La chasse au loup, autrefois considérée comme un loisir nobiliaire, connaît aujourd’hui d’importantes restrictions. Le loup bénéficie d’une protection juridique, tant au niveau du droit international (Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, 1979) que du droit de l’Union européenne (Directive du Conseil 92/43/CEE du 21 mai 1992 relative à la conservation des habitats naturels dite " Habitats") . Le législateur français s’est inspiré de ces mesures en créant les articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement qui interdisent notamment la destruction du loup. Néanmoins, l’État, garant de la protection de l’ordre public, doit concilier deux enjeux : la protection de la biodiversité et la sécurité publique. Par conséquent, des dérogations sont consacrées par les règles de droit précitées et autorisent ainsi l’abattage des loups. Comme toute espèce protégée, « si les conditions prévues pour les exceptions au principe sont réunies, sa destruction est légale » (J.-M. Pontier, « L’Homme est-il un loup pour le loup ? », AJDA 2005, p. 1398).
L’arrêt rendu le 17 décembre 2019 par la Cour administrative d’appel de Lyon concerne précisément un arrêté préfectoral du 10 septembre 2015, autorisant l’abattage de six loups dans les zones dites de Belledonne, de Maurienne et du Thabor pour protéger les troupeaux domestiques. Des associations de défense de l’environnement sollicitèrent son annulation devant le Tribunal administratif de Grenoble qui, par un jugement du 12 octobre 2017 leur donna raison (T.A. de Grenoble, 12 oct. 2017, n°s 1505686 e. a). Le ministre de la transition écologique et solidaire interjeta appel devant la Cour administrative d’appel de Lyon qui confirme le jugement, après avoir contrôlé la nécessité de la mesure.
En effet, les mesures de police administrative ne sont légales que si elles sont nécessaires, adéquates et proportionnées aux circonstances de fait. Conformément à la jurisprudence Benjamin (C.E., 19 mai 1933, n° 17413 e. a., Lebon p. 541, GAJA, n° 042), la nécessité de la mesure de police s’apprécie au cas par cas. Afin de déroger à l’interdiction de destruction des loups, les mesures de police auraient dû respecter les conditions fixées par les textes, et plus précisément par l’arrêté interministériel du 30 juin 2015 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) , alors en vigueur. Tout d’abord, il fallait démonter que les loups avaient causé des dommages importants et récurrents dans les élevages. Ensuite, il fallait qu’aucune solution alternative à la destruction des loups ne soit praticable comme, par exemple, « leur effarouchent ou leur détournement vers des territoires moins sensibles », ou encore le « gardiennage ou le regroupement nocturne » des troupeaux (C.E., 20 avril 2005, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 261706, Lebon T. p. 974) . Or, en l’espèce, si des tirs de défense et de prélèvement ont été ordonnés dans les zones de Belledonne, de Maurienne et du Thabor, aucun dommage « important et récurrent » n’a été recensé. Par conséquent, la cour, donnant raison aux associations requérantes, a estimé que l’arrêté ordonnant l’abattage des loups n’était pas justifié. En effet, la destruction d’une espèce protégée constitue une mesure ultime, auquel on ne peut avoir recours qu’en l’absence d’autre solution.
L’arrêté du 30 juin 2015 a été partiellement annulé par le Conseil d’État le 14 juin 2017 (C.E., 14 juin 2017, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 393045, inédit) avant d’être intégralement abrogé par l'arrêté du 19 février 2018 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) . L’arrêté du 19 février 2018 fixe le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée chaque année et les conditions dans lesquelles les dérogations précitées peuvent être accordées. L’apport de ces nouveaux arrêtés se trouve dans le seuil d’abattage accordé. Il fixe le taux annuel de destruction des loups à 10% et prévoit une hausse de 2% en cas de nécessité. Plusieurs associations de défense de l’environnement avaient demandé l’annulation de cet arrêté prétextant au contraire que ces taux étaient excessivement élevés et menaçaient de ce fait la viabilité des loups. Toutefois, le Conseil d’État a validé ces seuils en estimant qu’ils ne représentaient pas un danger pour la viabilité de l’espèce (C.E., 18 déc. 2019, Association pour la protection des animaux sauvages e. a., n°s 419897 e. a., au Lebon T.).
Un nouvel arrêté du 26 juillet 2019 portant expérimentation de diverses dispositions en matière de dérogations aux interdictions de destruction pouvant être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) fixe les seuils d’abattage à 17% voire 19% en cas de nécessité. Par ailleurs, un arrêté du 30 décembre 2019 a étendu l’expérimentation jusqu’au 31 décembre 2020 (arrêté du 30 décembre 2019 portant expérimentation de diverses dispositions en matière de dérogations aux interdictions de destruction pouvant être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) ). Cet arrêté prévoit les mêmes seuils d’abattage que le précédent. Le Conseil d’État a de nouveau estimé que ces taux ne mettaient pas en danger la viabilité de l’espèce (C.E, 6 fév. 2020, Association pour la protection des animaux sauvages e. a. n° 0437651, inédit) . Si la sécurité l’emporte ici, nul doute que le respect de la biodiversité est altéré. Là-dessus, le loup est condamné, sans autre forme de procès.