Sens des conclusions
Non-lieu à statuer sur la requête d’appel de M. S. devenue sans objet du fait de la caducité de la décision du Préfet de la Drôme du 9 août 2016 et rejet des conclusions présentées par le requérant sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991
M.S., ressortissant afghan, né le 1er janvier 1991, a pénétré sur le territoire français au mois de février 2016 et y a sollicité l’asile.
L’attestation de demande d’asile prévue par l’article L.741-1 du CESEDA lui a été remise le 8 mars 2016 par le préfet de la Drôme.
Le même préfet de la Drôme a pris, le 13 juin 2016, en application du Règlement de l’Union Européenne n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, Règlement européen dit Dublin III, et en application des dispositions de l’article L.742-3 du CESEDA, le préfet de la Drôme a donc pris le 13 juin 2016 un arrêté de transfert de M. Nejeeb Hullah S. aux autorités allemandes.
Cet arrêté de transfert du 13 juin 2016 du préfet de la Drôme a été annulé par jugement du 29 juillet 2016 du Tribunal Administratif de Grenoble, le Président de la 4ème chambre de ce Tribunal ayant considéré qu’en méconnaissance des dispositions de l’article L. 742-3 du CESEDA cette décision ne comportait « l’énoncé d’aucune considération de droit susceptible de permettre d’identifier précisément les dispositions législatives ou règlementaires sur lesquelles le préfet de la Drôme a entendu fonder l’édiction de cette mesure dans l’exercice de son pouvoir de police ». Ce jugement du 29 juillet 2016 enjoignait au préfet de la Drôme de réexaminer et de statuer à nouveau sur la situation de M. S..
Le préfet de la Drôme a donc édicté, le 9 août 2016, un second arrêté de transfert de M. S. aux autorités allemandes, dont la motivation a été quelque peu complétée, et qui lui a été notifié le 25 août suivant.
Par jugement n° 01605073 du 19 septembre 2016, dont M. S. relève appel devant la Cour, la Présidente de la 7ème chambre du Tribunal Administratif de Grenoble a confirmé la légalité de l’arrêté de transfert du 9 août 2016 du Préfet de la Drôme et rejeté la requête de M. S..
Le Tribunal a estimé que l’arrêté de transfert en cause était suffisamment motivé et que le préfet de la Drôme n’avait commis aucune erreur de droit en se fondant sur le seul Règlement européen 604/2013 du 26 juin 2013 ; ils ont ensuite écarté le moyen tiré du défaut d’information de M. S., ce dernier ayant reçu, en application de l’article 4 du Règlement UE 604/2013 du 26 juin 2013 trois brochures d’information dans une langue que l’intéressé dit avoir comprise et dont il n’a pas démontré qu’elles contenaient une information insuffisante ou erronée ; les premiers juges ont également regardé la procédure suivie comme régulière M. S. ayant reçu le 11 avril 2016 l’attestation prévue par les articles L.742-1 et L.742-3 du CESEDA et malgré la circonstance que l’Allemagne ait confirmé explicitement son accord de prise en charge à l’expiration du délai d’un mois prévu par l’article 25 du Règlement européen du 26 juin 2013 ; et les premiers juges ont estimé enfin que le préfet de la Drôme avait examiné la possibilité de dérogation prévue par l’article 3-2 du Règlement communautaire, que la décision de transfert ne méconnaissait pas l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 du seul fait de l’existence d’une communauté afghane à Valence, et que le préfet de la Drôme n’avait pas méconnu l’article 17-1 du Règlement UE 604/2013 du 26 juin 2013.
MS. soutient en premier lieu que la procédure suivie aurait été irrégulière, aucun interprète n’ayant été physiquement présent lors de la notification, le 25 août 2016, de l’arrêté du 9 août 2016 et aucune information ne lui ayant été délivrée au regard de ses droits dans le cadre de cette procédure.
En deuxième lieu M. S. invoque des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Allemagne, ainsi que la présence de ressortissants afghans à Valence et les risques auxquels il serait exposé en cas de retour dans son pays d’origine pour affirmer qu’il relèverait de la dérogation prévue par le Règlement communautaire permettant un traitement de la demande d’asile dans le pays chargé de déterminer l’Etat responsable.
En troisième lieu M. S. indique confirmer l’ensemble des moyens qu’il a développés en première instance.
