Responsabilité du fait des lois pour défaut de transposition d’une directive européenne

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Décision de justice

TA Lyon – N° 1504396 – 03 octobre 2017 – C+

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 1504396

Date de la décision : 03 octobre 2017

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Responsabilité du fait des lois, Transposition d’une directive européenne, Effet direct, Lien de causalité

Rubriques

Responsabilité

Résumé

Responsabilité du fait des lois - Fondements – 1) Obligation d'assurer le respect des engagements internationaux de la France (1) - Notion d'engagement international - Inclusion - Invocation du défaut de transposition d’une directive (2) – 2) Possibilité cependant d’invoquer les dispositions inconditionnelles et suffisamment précises de cette directive devant le juge judiciaire pour obtenir de son employeur réparation du préjudice – oui – 3) Responsabilité de l'Etat susceptible d'être engagée sur ce fondement de la responsabilité du fait des lois – Non, en l’absence de lien de causalité direct du fait cette possibilité de saisine

Responsabilité du fait des lois pour défaut de transposition d’une directive européenne : absence de lien de causalité en présence d’une directive d’effet direct

1) Les dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail prévoyant que les périodes au cours desquelles le contrat de travail est suspendu pour cause d’accident du travail ou de maladie d’origine non professionnelle ne sont pas ainsi considérées comme du travail effectif pour le calcul des congés payés sont incompatibles avec les stipulations du § 1 de l’article 7 de la directive n° 2003/88/CE - le défaut de transposition dans le délai prescrit en droit interne sur ce point de l’article 7 de la directive n° 2003/88/CEdu Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat (1).

2) Toutefois, ces dispositions de la directive, inconditionnelles et suffisamment précises, peuvent être invoquées par le justiciable à l'encontre d'organismes ou d'entités qui sont soumis à l'autorité ou au contrôle de l'Etat ou qui disposent de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers - tel est le cas, au regard notamment des articles L. 1221-1 et suivants du code des transports, d’un employeur qui, en sa qualité de délégataire de l'exploitation d’un réseau de transport en commun intérieur, assure un service public dont l’étendue, les modalités et les tarifs sont fixés par l'autorité publique organisatrice, et dont les agents sont habilités par la loi et le règlement à constater les contraventions afférentes, l’employeur pouvant ainsi se voir opposer les dispositions d'une directive susceptible d'avoir des effets directs

3) Absence de lien de causalité direct entre le défaut de transposition de cette directive et le dommage subi par un salarié résultant du rejet par son employeur, gestionnaire d’un réseau de transport en commun d’une communauté urbaine, par délégation de service public, de sa demande de bénéficier de congés payés au titre de sa période de congé maladie.

1. Cf. CE, Assemblée, 8 février 2007, M. A…, n° 279522, p. 78 ;

2. CE 23 juillet 2014 n° 354365 société d’éditions et de protection route, publié au Lebon ; en tant qu’il porte sur le défaut de transposition de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 : CJUE 24 janvier 2012 C-282/10 et Cass soc 3 juillet 2012 n° 08-44.834 Bull. 2012, V, n° 204

3. Cf Cass soc. 22 juin 2016 n° 15-20.111 publié au bulletin, CJUE 26 février 1986 C-152/84 point 49, CJUE 12 juillet 1990 E.A C-188/89 points 18 à 20. Comp. Cass 13 mars 2013 n° 11-22.285 Bull. 20103, V, n° 73

Une hypothèse d’exclusion du régime de responsabilité objective du fait des lois

Ronan Vessigaud

Etudiant en Master 2 Droit public des affaires à l’Université Jean Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.6387

Résumé : L’invocabilité de l’effet direct d’une directive devant le juge judiciaire à l’encontre d'organismes soumis au contrôle de l'Etat ou disposant de pouvoirs exorbitants exclue l’engagement d’une responsabilité objective du fait des lois devant le juge administratif.

« Notre pays s'efforce actuellement à devenir un meilleur élève en matière de transposition de directives » (Rapport Législatif du Sénat N° 251, séance du 16 mars 2005) . Promesse tenue : si la France n’est pas parvenue à devenir le meilleur élève, elle affiche toutefois un taux de déficit de transposition des directives européennes inférieur à 0.6% (selon un rapport de 2014 de la Commission Européenne), respectant ainsi l’objectif de 1% fixé par le Conseil de l’Union Européenne. Malheureusement ce constat suppose que certaines directives restent non-transposée, ce qui a des conséquences préjudiciables pour les particuliers.

