L’articulation du report en arrière d’un déficit avec le régime d’intégration fiscale est parfois délicate, comme l’illustre cet arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon en date du 29 mars 2018.
En matière d’impôt sur les sociétés une option à deux branches s’offre à une société ayant constaté un déficit sur un exercice donné. Le principe, applicable en vertu de l’article 209 du Code général des impôts (CGI), est le report de ce déficit sur les bénéfices qui seront constatés dans les exercices à venir, il s’agit du mécanisme du report en avant des déficits. Mais la seconde branche de l’option ouverte à toute société individuelle ou tout membre d’un groupe de sociétés pour utiliser son résultat déficitaire permet le report en arrière de celui-ci, ou carry back selon l’expression anglaise. Cette « rétro-imputation » est la transposition en France d’un système largement partagé par les grands États industriels (Ex. les États Unis, V. Par ex. Martin Feldstein, The Effects of Taxation on Capital Accumulation, A.J. Auerbach, J.M. Poterba Chap. 10 : Tax-Loss Carryforwards and Corporate Tax Incentives, éd. UCP, 1987, ou M. Cooper, M. Knittel, Partial Loss Refundability: How are Corporate Tax Losses Used? National Tax Journal, Vol. 59 no. 3, pp. 651-663; Ex. Allemagne et Royaume Uni, I. Bethmann, M. Jacob, M. A. Muller, Asymmetric Treatment of Tax Losses and Corporate Investment, FAccT Center Working Paper Nr. 20/2016). Cette imputation du déficit sur un bénéfice passé fait apparaitre une créance de la société sur l’État qu’elle va pouvoir utiliser au cours des années suivantes pour payer son impôt sur les sociétés. Quant au régime d’intégration fiscale, il est apparu en France en 1988 avec la création des articles 223 A et suivants du CGI. Ce régime est applicable sur option pour une durée de 5 ans renouvelable par tacite reconduction et dénonçable tous les ans. En cas d’option pour le régime d’intégration fiscale la société tête de groupe devient seule redevable de l’impôt sur les sociétés pour l’ensemble des sociétés du groupe. L’impôt est dû sur le résultat d’ensemble du groupe, qui correspond à la somme algébrique des résultats de la société́ mère et de ses filiales, sous réserve de certains ajustements, de certaines corrections.
Lors de l'exercice clos en 2005, la société Courant SAS exerce une activité notamment dans le domaine de la fabrication et la commercialisation de gaines, tubes, tuyaux et grillages en plastique. Elle est à cette époque, la société mère d'un groupe fiscalement intégré comportant pour seule filiale la SAS Courant International. Cette société ayant été absorbée en 2006 par la société Courant SAS, cette dernière n'a pas formé de groupe fiscalement intégré lors des exercices clos en 2006 et 2007. Au cours de l’année 2007 la société Courant SAS a absorbé la SARL Corelco acceptant à cette occasion l’intégralité de l’actif, mais aussi du passif de cette dernière. Elle est ensuite de nouveau devenue société mère d'un groupe fiscalement intégré lors de l'exercice clos en 2008, ce groupe comprenant deux filiales nouvellement créées, la SAS Courant – à distinguer de la société Courant SAS, société mère du groupe - et la SAS Corelco. Il résulte des faits que l’activité du groupe et de Courant SAS a été identique au cours de tous les exercices considérés. La SAS Courant a demandé à constater lors de l’exercice clos en 2008 un déficit d'ensemble à hauteur de 1 641 142 euros. En 2009, elle décide d’imputer une partie de ce déficit d’ensemble (à concurrence de 1 464 468 euros) sur le bénéfice d’ensemble de l’exercice clos en 2005 constitué du bénéfice individuel de courant SAS pour 1 313 828 euros et du bénéfice individuel de son unique filiale à l’époque, la SAS Courant International, pour 150 640 euros.