Après réception et instruction de la requête de M. S., vous avez, par lettres du 15 décembre 2016, informé les parties au litige que vous étiez susceptibles de trancher le litige sur le fondement du Moyen d’Ordre Public (MOP) tiré de l’incompétence du préfet de la Drôme pour signer l’arrêté litigieux.
Dans cette affaire le préfet de la Drôme rappelle que, après vérifications, il était apparu que M. S. avait déjà formé une demande d’asile en Allemagne et que les autorités allemandes avaient donc été saisies, le 5 avril 2016, d’une demande de reprise en charge en application de l’article 18-1 b du Règlement UE 604/2013 du 26 juin 2013, et que ces dernières avaient fait connaître le 30 mai 2016 leur accord pour le transfert de M. S. sur leur territoire, ce qui a donné lieu à l’arrêté de remise du 13 juin 2016, au jugement d’annulation de cet arrêté du 29 juillet 2016 assorti d’une injonction de réexamen et au nouvel arrêté de remise du 9 août 2016 confirmé par le jugement attaqué.
Mais le préfet de la Drôme conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer au regard des dispositions de l’article 20 2°) du Règlement CE 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 qui prévoit que lorsque le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, la responsabilité incombe à l’Etat membre auprès duquel la demande d’asile a été introduite, alors que l’accord des autorités allemandes, qui n’a pas été prolongé, est intervenu le 30 mai 2016. Pour le préfet de la Drôme, sa décision du 9 août 2016 serait en conséquence caduque et la requête d’appel de M. S. serait désormais dépourvue d’objet.
A titre subsidiaire, sur le MOP qui a été soulevé par la Cour, le préfet de la Drôme précise qu’en application des dispositions de l’article R.742-1 du CESEDA un arrêté ministériel, du 20 octobre 2015, a désigné les préfets compétents pour enregistrer les demandes d’asile et déterminer l’Etat responsable de leur traitement et que si cet arrêté prévoit effectivement la compétence, pour le département de la Drôme, du préfet de l’Isère, c’est bien le préfet de l’Isère qui a sollicité les autorités allemandes pour une reprise en charge de M. S., qui a constaté l’accord implicite de celles-ci et qui a confirmé cette responsabilité de reprise en charge, les autorités allemandes ayant ensuite fait connaître leur accord à la préfecture de l’Isère et le préfet de la Drôme n’ayant fait, par la décision litigieuse, qu’entériner la décision du préfet de l’Isère.
Sur ce point le préfet de la Drôme produit d’une part un document à en-tête de la direction de la citoyenneté, de l’immigration et de l’intégration de la préfecture de l’Isère (document non daté et qui ne permet pas d’identifier son signataire) document intitulé « constat d’un accord implicite et confirmation de reconnaissance de la responsabilité – art.10 Règlement CE 1560/2003 modifié », au nom de M. S. qui fait état d’une demande de prise en charge en date du 5 avril 2016, à laquelle il n’a pas été répondu, dont il est déduit un accord en application de l’article 22.7/25.2 du Règlement CE 604/2013, accord dont la confirmation est demandée en application de l’article 10 du Règlement CE 1560/2003.
D’autre part, sur ce même point, le préfet de la Drôme se réfère aussi à l’accord des autorités allemandes du 30 mai 2016 qui avait été produit en première instance.
Le préfet de la Drôme a produit également avec son mémoire en défense l’« attestation de demande d’asile procédure Dublin » délivrée par la préfecture de l’Isère le 8 mars 2016 et valable jusqu’au 7 avril 2016.
Pour compléter l’instruction vous avez souhaité obtenir l’attestation de demande d’asile en procédure normale ou accélérée qui a été délivrée à M. S.. La préfecture de la Drôme vous a répondu que, convoqué le 16 juin 2017 par les services de la préfecture de l’Isère pour examiner sa demande d’asile, M. S. n’avait pas donné suite à cette convocation et sa structure d’accueil n’avait toujours pas repris contact avec la préfecture de l’Isère pour un nouveau rendez-vous. Le préfet de la Drôme produit sur ce point un échange de courriels entre les chefs de bureaux concernés des préfectures de la Drôme et de l’Isère. Et la préfecture de la Drôme confirme dans ce mémoire complémentaire qu’en tout état de cause, selon elle, la procédure de réadmission Dublin est devenue sans objet du fait de la caducité de la décision contestée du 9 août 2016.