Le tribunal administratif de Lyon a eu l’occasion de relever dans son jugement du 3 octobre 2017 les effets du défaut de transposition d’une directive. Mme B., employée d’un service public de transport urbain géré par délégation consentie à Keolis Lyon, a été placée en congé maladie pour une période de 11 mois. A l’issu de ce congé, elle a sollicité auprès de son employeur le bénéfice des congés payés auxquels elle estimait avoir droit, qui lui ont par la suite été refusés au motif que les congés de maladie ne sont pas comptés dans le calcul de ces jours de vacances. Elle a donc estimé avoir subi un préjudice du fait de ces jours de congés qui ne lui ont pas été attribués et payés.

Constatant que la législation européenne, plus favorable, n’avait pas été transposée en droit interne, Mme B. a sollicité par recours gracieux le préfet du Rhône dans un courrier en date du 6 janvier 2015, pour obtenir l’indemnisation de son préjudice. Après deux mois sans réponse, Mme B. a contesté devant le tribunal administratif de Lyon la décision implicite de rejet née du silence de l’administration.

Elle invoquait la directive n° 2003/88/CE qui permet à tout travailleur d’obtenir un congé annuel payé d’au moins 4 semaines. Mais à défaut de transposition en droit interne, l’article L.3141-5 du Code du travail qui opère une discrimination selon l’origine de l’absence de l’employé subsistait et a eu pour effet de supprimer les périodes de maladie du calcul des jours de congés payés. Dès lors, en raison de ce défaut de transposition, l’Etat lui aurait causé un préjudice en la privant d’une partie de son congé annuel. Elle a donc souhaité engager la responsabilité de l’Etat afin d‘obtenir réparation.

« La pleine efficacité des normes communautaires serait mise en cause et la protection des droits qu’elles reconnaissent serait affaiblie si les particuliers n’avaient pas la possibilité d’obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à un État membre. » (Sommaire au-dessus de l’arrêt CJCE, 19 novembre 1991, affaires jointes C-6/90 et C-9/90) . Mais la situation est ici particulière ; si le Conseil d’Etat a plusieurs fois reconnu la responsabilité de l’Etat pour défaut ou mauvaise transposition des directives européennes, c’est qu’il y avait un acte administratif à l’origine du préjudice. Or dans ce cas d’espèce, ce n’est pas tant la décision implicite de rejet qui cause un dommage, que le refus d’un employeur privé de reconnaître à son employée ses droits aux congés annuels. Par conséquent, le tribunal administratif de Lyon a été saisi de la question de savoir s’il est possible d’engager directement la responsabilité de l’Etat pour défaut de transposition d’une directive européenne d’effet direct.

Retenant que « la responsabilité́ de l’Etat du fait des lois est susceptible d’être engagée en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques », mais que « Mme B. est salariée de la société Keolis Lyon, [...] et ne peut, en conséquence, être regardée comme ayant été dans l’impossibilité d’obtenir réparation devant les juridictions judiciaires du refus de son employeur de lui faire bénéficier de congés payés en opposant à ce dernier les dispositions de la directive susvisée du 4 novembre 2003 ; que, dès lors, il n’est pas établi l’existence d’un lien de causalité direct entre le défaut de transposition de cette directive et le dommage subi par Mme B », le juge administratif en a conclu au rejet de la demande.

Ainsi bien qu’il soit possible d’engager la responsabilité de l’Etat pour un défaut de transposition, ce régime n’a toutefois pas vocation à s’appliquer dans le cas où il est possible pour le requérant, employé d’une personne morale de droit privé, d’obtenir réparation devant le juge judiciaire en invoquant directement devant lui les dispositions claires précises et inconditionnelles de la directive.

Par cette réponse, le juge reconnaît qu’un défaut de transposition d’une directive européenne est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat (I) mais rejette la demande en retenant qu’en l’espèce le recours était mal dirigé (II).

I. Un défaut de transposition susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat

Pour retenir théoriquement la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat, le juge administratif s’est fondé à la fois sur l’obligation constitutionnelle et conventionnelle de transposer les directives (A) ainsi que sur le dommage qu’un défaut de transposition est susceptible de causer aux citoyens concernés (B).

