TEOM et action en reconnaissance de droit : intérêt à agir au nom d'un groupe d'intérêt et modulation dans le temps des effets de cette reconnaissance

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Décisions de justice

TA Lyon – N° 1803391 – CANOL – 26 octobre 2020 – C+

Requête jointe N° 1803392 -  L'article 2 du jugement est annulé : voir CAA Lyon, 5ème chambre , N°20LY03766, 16 juin 2022, C

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 1803391

Date de la décision : 26 octobre 2020

Code de publication : C+

TA Lyon – N° 1904685 – CANOL – 26 octobre 2020 – C+

L'article 2 du jugement est annulé : CAA Lyon, 5ème chambre, N° 20LY03767, 16 juin 2022, C

Voir aussi Conseil d'Etat - 22 octobre 2021 - N° 434900 - classée en A annulant l'article 1er de la l'arrêt CAA de Lyon, N° 18LY03504, 25 juillet 2019 et renvoyant à la même cour la requête qui est réenregistrée sous le N° 21LY03398 rejugé le 16 juin 2022

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 1904685

Date de la décision : 26 octobre 2020

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Action en reconnaissance de droits, Taxe d’enlèvement des ordures ménagères, TEOM, L. 77-12-1 du CJA, L. 77-12-3 du CJA, L. 2224-14 du CGCT

Rubriques

Institutions et collectivités publiques, Fiscalité, Procédure

Résumé

Le tribunal administratif de Lyon a reconnu aux contribuables de la Métropole de Lyon et du département du Rhône, le droit de bénéficier de la décharge du montant de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) mise à leur charge au titre des années 2016, 2017 et 2018.

Intérêt pour agir au nom du groupe d’intérêt en faveur duquel l’action en reconnaissance de droit est présentée - Article L. 77-12-1 du code de justice administrative

Si l’article L. 77-12-1 du code de justice administrative dispose que « (…) Le groupe d'intérêt en faveur duquel l'action est présentée est caractérisé par l'identité de la situation juridique de ses membres. Il est nécessairement délimité par les personnes morales de droit public ou les organismes de droit privé chargés de la gestion d'un service public mis en cause. (…) », l’intérêt à agir ne se confond pas nécessairement avec celui de tout le groupe d’intérêt pour lequel l’action est présentée.

En l’espèce, si l’objet social de l’association des contribuables lyonnais (CANOL), défini dans les articles 2 et 2bis de ses statuts comme « la promotion et la défense des intérêts des contribuables habitant le département du Rhône», n’inclut pas l’ensemble des contribuables concernés par l’action en reconnaissance de droit dès lors que certains contribuables peuvent habiter en dehors du département, la CANOL justifie d’un intérêt à agir au moins pour les contribuables de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères résidant au sein de la métropole de Lyon et du département du Rhône.

Modulation dans le temps des effets de la reconnaissance de droit - Article L. 77-12-3 du code de justice administrative

L’autorité absolue de la chose jugée dont sont revêtues les décisions juridictionnelles annulant les délibérations fixant la taxe d’enlèvement des ordures ménagères due au titre des années litigieuses 2016, 2017 et 2018, et celle de l’année 2015, privent de bases légales l’assujettissement à la taxe des contribuables de la métropole de Lyon pour les années litigieuses et s’oppose ainsi à toute modulation dans le temps des effets de la reconnaissance des droits reconnus par le présent jugement.

19-03-05-03, Taxe d'enlèvement des ordures ménagères, TEOM, L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales, L. 2333-76 du code général des collectivités territoriales, Article 1520 du code général des impôts, Article 1639 A du code général des impôts, Action en reconnaissance de droit, L. 77-12-1 du CJA, L. 77-12-3 du CJA,

Conclusions du rapporteur public

Marine Flechet

Rapporteur public au tribunal administratif de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6634

Les trois affaires qui viennent d’être appelées s’inscrivent dans le cadre de ce recours particulier qu’est l’action en reconnaissance de droit. Nouvel outil introduit par le législateur à la fin de l’année 2016, au moyen de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle et codifié aux articles L. 77-12-1 et suivants du code de justice administrative (CJA), cette action vise à obtenir du juge administratif une reconnaissance de principe de droits individuels résultant de l'application de la loi ou du règlement au profit d'un groupe indéterminé de personnes présentant un même intérêt. Ce type de recours peut avoir pour objet la reconnaissance d’un droit à décharge d'une somme d'argent illégalement réclamée telle qu’une taxe, les litiges fiscaux étant souvent source d'importants contentieux sériels2. Le législateur a défini votre office en précisant que le juge « détermine les conditions de droit et de fait auxquelles est subordonnée la reconnaissance des droits ». Vous vous trouvez ainsi dotés d'un fort pouvoir de décision, tant pour reconnaître le bien-fondé de l'action que pour définir le cercle de ses bénéficiaires, pouvoir qui n’est en réalité que la conséquence de la finalité de l'action : permettre une reconnaissance globale de droits au profit d'un groupe de personnes.

Par les trois actions qui vous sont soumises aujourd’hui, l’association des contribuables actifs du Lyonnais (CANOL) demande, après avoir vu ses recours préalables rejetés, à ce que soit reconnu le droit des contribuables de la métropole de Lyon à la décharge de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) au titre des années 2016, 2017 et 2018.

Notons à titre liminaire que la CANOL demande la reconnaissance du droit pour les contribuables à la décharge des impositions contestées mais également la reconnaissance du droit « à la restitution des sommes correspondantes ». Nous vous proposons de regarder cette dernière demande comme se confondant avec les conclusions relatives à la reconnaissance du droit à la décharge et de ne pas les viser comme un droit à reconnaitre à part entière, distinct du droit à décharge.

La métropole de Lyon oppose deux fins de non-recevoir.

Elle fait valoir, en premier lieu, que le président de la CANOL ne justifie pas d’un mandat pour agir, faute de produire l’avis préalable du conseil d’administration prévu par l’article 14 des statuts de l’association. Cet article prévoit que, « (…) avant d'entamer toute action en tant que demandeur, il [le président] devra préalablement recueillir l'avis favorable du conseil d'administration… ».