Sur cette question de la caducité de la décision prise par préfet de la Drôme le 9 août 2016, nous savons que le transfert d'un demandeur d'asile vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande en vertu du règlement (CE) n° 0604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 (dit Dublin III) doit intervenir, en vertu de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée. Au cas d’espèce l’accord des autorités allemandes est intervenu, comme l’indique le préfet de la Drôme, le 30 mai 2016 : le délai de caducité de la décision de remise a donc couru à compter de cette date.
De plus, en cas de mesure de placement en rétention administrative ou d'assignation à résidence prise en vue de l'exécution de la décision de transfert, le recours introduit sur le fondement du III de l’article L. 512-1 du CESEDA contre l'arrêté ordonnant la remise du demandeur d’asile aux autorités de l’Etat responsable de l’examen de sa demande, qui a par lui-même pour effet de suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement, doit être regardé comme interrompant le délai de six mois prévu à l’article 29 du règlement : Conseil d’Etat Juge des référés n° 388180 du 4 mars 2015, classé en A. Mais au cas d’espèce l’arrêté du 9 août 2016 mentionne seulement dans l’article 3 de son dispositif que « M. S. est susceptible d’être convoqué par les services de police aux fins d’exécution de la présente décision. », ce qui ne nous paraît pas constituer une décision d’assignation à résidence prise par le préfet de la Drôme en application de l’article L.561-2 I 1°) du CESEDA.
Cela dit et quoiqu’il en soit, si tel était le cas, en vertu de cette même jurisprudence D., lorsque le délai de six mois fixé pour l’exécution de la mesure de transfert a été interrompu par l’introduction d’un recours sur le fondement du III de l’article L. 512-1 du CESEDA, il recommence à courir à compter de la décision juridictionnelle qui n’est plus susceptible de faire obstacle à la mise en œuvre de la procédure de remise. En cas de rejet du recours par le premier juge, ce délai court à compter du jugement qui, l’appel étant dépourvu de caractère suspensif, rend à nouveau la mesure de transfert susceptible d’exécution. En cas d’annulation de la mesure de transfert par le premier juge, le délai prévu à l’article 29 ne peut être déclenché, en cas d’appel introduit contre le jugement de première instance, qu’à compter, le cas échéant, de l’intervention de la décision juridictionnelle infirmant cette annulation et rejetant la demande de première instance. Or, au cas d’espèce, la demande de première instance a été enregistrée au greffe du Tribunal le 7 septembre 2016, ce qui a fait courir le délai de caducité de la décision de remise un peu plus de trois mois à compter de l’accord des autorités allemandes et le jugement de première instance contre la décision de transfert étant intervenu le 19 septembre 2016 le délai de caducité de cette décision a recommencé à courir à compter de cette date et avait donc largement expiré lorsque le préfet de la Drôme a, le 10 juillet 2017, conclu au non-lieu à statuer.
Ainsi, dans cette affaire le non-lieu à statuer préconisé par le préfet de la Drôme nous paraît devoir s’imposer. Nous ne nous trouvons pas ici dans le même cas de figure traité par votre décision 16LY01134 du 3 janvier 2017 dans laquelle il s’agissait de l’abrogation d’une décision de remise et d’une décision d’assignation à résidence, cette dernière ayant produit des effets.
Si vous ne partagiez pas ce point de vue il vous faudrait, avant, le cas échéant, de statuer sur le fond de l’affaire, résoudre la question de la compétence du préfet de la Drôme pour signer la décision de remise du 9 août 2016, question que vous avez posée par la communication d’un MOP.
