A la suite d’opérations de vérifications de comptabilité, un contribuable dispose de plusieurs voies de recours concomitantes pour contester l’imposition mise à sa charge. Entre recours hiérarchiques et commissions départementales des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires – devenue depuis le 1er septembre 2017 commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires –, contribuables et praticiens manquent parfois de visibilité sur l’articulation de ces recours. La jurisprudence commentée est l’occasion de faire un point sur l’œuvre prétorienne en la matière et les problématiques d’administration de la preuve qui en résultent.
Par un arrêt Société Le Beau Rivage, la cour administrative d'appel de Lyon apporte une nouvelle contribution sur le sujet dont la construction est prétorienne.
Après une rectification notifiée par le service vérificateur, la société Le Beau Rivage a demandé à rencontrer dans l’ordre suivant le supérieur hiérarchique du vérificateur, l'interlocuteur départemental puis enfin, uniquement sous réserve que le différend persiste après l'entretien avec l'interlocuteur, la commission départementale des impôts (la « commission »).
Le souhait de la société n’a pas été accueilli favorablement. La société a bien été reçue par l'interlocuteur départemental qui a maintenu l'ensemble des rectifications mais uniquement postérieurement à la réception de l’avis de la commission.
La société a alors saisi le juge de l'impôt au motif que la prise de position de l'interlocuteur postérieurement à l'avis de la commission, contrairement au souhait qu'elle a exprimé, aurait privé d'effectivité le recours à l'interlocuteur et par suite vicié substantiellement la procédure d'imposition.
S’inscrivant dans la tendance jurisprudentielle actuelle, la cour vient préciser les modalités d’articulation, parfois confuses, des recours à l'interlocuteur et à la commission (1) dont découle une interrogation notable en matière d’administration de la preuve (2).
1. L’état de la jurisprudence actuelle
L'interlocution étant inconnue de la loi mais uniquement prévue par la doctrine administrative et la Charte du contribuable vérifié, le législateur n'a pas prévu de règles d'articulation avec la saisine de la commission, dont les délais de saisine se s’entrecroisent. Réciproquement, la Charte, d'interprétation stricte (V. en ce sens, C.E., 8ème et 9ème sous-section, 30 mars 1992, n° 114926, Sté Générale : Lebon, p. 139 ; Dr. fisc. 1992, n° 40, comm. 1809; RJF 5/1992, n° 706 ; concl. J. Arrighi de Casanova), ne prévoit pas de telles règles.
Dans sa décision Lagier (C.E., 3ème et 8ème sous-sections, 2 juillet 2007, n° 280687 : Dr. fisc. 2007, n° 49, comm. 1031; RJF 11/2007, n° 1292 ; concl. E. Glaser), le Conseil d’Etat a admis que l'interlocution peut se dérouler avant le recours à la commission.
Plus récemment, la cour administrative d'appel de Versailles a précisé que la saisine du supérieur hiérarchique, et mutatis mutandis de l'interlocuteur départemental, ne suspend pas le délai de 30 jours pour saisir la commission (C.A.A. Versailles, 3ème chambre, 9 février 2016, n° 15VE00394, min. c/ SNC Rhodia Participations : Dr. fisc. 2016, n° 20, comm. 324, concl. B. Coudert).
Entre temps, dans sa décision Guillet, alors qu’elle était interrogée sur la régularité d'une saisine conditionnelle de l'interlocuteur, la Haute assemblée a pris le parti de préciser « qu'il est loisible au contribuable [...] de faire appel à l'interlocuteur départemental, aussi bien avant la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qu'après que cette commission, saisie par ailleurs, ait rendu son avis et, dans cette dernière hypothèse, jusqu'à la date de la mise en recouvrement de l'impôt ». (C.E., 8ème et 3ème sous-sections, 27 juin 2012, n° 342736 : Lebon T., p. 676 ; Dr. fisc. 2012, n° 41, comm. 475 ; RJF 10/2012, n° 0935 ; BDCF 10/2012, n° 119, concl. N. Escaut).
L’arrêt présentement commenté s’inscrit dans la lignée de cette dernière jurisprudence. L'arrêt Sté Le Beau Rivage réaffirme notamment cette articulation des recours en reprenant au mot près le considérant du Conseil d'État utilisé en 2012. Par une lecture littérale de la charte et de l'article L. 59 du LPF, la cour refuse ainsi tout droit au contribuable d'exprimer un choix. Dès lors, le souhait exprimé par le contribuable sur l'ordre des recours est sans effet sur la validité de la procédure. L'articulation établie par la décision Guillet prévaut en toute hypothèse et il appartient au vérificateur de se conformer ou non à la demande du contribuable, sans qu'un refus ne puisse lui être reproché.