Dans l’affaire n° 1803391 relative à la TEOM au titre de l’année 2016, la CANOL a répliqué en versant aux débats le compte-rendu de la réunion du conseil d’administration du 12 octobre 2017 autorisant son président à introduire une action en reconnaissance de droit pour obtenir, au bénéfice des contribuables de la métropole de Lyon, la décharge de la taxe en litige. De même, dans l’affaire n° 1904685 relative à la TEOM au titre de l’année 2018, la CANOL produit le compte-rendu de la réunion du conseil d’administration du 7 novembre 2018 autorisant le président à introduire une action en reconnaissance de droit pour la taxe critiquée. Pour ces actions, la fin de non-recevoir ne tient donc pas.
En revanche, dans l’affaire n° 1803392 relative à la TEOM au titre de l’année 2017, cette autorisation n’est pas versée au dossier. Pour surmonter l’irrecevabilité de cette action prise isolément, nous vous proposons de joindre l’affaire avec celle relative à la taxe de l’année 2016 pour laquelle l’association a produit l’autorisation donnée au président par le conseil d’administration pour agir contre la taxe due au titre de l’année 2016 mais également celle relative à l’année 2017. Vous le savez, la règle d’étanchéité de l’instruction des affaires jointes, corolaire du principe de neutralité de la jonction3, connait certaines entorses validées par le Conseil d’Etat. Ce dernier a ainsi admis que vous importiez dans une instance une pièce extraite d’une autre instance jointe à la première, à la condition que le contradictoire soit respecté à l’égard du premier requérant (CE, 29 octobre 2012, n° 346641, aux Tables). Nous vous proposons de profiter de cette tolérance en faisant jouer dans l’affaire n° 1803392, au moyen d’une jonction, l’autorisation du conseil d’administration produite dans la seule affaire n° 1803391, les deux litiges opposant les deux mêmes parties. Si vous nous suivez, vous pourrez donc constater au sein d’une même décision de justice, que le président de la CANOL a été autorisé par le conseil d’administration à introduire l’action en reconnaissance de droit à décharge de la TEOM au titre de l’année 2017. La fin de non-recevoir ne tient donc pas plus dans ce troisième dossier.

La métropole de Lyon oppose, en second lieu, une fin de non-recevoir fondée sur l’article R. 77-12-6 du CJA, faisant valoir une inadéquation entre l’objet statutaire de l’association et le groupe de contribuables concernés par l’action en reconnaissance de droit.

Rappelons que l’action en reconnaissance de droits peut être introduite par les associations à la condition que leur objet statutaire comporte la défense de l’intérêt en cause dans le litige. En vertu de l’article L. 77-12-1 du CJA : « (…) Le groupe d'intérêt en faveur duquel l'action est présentée est caractérisée par l'identité de la situation juridique de ses membres. Il est nécessairement délimité par les personnes morales de droit public ou les organismes de droit privé chargés de la gestion d'un service public mis en cause. (…) ». L’article R. 77-12- 6 cité par la métropole prévoit que « L'action en reconnaissance de droits doit, à peine d'irrecevabilité, préciser dans le délai de recours les éléments de fait et de droit qui caractérisent le groupe d'intérêt en faveur duquel elle est présentée. (…) ». En l’espèce, l’objet statutaire de la CANOL comporte bien la défense de l’intérêt en cause dans le litige. En effet, l’article 2 des statuts de l’association précise que « La présente association a pour objet principal l'information, la défense et la promotion des contribuables habitant dans le département du Rhône ». S’emparant de ce texte, la métropole de Lyon explique l’inadéquation qu’elle relève en soulignant que l’association ne couvre pas, par son objet, un groupe présentant la même situation juridique dès lors que, alors que les statuts de la CANOL ne visent que les contribuables « habitant » le département du Rhône, les redevables de la TEOM en litige regroupe certes des contribuables résidant dans le périmètre de ce département mais également hors de celui-ci. Comme le souligne la CANOL, l’identité de la situation juridique des membres du groupe le composant réside en l’espèce dans le fait qu’ils sont tous contribuables assujettis à la TEOM sur le territoire de la métropole de Lyon. Si la rédaction de l’objet de l’association peut paraître maladroite en ce qu’il est mentionné « les contribuables habitant » dans le ressort de la métropole et du département du Rhône, l’effort à faire est minime pour comprendre que l’identité de situation juridique des membres du groupe concerné par l’action en reconnaissance de droit ne réside pas dans le fait qu’ils habitent sur ce territoire mais dans la circonstance qu’ils sont contribuables de la TEOM en raison d’un bien situé dans ce ressort. Et à cet égard, la métropole ne peut faire valoir que l’objet de la CANOL est trop large et insuffisamment précis, les éléments de faits et de droit caractérisant le groupe d’intérêt en faveur duquel l’action est présentée résultant de la qualité même de contribuable de la TEOM pour la métropole de Lyon. Nous vous proposons donc d’écarter la fin de non-recevoir.

Terminons les questions de recevabilité par un dernier point : l’intervention de la société HLM Immobilière Rhône-Alpes. Cette société s’associe aux conclusions de la CANOL dans les requêtes relatives à la TEOM des années 2017 et 2018. Si l’action en reconnaissance de droit constitue un recours de nature particulière, une telle intervention est permise en vertu de l’article R. 77-12-3 du CJA. Vous pourrez donc admettre l’intervention de la société HLM Immobilière Rhône-Alpes dès lors qu’elle est formée par mémoire distinct et que la société, redevable de la TEOM au sein de la métropole, justifie d’un intérêt suffisant au regard de la nature et de l’objet du litige.

Venons–en au fond.

La CANOL critique la légalité des délibérations du conseil métropolitain de Lyon approuvant les budgets primitifs 2016, 2017 et 2018 en soutenant que le produit attendu de la TEOM est manifestement excessif au regard du coût du service. Elle conteste également la légalité des délibérations fixant le taux de la TEOM pour ces mêmes années qu’elle estime, par voie de conséquence, trop élevé. Elle en déduit que ces délibérations étant illégales, la TEOM réclamée au titre des années 2016 à 2018 est dépourvue de base légale.

Le moyen tiré de l’exception d’illégalité de la délibération fixant le taux de la TEOM est bien opérant. En effet, la décision de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public fixant le taux d’une imposition locale a un caractère réglementaire et la mise en recouvrement de l’impôt en constitue une mesure d’application (cf. CE, 31 mars 2014, Min. c/ Sté Auchan France, n° 368111, 368123 et 368124 et, en matière de taxe professionnelle, CE, 26 juin 1989, Electricité de France n° 67977). Et le Conseil d’Etat a souligné, par sa décision Auchan France du 31 mars 2014 (préc.), que la TEOM n’a pas le caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées pour assurer l’enlèvement et le traitement des seules ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales. Ainsi, le produit de la taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant des dépenses exposées par l’établissement public pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales, tel qu'il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux.

Ce moyen est non pas seulement opérant mais fondé. Il est constant que les délibérations fixant le taux de cette taxe pour les années 2016, 2017 et 2018 ont été annulées par votre tribunal au motif que les taux adoptés aboutissent à des montants prévisionnels de recettes qui sont manifestement disproportionnés au regard des dépenses exposées pour assurer l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères et des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales et non couvertes par des recettes non fiscales. Ainsi, la délibération n° 2016-1014 du 21 mars 2016 fixant le taux de la TEOM pour l’année 2016 a été annulée par un jugement de votre tribunal n° 1603892 du 12 juillet 2018 confirmé par un arrêt de votre cour n° 18LY03504 du 25 juillet 2019. De même, les délibérations n° 2017-1896 du 10 avril 2017 et n° 2018-2560 du 22 janvier 2018 fixant les taux de la TEOM pour les années 2017 et 2018 ont été annulées par les décisions de votre tribunal n° 1703923 du 19 décembre 2019 et n° 1802064 du 17 septembre 2020.

