Règles de procédure : étranger assigné en Ardèche utilisant les services de la société Chronopost

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Décision de justice

CAA Lyon, 2ème chambre – N° 16LY03674 – 16 mai 2017 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 16LY03674

Date de la décision : 16 mai 2017

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

OQTF, Règles de procédure contentieuses spéciales, Dépôt de la requête

Rubriques

Procédure, Etrangers

Résumé

Pour échapper à la forclusion, un requérant ne peut se prévaloir de ce que, compte tenu des brefs délais de livraison pratiqués par Chronopost, il avait pris toutes les précautions nécessaires pour que sa requête parvienne à temps (1). Toutefois, en l'absence de dispositions le lui imposant, il n'est pas fait obligation au justiciable de recourir exclusivement à l’horodateur de la boite aux lettres placé à l'extérieur de la juridiction pour établir l’heure de dépôt de sa requête (2). Mais si le justiciable utilise d'autres voies, notamment celle d'une société de messagerie, le requérant doit établir l’heure de présentation du pli par des modes de preuve offrant des garanties équivalentes (3).

Il ressort des pièces produites en appel, notamment de l’avis de dépôt émanant de la société Chronopost, lequel présente des garanties équivalentes à un avis de dépôt ou à une attestation émanant des services postaux ou encore aux mentions de l’horodateur de la juridiction, que le livreur de Chronopost est arrivé au tribunal administratif de Lyon avant l’ouverture du greffe et a donc déposé le pli dans la boîte aux lettres prévue à cet effet le 19 août à 8 heures 50, soit avant l'expiration du délai de recours de 48 heures courant à compter de la notification de la décision attaquée le 17 août à 10 heures 05 minutes.

(1) Cf. CE 25 juin 1999, n° 172935, Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Alliance, aux Tables ; Sur l’application de la règle de délai d’acheminement normal à des courriers envoyés par Chronopost, CE, 2 mars 2011, M. Levrard, n° 331907 ; Sur le délai d’acheminement normal en principe fixé à 48 heures CE, 30 décembre 1998, n° 181762, aux Tables.

(2) Rappr. CE, prés. sect. cont., 30 avril 1997, n° 184515, aux tables, p. 934.

(3) Cf. CE, 8 février 2012, n° 336125, aux Tables.

Rappr. CE, 28 avril 2000, n° 198565, aux Tables ; CAA Douai, 30 décembre 2016, n° 15DA00687 ; CAA Paris, 20 mai 2015, n° 14PA04491 ; CAA Lyon, 4 juillet 2013, n° 12LY01727 « l'envoi de cette convocation par le système dit "Chronopost", qui permet de justifier des dates d'expédition et de réception de la lettre, offre des garanties équivalentes à l’envoi par lettre recommandée » ; CAA Versailles, 10 novembre 2009, n° 08VE01772.

Conclusions du rapporteur public

Thierry Besse

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6359

M. et Mmes X. de nationalité kosovare, ont demandé au tribunal administratif (TA) de Lyon d’annuler des arrêtés du 17 août 2016 par lesquels le préfet de l’Ardèche avait ordonné leur remise aux autorités allemandes, et décidé de les assigner à résidence. Ces trois demandes furent rejetées pour tardiveté par les trois ordonnances attaquées, rendues le 19 août 2016 par le magistrat désigné par le président du TA Lyon.

Les voies et délais de recours étaient mentionnées dans les décisions litigieuses. En vertu des dispositions de l’article L. 742-4 du CESEDA et de l’article L. 512-1 du CESEDA, les requérants, qui étaient assignés à résidence, disposaient d’un délai de quarante-huit heures pour saisir d’une requête le tribunal administratif.

Ce délai ne constitue pas un délai franc (CE, 15 mars 1999, p. 67). Il commence à courir immédiatement, et donne lieu à un décompte d’heure à heure (CE, 15 novembre 1996, n° 181797) . Par ailleurs, c’est l'enregistrement au greffe et non l'expédition postale qui interrompt le délai (CE, 29 juin 1992, n° 128366) . Enfin, la circonstance que la notification ne mentionne pas l’existence au tribunal d’une boîte aux lettres extérieure pourvue d’un horodateur ne fait pas obstacle au déclenchement du délai (CE, président de la section du contentieux, 5 juillet 1995, N° 155010, aux Tables).