La société Courant SAS a par la suite fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 2006, 2007 et 2008. A l'issue de cette vérification l'administration fiscale a refusé d'admettre en déduction, au titre de l'exercice clos en 2007, un passif de taxe sur la valeur ajoutée de 21 697, 80 euros, issu de sa fusion avec la SARL Corelco réduisant ainsi son déficit reportable constaté au titre de l’année 2007, mais surtout l’imputation d’une partie du déficit de 2008 qui avait été reporté sur le résultat d’ensemble du groupe de 2005. L’administration a considéré que le groupe ne pouvait imputer son déficit de l’année 2008 que sur le bénéfice propre de la société Courant SAS de l’année 2005 et non sur le bénéfice d’ensemble comprenant celui de sa filiale existant à l’époque, la SAS Courant International. Ce refus d’imputation du déficit a ainsi réduit à 496 834 euros la créance de report en arrière de déficit initialement déclarée par Courant SAS au titre de l'exercice clos en 2008 pour un montant de 547 047 euros. Cette réduction de créance de 50 213 euros correspond à l’impôt sur les sociétés au taux de 33, 3% relatif au bénéfice de la société SAS Courant international qui était de 150 640 euros lors de l’exercice clos en 2005.
A la suite de cette vérification de comptabilité la société Courant SAS a demandé au tribunal administratif de Lyon, d’une part, de rétablir son déficit reportable de l’exercice clos en 2007 à concurrence de 21 697 euros correspondant au passif de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elle estime lui être dû et, d’autre part, de lui accorder la restitution de sa créance déclarée en application de l’article 220 quinquies du CGI au titre de l’exercice clos en 2008. Par un jugement en date du 12 juillet 2016 le tribunal a rejeté sa demande.
Courant SAS a alors interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Lyon lui demandant d’annuler le jugement de première instance, de lui accorder la réintégration de cette somme de 21 697, 80 euros à son déficit de l'exercice clos en 2007 et au rétablissement de la totalité de sa créance de report en arrière de déficit de l’exercice clos en 2008 pour un montant de 547 047 euros. Au soutien de cet appel, la société soutient tout d’abord que le jugement attaqué n’est pas suffisamment motivé. Ensuite au sujet du report en arrière, la société Courant SAS estime que la fusion avec sa filiale SAS Courant International n’a pas d’incidence sur le résultat du groupe dès lors que l'activité du groupe fiscal que la société Courant SAS constituait lors de l'exercice clos en 2005 avec la SAS Courant International était identique, d'une part, à celle qu'elle a exercée en son nom propre lors des deux exercices suivants, après l'absorption de cette dernière et, d'autre part, à celle exercée par le groupe fiscalement intégré constitué lors de l'exercice clos en 2008.
La cour dans l’arrêt du 29 mars 2018 fait en partie droit à la demande de la requérante. A titre liminaire la cour écarte le moyen selon lequel le tribunal administratif n’a pas suffisamment justifié sa décision selon le motif qu’il n’avait pas à répondre à tous les arguments invoqués par la société. Concernant la question du passif de taxe sur la valeur ajoutée, la réponse de la cour est uniquement factuelle, se contentant de juger que les pièces justificatives fournies en première instance par la société ne permettent aucunement de démontrer l’existence d’un tel passif et que les pièces nouvellement fournies en appel, pouvant justifier d’un passif de taxe sur la valeur ajoutée, sont datées du 31 mai 2010 et ne sauraient dès lors permettre de prouver l’existence d’un tel passif à la clôture de l’exercice contrôlé c’est à dire l’exercice 2007. La Cour répond enfin à la question de droit essentielle de cet arrêt qui est celle du report en arrière du déficit prévu à l’article 220 quinquies du CGI.
La cour doit ainsi statuer sur la question de savoir si le mécanisme de carry back peut être utilisé sur un exercice bénéficiaire réalisé par un groupe différent de celui ayant réalisé un déficit mais ayant la même société mère, laquelle n’a par ailleurs pas constitué de groupe fiscalement intégré durant les exercices séparant l’exercice déficitaire et l’exercice bénéficiaire sur lequel le groupe entend reporter son déficit.