Tentant de contrer ce moyen, les défendeurs se prévalent de l’absence de caractère définitif de ces décisions de justice. Le premier jugement a été confirmé en appel mais fait l’objet d’un pourvoi devant le Conseil d’Etat, le deuxième fait l’objet d’un appel encore pendant devant votre cour et l’absence de caractère définitif du troisième jugement rendu le 17 septembre dernier n’est pas opposé mais il est évident, le délai d’appel n’étant pas expiré.

Toutefois, en avançant de tels arguments, les défendeurs confondent autorité de la chose jugée et force de chose jugée. Vous le savez, une décision de justice est revêtue de l’autorité de la chose jugée alors même qu’elle n’est pas passée en force de chose jugée. La force de chose jugée renvoie au caractère définitif de la décision de justice du fait soit de l’expiration du délai d’appel, soit du rejet de l’appel (CE, 15 mars 2000, n° 189042). L’autorité de la chose jugée renvoie à la force obligatoire de la décision de justice de laquelle doivent être tirées toutes les conséquences. Les jugements rendus en premier ressort sont donc dotés dès leur prononcé de l’autorité de chose jugée et s’imposent, à tout le moins aux parties, y compris pendant le cours du délai d’appel (voyez sur ce point CE, 7 décembre 1979, n° 13765, Ministre de la Défense, concl. B. Genevois). En l’espèce, les décisions de justice que nous venons de citer ont prononcé l’annulation des délibérations dans le cadre de recours en excès de pouvoir et s’imposent ainsi universellement dans leur dispositif ainsi que le motif qui en est le soutien nécessaire, et ce alors même que les décisions de justice ne sont pas définitives. Par conséquent, vous êtes tenus de prendre acte de ces annulations et d’opposer, au besoin d’office (CE, 28 juillet 2000, commune de Port Vendres, n° 198318 ; CE, 6 janvier 1995, Assemblée territoriale de la Polynésie française,  152654), l’autorité absolue de la chose jugée par ces trois décisions annulant les délibérations dont la légalité est critiquée par la voie de l’exception. Il en résulte que ces délibérations fixant le taux de la TEOM pour la métropole de Lyon au titre des années 2016, 2017 et 2018, qui ont disparu de l’ordonnancement juridique, ne peuvent plus servir de base légale pour la mise en recouvrement de la taxe au titre de ces trois années. De fait, la demande de la métropole de Lyon tendant au sursis à statuer jusqu’à épuisement des voies de recours contre les décisions de justice que nous venons de citer ne peut qu’être rejetée.

Afin de sauver ces taxes, les défendeurs formulent alors une demande de substitution de base légale en sollicitant l’application des taux votés pour l’année immédiatement précédente ou, à défaut, de ceux votés pour les années antérieures.

Une telle demande de substitution de base légale est possible (CE, 26 juin 1996, SARL Rossi Frères,  148711), mais le Conseil d’Etat en a fixé les limites par une décision du 1er juillet 2019 (n° 427067) en précisant que le second alinéa du III de l'article 1639 A du code général des impôts en vertu duquel, à défaut de notification régulière, les impositions peuvent être recouvrées « selon les décisions de l’année précédente », n'autorise l'administration, au cas où la délibération d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale ne peut plus servir de fondement légal à l'imposition, à demander au juge de l'impôt la substitution que du seul taux fixé au titre de l'année immédiatement précédente4. Dans les affaires appelées aujourd’hui, vous ne pourrez faire droit à aucune des demandes de substitution de base légale. Conformément à la décision du Conseil d’Etat que nous venons d’exposer, vous ne pourrez pas accueillir la demande de substitution de base légale tendant à ce qu'il soit fait application, pour l'établissement de la taxe due au titre des années 2016, 2017 et 2018, des taux votés au titre des années antérieures à, respectivement, 2015, 2016 et 2017. Si les défendeurs peuvent en revanche demander, pour les années 2016, 2017 et 2018, l’application du taux fixé, respectivement pour les année 2015, 2016 et 2017 puisqu’il s’agit à chaque fois de l’année immédiatement précédente, c’est sous la condition que les délibérations ayant fixé les taux applicables en 2015, 2016 et 2017 soient légales. Or, nous venons d’indiquer que les délibérations fixant les taux pour 2016 et 2017 ont été annulées et vous pourrez constater que, comme le souligne la CANOL, la délibération n° 2015-0105 du 26 janvier 2015 fixant le taux de la TEOM pour l’année 2015 a été censurée par votre tribunal dans un jugement n° 1505337 du 3 octobre 2017, confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon n° 17LY04067 du 25 juillet 2019. L’ensemble des demandes de substitution de base légale doit donc être rejeté.

Si vous nous suivez, les taxes en litige sont donc dépourvues de base légale. Quelles en sont les conséquences ?

Les défendeurs demandent que le tribunal ne reconnaisse le droit qu’à une décharge partielle de la taxe correspondant à la fraction jugée excessive des taux litigieux. Ils font valoir qu’une décharge totale aboutirait à un enrichissement sans cause des contribuables impliquant une rupture d’égalité devant les charges publiques.

C’est en principe le caractère réel de l’imposition foncière qui justifie que le juge de l’impôt ne puisse prononcer la décharge de l’imposition et soit tenu de faire usage de ses pouvoirs d’instruction pour fixer lui-même les bases de l’imposition (CE, 24 octobre 2006, ministre de l’économie c/ SCI C. Investissement, n° 283241 ; CE, 19 nov. 2008, ministre c/ SNC Séquoia Lodge Associés, n° 305305). Mais la TEOM ne constituant pas une imposition réelle, le défaut de base légale implique, non pas seulement la réduction de la taxe en litige à concurrence d’un taux « proportionné », mais la décharge totale des impositions attaquées (CE, 24 octobre 2018, SAS L’Immobilière Groupe Casino, n° 413895). Dans le cadre de l’action en reconnaissance de droit, il conviendrait donc de reconnaitre le droit des contribuables à obtenir la décharge de la totalité de la TEOM acquittée au titre des années 2016, 2017 et 2018.

Cela nous amène à l’examen de l’enrichissement sans cause dont se prévalent les défendeurs pour faire obstacle à la reconnaissance d’un droit à décharge complète.