Les décisions attaquées ont été notifiées en main propre à M. X., Mme Y et Mme Z le 17 août 2016, entre 10 heures 05 et 10 heures 30 (selon les requérants), de sorte que les intéressés disposaient d’un délai expirant le 19 août 2016 à 10 heures 05, pour M. X, et quelques minutes plus tard pour son épouse et leur fille, pour saisir dans les délais le TA Lyon d’une demande tendant à l’annulation de ces décisions. Or, il ressort des pièces du dossier que les trois demandes ont été enregistrées au greffe du tribunal à 13 heures 48. Ces trois demandes semblent donc tardives.

Les requérants soutiennent toutefois que les trois demandes ont été déposées dans la boîte aux lettres du tribunal le vendredi 19 août 2016 à 8 heures 50, soit avant l’ouverture du greffe.

Les intéressés, qui étaient assignés à résidence à Saint-Agrève, en Ardèche, établissent avoir confié le 18 août 2016 à Chronopost l’envoi de leur demande, et avoir souscrit à cette occasion une prestation payante devant leur assurer que les plis seraient remis à destination le lendemain avant 10 heures, ce qui devait leur garantir que les demandes seraient déposées dans les délais de recours contentieux. Ils produisent également des documents établis par Chronopost, intitulés « preuve de livraison » comprenant un extrait du bordereau de distribution mentionnant comme heure de distribution « 8 heures 50 » avec les initiales du livreur.

Les requérants estiment ainsi que l’enregistrement tardif de leurs demandes ne seraient pas de leur fait. Il serait imputable tout à la fois à l’erreur commise par l’agent de Chronopost qui a laissé les courriers dans la boîte aux lettres du tribunal sans les horodater préalablement, et ensuite au retard mis par le greffe du tribunal, 5 heures s’étant écoulées entre le dépôt des courriers dans la boîte aux lettres et leur enregistrement.

Il pourrait tout d’abord être considéré qu’aucune tardiveté ne saurait être opposée aux requérants, dès lors qu’ils ont entrepris des démarches qui auraient dû leur assurer que leurs demandes seraient déposées dans les délais. Sur le fait que ne saurait être opposée une tardiveté imputable à un dysfonctionnement des services postaux (CE, 25 avril 2001, n° 211335 ; CE, 8 mars 2002, n° 228943) .

La société Chronopost leur a en effet facturé une prestation leur garantissant un dépôt de leurs requêtes avant le 19 août 2010 à 10 heures, soit dans les délais impartis.

Mais, par un arrêt publié aux Tables sur ce point du 25 juin 1999, Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Alliance, 172935, le CE a écarté comme inopérant un tel argument (« Pour échapper à la forclusion, la société ne peut se prévaloir de ce que, compte tenu des brefs délais de livraison pratiqués par Chronopost, elle avait pris toutes les précautions nécessaires pour que sa requête parvienne à temps ») . Cette décision est un peu ancienne, mais elle n’a pas été formellement abandonnée et le raisonnement a même été repris récemment par le CE, dans une décision du 5 avril 2013, Association église évangélique de la forteresse de Dieu, 352139 (« l’association requérante, qui a confié le pli contenant sa requête à la société Chronopost (…) ne peut être regardée, quelles que soient les indications données par cette société sur ses délais d’acheminement, comme ayant pris les précautions nécessaires pour qu’elle parvienne au Conseil d’Etat en temps utile. »)

Il ne semble donc pas possible pour les requérants d’opposer le fait qu’ils ont accompli les diligences nécessaires au regard de l’engament contractuel de Chronopost.

S’applique alors la jurisprudence de droit commun exigeant que le recours soit parvenu à la juridiction dans les délais de recours contentieux, sous réserve d’un délai d’acheminement normal (sur l’application de la règle de délai d’acheminement normal à des courriers envoyés par Chronopost, CE, 2 mars 2011, N° 331907). Or, le délai d’acheminement normal est en principe fixé à 48 heures (CE, 30 décembre 1998, N° 181762, aux Tables).

Le fait pour les requérants d’avoir envoyé leurs requêtes le 18 août 2016, soit la veille de la date à laquelle expiraient les délais de recours contentieux ne leur garantissait pas la réception de celles-ci dans le délai, quand bien même ils avaient souscrit à cette fin une prestation spéciale, de sorte que les requérants ne sauraient invoquer une carence des services postaux. Dans cette première approche, qui part du comportement du requérant, le motif de la carence des services postaux nous paraît sans incidence. Nous voyons mal pourquoi le fait pour Chronopost de délivrer un pli après le délai auquel il était contractuellement tenu ne correspondrait pas à une carence de sa part, alors que tel serait le cas d’un dépôt dans les délais dans la boîte aux lettres du tribunal sans utilisation d’un horodateur.

