Le tribunal administratif de Lyon a fait une application inédite du principe d’unité budgétaire en jugeant que le budget principal d’une commune et les budgets annexes des services publics locaux, qui forment un « ensemble indivisible » doivent être adoptés lors de la même séance du conseil municipal. Cette règle de vote est une « garantie » pour les élus locaux qui leur permet de contrôler globalement les autorisations budgétaires.
Par ce jugement rendu le 11 février 2021, le tribunal administratif (TA) de Lyon (nos 1905190-1906059, AJCT 2021, p. 373, note R. Reymond-Kellal ; JCP-A 2021, n° 02198, chron. L. Erstein et C. Friedrich) a jugé que le budget principal d’une commune et les budgets annexes des services publics locaux devaient être adoptés lors de la même séance du conseil municipal. Ce faisant, cette décision étend de manière inédite les conséquences juridiques de l’unité budgétaire, un principe cardinal de présentation des budgets publics. En effet, le conseil municipal de Joyeuse, une commune ardéchoise, devait initialement examiner lors de la même séance le budget principal de la commune pour l’année 2019 ainsi que le budget annexe de la régie autonome des eaux. Mais, suite à une demande de report formulée par des conseillers municipaux qui allaient ensuite devenir les requérants à cette affaire, ces deux budgets furent examinés et votés à l’occasion de deux séances distinctes : le budget annexe le 10 avril 2019 ; le budget principal le 15 mai 2019. Ces délibérations firent toutes deux l’objet d’un recours pour excès de pouvoir au motif, notamment, qu’elles méconnaissaient le principe de l’unité budgétaire dès lors que le budget annexe « n’avait pas été voté concomitamment » au budget principal. Ce moyen posait la délicate question des conséquences de cette règle « fondamentale » (CC, 29 déc. 1994, Loi de finances pour 1995, n° 094-351 DC, §. 6) : l’unité budgétaire implique-t-elle qu’un budget annexe soit impérativement voté pendant la même séance d’une assemblée délibérante que le budget principal ? Le tribunal répond par l’affirmative dans un jugement court dont la rédaction ciselée prend les accents des formulations de principe (§. 6).
Si cette solution est nouvelle, elle est logique au regard de l’environnement juridique de ces budgets annexes. En effet, « la juridiction administrative interprète [traditionnellement] les dérogations [à l'unité budgétaire] dans le sens le plus favorable » à ce principe (J.-L. Albert, « Budget et comptes locaux : principes applicables aux budgets locaux », Encyclopédie des collectivités locales, Dalloz, 2014, §. 123) . Une telle jurisprudence a le mérite de favoriser la présentation claire des comptes publics tout en permettant « un contrôle efficace » des assemblées délibérantes (c’est après tout l’objet même de ces principes budgétaires : CC, 25 juill. 2001, Loi organique relative aux lois de finances, n° 02001-448 DC, §. 16) . Or, le principe de l’unité budgétaire, dégagé dès la Restauration sous l’impulsion du Baron Louis et constamment réaffirmé depuis, tend au nom du contrôle démocratique à garantir un exposé réel et complet de la situation financière d’une collectivité publique. Ainsi, conséquence de l’unité des patrimoines juridiques (M. Collet, Finances publiques, LGDJ, 2016, p. 425), il implique d’une part et formellement, « qu’un document unique retrace les charges et les ressources » de la collectivité publique – c’est la règle de l’unicité ; d’autre part et matériellement, que l’ensemble de ces opérations figure dans le projet de budget – c’est la règle de la totalité (G. Orsoni, Science et législation financières, Economica, 2005, p. 235) . Autrement, le contrôle de l’assemblée délibérante risquerait d’être entravé par « l’éparpillement » (P. Amselek, Le budget de l’État sous la Vème République, Préface de P. Lavigne, LGDJ, 1966, BSF t. 5, p. 50) de documents budgétaires « morcelés » (E. Allix, Traité élémentaire de science des finances et de la législation financière française, 4e éd., Rousseau et Cie, 1927, p. 59) et présentés à des périodes différentes. Pourtant, ce principe n’est pas universel : certaines démocraties ne le connaissent pas (ainsi des États-Unis ou du Japon) . Mais en France, il s’applique tant aux budgets étatiques (art. 6 de la loi n° 02001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances – LOLF) que locaux (pour les communes : L. 2311-1 CGCT ; instruction budgétaire et comptable M14, tome 2, p. 16).