Selon une jurisprudence constante, l'administration est, en principe, tenue de restituer des taxes indûment perçues. Elle peut néanmoins s'opposer à cette restitution si elle établit que cette restitution entraînerait un enrichissement sans cause de la personne astreinte au paiement de ces taxes (CE, 19 juin 2013, société Bouygues Télécom, n° 358240, fiché en A sur ce point).

Certes, la TEOM doit être proportionnée au service rendu et n’a pas pour objet de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires de la collectivité ou de l’établissement public (CE, 19 mars 2018, SAS Cora, n° 402946). Vous pourriez alors estimer anormal que le contribuable, qui a effectivement bénéficié du service d’élimination des ordures ménagères, se retrouve à ne payer aucune somme en contrepartie de ce service, ce qui pourrait être assimilé à un enrichissement sans cause. Mais une telle position n’est juste qu’en présence de redevance pour service rendu, ce que n’est pas la TEOM qui reste une imposition de toute nature alors même qu’elle n’a pas pour objet de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires (CE, 8 mars 1978, n° 7278, T. p. 764). Il est de jurisprudence constante que la TEOM conserve le caractère d’un prélèvement fiscal en ce que l’exigibilité n’est pas subordonnée à l’utilisation effective du service d’enlèvement des ordures ménagères, la taxe étant due indépendamment de l’utilisation du service par le contribuable. Ainsi, tant la métropole de Lyon que l’Etat ne peuvent se prévaloir, pour invoquer un enrichissement sans cause, de la circonstance qu’une décharge impliquerait le bénéfice gratuit du service pour le contribuable (déjà jugé en ce sens, TA Lyon, 21 janvier 2020, n° 1905769). Pour les mêmes motifs, l'administration fiscale n’est pas fondée à faire valoir qu’une décharge totale des cotisations litigieuses induirait une rupture d’égalité devant les charges publiques au motif que les contribuables ont effectivement utilisé le service (TA Lyon, 9 juillet 2019, n° 1700946). Cette critique selon laquelle une décharge totale permet aux contribuables de bénéficier gratuitement du service d’enlèvement et de traitement des ordures ménagères sans en supporter les coûts fait plutôt écho aux exigences du principe pollueur-payeur. Mais aucune argumentation n’est présentée par les défendeurs sur le fondement du droit des déchets et vous ne pouvez d’office vous engager dans un tel débat.

Vous ne pourrez donc, à notre avis, que reconnaitre le droit à décharge de la TEOM. Si vous nous suivez, il vous appartiendra alors de délimiter, aussi précisément que possible, l'objet et le champ d'application de cette reconnaissance, en définissant les conditions de droit et de fait qui caractérisent la situation sur laquelle vous statuez et auxquelles seront attachés les effets d'autorité de chose jugée. En l’espèce, la situation est simple : tous les contribuables de la métropole de Lyon pourront demander la décharge de la TEOM au titre des années 2016 2017 et 2018.

Soucieux des enjeux financiers d’une telle reconnaissance, les défendeurs tentent d’en limiter la portée en vous demandant, à titre subsidiaire, en cas d’admission d’une reconnaissance de droit, de moduler les effets de cette reconnaissance.

Ils justifient cette demande par le caractère disproportionné des conséquences, notamment pour les finances publiques, de la reconnaissance d’un tel droit en raison du nombre considérable de contribuables, personnes physiques comme personnes morales, susceptibles de bénéficier de la décharge. Ils chiffrent ainsi les conséquences financières d’une telle reconnaissance à près de 400 millions d’euros pour l’Etat et 112 millions d’euros pour la Métropole, soit un coût total dépassant le demi-milliard d’euros. Dans son rapport sur le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle qui a donné naissance à l’action en reconnaissance de droit, le sénateur M. Yves Détraigne avait relevé ce risque pour les finances publiques. Il indiquait, s’agissant de ce type de recours permettant de traiter efficacement les contentieux sériels5, que « cette efficacité a un revers pour les finances de l'État, lorsque l'action aboutit à faire reconnaître une créance de l'ensemble des requérants contre l'État »6.

Conscient de l’ampleur des conséquences que pourraient revêtir certaines déclarations de droits et des problématiques en découlant en terme d’exécution des décisions de justice, le législateur a consacré la possibilité pour le juge de moduler dans le temps les effets de la déclaration de droit. Ainsi, l’article L. 77-12-3 prévoit que « S'il lui apparaît que la reconnaissance de ces droits emporte des conséquences manifestement excessives pour les divers intérêts publics ou privés en présence, il [le juge] peut déterminer les effets dans le temps de cette reconnaissance. ».
Cet outil constitue la transposition, dans le cadre de l’action en reconnaissance de droit, de la jurisprudence « association AC ! » (CE, Ass. 11 mai 2004, n° 255886-255892). Rappelons en effet que, par association AC ! , le juge s’est reconnu le pouvoir de déroger à l’effet rétroactif des annulations qui ont parfois un effet dévastateur. Ainsi, le juge a le choix entre deux modalités de modulation : soit une « annulation aux effets limités à l’avenir », soit une « annulation aux effets différés ». Le nouvel outil prévu par l’article L. 77-12-3 est tout à fait similaire et la volonté de transposer Association AC ! dans un article de loi est clairement affirmée au sein du rapport du groupe de travail remis au vice- président du Conseil d'État le 5 mai 20097, lequel comportait des préconisations dont l’essentiel a été repris par la loi finalement adoptée en 2016.

Nous n’avons trouvé aucun précédent faisant application de ce pouvoir de modulation prévu pour les actions en reconnaissance de droit. Il nous semble que, dans votre espèce, l’autorité de la chose jugée attachée à l’annulation des délibérations fixant le taux de la TEOM fait obstacle à toute application de ce nouveau dispositif.

Nous nous expliquons.