En revanche, nous pensons que les documents établis par Chronopost mentionnant un dépôt des demandes au greffe du tribunal à 8 heures 50 le 19 août 2016 établissent suffisamment que les requêtes ont été déposées dans les délais de recours contentieux.

Il est vrai que la jurisprudence privilégie comme mode de preuve des dates et heures d’enregistrement des requêtes certaines, qu’il s’agisse de la réception de télécopies, du tampon du greffe lorsque la requête est déposée en mains propres par le requérant ou, en cas de fermeture du greffe, de l’horodateur. Mais, pour autant, ce qui compte, selon les dispositions applicables, c’est la date et l’heure à laquelle le tribunal a été saisi. L’horodatage n’est dans ce cadre pas une obligation mais seulement un mode privilégié de preuve du dépôt de la demande.

Lorsqu’un requérant n’a pas utilisé l’horodateur, il ne peut se borner à soutenir avoir déposé sa requête dans les délais (CE, 14 mars 1997, N° 182765) . Notons que dans cette décision, le CE, qui considère que le requérant ne peut utilement faire valoir qu’il n’a pas vu l’horodateur, écarte l’argument selon lequel il aurait néanmoins déposé sa requête dans les délais au motif qu’il ne l’établit pas, ce qui semble signifier a contrario que sa requête n’aurait pas été tardive, bien que non horodatée, s’il avait pu établir le contraire.

De façon générale, le juge administratif considère que dans le cas de l’acheminement par Chronopost d’un pli envoyé par l’administration, celle-ci apporte la preuve de la présentation du pli à une date déterminée par la production de l'attestation établie par Chronopost certifiant la date de présentation du pli au domicile de l’administré (CE, 8 février 2012 N° 336125, aux Tables sur ce point).

Cette jurisprudence est constante et nous n’avons trouvé aucune décision remettant en cause une telle présomption. Voyez pour des raisonnements identiques concernant tant l’envoi de plis par l’administration que l’envoi de courriers par des particuliers à l’administration : CE, 28 avril 2000, N° 019865, aux Tables ; CAA Douai, 30 décembre 2016, N° 15DA00687 ; CAA Paris, 20 mai 2015, N° 14PA04491 ; CAA Lyon, 4 juillet 2013, N° 012LY01727 « l'envoi de cette convocation par le système dit "Chronopost", qui permet de justifier des dates d'expédition et de réception de la lettre, offre des garanties équivalentes à l’envoi par lettre recommandée » ; CAA Versailles, 10 novembre 2009, N° 08VE01772.

Nous ne voyons pas de raisons pour lesquelles l’attestation établie par la société Chronopost, soit un tiers par rapport au requérant, n’aurait pas la même valeur lorsqu’il s’agit d’un pli adressé à une juridiction.

Le CE a déjà nous semble-t-il retenu un raisonnement identique en jugeant que la date de présentation du recommandé au greffe prévaut sur la date d’enregistrement portée par l’apposition du timbre de la juridiction lors de l’enregistrement pour déterminer de la recevabilité de la requête au regard des délais. Dans cette affaire, le courrier recommandé avait été présenté le samedi matin à l’adresse du tribunal, ainsi qu’il ressortait de l’attestation des services postaux, et le fait que la requête n’ait été enregistrée que le lundi par le greffe, après l’expiration des délais de recours ne saurait rendre la requête tardive. (CE, prés. sect. cont., 30 avril 1997 n° 184515, aux tables sur ce point, p. 934).

Par ailleurs, la jurisprudence du CE assimile les conditions d’envoi par la Poste et par Chronopost, de sorte qu’une attestation de cette société ne nous semble pouvoir avoir moins de valeur. Dans notre affaire, vous ne pourriez confirmer la forclusion qu’en affirmant que le bordereau établi par Chronopost n’est pas probant, ce que rien ne permet d’affirmer. Il est d’ailleurs fort plausible que les plis ont été déposés à 8 heures 50 le 19 août dans la boîte aux lettres du tribunal. Il est certain que ceux-ci ont été distribués le 19 août 2016, et si le greffe avait été ouvert, on peut penser que les courriers auraient été déposés directement au greffe.

Les demandes de première instance nous semblent dès lors avoir été présentées dans les délais de recours contentieux. La solution que nous vous proposons se situe, nous semble-t-il, dans la ligne d’une jurisprudence qui, en matière de délais, se veut « pragmatique », ainsi que l’indiquait le commissaire du gouvernement Stéphane Verclytte dans ses conclusions sur CE, 20 juin 2006, N° 274751.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation pour irrégularité des trois ordonnances attaquées, au renvoi des affaires devant le TA Lyon, et au rejet, dans les circonstances de l’espèce, des conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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