La Demeure du Chaos, bien connue des lyonnais, a été créée en 1999 par un sculpteur plasticien. Elle est devenue un musée d’art contemporain à ciel ouvert (le musée L’Organe dont le support juridique est la SARL L’Organe), musée à ciel ouvert sur 9.000 m², avec près de 6.300 œuvres d’art, dont principalement 4.500 sculptures en acier brut.
Cette propriété située à Saint-Romain au Mont d’Or, au Domaine de la Source, avait été acquise par la SCI Vae Homini Injusto (VHI), créée en 1996, laquelle avait conclu, le 9 décembre 1999, un contrat avec différents artistes, les autorisant à transformer cette propriété en corpus d’œuvres d’art appelé « L’Esprit de la Salamandre » ou « La Demeure du Chaos ».
La SCI VHI a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007 à l’issue de laquelle l’administration fiscale a notamment considéré qu’elle devait être assujettie à l’impôt sur les sociétés (IS) . Des rectifications ont été opérées sur le fondement de la procédure contradictoire des articles L.55 et suivants du LPF, en matière de TVA, au titre de l’année 2007, pour un montant de 260.366 euros intérêts de retard et majorations de 40% compris, l’administration fiscale ayant remis en cause la réalité de prestations de la SARL L’Organe, et en matière d’IS, au titre des exercices 2006 et 2007, pour un montant de 899.854 euros, intérêts de retard et majorations de 10% compris. La mise en recouvrement est intervenue le 18 décembre 2012. La réclamation du 12 février 2013 de la SCI VHI a fait l’objet d’un rejet en ce qui concerne la TVA et d’une admission partielle pour ce qui concerne l’IS, s’agissant des rectifications se rapportant aux renonciations à recettes, donnant lieu à un dégrèvement de 329.756 euros, pénalités comprises, et ramenant ainsi le montant d’impôt en litige pour l’IS à 570.098 euros. Pour ce qui concerne la TVA la requérante n’avait contesté en première instance que la majoration de 40% de l’article 1729 a) du CGI soit la somme de 70.560 euros. Comme le rappelle l’administration fiscale, elle ne peut donc, devant vous, prétendre à un dégrèvement supérieur.
Pour les rectifications appliquées en matière de TVA
La SCI VHI et la SARL L’Organe sont liées par une convention du 31 décembre 2006 qui prévoit que « Le Musée L’Organe s’engage à prendre en charge le coût de réalisation des œuvres de La Demeure du Chaos et à gérer l’ensemble des produits résultant de leurs droits à due concurrence du montant ci-dessous mentionné. ». Et en rémunération de cette prestation la SARL L’Organe a obtenu de la SCI VHI une somme forfaitaire de 900.000 euros HT. Une facture a été établie à cet effet le 31 décembre 2006 par la SARL L’Organe portant la mention de « redevance annuelle des frais engagés pour l’ensemble des installations / œuvres d’art consentie à la SCI VHI pour trois ans. », et la TVA correspondante de 176.400 euros a été déduite au titre du deuxième trimestre 2007. Toutefois, le règlement étant intervenu en 2008, la SCI ne pouvait procéder à cette déduction en 2007, conformément aux dispositions de l’article 269-2 c) du CGI, ce que la requérante a accepté. Mais, plus encore, ni la SCI VHI, ni la SARL L’Organe, qui a également fait l’objet d’une vérification de comptabilité, n’ont été en mesure de démontrer de manière concrète et précise quelles prestations avaient été réalisées, en méconnaissance des articles 272-2 et 283-4 du CGI. Rien dans les comptabilités de la SCI VHI et de la SARL L’Organe n’ont permis de confirmer l’existence de telles prestations. Vous noterez d’ailleurs que, comme le relève l’administration fiscale, le Musée L’Organe ne dispose d’aucun moyen matériel ou humain permettant la réalisation de tels travaux. La mise aux normes du site et des œuvres d’art qui a été invoquée, sans aucun justificatif à l’appui, reste une affirmation d’ordre général. La police d’assurance dont se prévaut la SARL L’Organe est liée à son statut d’établissement recevant du public (ERP) .