Si Association AC ! est transposée, ce n’est pas ici les effets dans le temps de l’annulation que le législateur permet de moduler par ce nouveau dispositif, mais les effets dans le temps de la déclaration de droits prononcée par le juge. Mais il nous semble que, lorsque la reconnaissance de droits résulte de l’annulation d’une décision ou du constat de son illégalité, la modulation des effets dans le temps de cette reconnaissance n’est possible qu’en modulant les effets de l’annulation ou du constat d’illégalité dont résulte le droit reconnu. Précisons à cet égard que, en expliquant dans ses conclusions sous association AC ! que « il nous semble qu’il [le pouvoir de modulation] doit couvrir l’ensemble du contentieux de l’annulation, aucune raison particulière ne paraissant justifier de le limiter au seul contentieux de l’excès de pouvoir », M. Devys alors commissaire du gouvernement a tout de même implicitement indiqué que cette modulation ne peut concerner que les contentieux dans lesquels sont en cause la légalité d’acte administratif dont l’annulation est susceptible d’être prononcée. Dans votre espèce, bien qu’il s’agisse d’un contentieux fiscal, la reconnaissance du droit tend à la décharge d’une somme illégalement réclamée car fondée sur des délibérations fixant le taux de TEOM illégales. En cela, les trois affaires entrent bien dans le champ du pouvoir de modulation. C’est d’ailleurs en critiquant le caractère rétroactif des annulations de ces délibérations que l’administration fiscale se prévaut de la nécessité de moduler dans le temps les effets de la reconnaissance du droit à décharge.
Mais dans les trois affaires qui vous sont soumises, vous ne statuez pas directement sur la légalité des délibérations fixant le taux de la TEOM et ne pouvez que tirer les conséquences des annulations prononcées par les précédents jugements revêtus de l’autorité absolue de la chose jugée. Ces décisions de justice ne modulent pas les effets dans le temps de ces délibérations qui, en conséquence, ont rétroactivement disparu de l’ordonnancement juridique. Il vous est dès lors impossible, nous semble-t-il, de moduler dans le temps la reconnaissance du droit à décharge résultant de ces annulations pures et simples, sauf à maintenir sur une période définie, une taxe qui serait en revanche dépourvue de base légale. En effet, si vous optiez pour la modulation, le recouvrement de la taxe ne serait fondé sur aucun acte ni, en conséquence, sur aucun taux. Il reposerait sur une sorte de vide juridique peu satisfaisant8. Nous vous proposons donc de rejeter cette demande de modulation en opposant l’autorité absolue de la jugée des décisions de justice annulant sans aucune modulation les délibérations fixant le taux des TEOM en litige.

Au-delà de ces considérations relatives à l’autorité absolue de la chose jugée, nous ajouterons que la modulation réclamée par l’administration fiscale aurait pour effet, si elle était accordée, de vider l’action en reconnaissance de droit de tout effet utile. Juger définitifs les effets des délibérations fixant le taux de la TEOM antérieurs aux décisions de justice prononçant l’annulation desdites délibérations impliquerait de refuser en totalité le droit à décharge puisque toutes ces décisions de justice sont postérieures au 31 décembre de l’année concernée par les TEOM en litige. Une telle modulation conduirait, en pratique, à vider de sa substance l’action en reconnaissance de droit à décharge de taxes pourtant illégales.

Vous l’aurez compris, en dépit des conséquences financières non négligeables impliquées par la reconnaissance du droit à décharge que nous vous proposons, nous ne sommes pas favorables à une modulation dans le temps des effets de cette reconnaissance.

Par ces motifs, nous concluons à l’admission de l’intervention de la société d’HLM Immobilière Rhône- Alpes au sein des actions relatives aux TEOM 2017 et 2018 et à la reconnaissance, pour les contribuables de la métropole de Lyon, du droit de bénéficier de la décharge du montant de la TEOM due au titre des années 2016, 2017 et 2018.

Notes

1 Article 93 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

2 En première lecture, l’Assemblée nationale a, avec l’avis favorable du Gouvernement, précisé le champ de l’action en reconnaissance de droits, afin d’éviter toute confusion avec l’action de groupe devant le juge administratif.

3 La jonction ne reste en effet qu’une faculté pour le juge (CE, sect., 23 oct. 2015, Ministre du budget c/ M.X, n° 370251, au Recueil), n’entraine pas la fusion des instances et est supposée rester sans « influence sur le sens des décisions à prendre sur chacune » des requêtes (CE, 28 janv. 1987, Comité de défense des espaces verts, n° 39145 inédite ; CE, 27 juillet 2005, n° 228554)

4 Cette position est fidèle à l’intention du législateur dès lors que, comme le souligne M. Victor dans ses conclusions sous CE, n° 427067, l’article 1639 A a été « conçu pour pallier les conséquences d’une erreur résultant de ce qu’une collectivité ou un groupement aurait omis de notifier dans les délais ses décisions en matière de taux ou de produits d’impositions directes locales à la préfecture. Or il est évidemment peu probable qu’une collectivité ou un groupement manque plusieurs années de suite à cette obligation. ». Sur ce point, le rapporteur public au CE relève d’ailleurs que la machine à remonter le temps par l’application d’un taux qui aurait été voté plusieurs années avant a ses limites, l’appréciation de la légalité de la délibération étant notamment fonction du produit escompté de la TEOM résultant du taux voté et du montant des dépenses d’enlèvement et de traitement des déchets des ménages.

5 La représentante du Conseil d'État, Mme Dominique Kimmerlin, a estimé que si l'on pouvait se féliciter de la création d'une action de groupe en matière administrative, on pouvait regretter que ne soit pas créée, en même temps, une action en reconnaissance de droits qui permettrait à la juridiction administrative de traiter plus efficacement les contentieux sériels

6 Rapport n° 121 (2015-2016) de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois au sénat, déposé le 28 octobre 2015, p. 122

7 « Il était ainsi déjà expliqué que « L’action collective, précisément parce qu’elle est susceptible d’avoir des conséquences sérielles, devrait logiquement devenir un terrain d’élection pour une modulation dans le temps des effets de la décision juridictionnelle. Ainsi, pour transposer les termes de l’arrêt Association AC! et autres, il appartiendrait au juge de l’action collective d’apprécier si la rétroactivité de la déclaration de droit qu’il serait amené à prononcer « pour les divers intérêts publics ou privés en présence » comparées aux « inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets(de cette déclaration) » pourraient justifier « qu'il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif(de cette déclaration contentieuse) » et le conduire à en préciser les effets dans le temps. Même s’il est conscient de la difficulté de transposer en droit positif des solutions jurisprudentielles, le groupe de travail estime qu’il serait utile que les textes relatifs à l’action collective prévoient explicitement cette possibilité pour le juge », Philippe Bélaval, Laurence Helmlinger, Patrick Mindu, Anne Courreges, Alain Levasseur, Yves Strickler, « L’action collective en droit administratif », https://hal.archives- ouvertes.fr

8 Le raisonnement que nous vous proposons n’entre pas en contradiction avec le principe selon lequel « l’annulation d’un acte réglementaire reste sans effet sur les décisions individuelles créatrices de droit prises sur le fondement de cet acte et devenues définitives, faute d’avoir été contestées dans le délai de recours contentieux » (CE, 3 décembre 1954, p. 640 ; G. Braibant, Remarques sur l’efficacité des annulations pour excès de pouvoir, études et documents du Conseil d’Etat 1961, p. 53). Il n’entre pas non plus en contradiction avec la jurisprudence constante selon laquelle, par exemple, l’annulation d’un concours de recrutement est sans incidence sur les nominations intervenues à l’issue de ce concours, dès lors que celles-ci n’avaient pas elles- mêmes fait l’objet d’un recours contentieux (section, 10 octobre 1997, p. 346, concl. V. Pecresse, chron. D. Chauvaux et Th. X. Girardot, AJDA 1997, p. 952). Dans ces hypothèses, les décisions individuelles devenues définitives existent bien.