A. Une obligation constitutionnelle et conventionnelle de transposer les directives

La directive a cet atout formidable d’être un acte à la fois souple et contraignant : contraignant puisqu’elle lie tout état membre destinataire quant aux résultats à atteindre, mais souple puisque ce sont les instances nationales qui choisissent les moyens et formes pour parvenir à ces objectifs. Mais cette souplesse peut conduire parfois à ce que ces textes soient mis de côté, puis oubliés. Or, il résulte de l’article 288 TFUE une obligation pour les Etats destinataires de transposer en droit interne lesdites directives puisque ces Etats sont liés quant aux résultats à atteindre. De plus, cette obligation découle également d’une disposition constitutionnelle ; l’article 88-1 de la Constitution rappelant que la France a librement choisi de participer à l’Union Européenne et d’y transférer certaines de ses compétences, il est par conséquent impératif de respecter ce transfert et de suivre l’évolution législative décidée à un rang supérieur (Cons. const. 10 juin 2004, no 2004-496 DC § 7) .

Il y a donc en l’espèce un défaut à une obligation de l’Etat ; si le litige découlait d’une décision émanant d’une personne publique, la requérante aurait pu tenter d’invoquer l’effet direct de la directive n° 2003/88/CE devant le juge administratif pour écarter l’article L.3141-5 du Code du travail et ainsi se voir reconnaître le bénéfice des congés annuels. Or étant employée par une personne privée, Mme B. ne semble pas avoir cherché à invoquer cet effet devant le juge judiciaire et a préféré chercher directement la responsabilité de l’Etat pour être indemnisé de son préjudice.

Mais rechercher la responsabilité de l’Etat n’est pas chose aisée : la requérante n’étant pas la seule victime potentielle de ce défaut de transposition, elle ne peut établir l’existence d’un préjudice spécial permettant d‘invoquer une rupture d’égalité devant les charges publiques (Conseil d'Etat, Assemblée, du 14 janvier 1938, n° 51704) . Or le juge administratif a eu la possibilité d’examiner les faits à la lumière d’un autre régime responsabilité. Le Conseil d’Etat a introduit en 2007 dans l’arrêt A. (Conseil d'État, Assemblée, 08/02/2007, n° 279522) un régime de responsabilité sui generis du fait des lois ; ce régime original a réalisé une simplification de la procédure d’indemnisation des victimes qui était jusqu’alors complexe en raison des évolutions jurisprudentielles. Désormais, l’Etat est tenu de réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France et notamment du droit européen. Toutefois les conditions de la jurisprudence Conseil d'État, Assemblée, 08/02/2007, n° 279522 n’ont pas été énoncée clairement par les juges du Palais-Royal ; en dehors de l’existence d’une loi méconnaissant des engagements internationaux et d‘un préjudice, il semble, au vu des conclusions du Commissaire du Gouvernement Luc Derepas, que ce régime ne puisse être appliqué qu’en l’absence d’acte administratif à l’origine du préjudice, s’il existe un lien de causalité direct entre la loi et le préjudice et que la victime n’aura pas eu la possibilité de demander réparation devant le juge judiciaire.

Au regard des éléments développés par la suite, le tribunal administratif de Lyon semble avoir suivi cette méthode puisqu’il a d’abord cherché à établir l’existence d’un préjudice et à relever le défaut de transposition de la directive, puis si un recours devant le juge judiciaire était possible.

B. Un défaut de transposition préjudiciable aux malades

Tout salarié a droit chaque année à des congés payés à la charge de l’employeur ; ainsi chaque mois de travail effectif ouvre droit à un congé de 2, 5 jours ouvrables pendant lequel l’employeur verse au salarié une indemnité de congés payés. Par conséquent la durée commune des congés annuels est de 5 semaines. Mais dans ce calcul des jours ouvrant droit à congés, ne sont pas seulement comptés les jours de travail effectifs mais également de potentiels jours d’incapacités. Ainsi aux termes de l’article L.3141-5 du Code du travail sont notamment compris dans le calcul les périodes de congé maternité, celles d’exercice du service national ou celles « pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle ». Dès lors, en dehors des hypothèses énoncées par l’article L.3141-5 du Code du travail, toute autre période n’est pas prise en compte dans le calcul des droits aux congés annuels.