Néanmoins, ce principe budgétaire subit quelques « aménagements » (G. Orsoni, op. cit., p. 240. L’expression est également mobilisée par le jugement [§. 6] à la suite de CE, 25 fév. 1998, n° 0168726, Préfet de Haute-Corse, Lebon T. p. 778), notamment à travers les budgets annexes. Cette technique budgétaire, issue des « services spéciaux » créés sous la monarchie de Juillet (art. 17 de la loi du 9 juill. 1836. V. à cet égard : P. Lavigne, « Histoire du budget annexe des PTT », RFFP 1991, p. 1), a essaimé dans les années vingt avec le développement concomitant de l’interventionnisme public dans les sphères industrielle et commerciale. En effet, les budgets annexes sont « la transcription de la notion [de service public industriel et commercial (SPIC) ] dans le domaine du droit financier » (G. Orsoni, op. cit., p. 240) . Il est donc logique que cette catégorie de service public – à laquelle appartient la distribution d’eau (L. 2224-7 CGCT) – fasse l’objet d’un budget annexe lorsqu’ils sont exploités en régie par une collectivité publique (R. 2221-69 CGCT) . En effet, cette « individualisation budgétaire » permet d’assurer la neutralité économique de ces services publics marchands et l’absence de distorsion de concurrence en faisant ressortir le respect de la règle de l’équilibre budgétaire (L. 2224-1 CGCT), l’absence de subventions d’équilibre illicites abondées par le budget principal (L. 2224-2 CGCT) ainsi que de la proportionnalité des redevances (M. Collet, op. cit., p. 425) . Toutefois, les budgets annexes prolifèrent dans la gestion publique locale alors qu’ils se raréfient pour les services de l’État (Ibid.) . Ce n’est pas étonnant : sa mobilisation est obligatoire dans le premier cas (L. 2221-11 CGCT) ; facultative dans le second (art. 18 LOLF).
L’exposé de ces règles donne indéniablement le sentiment que les budgets annexes sont autonomes, détachables, du budget principal. Ce n’est cependant pas le cas : ces deux documents budgétaires sont étroitement liés. Ainsi, l’éventuel excédent d’un budget annexe peut abonder le budget principal (CE, 9 avril 1999, n° 0170999, Cne de Bandol, Lebon p. 129. Mais il est interdit d’augmenter les redevances pour financer le budget général : CE, 30 sept. 1996, n° 0156176, Sté stéphanoise des eaux et ville de Saint-Etienne, Lebon p. 355) . Inversement, le budget principal peut abonder dans certaines hypothèses strictement listées les budgets annexes (L. 2224-2 CGCT) . En outre, le compte administratif communal doit reprendre les recettes et les charges d’une régie autonome (CE, 9 juill. 1997, n° 0103273, Cne de Garges-les-Gonesse, Lebon p. 297) . D’autant plus que, depuis la loi d’orientation relative à l’administration territoriale de la République (art. 13 de la loi n° 092-125 du 6 fév. 1992, « ATR »), les communes de plus de 3 500 habitants doivent joindre à leur compte administratif un document consolidé présentant les budgets principal et annexes (L. 2313-1 CGCT) . De plus, la saisine de la Chambre régionale des comptes par le préfet en application de la procédure de la méconnaissance du vote du budget local en équilibre réel (L. 1612-5 CGCT) a pour effet d’interdire à l’assemblée délibérante de la collectivité territoriale concernée d’adopter des décisions ayant des incidences tant sur le budget principal que sur les budgets annexes (CE, 25 fév. 1998, n° 0168726, Préfet de Haute-Corse, préc.) . De même, la procédure de saisine des juridictions financières pour absence d’adoption du budget dans le délai légal (L. 1612-2 CGCT) englobe tant le budget annexe que le budget principal (CRC Nord-Pas-de-Calais, 12 juin 1985, Cne de Verton) . D’ailleurs, les Chambres régionales des comptes apprécient ensemble « l’équilibre du budget principal et des budgets annexes » (CRC Nord-Pas-de-Calais-Picardie, 2 juill. 2013, n° 02013-0170, Cne d’Esquerdes. Certaines CRC admettent néanmoins une saisine limitée au seul budget annexe : CRC Basse-Normandie, 6 et 27 avril 1995, Cne de Cabourg) . Par conséquent, faisant application de la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 25 fév. 1998, n° 0168726, Préfet de Haute-Corse, préc. V. aussi : CAA Marseille, 3 juin 2004, n° 002MA00496 ; CAA Paris, 23 sept. 2014, n° 012PA02651, Cne de Faa’a), le tribunal lyonnais a logiquement jugé que la réglementation applicable aux budgets annexes n’avait pas pour effet de rendre ces derniers « indépendants » des budgets principaux. Bien au contraire, tous ces documents budgétaires (qui comprennent également les budgets annexes des sections de communes : CE, 14 janv. 1998, n° 0160660, Section de cne d’Antilly, Lebon T. p. 717) forment, en application du principe d’unité, « un ensemble indivisible » (§. 6. Le TA de Nîmes a pu juger que le budget annexe était « un développement indétachable et indivisible » du budget principal dont il est « indissociable » : 25 juin 2019, n° 01701615, Cne de Bollène, cité in R. Reymond-Kellal, AJCT 2021, p. 373) ; bref, un seul et même budget.