Droits d'auteur

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Action en reconnaissance de droits et TEOM : la “taxe-poubelle” à la décharge

Cédric Meurant

Maître de conférences en droit public, Université Jean Moulin Lyon 3, Équipe de droit public de Lyon (EA 666), Institut d’études administratives

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DOI : 10.35562/alyoda.6635

Ces jugements, qui reconnaissent aux contribuables de la Métropole de Lyon résidant dans le département du Rhône le droit d’être déchargés totalement du montant de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) mise à leur charge au titre des années 2016, 2017 et 2018, sont parmi les premières décisions à donner gain de cause à une action en reconnaissance de droits. Ils apportent donc des précisions inédites sur ce jeune recours tout en rappelant les spécificités de l’office du juge administratif de la fiscalité locale.

Par deux jugements du 26 octobre 2020, le tribunal administratif de Lyon a reconnu aux contribuables de la Métropole de Lyon le droit d’être déchargés totalement du montant de la TEOM mise à leur charge au titre des années 2016, 2017 et 2018. Ces décisions, dont la motivation est particulièrement riche, retiennent l’attention pour au moins trois raisons. D’abord, eu égard aux lourds enjeux financiers que la presse a soulignés : une centaine de millions d’euros sont en jeu. Ensuite, parce qu’elles rappellent la spécificité de l’office du juge administratif de la fiscalité locale. Enfin et surtout, parce qu’elles sont parmi les premières décisions à donner intégralement raison à une action en reconnaissance de droits (après – déjà – un jugement du TA de Lyon : 11 déc. 2019, n° 1809258, Synd. SNUDI-FO. D’autres actions ont permis d’obtenir une satisfaction partielle. V. à cet égard le tableau que le Conseil d’État tient en application de l’art. R. 77-12-11 CJA), elles apportent en conséquence d’utiles précisions sur ce jeune et mystérieux recours.

En effet, après avoir obtenu à plusieurs reprises l’annulation des taux de TEOM fixés par la Métropole (V. infra), l’association des contribuables actifs du Lyonnais (CANOL), véritable « requérant d’habitude » (F. Lemaire, RFDA 2004, p. 554) local (elle revendique sur son site internet 51 actions en justice), décida de demander au nom des contribuables concernés la décharge de ces taxes au titre des années 2016, 2017 et 2018. Pour ce faire, elle mobilisa l’une des deux actions collectives administratives créées par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle (art. 93 de la loi n° 2016-1547, JO n° 0269 du 19 nov. 2016, texte n° 19) sur la suggestion du Conseil d’État (O. Mamoudy, « L’action en reconnaissance de droits », AJDA 2016, p. 2264) suivant le modèle esquissé par un groupe de travail interne installé en son sein (P. Bélaval (dir.), L’action collective en droit administratif, 2009, 44 p.) : l’action en reconnaissance de droits. Celle-ci autorise une association déclarée ou un syndicat constitué à « déposer une requête tendant à la reconnaissance de droits individuels résultant de l'application de la loi ou du règlement en faveur d'un groupe indéterminé de personnes ayant le même intérêt ». Mais sa finalité demeure limitée, notamment par rapport à l’action administrative de groupe, puisqu’elle ne peut tendre qu’au versement ou à la décharge d’une somme d’argent sans solliciter la reconnaissance d’un préjudice (L. 77-12-1 CJA) . Il reste que ce recours permet au juge administratif d’optimiser le traitement des contentieux « sériels », qui se caractérisent par la contestation de décisions individuelles similaires par une multitude de requérants dans une même situation juridique, en rendant une décision unique qui s’appliquera à ces derniers. Il facilite en outre l’accès au prétoire puisqu’il autorise un groupement à agir en lieu et place de justiciables qui n’auraient autrement peut-être pas osé faire valoir leurs droits devant un juge. Mais ce recours déroge au grand arrêt Syndicat des patrons-coiffeurs de Limoges (CE, 28 déc. 1906, n° 025521, Lebon p. 977, GAJA, n° 016) puisqu’il « est déposé alors même qu’aucune autorisation à agir n’a été accordée par les personnes concernées, qui d’ailleurs ignorent parfois qu’un recours est exercé » (C. Broyelle, Contentieux administratif, 8e éd., LGDJ, 2020, p. 106) . L’action en reconnaissance de droits permet ainsi de plaider par procureur. La CANOL endossa justement ce costume en demandant à l’État de reconnaître aux contribuables du département du Rhône et de la Métropole de Lyon le droit d’être déchargés de la TEOM mise à leur charge au titre des années litigieuses. L’administration étant restée silencieuse pendant plus de quatre mois (R. 77-12-4 CJA), ces demandes furent implicitement rejetées. Par conséquent, la CANOL introduisit trois actions en reconnaissance de droits devant le tribunal administratif de Lyon.

L’appréciation souple de la recevabilité.

En premier lieu, celui-ci dut s’interroger sur leur recevabilité et livra ainsi les premières précisions jurisprudentielles sur ce sujet. Refusant une appréciation trop sévère susceptible de tuer dans l’œuf ce nouveau recours, le juge procéda au contraire à un examen bienveillant de ces conditions. Ainsi, après avoir classiquement constaté la régularisation en cours d’instance des requêtes par la production de l’autorisation du président de la CANOL d’ester en justice (par ex. : CE, 16 janv. 1998, n° 153558, Assoc. aux amis des vieilles pierres d’Aiglemont, Lebon T. p. 1081), le tribunal analysa l’intérêt à agir de cette association qui, enserré par la loi, présentait deux particularités dont le juge administratif précisa pour la première fois l’articulation. D’abord, la CANOL devait représenter un groupe de personnes qui avait le même intérêt et qui se caractérisait par « l'identité de la situation juridique de ses membres ». Elle devait le « délimiter » dans sa requête par une motivation spécifique (R. 77-12-6 CJA) . Ensuite, l’objet statutaire de ce groupement devait comporter la défense de l’intérêt en cause (sur ces éléments : L. 77-12-1 CJA) . En l’espèce, la CANOL précisa dans sa requête que le groupe d’intérêt défendu comprenait les contribuables du département du Rhône et de la Métropole de Lyon assujettis à la TEOM. Mais son objet social ne l’autorisait à agir que pour défendre les intérêts des contribuables « habitant » le département du Rhône. Or, et ainsi que les défendeurs l’avaient à juste titre souligné, les contribuables assujettis à la TEOM métropolitaine pouvaient, compte tenu des règles d’assiette de cette imposition, résider à l’extérieur de ce département. Il en résultait une discordance entre le groupe d’intérêt défendu et l’intérêt social de la CANOL. Le tribunal devait dès lors déterminer si cette association pouvait tout de même agir en faveur de la seule partie du groupe de personnes résidant dans le département du Rhône. Une lecture stricte de la condition législative d’ « identité de la situation juridique des membres du groupe d’intérêt » (2ème al. L. 77-12-1 CJA) pouvait laisser augurer une réponse négative. Mais pareille interprétation avait pour effet pervers d’empêcher nombre d’associations et syndicats déjà existants d’exercer cette action en reconnaissance de droits. Il faudrait effectivement alors créer des groupements ad hoc dont l’objet social coïnciderait précisément avec le cercle de personnes susceptibles d’être concernées. Le tribunal administratif de Lyon ne s’engagea pas dans cette voie en jugeant que « la CANOL justifie d’un intérêt à agir au moins pour les contribuables de la TEOM résidant au sein de la Métropole de Lyon et du département du Rhône sans qu’il soit nécessaire que son intérêt à agir se confonde avec celui de tout le groupe d’intérêt pour lequel l’action est présentée » (§. 7 ; §. 6) . Cette approche souple est remarquable : elle favorise l’exercice de l’action en reconnaissance de droits.