Or, selon l’article 7 de la Directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales », ce qui signifie toute travailleur sans distinction se voit garantir 4 semaines de congés annuels. Cette interprétation a été donnée dans un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne à l’occasion d’une question préjudicielle où elle a notamment considéré que « l’article 7 de la directive 2003/88 n’opère aucune distinction en fonction de l’origine de l’absence du travailleur en congé de maladie, dûment prescrit, tout travailleur, qu’il ait été mis en congé de maladie à la suite d’un accident survenu sur le lieu du travail ou ailleurs, ou à la suite d’une maladie de quelque nature ou origine qu’elle soit, ayant droit à un congé annuel payé d’au moins quatre semaines » (CJUE 24 janvier 2012 C-282/10) . Cette interprétation a par la suite été reprise par la Cour de Cassation (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 22 juin 2016, 15-20.111) .

En l’espèce Mme B. ayant été placé en congé maladie classique, elle ne pouvait bénéficier des congés annuels au regard de l’article L.3141-5 qui ne les accorde que pour maladie professionnelle. Toutefois si la directive n° 2003/88/CE avait été transposée, elle aurait pu se prévaloir du minimum de 4 semaines de congés annuels.

Par conséquent le juge administratif reconnaît également une incompatibilité entre le texte législatif et la directive européenne qui a empêché Mme B. de se voir accorder le bénéfice de congés payés. Le tribunal admet ainsi l’existence d’un préjudice financier subi par la requérante et qui trouve son origine dans le défaut de transposition par l’Etat de ladite directive.

Le défaut de transposition de cette directive en particulier a déjà été jugé par le Conseil d’Etat comme susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat, à la fois pour le manquement à ses obligations d’assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, mais également « pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France » (Conseil d'État, 1ère / 6ème SSR, 23/07/2014, n° 0354365) . En conséquence, le tribunal administratif de Lyon a reconnu la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat pour le préjudice qu’a subi Mme B.

Le 7e considérant de ce jugement marque un tournant décisif dans le raisonnement du juge : en précisant que les personnes sont « susceptible (s) d’engager la responsabilité de l’Etat », le tribunal reconnaît l’imputation de la faute de l’Etat dans la survenance du préjudice et dans d’autres circonstances Mme B. aurait surement obtenu réparation. Toutefois si la faute et le préjudice sont reconnus, le lien de causalité est moins évident. Pour les faits présents, les magistrats administratifs ont considéré qu’il n’appartenait pas à l’Etat de réparer le préjudice et qu’ils étaient par ailleurs incompétents pour accéder à la demande à la requérante.

II. Un recours mal dirigé

Pour rejeter la demande, le juge administratif a relevé que la directive litigieuse était directement invocable contre l’employeur, délégataire d’une mission de service public (A) et qu’en conséquence le lien de causalité entre le défaut de l’Etat et la réalisation du dommage n’était pas suffisamment établi (B).

A. L’opposabilité de la directive devant l’employeur délégataire d’un service public

Dans sa seconde moitié, le jugement retient que la requérante aurait dû saisir le juge judiciaire, plutôt que le juge administratif, pour cette action en responsabilité. En effet, la responsabilité du fait des lois ne semble s’appliquer que de manière subsidiaire dans le cas où une action devant le juge judiciaire serait impossible. Pour retenir que cette action était possible en l’espèce, le juge administratif a retenu que la directive n° 2003/88/CE était directement invocable devant le juge judicaire.

En effet, la CJCE avait d’abord fait remarquer que lorsque « les justiciables sont en mesure de se prévaloir d'une directive à l'encontre de l'État, ils peuvent le faire quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier, employeur ou autorité publique » (CJUE 26 février 1986 C-152/84, point 49), ce qui l’avait par la suite conduit à admettre « que des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d'une directive pouvaient être invoquées par les justiciables à l'encontre d'organismes ou d'entités qui étaient soumis à l'autorité ou au contrôle de l'État ou qui disposaient de pouvoirs exorbitants » (CJUE 12 juillet 1990 E.A C-188/89 points 18) . Cette position a donc naturellement été adoptée par le juge judiciaire qui a accepté d’opposer à des organismes soumis à l’autorité de l’Etat, des directives claires, précises et inconditionnelles.