La cour constate ainsi que l’activité du groupe fiscal lors de l’exercice 2005 – exercice sur lequel le déficit a été reporté – était identique, d’une part, à celle exercée en son nom propre durant les exercices 2006 et 2007 – exercices durant lesquels aucun groupe fiscal n’était constitué – et d’autre part, à celle exercée par le groupe fiscalement intégré constitué des sociétés, Courant SAS, SAS Courant et SAS Corel lors de l’exercice clos en 2008 – exercice déficitaire du groupe dont le déficit a été reporté sur les bénéfices des exercices clos en 2005 et 2006. Tenant compte de ces constatations, la cour juge alors que Courant SAS est en droit de procéder à l'imputation de son déficit d'ensemble de l'exercice clos en 2008 sur la totalité du bénéfice d'ensemble de l'exercice clos en 2005, quand bien même elle n'a pas appliqué le régime prévu par les articles 223 A et suivants du code général des impôts lors des exercices clos en 2006 et 2007.
L’intérêt de la décision concerne surtout les affaires antérieures à l’entrée en vigueur de la deuxième loi de finances rectificative pour 2011 (LOI n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011) . Son article 2 exige désormais que le déficit constaté ne soit reporté que sur le seul bénéfice de l'exercice précédent. Par exemple, un déficit constaté au titre de l’exercice 2018 n’est reportable que sur le bénéfice constaté en 2017. Il est donc moins généreux que le report en avant qui est illimité dans le temps. Dans l’affaire examinée, la cour autorise à reporter en arrière un déficit réalisé en 2008 sur un bénéfice de 2005. Cette question reste importante pour les affaires qui se sont déroulées avant le changement de la règle. L’intérêt de cette décision posant des conditions à l’utilisation du carry back en matière d’intégration fiscale est accru du fait qu’aucune doctrine administrative ne traitait de cette question au moment des faits. Il faut attendre pour cela le 12 septembre 2012 (BOI-IS-GPE-30-10, 12 sept. 2012, Imposition du résultat d'ensemble et sort du déficit d'ensemble) soit après la modification du régime par la deuxième loi de finances rectificative pour 2011. Il est également intéressant de noter que la doctrine juridique n’évoque alors pas non plus cette question (V. Par ex. P. Morgenstern, L’intégration fiscale, 8e éd. Groupe Revue Fiduciaire, Coll. Pratiques d’experts, 2007) . Ces différentes problématiques ne semblaient donc jusqu’alors pas tranchées et il sera très intéressant de surveiller la jurisprudence du Conseil d’État à venir comme cet arrêt a été frappé d’un pourvoi. Ce recours permettra d’obtenir une clarification sur l’imbrication des régimes du carry-back et de l’intégration fiscale de la part de la juridiction administrative suprême.
Cet arrêt apporte donc deux précisions importantes sur l’application du dispositif de carry-back en le conditionnant à l’identité d’activité réelle du groupe (I). En même temps, lorsqu’il s’agit de sociétés intégrées fiscalement, la cour adopte une vision plus libérale en n’exigeant pas une identité du périmètre de ce groupe (II).
I. La condition de l’identité d’activité réelle du groupe
La condition de l’identité d’activité réelle est posée par la Cour pour l’utilisation du mécanisme de report en arrière des déficits. Plus précisément, la cour exige une identité d’activité réelle exercée lors de l’exercice déficitaire reporté et l’exercice bénéficiaire sur lequel est utilisé le déficit (A). Cette condition d’identité d’activité est également étendue aux exercices situés temporellement entre l’exercice déficitaire et l’exercice bénéficiaire sur lequel il est reporté (B).
