Dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, le décret du 23 décembre 2009 a supprimé la compétence commerciale du tribunal de grande instance d’Albertville au profit du tribunal de commerce de Chambéry.
Le greffe de ce tribunal de commerce dont est titulaire la société X. devait donc voir son ressort agrandi et son volume d’activité augmenter.
Dans une telle hypothèse les articles R.743-173 et suivants du code de commerce prévoient que les greffiers des tribunaux de commerce dont le ressort est agrandi versent une indemnité à l'Etat dont le montant est fixé par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé du budget, sur proposition d’une commission saisie par l’agent judiciaire du Trésor lorsque l’indemnité est due à l’Etat.
Cette commission est composée d’un magistrat du siège président, de 2 représentants du ministre du budget, et de 2 greffiers de tribunaux de commerce désignés sur proposition de leur conseil national.
Dans notre affaire l’agent judiciaire du Trésor avait saisi la commission en lui demandant de fixer à 1 486 348, 50 € l’indemnité due à l’Etat par la société X
La commission ne l’a pas suivi si haut puisqu’elle a proposé 935 000 €.
Par leur arrêté conjoint du 24 novembre 2011, le garde des sceaux et le ministre du budget ont en gros coupé la poire en deux en fixant l’indemnité à la charge de la société X à 1 181 966 €.
Légitimement la société X a contesté l’arrêté devant le tribunal administratif de Grenoble qui l’a annulé en jugeant que les ministres étaient tenus par le montant proposé par la commission.
Vous êtes saisi d’un recours du Garde des sceaux qui conteste ce motif selon lequel la proposition de la commission aurait la nature d’un avis conforme liant les ministres.
Nous pensons qu’il a tort et que la proposition de la commission a bien une telle nature.
Certes le ministre fait valoir qu’un décret du 6 juin 2009 prorogeant l’institution de certains commissions administratives qu’il qualifie « à caractère consultatif », y mentionne explicitement la commission qui nous intéresse ; le tribunal a écarté cet indice au motif que ce décret n’avait pas modifié la rédaction de l’article R. 743-73 du code du commerce ; c’est pertinent d’autant que, même par l’effet de qualifications diverses, ce décret simple n’aurait pas pu modifier des dispositions prises quant à elles en Conseil d’Etat.
Certes encore, mais c’est seulement par un rapprochement avec le décret simple que nous venons de citer, la Cour administrative d’appel de Nantes a jugé postérieurement au jugement qui vous est soumis, et contrairement au Tribunal administratif de Rennes, que l’avis de la commission qui nous occupe ne lie pas l’administration : CAA Nantes Garde des Sceaux n° 14NT00864 C.
Mais nous ne vous proposerons pas de lui emboiter le pas.
Comme vous l’avez vu, la question analogue a été traitée, même si c’est très brièvement par M. Lamy dans ses conclusions sous une décision du CE N° 170717 Garde des Sceaux du 11 décembre 1998, conclusions qui ont certainement influencé les premiers juges.
Dans cette affaire assez proche car concernant l’indemnité due à ses confrères voisins par un huissier de justice bénéficiant de la création d’un office, le garde des sceaux pouvait, notamment en cas de désaccord, être amené à fixer lui-même le montant de l’indemnité sur proposition d’une commission ; et c’est à cet égard que M. Lamy soutenait que les termes « sur proposition » impliquent que le garde des sceaux n’a qu’une alternative : refuser la proposition ou l’adopter sans pouvoir la modifier ; il illustrait cette affirmation en citant d’abord une décision du CE du 13 février 1980 N° 09323;10591 qualifiant d’avis conforme la proposition de la commission prévue s’agissant de l’indemnité comparable pour les greffes de tribunaux d’instance, puis en renvoyant au cours du président Odent.
Si sa première référence nous parait dénuée de portée ici, il en va autrement de la seconde :
En effet d’abord, à y regarder de plus près on voit que la loi du 30 novembre 1965 portant réforme des greffes des juridictions civiles et pénales, et dont il était fait application dans la décision CE du 13 février 1980 N° 09323;10591 disposait que l’indemnité était fixée « conformément à l’évaluation faite par une commission régionale », ce qui ne laissait effectivement aucun doute.
Ensuite, en revanche, ce n’est qu’au prix d’une certaine témérité qu’on pourrait tenter de contourner l’autorité de l’exposé du président Odent : effectivement, il y était déjà dit, force précédents à l’appui, que lorsqu’une décision doit être prise « sur la proposition » d’une autorité ou d’un organisme, l’autorité ne peut que se conformer à cette proposition, en demander une nouvelle, ou s’abstenir de toute décision.
Nous vous invitons à rester sur ces fondamentaux dont l’évolution est également décrite par M. Massot dans ses conclusions sous une décision de section du 26 avril 1978 Doyen de la faculté de médecine de Clermont Ferrand n° 03544 au recueil.
D’autant qu’ils sont vigoureux : CE 18 juin 1971 Garde des Sceaux N° 81125 au recueil ; CE Juge des référés 28 décembre 2004 Ecole interrégionale d'avocats des ressorts des cours d'appel de Besançon, Dijon et Reims n° 275606 aux tables pour la « proposition » du Conseil national des barreaux, quant au siège et au ressort de chaque centre de formation professionnelle », ou encore les conclusions de Mme de Siva sous une décision du CE N° 290567 Compagnie Corsair du 31 janvier 2007.
Nous vous invitons donc à rejeter le recours et mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 € au titre des frais d’instance exposés par la société X intimée.