En l’espèce le juge administratif, pour estimer la possibilité d’un recours devant le juge judiciaire, s’est appuyé sur une décision de la Cour de Cassation basée sur des faits similaires. Dans un arrêt du 22 juin 2016 (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 22 juin 2016, n° 15-20.111), la Cour a d’une part reconnu l’effet direct de la directive n° 2003/88/CE, et d’autre part que cette directive pouvait être invoquée par le justiciable « à l'encontre d'organismes ou d'entités qui sont soumis à l'autorité́ ou au contrôle de l'Etat ou qui disposent de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers et que tel est le cas, au regard notamment des articles L. 1221-1 et suivants du code des transports, d’un employeur qui, en sa qualité́ de délégataire de l'exploitation d’un réseau de transport en commun intérieur, assure un service public dont l’étendue, les modalités et les tarifs sont fixés par l'autorité́ publique organisatrice, et dont les agents sont habilités par la loi et le règlement à constater les contraventions afférentes ». Par conséquent, Keolis Lyon étant le gestionnaire du réseau de transports en commun de la communauté́ urbaine du Grand Lyon, Mme B. avait la possibilité d’invoquer la directive litigieuse contre son employeur directement devant le juge judiciaire. Cette extension de la possibilité d’invoquer l’effet direct d’une directive à l’encontre de tous les délégataires d’un service public est critiquable dans la mesure où, si certains délégataires comme les SEM ou les SPL sont composées de représentants des autorités publiques, d’autres délégataires privés (Keolis n’étant pas un exemple idéal au regard de sa composition capitalistique) n’ont que très peu de liens avec des représentants de l’Etat. Le fait de détenir des pouvoirs exorbitants ne fait pas non plus de ces délégataires des prolongements des personnes publiques. En effet ces pouvoirs s’apparentent davantage à des moyens pour exécuter la mission qui leur est confié dans les conditions d’un service public qu’à une délégation d’autorité. Ces sociétés pourtant se voient désormais opposer des directives d’effet direct alors que leurs relations avec les autorités publiques relèvent moins de la soumission ou du contrôle que de rapports contractuels.

Au demeurant, une action étant possible pour la requérante devant le juge judiciaire, l’une des conditions de la jurisprudence Gardedieu n’est pas remplie ; par conséquent le tribunal administratif de Lyon ne pouvait retenir la responsabilité de l’Etat du fait des lois. En effet, on peut considérer que la requérante ne subit pas de préjudice dans la mesure où elle a la possibilité de faire directement valoir ses droits devant un juge et ainsi de se voir reconnaître le bénéfice de ses congés payés.

B. Un lien de causalité avec l’Etat insuffisant

En considérant qu’une action était possible devant les juridictions civiles, le juge administratif en a conclu que ce n’était pas le défaut de l’Etat qui était à l’origine du préjudice mais une faute de l’employeur qui n’a pas appliqué le texte approprié. Ainsi, il n’y pas de lien direct de causalité avec l’Etat.

Bien que le rejet de la requête soit finalement la solution logique au regard des conditions de l’arrêt Conseil d'État, Assemblée, 08/02/2007, n° 279522, conditions demeurant floues tant il est difficile de s’accorder sur la nature de ce régime de responsabilité, cette décision semble s’éloigner de l’esprit original de la jurisprudence ayant instauré une responsabilité objective de l’Etat pour défaut de transposition. En effet, le mécanisme de renvoi vers le tribunal de grande instance a pour inconvénient de mettre à la charge de l’employeur une charge exceptionnelle ; certes il y a une erreur de droit qui trouve son origine dans le refus par Keolis d’accorder les congés payés litigieux, mais in fine, les torts semblent au moins pour partie imputables à l’Etat lequel n’a pas transposé la directive.

En matière de responsabilité, lorsque les torts sont partagés, la procédure est de désigner un responsable qui ensuite récupérera, auprès du responsable conjoint, une partie ou la totalité de la somme versée à la victime. Or en l’espèce si la société vient par la suite à être condamnée à réparer le préjudice, il lui sera difficile d’exercer une action récursoire contre l’Etat puisque cette hypothèse ne semble pas prévue par le droit administratif en dehors des cas de la jurisprudence (Conseil d'Etat, Assemblée, du 28 juillet 1951, n° 04032 ) . Par conséquent en l’absence d’une telle possibilité, l’entreprise se retrouve seule à supporter les torts alors que ceux-ci semblent partagés.

Il semble ainsi que si la décision du juge administratif s’inscrit dans une logique jurisprudentielle, elle crée du côté de l’employeur de la requérante une charge qu’il ne pourra peut-être pas équilibrer en raison de ce vide juridique.

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