A. Durant l’exercice déficitaire reporté et l’exercice bénéficiaire l’absorbant
La condition d’identité d’activité réelle pour permettre à une société d’exercer un report de déficit n’est pas nouvelle. Cette position jurisprudentielle s’est exprimée très clairement dans un arrêt du Conseil d’État rendu le 18 mai 2005 (Conseil d'État, Sous-sections 8 et 3 réunies, 18 Mai 2005 - n° 259275) dans lequel il a été jugé en se fondant sur l’article 221, 5 du Code Général des Impôts que « l'exercice par une société du droit au report déficitaire est subordonné, notamment, à la condition qu'elle n'ait pas subi, dans son activité réelle de transformations telles qu’elle ne serait plus, en réalité, la même ». Cependant les faits de cet arrêt se trouvaient être différents de ceux jugés dans la présente décision de la cour d’appel de Lyon. En l’espèce la société, qui exploitait à Vernon un commerce de prêt-à-porter sous l'enseigne Benetton, a interrompu son activité en 1987 cédant son droit au bail, sa clientèle, ses immobilisations et son stock. En 1990, après renouvellements du gérant et du collège des associés, elle se réveille à Rouen en exploitant un commerce de détail d'habillement et d'articles de sport sous enseigne Sport 2000. Les déficits et amortissements réputés différés des exercices clos en 1987 et en 1988 sont imputés en avant, c’est-à-dire sur les bénéfices des exercices clos en 1991 et 1992. À l'issue d'une vérification de comptabilité, une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés est mise à sa charge, ainsi que les intérêts de retard, au motif qu'ayant changé d'activité le déficit n'était plus reportable. Le recours de la SARL devant le tribunal administratif de Rouen puis devant la cour d'appel administrative de Douai s'avère infructueux. La SARL forme alors un pourvoi devant le Conseil d’État qui pose dans sa décision le principe cité précédemment et décharge la société du supplément d’imposition jugeant que l’activité était la même – celle de vente de prêt-à-porter – elle ne pouvait dès lors constituer un changement regardé comme une cessation d’entreprise. L’objectif de cette condition d’activité est d’éviter que ne se développe un marché de sociétés déficitaires dont le seul intérêt serait l’utilisation de leur déficit reportable. Cette condition est donc fondamentale pour le report des déficits ; la Cour l’évoque très directement d’ailleurs : « c'est à la condition que le groupe n'ait pas subi, dans son activité, des transformations telles qu'il n'est plus, en réalité, le même. »
L’importante différence entre ces faits et ceux de l’arrêt en cause se trouve être le mode de report des déficits. Dans l’arrêt de 2005 la décision concerne un report en avant prévu à l’article 209 I du CGI. Or, en l’espèce la société Courant SAS a opté en 2009 pour le report en arrière de son déficit constaté sur l’exercice clos en 2008. L’article 220 quinquies du CGI relatif au mécanisme de report en arrière des déficits, comme l’article 209 de ce même code relatif au report en avant, ne fait pas mention de cette condition d’identité d’entreprise. En l’absence de précision sur ce point la question de savoir si la jurisprudence du Conseil d’État de 2005 était transposable au report en arrière restait sans réponse. Dans cet arrêt la cour d’appel de Lyon vient confirmer sans surprise que la condition d’identité d’entreprise s’applique de la même manière, qu’il s’agisse d’un report en avant du déficit ou d’un report en arrière. Cette décision semblait prévisible car le Conseil d’État en 2005, bien que fondant sa décision sur la combinaison des articles 221, 5 et 209 du CGI, n’avait mentionné que le « droit au report déficitaire » et non le droit au report en avant des déficits. La cour d’appel de Lyon s’inscrit donc sur ce point dans la continuité de la jurisprudence.
Cependant la Cour ne se contente pas d’affirmer à nouveau cette condition et vient la compléter en estimant que le report en arrière des déficits est en l’espèce possible car l’activité réelle de la société demanderesse était également identique durant les exercices situés temporellement entre l’exercice dont le déficit est reporté et l’exercice bénéficiaire antérieur sur lequel on impute le déficit, c’est-à-dire durant les exercices intermédiaires.
B. Durant les exercices intermédiaires
Durant les exercices intermédiaires, la Cour constate que les activités sont identiques mais également que l’activité du groupe fiscal durant l’année 2008 est identique à celle de l’activité exercée par la société mère du groupe « en son nom propre lors des deux exercices suivants » l’exercice bénéficiaire sur lequel elle entend reporter son déficit. La cour de Lyon dans son arrêt de 2018, ne se limite pas à constater que l’activité du groupe est identique durant l’exercice clos en 2008 pour lequel elle a enregistré un résultat déficitaire et l’exercice clos en 2005 sur lequel elle entend reporter son déficit de 2008. Elle pose une nouvelle condition par rapport l’arrêt rendu en 2005 par le Conseil d’État. Comme il a été rappelé précédemment, dans les faits de l’arrêt de 2005 la demanderesse avait cessé son activité durant l’exercice clos en 1989 et le Conseil d’État avait alors tout de même validé le report en avant du déficit des exercices clos en 1987 et 1988 sur les bénéfices des exercices clos en 1991 et 1992.