Puis le tribunal a tiré toutes les conséquences de cette affirmation en jugeant que « la commune est tenue d’adopter le budget principal et le budget annexe [… ] au cours de la même séance du conseil municipal » (§. 6) . Si le Gouvernement a récemment pu émettre une recommandation similaire (Question écrite n° 003935, M. Joyandet ; Rép. Min., JO Sénat 9 août 2018, p. 4129), c’est à notre connaissance la première fois qu’une telle obligation est consacrée. Elle ne figure pourtant dans aucun texte et, d’ailleurs, par analogie le Conseil d’État avait pu juger que le Code général des collectivités territoriales n'imposait pas que le vote des comptes administratif et de gestion intervienne au cours de la même séance de l’assemblée délibérante (CE, 28 juill. 1995, n° 093407, Mme M., au Lebon T.) . Mais le juge a ici fait prévaloir l’essence démocratique qui sous-tend les principes budgétaires, à commencer par la règle de l’unité, qui doit permettre une présentation claire et générale des budgets pour que les élus siégeant au sein de l’assemblée délibérante puissent contrôler « globalement » la portée des autorisations budgétaires, vérifier qu’elles sont réellement équilibrées (CE, Sect., 23 déc. 1988, n° 060678, Dpt du Tarn, Lebon p. 466) et « sincères » (§. 6. Les budgets locaux doivent respecter cette exigence : L. 1612-4 CGCT), c’est-à-dire qu’elles donnent une « image fidèle » de la réalité (art. 47-2 de la Constitution. V. aussi, pour l’État : art. 32 LOLF ; CC, 6 août 2009, Loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2008, n° 02009-585 DC, §. 2), pour qu’ils puissent ensuite opérer des choix éclairés. Pour ce faire, une même séance de l’assemblée délibérante doit être consacrée à l’examen du budget principal et du budget annexe. Logiquement, celui-ci ne doit être apprécié et adopté qu’après le vote du budget principal. En tout état de cause, cette séance devrait en principe se tenir avant le 15 avril de l’année d’exécution (L. 1612-2 CGCT).
Ainsi, cette solution est difficilement contestable en tant qu’elle renforce les droits des assemblées délibérantes et de leurs membres à être informés en même temps qu’elle préserve la vie démocratique locale. D’ailleurs, le jugement estime que le respect du principe d’unité constitue une « garantie » (§. 6) insusceptible d’être neutralisée (CE, Ass., 23 déc. 2011, n° 0335033, M. Danthony, Lebon p. 649 ; GAJA n° 0108) . Cette dernière ayant justement été méconnue en l’espèce, le tribunal a annulé les deux délibérations attaquées, démontrant par là même une nouvelle fois (V. déjà en matière budgétaire : TA Lyon, 17 mai 2018, n° 01604108 ; Rev. ALYODA 2018, n° 03, note D. Catteau ; JCP-A 2018, n° 02210, note C. Meurant ; TA Lyon, 8 janv. 2019, n° 01700307 ; AJDA 2019, p. 808, note C. Meurant) que les règles de procédure ont encore une certaine vivacité contentieuse.