En outre, le juge tira les conséquences du groupe d’intérêt défini par la CANOL en informant l’auteur d’une requête individuelle tendant à la décharge de la TEOM qu’il était susceptible de relever de ce cercle et qu’il pouvait par conséquent soutenir l’action en reconnaissance de droits en introduisant une intervention, ce qu’il fît. Il se désista alors peut-être de son recours individuel (R. 77-12-3 CJA).

La reconnaissance logique des droits individuels.

En second lieu, le tribunal administratif lyonnais dut déterminer si les contribuables du département du Rhône avaient un droit individuel à la décharge de la TEOM au titre des années 2016, 2017 et 2018. La CANOL avait excipé de l’illégalité des délibérations métropolitaines votant les taux de ces taxes pour les années litigieuses. Ce moyen, usuel dans le contentieux fiscal de l’assiette (CE, 26 juin 1989, n° 67977, EDF, Lebon T. p. 559), fut logiquement admis pour les actions en reconnaissance de droits. L’appréciation de la légalité de ces délibérations s’inscrivait dans le sillage des nombreux arrêts rendus depuis quelques années dans le contentieux fleuve de la TEOM et qui interrogent la notion même de taxe. En effet, si la TEOM « n’est pas une redevance » (§. 19 ; §. 16) puisqu’elle ne constitue pas la contrepartie de l’utilisation du service public de l’enlèvement des ordures ménagères, son produit est, par dérogation au principe budgétaire de non-affectation des recettes aux dépenses, destiné à financer les seules dépenses de ce service (1520 I CGI ; v. aussi : C. Testard, « Affectation du produit d’une taxe. Vingt fois sur le métier… », Revue ALYODA 2021, n° 01) . Mais nombre de collectivités ont succombé à la tentation d’abonder les autres dépenses budgétaires en votant des taux de TEOM déconnectés du coût du service public que cette taxe facultative doit financer. Pour mettre fin à ces dérives, le Conseil d’État estima que le produit et le taux de la TEOM ne devaient pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant des dépenses liées au service public (CE, 31 mars 2014, n° 368111, Sté Auchan, Lebon T. p. 662. V. aussi pour la taxe d’aménagement : CE, 9 nov. 2020, n° 438285, SCI V2J Promotion, au Lebon T.) . À cet effet, le juge peut mobiliser ses pouvoirs d’instruction pour vérifier l’exagération du taux (CE, 1er juill. 2020, n° 424288, Sté L’immobilière Casino, au Lebon T.). Or, les délibérations métropolitaines adoptant les taux de la TEOM pour les exercices fiscaux 2016 (TA Lyon, 12 juill. 2018, n° 01603892 ; CAA Lyon, 25 juill. 2019, n° 18LY03504), 2017 (TA Lyon, 19 déc. 2019, n° 01703923) et 2018 (TA Lyon, 17 sept. 2020, n° 01802064) furent justement annulées pour excès de pouvoir et revêtues en conséquence de l’autorité absolue de la chose jugée (CE, 22 mars 1961, n° 051333, Sieur Simonet, Lebon p. 211), malgré les voies de recours exercées contre elles. Dès lors, les membres du groupe d’intérêt avaient logiquement droit à la décharge de la TEOM pour ces années litigieuses.

Toutefois, l’administration pouvait encore éviter cette décharge en sollicitant du juge une substitution du taux annulé par celui voté l’année précédente (1639 A III CGI) . Le juge ne peut ni procéder d’office à cette substitution de base légale (CE, 26 juin 1996, n° 148711, SARL Rossi Frères, Lebon p. 249), ni fixer les taux applicables (TA Lyon, 3 oct. 2017, n° 1505337, CANOL, Revue ALYODA 2018, n° 1). Ce mécanisme fonctionne même lorsque le juge, saisi d’une exception d’illégalité, se borne à déclarer irrégulière la délibération (CE, 1er juill. 2019, n° 427067, Sté Auchan, Lebon p. 674) sans la faire disparaître de l’ordonnancement juridique (la solution est différente pour les redevances : CE, sect., 28 avril 2014, n° 357090, Mme A. et autres, Lebon p. 96) . Mais le Conseil d’État a resserré cette possibilité en précisant que seul le taux voté « au titre de l’année immédiatement précédente » (CE, 1er juill. 2019, n° 427067, Sté Auchan, préc.) pouvait remplacer le taux annulé, rappelant ainsi utilement que la sécurité juridique de l’action administrative n’est pas sa seule boussole jurisprudentielle. Cela limite considérablement les marges de manœuvre de l’administration, ainsi que l’illustre l’espèce. En effet, les taux de la TEOM métropolitaine ont été annulés en cascade ces dernières années. Dès lors, le taux 2016 ne pouvait pas être remplacé par le taux 2015 qui avait lui-même été annulé (TA Lyon, 3 oct. 2017, n° 01505337 ; CAA Lyon, 25 juill. 2019, n° 17LY04067), de même que les taux 2016 et 2017 ne pouvaient se substituer respectivement aux taux 2017 et 2018 puisqu’ils avaient eux-mêmes été frappés d’illégalité.

Le juge n’avait plus qu’à tirer les conséquences de ces irrégularités. Deux séries de difficultés devaient encore être tranchées.