Nous ne pensons pas pour notre part que le préfet de la Drôme avait été dessaisi de sa compétence par l’arrêté du ministre de l’intérieur du 20 octobre 2015. Car en effet, l’article R.742-1 du CESEDA, dans sa rédaction issu du décret n° 2015-1177 du 24 septembre 2015, indique que : « L'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, assigner à résidence un demandeur d'asile en application de l'article L. 742-2 et prendre une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 est le préfet de département et, à Paris, le préfet de police. / Un arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de l'asile peut donner compétence à un préfet de département et, à Paris, au préfet de police pour exercer ces missions dans plusieurs départements. ». Or, l’arrêté du ministre de l’intérieur du 20 octobre 2015 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d’asile et déterminer l’Etat responsable de leur traitement, fixe, comme le précise le I de l’article 1er de cet arrêté, « (…) la liste des préfets compétents pour enregistrer la demande d’asile d’un étranger se trouvant sur le territoire métropolitain et procéder à la détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de cette demande. ( …) ». Cet arrêté n’a donc pas, à notre sens, transféré aux préfets qu’il désigne le pouvoir de signer les décisions de remises. Au cas d’espèce nous pensons que le préfet de la Drôme était bien compétent, le préfet de l’Isère ayant quant à lui, comme cela ressort clairement des pièces produites par le préfet de la Drôme, enregistré la demande d’asile de M. S. et procédé à la détermination de l’Etat responsable en intervenant auprès des autorités allemandes, et ayant ensuite informé son homologue de la Drôme où M. S. était hébergé.
La détermination de l’Etat responsable en application du Règlement Dublin III nous paraît constituer un processus consistant notamment en la mise en œuvre du dispositif Eurodac et la saisine des autorités compétentes de l’Etat membre potentiellement responsable de la demande d’asile, un processus qui ne nous semble pas, à la lecture des textes, exiger une décision formalisant cette responsabilité, la réponse des autorités de l’Etat membre saisies constituant à notre sens le terme de ce processus de détermination du fait de la reconnaissance de cette responsabilité.
La Cour administrative d'appel de Nantes a jugé en ce sens, dans son arrêt 16NT00874 du 10 janvier 2017, selon lequel l’attribution de compétence de l’arrêté du 20 octobre 2015 ne vise ni les décisions de transfert prises en application des dispositions de l’article L. 742-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ni les décisions d’assignation à résidence prises en application des dispositions du 2° de l’article L. 561-1 de ce code et que, dans ces conditions, pour l’application des dispositions de l’article R. 742-1, le préfet compétent pour prendre ces décisions est celui sur le territoire duquel réside l’intéressé ; la Cour de Nantes a également jugé en ce sens dans son arrêt 16NT01566 du 10 mai 2017, dans cette affaire le préfet de la Loire Atlantique ayant déterminé l’Etat responsable et le préfet de la Vendée ayant signé les décisions de remise aux autorités polonaises.
Cette question s’est déjà posée à vous dans le dossier, déjà cité, concernant un ressortissant de la République démocratique du Congo, M. M., qui a donné lieu à votre arrêt 16LY01134 du 3 janvier 2017, mais c’était l’état du droit antérieur qui s’appliquait à cette situation et M. M. ne pouvait invoquer l’incompétence du signataire de la décision de remise aux autorités néerlandaises sur le fondement de l’arrêté du ministre de l’intérieur du 20 octobre 2015.
Au cas d’espèce la décision de remise du 9 août 2016 comporte une ambigüité dans la mesure où l’un de ses considérants laisse penser que le Préfet de la Drôme a déterminé l’Etat responsable. En réalité nous pensons qu’il s’agit là d’une maladresse de rédaction de cette décision, qui ne fait que tirer la conclusion logique du processus de détermination mené par le Préfet du Rhône, et décision dont le dispositif est bien la remise de M. S. aux autorités allemandes.
Cette étape de la question de la compétence du préfet de la Drôme étant franchie vous ne pourriez alors, si vous partagez notre analyse des compétences respectives de chacun des préfets, que rejeter au fond la demande de M. S., l’arrêté de remise du 9 août 2016 étant suffisamment motivé (par rapport à l’arrêté du 13 juin 2016 a été ajouté « qu’ainsi il y a lieu en application des dispositions de l’article L.742-3 du CESEDA de prononcer le transfert du requérant vers l’Allemagne »), la procédure n’étant pas viciée au niveau des informations reçues par M. S., un interprète en langue pachtoune, qui est sa langue, l’ayant assisté par téléphone, lors de la notification de l’arrêté de remise et la lettre de notification ayant été traduite dans cette langue, et l’Allemagne, qui a accepté la reprise de M. S., ne pouvant être regardée comme un pays dans lequel le droit d’asile serait remis en cause.
Par ces motifs nous concluons, à ce qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la requête d’appel de M. S. devenue sans objet du fait de la caducité de la décision du Préfet de la Drôme du 9 août 2016 et au rejet des conclusions présentées par le requérant sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.