Peut-on pour autant affirmer que cour durcisse les conditions du report en arrière en ajoutant à la condition d’identité d’activité celle de continuité d’activité ? La différence de faits entre les deux arrêts mérite de relativiser une telle affirmation. En effet, en l’espèce la société requérante avait maintenu son activité durant toute la période séparant les exercices clos en 2005 et 2008. Dans l’arrêt de 2005 la SARL Sophie B avait été mise « en sommeil » durant l’exercice clos en 1989 n’opérant donc pas un changement d’activité réelle. Or en vertu de l’article 221, 5 du CGI, c’est « le changement de l’objet social ou de l’activité réelle d’une société » qui emporte cessation d’entreprise. La mise en sommeil d’une société ne constitue certes pas une continuité de l’activité de cette dernière mais ne permet pas non plus de qualifier un changement d’activité réelle emportant cessation d’entreprise. Par conséquent en suivant une interprétation littérale de l’article 221, 5 du CGI il semble que seule une modification de l’activité réelle emporte cessation d’entreprise ; dès lors le déficit peut être reporté en arrière lorsque la société a été mise en sommeil ou que l’activité initiale a perduré. La question qui pourrait se poser serait le cas dans lequel l’activité exercée par la société durant l’exercice déficitaire et l’exercice bénéficiaire antérieur sur lequel elle entend reporter son déficit est similaire mais que l’activité exercée pendant les exercices intermédiaires est différente. En réalisant à nouveau une interprétation littérale de l’article 221, 5 du CGI qui dispose que le changement d’activité réelle emporte cessation d’entreprise le report dans ce cas serait impossible, la modification d’activité durant les exercices intermédiaires emportant cessation d’entreprise. C’est d’ailleurs certainement la raison pour laquelle la cour est venu préciser ici que l’activité exercée par la société durant les années 2006 et 2007 est la même que durant les exercices 2005 et 2008 et non pour ajouter une condition de continuité d’activité. Une décision de justice serait cependant la bienvenue pour clarifier cette situation. Cependant il faut largement relativiser la portée de cette incertitude compte tenu de la modification opérée par la loi de finances rectificatives pour 2011 et rappelée en introduction.
L’identité d’activité réelle est donc une condition centrale du report en arrière que le mécanisme soit utilisé par une société seule ou par une société mère d’un groupe intégré en vertu de l’article 223 G du CGI. Cependant concernant cette dernière hypothèse d’utilisation en arrière d’un déficit par une société mère d’un groupe, la condition d’identité d’activité réelle au sein du groupe ne semble pas être requise.
II. L’absence de condition d’identité du périmètre du groupe
Au sein d’un groupe fiscalement intégré, la condition d’identité du périmètre de ce groupe n’est pas requise : ce qui importe, c’est la permanence de société mère, en ce qu’elle est la colonne vertébrale du déficit reportable (A). En conséquence, la cour n’accorde pas vraiment d’importance à la continuité des filiales intégrées (B).
A. La société mère : « colonne vertébrale » du déficit reportable
En vertu de l’article 223 G, 1 du CGI dans sa version applicable au moment des faits (version en vigueur du 15 juin 1990 au 30 décembre 2011, « Lorsque la société mère opte pour le régime prévu au paragraphe I de l’article 220 quinquies, le déficit d'ensemble déclaré au titre d'un exercice est imputé sur le bénéfice d'ensemble ou, le cas échéant, sur le bénéfice que la société mère a déclaré au titre des exercices précédant l'application du régime défini à la présente section, dans les conditions prévues à l'article 220 quinquies ». La seule lecture de cet article ne permet pas de confirmer la possibilité pour la société mère du groupe de reporter le déficit d’ensemble de l’année 2008 sur les bénéfices d’ensemble du groupe de l’année 2005. Cependant une subtilité apparait au regard des faits de l’espèce qui ne semble pas être envisagée par le texte. La société mère Courant SAS opte pour l’intégration fiscale au titre de l’année 2008 et souhaite imputer le déficit d’ensemble constaté en 2008 sur le bénéfice d’ensemble de l’exercice de 2005. Or, pendant la période intermédiaire 2006 et 2007, aucun groupe fiscal intégré n’est constitué alors que l’article 223 G dispose bien que, le déficit peut être imputé sur le bénéfice d'ensemble ou, le cas échéant, sur le bénéfice que la société mère a déclaré au titre des exercices précédant l'application du régime. Le régime ayant été appliqué en 2008 il semble que l’administration ait décidé à bon droit, en s’en tenant à une interprétation littérale de l’article 223 G, de limiter l’imputation du déficit sur le seul bénéfice de la société mère, la société Courant SAS. Cette interprétation du texte a d’ailleurs été reprise par le tribunal administratif de Lyon. Cependant l’ambiguïté des faits présentant, un groupe constitué en 2005, une société seule en 2006 et 2007 et enfin un groupe en 2008 ouvre la voie du questionnement.