Premièrement, le tribunal administratif de Lyon devait déterminer s’il accordait la décharge totale ou seulement partielle des TEOM litigieuses. L’illégalité du taux de TEOM entraîne en principe la décharge totale de cette taxe (CE, 24 oct. 2018, n° 413895, SAS Casino, Lebon p. 650) . Mais une décharge partielle limitée à la seule part de la taxe excédant les dépenses du service public de l’enlèvement des ordures ménagères était également envisageable. En effet, le Conseil d’État a curieusement transposé au contentieux objectif de l’assiette la théorie subjective de l’enrichissement sans cause lorsque l’administration établit que le remboursement de la taxe dépasse le préjudice subi par contribuable (CE, 15 juill. 2004, n° 264494, Min. de l’économie, des finances et de l’industrie, Lebon p. 341 ; CE, 19 juin 2013, n° 358240, Sté Bouygues Télécom, Lebon p. 528) . Mais ce quasi-contrat est difficilement applicable à la TEOM compte tenu de la dualité de son assiette. Certes, les contribuables qui vont obtenir une restitution intégrale de la taxe pour les années litigieuses tout en ayant bénéficié comme usager de l’enlèvement des ordures ménagères vont évidemment s’enrichir : leurs déchets auront été gratuitement débarrassés. Mais la TEOM « porte [en principe] sur toutes les propriétés soumises à la taxe foncière sur les propriétés bâties » (1521 I CGI) et les propriétaires en sont généralement redevables (1523 CGI) . Ils peuvent évidemment récupérer la TEOM sur leurs locataires : BOI-IF-AUT-90-10, n° 270), même si ce n’est pas leur résidence principale qui y est assujettie. Dans cette hypothèse, ils ont alors à acquitter la TEOM sans directement bénéficier du service public de l’enlèvement des ordures ménagères. Le remboursement de la taxe sera alors neutre pour ces contribuables qui ne s’enrichiront pas ainsi. Par conséquent, le tribunal écarta ce moyen d’un motif lapidaire. Il réserva le même sort, pour les mêmes raisons, au moyen tiré de ce qu’une décharge totale pouvait générer une rupture d’égalité devant les charges publiques en permettant à des contribuables de bénéficier gratuitement du service.

Deuxièmement, le tribunal devait s’interroger sur l’opportunité de moduler dans le temps les effets de la reconnaissance de droits. Si la jurisprudence a ouvert cette possibilité au juge de l’excès de pouvoir (CE, ass., 11 mai 2004, n° 255886, Assoc. AC ! et autres, Lebon p. 197 ; GAJA n° 103), le législateur a codifié ce pouvoir propre s’agissant des seules actions en reconnaissance de droits (L. 77-12-3 CJA). Le juge doit alors procéder à un bilan des intérêts publics et privés en présence. En l’espèce, la Métropole faisait valoir les lourdes conséquences du jugement pour les finances publiques locales. Pourtant, c’est l’État qui, en sa qualité de « fermier général » de la Métropole, devait rembourser les contribuables (M. Bouvier, M.-C. Esclassan, J.-P. Lassale, Finances publiques, 11e éd., LGDJ, 2012, p. 937. Il est d’ailleurs la seule partie défenderesse à l’instance susceptible en cette qualité d’interjeter appel : CE, ass., 20 déc. 1985, n° 038801, Ville de Paris, Lebon p. 386) . L’État n’était pourtant pas à l’origine des illégalités en cause même si le préfet s’était abstenu de déférer les délibérations litigieuses. Mais les conséquences pour les finances publiques ne justifient pas à elles seules une modulation (CE, ass., 11 mai 2004, n° 255886, Assoc. AC ! et autres, préc.) . En outre, et surtout, les délibérations fixant les taux litigieux avaient auparavant été annulées : la modulation de la reconnaissance du droit à la décharge revenait ainsi à moduler les effets d’annulations juridictionnelles antérieures et à méconnaître l’autorité de la chose jugée (M. Flechet, concl. sur ces jugements) . Dès lors, le tribunal refusa logiquement cette modulation après avoir constaté que rien ne la fondait.

Les incertitudes du droit au remboursement.

Le juge fit donc intégralement droit aux conclusions de la CANOL. Cependant, il reste aujourd’hui la délicate question de l’exécution de ces deux jugements seulement « déclaratoires » (P. Bélaval, Rapport préc., p. 15) : le remboursement aux contribuables des TEOM en cause. Les décisions sont assez laconiques sur ce point alors qu’elles devraient explicitement fixer « les conditions de droit et de fait auxquelles est subordonnée la reconnaissance des droits » (L. 77-12-3 CJA) . Mais il résulte de ce qui précède que seuls les contribuables de la Métropole de Lyon assujettis à la TEOM au titre des années 2016, 2017 et 2018 et résidant dans le département du Rhône pourront obtenir le remboursement des sommes litigieuses. Intervenant après une décision juridictionnelle, cette restitution pourrait donner lieu au paiement des intérêts moratoires (L. 208 LPF) même si le caractère inédit de la procédure laisse ici planer une incertitude. Au préalable, les jugements commentés devront passer en force de chose jugée (L. 77-12-2 CJA), c’est-à-dire, puisqu’ils ne sont pas rendus en dernier ressort (CE, ass., 27 oct. 1995, n° 150703, M. Lebon p. 359), qu’ils soient devenus définitifs à l’expiration du délai d’appel (CE, 7 juin 1995, n° 133004, V., Lebon p. 231) de deux mois.

Puis, alors même que les contribuables ont normalement plaidé par l’intermédiaire de la CANOL, ils devront adresser une « demande d’exécution individuelle » (R. 77-12-13 CJA) écrite à la Direction régionale des Finances publiques (DRFiP) Auvergne-Rhône-Alpes et département du Rhône. En effet, l’action en reconnaissance de droits ne va malheureusement pas jusqu’à permettre à un groupement d’obtenir lui-même l’exécution des jugements : chaque membre du groupe d’intérêt représenté doit solliciter individuellement l’administration. Nul doute que nombre de contribuables concernés en l’espèce ne se manifesteront pas, soit qu’ils ne connaissent pas la marche à suivre, soit qu’ils ne sont pas au courant de leurs droits. L’exécution réelle de ces décisions de justice posera alors problème, l’action en reconnaissance de droits s’achevant par un « non-recours » aux droits.

Il n’en demeure pas moins que les contribuables diligents qui solliciteront le remboursement des taxes litigieuses devront joindre à leur courrier les différents justificatifs établissant leur assujettissement à la TEOM pour les années litigieuses ainsi qu’une copie des jugements commentés. Si l’État ne procède pas aux remboursements, un dispositif d’exécution des jugements est prévu par les textes (L. 77-12-5 CJA ; R. 77-12-14 et s. CJA) . Autant d’informations que les contribuables de la Métropole de Lyon (ainsi que de celle du Grand Nancy qui vient aussi de voir son taux 2018 de TEOM annulé dans le cadre d’une action en déclaration de droits : T.A. Nancy, 23 déc. 2020, n° 2001015) devront peut-être garder en tête pour les prochaines années : la CANOL a introduit en juillet 2020 une nouvelle action tendant à leur reconnaître le droit d’être déchargés du montant de la TEOM mis à leur charge au titre de l’année 2019. Preuve que l’action en reconnaissance de droits est en train de trouver son public…

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