Pour les rectifications appliquées en matière d’IS
Le contrat du 9 décembre 1999 liant la SCI VHI propriétaire de La Demeure du Chaos aux artistes créateurs a fait l’objet d’un avenant en date du 21 juin 2005 prévoyant que ceux-ci concèdent à la société le droit de reproduction de La Demeure du Chaos sur tout pays et pour une période de 7 ans moyennant la prise en charge des frais de production des œuvres d’art par la SCI VHI. Par une nouvelle convention du 30 juin 2006 la SCI VHI a sous-concédé à la SAS Groupe Serveur, qui est une holding de contrôle des sociétés du groupe dirigé par M.X., ainsi qu’à ses filiales, l’utilisation exclusive de l’image véhiculée par la Demeure du Chaos et les œuvres qui la composent ; cette sous-concession de trois ans fait l’objet du versement de la SAS Groupe Serveur à la SCI VHI d’une somme forfaitaire de 900.000 euros. Et par un contrat du 31 décembre 2006 la SCI VHI a confié à la SARL L’Organe, support du Musée du même nom, la prise en charge du coût de réalisation des œuvres de La Demeure du Chaos et la gestion des produits attachés à leurs droits moyennant le versement d’une redevance de 900.000 euros.
Comme vous le savez, les œuvres d’art bénéficient de la protection juridique du code de la propriété intellectuelle. Leur exploitation ne peut se concevoir sans la concession du droit de reproduction et/ou du droit de représentation prévue aux articles L. 122-1 et L. 122-2 de ce code. Et la question est donc ici de savoir si la sous-concession accordée par la SCI VHI à la SAS Groupe Serveur en matière d’image correspond au transfert de la concession dont elle a elle-même bénéficié en 2005 de la part des auteurs des œuvres d’art en matière de droit à reproduction.
A l’instar de l’administration fiscale, nous le pensons. Car en effet, dans cette affaire il n’est guère possible de dissocier le droit à reproduction concédé par les auteurs à la SCI VHI du droit à l’image sous-concédé par la SCI à la SAS Groupe Serveur. La sous-concession dont il s’agit vise non seulement La Demeure du Chaos mais aussi les œuvres d’art qui la composent. De plus, la Demeure du Chaos elle-même est un concept qui en fait une œuvre d’art à part entière, dont l’image peut aussi être assimilée à la reproduction d’une œuvre d’art. L’avenant du 21 juin 2005 conclu entre la SCI et les auteurs prévoyait la possibilité de sous-concéder le droit à reproduction et prévoyait aussi la prise en charge par la SCI VHI des coûts de production des œuvres des auteurs. Or, s’agissant de cette prise en charge, la SCI VHI l’a, par l’acte du 31 décembre 2006, déléguée à la SARL L’Organe tout comme la gestion des produits résultant des droits attachés aux œuvres, moyennant le versement d’une somme de 900.000 euros. La sous-concession du droit à l’image confiée à la SAS Groupe Serveur et la gestion des produits résultant des droits attachés aux œuvres confiée à la SARL L’Organe recouvrent en réalité ici le droit à reproduction de l’œuvre que constitue par elle-même La Demeure du Chaos mais aussi des œuvres qui la composent. Selon l’article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle « Le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. » et selon l’article L. 122-3 du même code « La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte. Elle peut s'effectuer notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage et tout procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement mécanique, cinématographique ou magnétique. (…) ». Cette reproduction, telle qu’elle est définie par le code de la propriété intellectuelle, est bien celle qui a été sous-concédée par la SCI VHI et pour laquelle elle a perçu une rémunération. Distinguer ici entre droit à l’image et droit à la reproduction serait très artificiel, les auteurs s’étant départis de ce droit, constitutif de leur droit de propriété, en 2005, au profit de la SCI VHI, laquelle l’a sous-concédé sous la dénomination d’un droit à l’image qui recouvre non seulement La Demeure du Chaos mais aussi les œuvres qui la composent. Si tel n’était pas le cas il faudrait d’ailleurs en conclure que la SCI VHI reste aujourd’hui détentrice d’un droit à reproduction qui lui a été concédé et qui ne serait pas mis en œuvre.
Ainsi, en vertu du 2. de l’article 206 du CGI la SCI VHI, qui se livre à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 du même code, est passible de l’impôt sur les sociétés (IS) . Une SCI qui, comme la SCI VHI, traite avec des auteurs en vue de gérer les droits de reproduction de leurs œuvres exerce la profession d’agent d’affaires de nature commerciale, ce qui entre dans le champ du 6°) de l’article L.110-1 du code de commerce : voyez sur ce point la décision du Conseil d’Etat n° 94403 du 24 mars 1976, en A, à laquelle s’est référée l’administration fiscale dans sa proposition de rectification.
Nous vous proposons en conséquence de confirmer la position de l’administration fiscale et celle des premiers juges, y compris sur les pénalités pour manquement délibéré, et donc de rejeter la requête présentée par la société Vae Homini Injusto (VHI).