en matière pénale. Elle demande enfin à la Cour de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2004, et de condamner l'Etat au paiement d'une somme de 1 200 € au titre de l'article L761-1 du code de justice administrative.

1. Sur la charge de la preuve

Vous savez qu’en matière d’imposition d’office, la charge de la preuve du bien-fondé pèse toujours sur le contribuable en vertu des dispositions de l’article L193 du livre des procédures fiscales. En revanche, il appartient toujours à l’administration d’établir la régularité de l’imposition d’office.

Le problème est que la requérante ne conteste pas la régularité de la procédure alors même que cette dernière nous semble critiquable sur de nombreux points.

Il faut dire que la requérante, qui s’est vue refusée le bénéfice de l’aide juridictionnelle, n’est guère aidée par son avocat. S’agissant du bien-fondé, la requérante soutient pour l’essentiel, qu’elle n’a pas acheté ce véhicule. Elle a affirmé dans sa requête introductive d’instance et dans son mémoire complémentaire qu’elle n’avait jamais acheté ce véhicule et que c’est seulement la carte grise qui était à son nom. Dans son mémoire complémentaire, elle précise que c’est M.X qui a acheté, financé et utilisé le véhicule litigieux.

Sur qui pèse la charge de la preuve de déterminer quel est le propriétaire de cette Ferrari ?

L’article L193 du livre des procédures fiscales semble a priori faire peser la charge de la preuve sur la requérante. Néanmoins, on sait qu’il appartient toujours à l’administration, même s’agissant d’un contribuable taxé d’office, d’établir le principe du redressement. C’est en application de cette règle que la jurisprudence a fixé certaines limites du renversement de la charge de la preuve en cas de taxation d’office.

i) C’est ainsi que la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que le fait qu'une société eût fait l'objet d'une procédure de taxation d'office était sans influence et sans incidence sur l'obligation qui incombait à l'Administration d'établir que les sommes perçues par un tiers correspondaient en fait à des recettes imposables de cette société (CAA Nantes, 1re ch., 11 déc. 1991, SARL Multicourse, publié à Droit fiscal 1992, n° 43, comm. 1991 ainsi qu’à la RJF1992, n° 528) .

ii) Dans le même ordre d’idée, le tribunal administratif de Lyon a jugé que le fait que la charge de la preuve incombe au contribuable ayant fait l'objet d'une procédure d'office ne dispense pas pour autant l'Administration, en cas de reconstitution de recettes fondée sur l'existence d'achats sans facture, de l'obligation de démontrer la réalité de ces achats (TA Lyon, 23 janvier 1992, n° 86-9761 à 86-9763, SARL Saksik, Droit fiscal 1992, n° 47, comm. 2240) .

Nous pensons que ces jurisprudences sont transposables à notre cas d’espèce. Elles ne sont en fait que l’application du principe selon lequel on ne saurait demander à une partie l’impossible, à savoir apporter une preuve négative. Il nous semble par exemple que si l’administration avait décidé d’imposer d’office la requérante sur toutes les Ferrari achetées en France en 2002, vous n’auriez pu valider les impositions supplémentaires au seul motif que la requérante n’apportait pas la preuve lui incombant qu’elle n’avait pas acheté toutes les Ferrari vendues en France cette année-là.

Je vous propose donc de faire peser la charge de la preuve sur l’administration même si, en l’espèce, ce fardeau nous semble sans incidence sur l’administration de la preuve.

2) L’administration de la preuve

Le seul élément de preuve apporté par l’administration, à savoir que Mme S est titulaire d’une carte grise de Ferrari, n’est pas contesté.

Certes, Mme S soutient à juste titre qu’une carte grise n’est pas un titre de propriété mais un titre de police.

« Rappelons en effet », pour reprendre les termes employés par M.Fornacciari dans ses conclusions sous l’arrêt « Epoux T. » (31 octobre 1990, publié au recueil, JCP G 1991, n° 06, IV, p. 60 ; D. 1991, n° 016, p. 220, note Fornacciari), « que le certificat d’immatriculation n’est pas un titre de propriété (Cass. I. civile, 25 février 1958, n° 0114, p.88 ; Cassation chambre commerciale et financière, 4 décembre 1975, n° 0255, p.235 ; CE, W. et S., 14 décembre 1988, Rec. p.447), mais un titre de police »

Pour autant, il nous semble que le fait qu’une personne possède la carte grise d’un véhicule établit une présomption qu’elle est propriétaire dudit véhicule.

C’est ainsi que la chambre civile de la Cour de cassation a jugé que les possesseurs de bonne foi en possession de papiers du véhicule peuvent se prévaloir du bénéfice de l'article 2279 du Code civil pour s'opposer à une action en revendication (Cassation commerciale, 8 novembre 2007, n° 06-20.094 : JurisData n° 2007-041317).

Donc, il nous semble que, même si vous faites peser la charge de la qualité de propriétaire sur l’administration, la circonstance que Mme S. soit titulaire de la carte grise apporte la preuve requise.

Dans la dynamique de la preuve, il vous faut désormais voir si la requérante vous apporte suffisamment d’éléments pour combattre cette présomption de propriété.

Il est constant que ses revenus ne lui permettraient pas d’acheter une Ferrari et qu’elle n’a pas le permis de conduire.

Elle apporte en outre un témoignage - la copie du second étant tronquée - attestant qu’elle n’a jamais eu de véhicule Ferrari.

Ces éléments, pris séparément, ne suffiraient pas à combattre la présomption découlant du fait qu’elle est titulaire de la carte grise du véhicule, mais il nous semble qu’ils constituent un faisceau d’indice susceptible de combattre efficacement la présomption qu’apporte la carte grise.

Pour notre part, nous avons l’intime conviction que Mme S s’est faite abusée par des personnes mal intentionnées.

Si vous partagez cette intime conviction, vous devrez décharger l’intéressée…

Bien sûr, même à supposer que vous partagiez notre sentiment selon lequel Mme S s’est laissée abusée, il vous faudrait cependant, en tant que juge de l’impôt, prendre en considération les répercussions négatives de votre décision sur l’intérêt général : ne pourrait-elle être interprétée comme permettant à n’importe quel individu mal intentionné de se procurer des Ferrari en toute impunité fiscale ?

Nous en arrivons donc à la question de savoir s’il fallait sauver le soldat Ryan ?

La décision des autorités américaines avait été prise pour des raisons humanitaires d’ordre individuelle : Pouvait-on ne pas tout faire pour sauver le seul fils de Mme X qui n’était pas encore « officiellement » mort à la guerre. D’un autre côté, la décision de tenter de sauver le soldat Ryan était absurde du point de vue de l’intérêt général car elle conduisait à risquer fortement la vie de nombreux autres soldats pour une chance infime d’en sauver une.

Vous pourriez aussi estimer que vous n’êtes présentement que juge de plein contentieux du bien-fondé de l’imposition et qu’il appartiendra à la requérante de présenter une demande de remise gracieuse de former, en cas de refus, un recours pour excès de pouvoir.

Toutefois, dans les circonstances très particulières de l’espèce, je vous proposerai de sauver la contribuable Mme S.

Par ces motifs, Nous concluons à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon, à la décharge de l’imposition au titre de l’année 2002 correspondant à un rehaussement de base de 55 000 euros afférent à l’achat d’une Ferrari et à la condamnation de l’Etat à verser à Mme S. la somme de 1 200 euros qu’elle demande au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative.

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