La cour d’appel répond à cette interrogation en donnant tort à l’administration fiscale. Elle juge que « la société Courant SAS était en droit de procéder à l'imputation de son déficit d'ensemble de l'exercice clos en 2008 sur la totalité du bénéfice d'ensemble de l'exercice clos en 2005, quand bien même elle n'a pas appliqué le régime prévu par les articles 223 A et suivants du code général des impôts lors des exercices clos en 2006 et 2007 ». La Cour consacre donc une forme d’importance de la société mère dans sa gestion des bénéfices et des déficits. Elle est donc la seule entité à assurer la continuité dans les exercices, elle est en quelque sorte la « colonne vertébrale » qu’il faut suivre pour déterminer sur quels exercices bénéficiaires antérieurs un déficit peut être reporté pour obtenir une créance sur l’État, sans tenir compte de l’existence d’un groupe fiscalement intégré pendant les exercices intermédiaires situés entre l’exercice déficitaire et l’exercice bénéficiaire sur lequel est reporté le déficit.
Outre cette clarification bienvenue sur l’interprétation à donner des dispositions de l’article 223G, les faits appellent à une autre observation concernant les filiales.
B. L’indifférence affichée concernant la continuité des filiales intégrées
La cour d’appel de Lyon juge donc qu’il est possible de reporter en arrière un déficit d’ensemble sur un résultat d’ensemble antérieur quand bien même le périmètre d’intégration n’était pas le même et quand bien même il y aurait absence d’intégration fiscale pendant la période intermédiaire séparant les deux exercices en question. Comme il a déjà été dit, à la lecture de l’article 223 G cette décision ne s’imposait pas de manière absolue mais ne semble pas non plus être particulièrement critiquable. L’élément se prêtant le plus à débat apparait à la lecture des faits : mis à part la société mère les groupes constitués respectivement en 2005 et 2008 n’ont aucun périmètre commun. Le groupe existant en 2005 constitué par la société Courant SAS et sa filiale la SAS Courant international a disparu suite l’absorption de cette dernière par sa société mère et le groupe de 2008 apparait suite à la création par la société Courant SAS de deux nouvelles filiales la SAS Courant et la SAS Corelco.
Compte tenu de la différence dans le périmètre des groupes sur les années 2005 et 2008 à laquelle s’ajoute la période de 2006 et 2007 durant laquelle aucun groupe intégré n’a été constitué par la société Courant SAS, il aurait pu être décidé que les groupes des années 2005 et 2008 sont différents. L’analyse de l’administration qui considère que le déficit du groupe de l’année 2008 ne pouvait être imputé que sur le bénéfice de la société mère réalisé en 2005 apparaît alors comme loin d’être dénuée de sens. Ce n’est cependant pas celle que va retenir la cour en jugeant simplement que la société Courant SAS était en droit de procéder à l'imputation de son déficit d'ensemble de l'exercice clos en 2008 sur la totalité du bénéfice d'ensemble de l'exercice clos en 2005, sans aucune autre précision sur la différence entre les filiales existantes lors des deux exercices. La cour d’appel semble donc ici consacrer une prépondérance de la société mère dans le cadre de l’application de l’article 223 G du CGI. Cette importance apparaissait déjà dans le développement précédent mais elle est ici largement confirmée par la relative indifférence portée aux filiales intégrées dans l’application du régime de carry back. Car dans un régime de groupe, le résultat de ces filiales intégrées a déjà été « déversé » dans le résultat d’ensemble ; ce qui constitue l’attrait principal, et qu’il ne faut pas oublier, de l’intégration fiscale.