Néanmoins, la cour apporte une précision précieuse sur cette articulation. Si la chronologie des recours est sans incidence, la cour ne donne pas blanc-seing à l’interlocuteur fiscal. Les juges lyonnais précisent que l’interlocution départementale doit conserver son effectivité. A défaut, le recours à l’interlocuteur étant une garantie substantielle, (C.E., 8ème et 3ème sous-sections, 23 octobre 2002, n° 204052: Lebon T., p. 680 ; Dr. fisc. 2003, n° 5, comm. 61; RJF 1/2003, n° 71 ; concl. P. Collin), la procédure d’imposition en serait viciée.
En d’autres termes, quelle que soit la chronologie des recours, il incombe à l’interlocuteur d’effectuer les diligences qui sont attendues de lui et en particulier l’examen critique des arguments du contribuable. Il ne peut pas se contenter de suivre, sans analyse de sa part, l’avis de la commission ou de rejeter les prétentions du contribuable au motif qu’il n’apporte pas d’arguments nouveaux depuis l’avis de la commission.
Si le Conseil d’Etat l'avait implicitement admis dans sa décision SCI Agora Location (C.E., 9ème et 10ème sous-sections, 5 mai 2010, n° 308430, min. c/ SCI Agora Location : Rec. CE 2010, p. 150 ; Dr. fisc. 2010, n° 28, comm. 421, note A. Angotti ; RJF 7/2010, n° 703 ; concl. P. Collin), la cour administrative vient poser cette règle de principe explicitement.
2. La preuve de l’ineffectivité du recours à l’interlocuteur : une utopie ?
L'approche retenue dans l'arrêt commenté et plus généralement par le Conseil d'État, ne peut être que saluée. L'objet même d'une garantie est d'être pleinement utile. La présence d’un recours effectif est indispensable mais rapporter la preuve que l’effectivité a manquée n’est pas chose aisée.
Dans le cadre de l’interlocution départementale, l'interlocuteur n'a pas d'obligation de remettre un compte rendu de l'entretien (C.E., 10ème et 9ème sous-sections, 3 décembre 2003, n° 239514 : Lebon T., p. 734 ; Dr. fisc. 2004, n° 37, comm. 679; RJF 2/2004, n° 167 ; concl. S. Boissard). Parallèlement, l’interlocuteur n’a pas d’obligation de motiver sa décision par écrit.
Dès lors, les moyens offerts au contribuable qui souhaite contester la validité du recours à l’interlocuteur sont des plus restreints, en l’absence de formalisation obligatoire de l’entretien. Rapporter la preuve de l'ineffectivité d'un recours relève, plus vraisemblablement, d’une utopie que d’une réalité. L’administration de la preuve du manque d’effectivité ne pourrait être possible que dans certaines circonstances factuelles permettant au contribuable de produire une preuve tangible. Il devrait en être notamment ainsi dans l’hypothèse où :
- le compte-rendu écrit de l’interlocuteur mentionne qu'en l'absence d'élément nouveau par rapport aux arguments soulevés devant la commission, la rectification mise à la charge du contribuable sera maintenue ;
- l'interlocuteur fait publiquement savoir qu'il ne tiendra pas compte des arguments que le contribuable serait susceptible de développer au cours de l'entrevue.
Si Thierry Besse, dans ses conclusions sous l’arrêt Sté Favre Sports (T. Besse conclusions sous C.A.A. Lyon, 2ème chambre, 13 décembre 2016, n° 15LY01413, Sté Favre Sports : Dr. Fisc. 2017, n° 21, 319 ; RJF 4/17, n° 315), évoque « une certaine compréhension dans l’administration de la preuve » dont on peut se réjouir, la mise en pratique de cette compréhension nous semble néanmoins difficilement possible.
Face à cette difficulté dans l’administration de la preuve, l’intervention du législateur est plus que souhaitable afin que la garantie offerte aux contribuables soit d’une part légalisée et d’autre part renforcée, garantissant ainsi un recours à l’interlocuteur pleinement … effectif.
Un commentaire plus développé du présent article a été publié dans la Revue de Droit fiscal 2017, n° 45, 9 novembre 2017, commentaire n° 537 (éditions LexisNexis).